Nouvelles d'Irak
Entretien
n°10 - FBI-Saddam Hussein
Gilles Munier
Gilles Munier
Mardi 20 avril 2010
Baghdad Operation Center
27 février 2004
Entretien conduit par George L. Piro
Rapport traduit de l’arabe en anglais par le FBI
Traduction en français : Xavière Jardez
Titres, sous-titres et notes : Gilles Munier
© X.Jardez et G. Munier – Traduction en français et notes
Koweït - 1991
« C’était la
guerre… »,
dit Saddam Hussein
Saddam Hussein (Détenu de Haute Valeur n°1) a été
interviewé le 27 février 2004 dans un bâtiment de détention
militaire à l’Aéroport International de Bagdad (AIB),
Bagdad, Irak. Hussein a fourni les informations suivantes :
Hussein a été informé que cette session serait la suite de la
précédente sur l’invasion du Koweit. La conversation commencera
par une discussion de la Résolution 662 des Nations unies qui ne
reconnaissait pas l’annexion du Koweït par l’Irak.
Sur la réaction du gouvernement irakien face à cette résolution,
Hussein a dit : « il ne s’est rien passé ». Selon
Hussein, quand les Etats-Unis ont décidé d’attaquer l’Irak,
l’annexion du Koweït était la seule solution. Il n’y avait,
alors, aucune autre solution politique. Il a rappelé ce qu’il
avait expliqué auparavant, à savoir que les soldats irakiens ne
se seraient pas vraiment battus ou « ne se seraient
pas occupés du Koweït » si ce dernier n’avait pas été
annexé. Les agissements des Etats-Unis « nous ont forcé la
main ».
La qualité de membre de l’ONU de l’Irak
aurait dû empêcher l’invasion
Quand il lui fut remarqué que la Résolution 662 avait été passée en
août 1990, bien avant l’action des forces US ou de la coalition,
Hussein a déclaré que les forces militaires rassemblées contre
l’Irak étaient déjà en Arabie Saoudite. Cela, s’ajoutant à
d’autres décisions et annonces par les Etats-Unis, indiquait un
prélude à l’attaque de l’Irak par les Etats-Unis.
Hussein a noté que, pendant huit ans, les Nations unies ont semblé
« observer » de loin la guerre Iran-Irak sans sembler
concernées. C’est seulement vers la fin du conflit, quand l’Irak
eut défait les forces iraniennes que les Nations unies ont
proposé un accord de cessez-le-feu. Quelques-uns des pays les
plus importants désiraient voir l’Iran et l’Irak « vidés de
leur force ». Les Nations unies « s’ingéraient »
partout. Il pense que la qualité de membre de l’ONU de l’Irak
aurait dû empêcher l’invasion de 1991 et la présente
occupation du pays (1).
Hussein a demandé si des efforts légitimes avaient été faits par
les Nations unies ou des pays particuliers pour prévenir le
conflit avec le Koweït ou pour fixer un terme au retrait après
l’invasion. Il a réfuté qu’il y ait eu une telle initiative.
Hussein a déclaré que l’Union soviétique avait proposé un plan
de retrait que l’Irak avait accepté. Cependant, les Nations
unies ont rejeté cette proposition. L’Egypte, selon Hussein,
« n’a rien fait ».
Pourquoi les Nations unies
n'attaquent-ils Israël ?
L’initiative d’un plan de retrait du Koweït est venue de l’Irak. Le
12 août 1990, l’Irak a proposé une solution « pour tout le
monde dans la région ». Ce plan incluait l’application des
précédentes décisions de l’ONU sur les terres occupées par
Israël. Hussein a demandé pourquoi les Nations unies n’ont pas
attaqué Israël pour n’avoir pas respecté ses
résolutions. Hussein a observé que les « manquements »
d’Israël sont ignorés par les Nations unies, ce qui n’est pas le
cas pour l’Irak où elles se sentent toujours concernées.
Pas d’atrocités au Koweït
Au cours de l’occupation du Koweït par l’Irak, Hussein a nié savoir
que des atrocités avaient été commises par les militaires
irakiens qui incluaient outre des peines, mais aussi, par
exemple l’exécution de Koweitiens qui priaient sur le toit de
leur maison, qui refusaient de suspendre des portraits de
Hussein, qui accrochaient des portraits de l’ancienne famille
royale ou qui écrivaient des graffiti anti-irakiens. « C’est
la première fois que j’entends cela » a-t-il dit. Il ne
croit pas que, parmi ces offenses punissables, deux d’entre
elles aient pu être qualifiées de crimes : d’abord, le
gouvernement irakien n’oblige pas les Irakiens à exhiber des
portraits de Hussein et donc, il ne pouvait pas forcer les
Koweitiens à le faire. En Irak, les citoyens choisissent de
plein gré d’afficher des portraits de Hussein chez eux.
Deuxièmement, il n’était interdit ni aux Irakiens, ni aux
Koweitiens de prier là où ils le voulaient, encore moins sur
leur toit. Ces offenses prétendument punissables « doivent
peser sur la conscience de leur auteur » et ce dernier est
un menteur.
Hussein a reconnu deux peut-être trois incidents où des soldats
irakiens avaient été exécutés au Koweït. L’un concerne un soldat
qui avait cambriolé et l’autre, un Lieutenant-Colonel irakien
qui avait agressé une femme au Koweit. Son corps est resté
exposé au public pendant 48 heures pour que tous les officiers
et soldats irakiens le voient et pour que le règlement soit
respecté. Quant au troisième, il ne se souvient pas des détails.
