Nouvelles d'Irak
Entretien
n°13 - FBI-Saddam Hussein
Gilles Munier
Gilles Munier
Dimanche 16 mai 2010
Baghdad Operation Center
11 mars 2004
Entretien conduit par George L. Piro
Rapport traduit de l’arabe en anglais par le FBI
Traduction en français : Xavière Jardez
Titres, sous-titres et notes : Gilles Munier
Guerre du Golfe – janvier 1991
L’occupation du Koweït
« 19ème province » :
désinformation et réalité
Saddam Hussein (Détenu de Haute Valeur n°1) a été
interviewé le 11 mars 2004 dans un bâtiment de détention
militaire à l’Aéroport International de Bagdad (AIB),
Bagdad, Irak. Hussein a fourni les informations suivantes :
Hussein a été informé que la discussion serait la suite des
discussions précédentes sur la situation au Koweït.
Au sujet des informations fournies par le gouvernement koweitien
chiffrant à 180 millions de dollars les dommages causés par
l’invasion et l’occupation du Koweït par l’Irak, Hussein a
demandé quelle en était la source. A la réponse qu’elle
provenait du Koweït, Hussein a demandé quelle était l’entité
neutre et légale ayant interrogé le Koweït, à l’origine de cette
conclusion. A son avis, « personne » n’a demandé au
Koweït les détails de cette enquête. Hussein a, à nouveau, douté
de l’existence de preuves soutenant les prétentions
koweitiennes.
Si le Koweït avait été
un pays sans pétrole…
Hussein a réitéré l’affirmation soutenue lors d’un précédent
entretien, à savoir que « le Koweït est irakien ». Pour
lui, le Koweït « a été volé » à l’Irak grâce à une
résolution britannique. Il a ajouté si le Koweït avait été un
pays sans pétrole, il n’aurait pas été « volé ».
Hussein a déclaré que l’arrogance des dirigeants koweitiens les
rendait « stupides » et avait déclenché la guerre. Il a
de plus ajouté qu’il concevait que les Etats-Unis, situés de
l’autre côté de l’Océan Atlantique, puissent souhaiter un Irak
pauvre, mais qu’il ne comprenait pas l’intérêt du Koweït de
coexister avec un « pays affamé ».
Hussein a souligné qu’il ne disait pas que le Koweït n’avait pas
le droit de faire ces déclarations, mais il a, à nouveau, remis
en cause l’identité de l’entité neutre qui avait examiné la
question et si cette dernière avait été discutée avec l’Irak.
Hussein a suggéré qu’une sorte de tribunal aurait dû être créé
pour entendre les deux parties, avant de rendre sa décision.
Cependant, ce n’est pas ce qui s’est passé.
Les rumeurs
sur les Koweitiens
« disparus »sont
fausses,
comme celles sur les ADM
Hussein a déclaré que, peu avant la dernière guerre, les
officiels américains ont annoncé que les dettes irakiennes
seraient abandonnées, y compris les dommages dus au
Koweït. De l’avis d’Hussein, cela prouvait bien que les sommes
prétendument réclamées par le Koweït ne constituaient pas une
dette légale et étaient « une question politique ». Il
a ajouté que cette politique avait été initiée par les
Etats-Unis et non par les Nations unies, le Koweït ou toute
autre entité.
L’interviewer a dit à Hussein que le Koweït n’avait jamais
demandé de compensations pour les dommages subis pendant
l’invasion et l’occupation irakienne. Il avait cependant demandé
le retour de 605 prisonniers de guerre. Jusqu’à ce jour, ces
prisonniers n’ont pas été libérés. Hussein a déclaré que ces
prisonniers ne sont pas des « captifs », mais des
personnes disparues selon la définition d’une résolution de
l’ONU. De nombreuses « histoires et romans ont été tissés »
autour de cette question, a-t-il ajouté, comme pour la question
des armes de destruction massive (ADM). Les rumeurs sur
les prisonniers de guerre koweitiens se sont avérées fausses
tout comme celles sur les ADM. Hussein a précisé que,
souvent, au cours d’une guerre, des individus sont portés
« disparus », citant comme exemple, le seul membre de la
force de coalition de la Première guerre du Golfe et les
milliers d’Irakiens et d’Iraniens lors de la guerre entre les
deux pays. Quant aux 605 Koweitiens prisonniers, Hussein a
affirmé que le Koweït connaît leur sort. Hussein a démenti
savoir si les 605 Koweitiens avaient été capturés dans des
circonstances autres que les combats après l’invasion du Koweït
par l’Irak.
Hussein a reconnu qu’Aziz Saleh al-Numan était gouverneur du
Koweït au cours de l’occupation de ce pays (1). En tant
que tel, il devait rapporter directement au ministre de
l’Intérieur de l’époque, Ali Hassan al-Majid. Les charges
d’Al-Numan comme gouverneur étaient déclinées dans les lois
provinciales irakiennes. Hussein ne se souvient pas si al-Numan
a été nommé par lui ou par un décret du Conseil du
Commandement de la Révolution (CCR). En Irak, la
Constitution définit l’autorité du CCR et du
Président qui est aussi le Président du CCR. Des
nominations gouvernementales comme celles d’officiers de haut
rang, de juges et de directeurs généraux sont fondés sur une
directive « républicaine ». Hussein a expliqué que le
système irakien permet au Président de proposer un nom pour une
nomination, et de requérir du CCR un retour
d’information. Les décisions en Irak sont signées par le
Président. Il est dans ses prérogatives de consulter ou de ne
pas consulter. Hussein a dit que « son style » était de
toujours consulter les autres au moment de prendre une décision.
Les gouverneurs étaient missionnés sur la base d’une directive
« républicaine » ou présidentielle. Hussein ne se
souvient pas s’il a discuté de la nomination d’Al-Numan avec le
CCR.
Faux document
A la question de savoir si l’Irak avait utilisé, au cours de la
Première guerre du Golfe, des Koweitiens, des Japonais ou des
Occidentaux comme boucliers humains sur des sites clés, y
compris des positions militaires et des centres de
communication, Hussein a démenti que des individus aient été
emmenés sur des positions militaires (2). Il a ajouté
que le gouvernement irakien n’empêchait pas des gens de se
porter « volontaires » pour être bouclier humain pour
protéger des installations comme les centres de communication.
Il ne se souvient pas, en l’espèce, s’il y a eu des volontaires
en 1991 (3).
Le traducteur a lu à Hussein une communication gouvernementale
venant de Qusay Hussein sur le recours à des prisonniers
koweitiens comme boucliers humains. Hussein a déclaré qu’il
n’avait aucune information concernant cette lettre. Quand il a
été noté que ce document avait été découvert par les forces
américaines dans un bâtiment gouvernemental irakien et semblait
officiel, Hussein a déclaré : « Je vous ai répondu ». Avait-on,
a-t-il demandé, questionné ces prisonniers s’ils avaient été
retenus en captivité ou utilisés comme boucliers humains… Il a
déclaré que l’Irak avait relâché tous les prisonniers
koweitiens. Après qu’on lui eut observé que le document était
daté du 14 mars 2003, Hussein a déclaré : « C’est un faux.
C’est impossible ». Hussein a suggéré que cette
communication soit examinée de près pour en déterminer
l’authenticité ; pour lui, il était daté de 1991. Hussein a
ajouté que si la date est 2003, alors c’est un faux. Hussein a
ajouté qu’à l’époque, l’Irak n’avait pas de captifs. Hussein a
affirmé que Qusay n’était pas le genre de personne « à
inventer ». Il a redit que des experts des Etats-Unis et de
l’Irak devraient examiner ce document avec soin pour en
déterminer l’authenticité.
L’utilisation d’armes chimiques
ne nous
« est jamais venue à l’esprit »
A la question de savoir pourquoi l’Irak n’avait pas utilisé
d’armes chimiques au cours de la Première guerre du Golfe,
Hussein a répondu qu’on lui avait déjà posé la question et qu’il
avait répondu. Quand on lui a fait remarquer que cette question
ne lui avait jamais été posée, il a répliqué qu’il trouvait
étrange qu’elle lui soit posée, par l’interviewer ou tout autre,
à ce stade ou à n’importe quel autre moment. Ce n’était pas la
politique de l’Irak de recourir aux armes chimiques contre les
forces de la coalition. C’était une discussion pour l’histoire,
a-t-il commenté, pas sur des hypothèses irréalistes. Il a
demandé comment l’Irak aurait été dépeint s’il avait utilisé les
armes chimiques. Hussein a répondu à sa propre question :
« On nous aurait qualifié de stupides ». Selon Hussein, les
armes chimiques et leur utilisation n’ont jamais été discutées
par les officiels irakiens avant ou pendant la guerre de 1991.
Comme rapporté dans un entretien précédent, Hussein a admis
qu’une rencontre avait eu lieu entre le Secrétaire US James
Baker, et le ministre des Affaires étrangères Tarik Aziz, en
janvier 1991, peu avant la guerre. Hussein se rappelle des
paroles de Baker disant « qu’il renverrait l’Irak à l’époque
pré-industrielle ». Il a confirmé que l’Irak ne se laissait
pas intimider par des menaces, notamment lorsqu’elles émanaient
d’un personne « en position de force ». Hussein a nié
savoir si cette discussion avait, en partie, porté sur la
position des Etats-Unis au cas où l’Irak ferait usage d’armes
chimiques au cas d’ouverture des hostilités. Selon Hussein,
"nous avons pris la bonne décision". Il a déclaré:
l'utilisation d'armes chimiques ne nous « est jamais venue à
l’esprit ».
L’Irak n’a pas demandé la permission
de faire voler ses hélicoptères
Hussein a déclaré que Sultan Hashem, ministre de la Défense
(4), et Saleh, Commandant du Second Corps,
représentaient l’Irak aux négociations pour un cessez-le-feu au
cours de la Première guerre du Golfe. Leurs positions et
leurs points de vue étaient les mêmes que ceux de la direction
irakienne, à savoir obtenir un cessez-le-feu et obtenir le
retrait des forces étrangères d’Irak. L’Irak, a-t-il dit,
n’avait pas l’intention de continuer la guerre et souhaitait un
cessez-le-feu.
A la question de savoir si d’autres points avaient été discutés
par l’Irak lors de ces négociations en 1991, Hussein a déclaré
ne pas se souvenir si des requêtes autres que le retrait
des troupes étrangères avaient été présentées par l’Irak. De
l’avis d’Hussein, les combats auraient continué sans ce retrait.
Hussein a démenti savoir si l’Irak avait demandé, et reçu, la
permission de faire voler ses hélicoptères (5). Il a,
de plus, nié connaître le pourquoi d’une telle demande de
l’Irak.
Notes :
(1)
Aziz Saleh al-Numan, né à Nassiriya en 1941, a été gouverneur de
la « 19ème
province » - Koweït - entre
novembre 1990 et février 1991. Responsable du parti Baas pour la
partie ouest de Bagdad, n°8 sur la liste des dirigeants les
plus recherchés, il a été arrêté par les troupes d’occupation le
20 avril 2003.
(2)
Les étrangers arrêtés au Koweït étaient traités différemment de
ceux retenus en Irak, et éventuellement placés sur des sites
stratégiques non militaires, comme des usines. La plupart était
assigné à résidence à l’hôtel
Mansour Melia à Bagdad. Les
étrangers résidents en Irak étaient retenus à titre d’ « invités ».
Ils étaient répartis dans les autres grands hôtels de Bagdad et
libres de leurs mouvements à l’intérieur du pays.
(3)
La présence de volontaires –
« boucliers humains » - pendant
la Première guerre du Golfe n’a pas été significative,
l’opération ayant été lancée en octobre 1990 alors que les voies
de communication étaient pratiquement coupées. Au-delà de l’acte
de soutien militant, l’arrivée de volontaires devait surtout
permettre le rapatriement des étrangers retenus.
(4)
Le général Sultan Hashem Ahmed al-Jabburi al-Tai, né en 1944 à
Mossoul, est un des officiers irakiens les plus décorés de la
guerre Iran-Irak.
(5)
Dans ses
Mémoires (Plon-1992), le
général Norman Schwarzkopf raconte qu’à Safwan, le 3 mars 1991,
il a autorisé les hélicoptères irakiens armés à voler, alors que
le général Sultan Hashem Ahmed, chef d’état-major en second de
l’armée irakienne, ne demandait que la possibilité de
transporter des responsables irakiens dans des zones où les
routes et les ponts étaient hors d’état. Le général Sultan
Hashem, futur ministre irakien de la Défense, a été condamné à
mort le 24 juin 2007 par le
« Tribunal Spécial Irakien »
pour sa participation à l’opération Anfal, au Kurdistan. Son
exécution a été repoussée. Selon le
Commandement Central américain,
il s’était rendu le vendredi 19 septembre 2003, contre la
promesse d’être remis en liberté à la fin des enquêtes le
concernant.
© G. Munier/X.Jardez
- Traduction en français et notes
Publié le 17 mai 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
Entretien n°12 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°11 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°10 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°9 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°8 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°7 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°6 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°5 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°4 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°3 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°2 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°1 - FBI-Saddam Hussein
Entretiens FBI-Saddam Hussein (Introduction)
Le dossier
Irak
Les dernières mises à
jour
|