Hussein dément connaître le nombre de Koweitiens, militaires ou
civils, tués au cours des combats ou au cours des dites
atrocités. Hussein a dit : « C’était la guerre ». Il a
ajouté que l’Irak est un pays du tiers monde, signataire de la
Convention de Genève. Les Etats-Unis sont un pays évolué qui, à
tout le moins, ne devrait pas commettre les mêmes fautes
qu’un pays du tiers monde. Il a mis en doute les statistiques
sur le nombre d’Irakiens tués, les violences commises contre
eux, ou les prisonniers irakiens torturés par les forces
américaines.
Les Irakiens n’ont pas mis le feu
aux puits de pétrole
Sur la mise à feu des puits de pétrole au Koweït lors du repli des
forces irakiennes et le désastre ultérieur sur l’environnement,
le pire de toute l’histoire, Hussein a demandé : « Plus que
Chernobyl ? ». Il a demandé à connaître le nombre de
personnes mortes au Koweït à cause des fumées des feux. Hussein
a démenti que les forces militaires irakiennes aient mis le feu
aux puits. Il a reconnu que les militaires irakiens ont brûlé du
« pétrole dans les tranchées » lors de leur retrait. La
fumée brouillait le repérage des cibles pour les avions de la
coalition et réduisait le nombre de morts militaires. Il a
reconnu qu’on lui avait dit que « quelques » puits
avaient brûlé. Il a déclaré que, même si on lui montrait
des photos ou des vidéos de ces événements, il ne croirait pas
que les forces irakiennes aient commis de tels actes. Il a
maintenu qu’il est facile de manipuler et fabriquer ce
type de produit médiatique. Pour lui, ce ne serait pas un crime
si les militaires irakiens avaient brûlé du pétrole pour
éviter une attaque aérienne. Si cela était arrivé, c’eut été
l’acte d’une personne désespérée qui, pour se défendre, ne
disposait d’aucune arme. Quand on lui a demandé si on lui avait
apporté la preuve que les 150 feux de puits au Koweit avaient
été un acte de sabotage des militaires irakiens et non un acte
de défense, Hussein a déclaré qu’il fournirait une réponse en
son temps.
Sur les exécutions de soldats irakiens, précédemment discutées,
Hussein a déclaré qu’il en avait été informé verbalement ou par
écrit. De toute évidence, un procès avait eu lieu avant
l’exécution. Sans cette réaction immédiate, certes dure,
d’autres crimes, des centaines peut-être auraient été
enregistrés au Koweït.
Ali Hassan al-Majid,
principal officiel irakien au Koweït
Husssein a déclaré qu’Ali Hassan al-Majid était membre du CCR
(Conseil du Commandement de la Révolution) lors de
l’occupation du Koweit. Son rôle a été « d’arranger et de
tout organiser au Koweit ». La décision de donner autorité
à Al-Majid a été prise lors d’une réunion officielle du CCR.
Al-Majid était le principal officiel irakien au Koweït.
Sur les autres fonctionnaires irakiens nommés au Koweït,
ceux-ci étaient nombreux, de l’agent de circulation aux hauts
responsables du gouvernement. Hussein dit ne pas avoir
d’informations additionnelles sur les autres personnes ayant
exercé des responsabilités au Koweït et n’a fourni aucun autre
nom d’officiels irakiens au Koweït. Hussein a ajouté que le
gouvernement irakien avait essayé de fournir tous les services
aux Koweitiens, particulièrement les services indispensables
comme l’eau, l’électricité.
Sur l’émergence d’une résistance koweitienne au cours de
l’occupation irakienne et les efforts des Services secrets
irakiens (SSI) pour l’endiguer, Hussein a déclaré :
« je n’ai aucune réponse à cela ». A la question réitérée,
il a répondu qu’il avait donné sa réponse et « qu’il n’était
pas quelqu’un qui « balance » ses amis ».
« Je ne suis pas l’ex-Président.
Je suis toujours le Président de l’Irak »
On a demandé à Hussein quelle était, en tant qu’ex-président de
l’Irak, sa politique en matière de traitement de prisonniers de
guerre. « Je ne suis pas l’ex-Président. Je suis toujours le
Président de l’Irak ». Il a ajouté qu’il respectait encore
la volonté du peuple (son soutien, puisqu’il était leur
président). L’Irak respecte la Convention de Genève et
qu’il avait demandé à d’autres d’en faire autant. Hussein a
ajouté que, dans ses discours, il demandait toujours à chaque
soldat de la respecter, de se souvenir des « principes
religieux » et de s’y tenir.
Hussein a démenti avoir donné des ordres pour maltraiter, malmener
ou torturer les prisonniers militaires US. Selon Hussein, une
telle déclaration aurait sali sa réputation aux yeux du peuple
et était donc inacceptable. D’autres ont peut-être dit
qu’Hussein avait pris de tels ordres pour s’absoudre de toute
responsabilité. S’ils affirment de telles choses, il dit qu’il
en accepterait la responsabilité de ces accusations, en tant que
commandant, aussi longtemps qu’un tel aveu ne le déshonorera
pas. Hussein a déclaré qu’il n’aurait pas donné de tels ordres à
cause des enseignements de la religion. Hussein a cité un
proverbe qui dit « Il y a un puits au Paradis. Celui qui
nourrit un orphelin ou un prisonnier boira de l’eau de ce
puits ». Il a déclaré que la preuve des ses croyances se
trouve dans ses discours alors que, précédemment, il avait
assuré que ce qui importait ce sont les actes non les mots. Il
a alors observé que ses discours en tant que Président sont
importants.
A propos des informations, dignes de confiance, selon lesquelles
l’Irak a expédié les dirigeants koweitiens hors du pays,
prétendument avec l’assentiment des citoyens koweitiens, pour
qu’ensuite le peuple koweitien les acclame à leur retour,
Hussein a été d’avis que les dirigeants (koweitiens)
qui avaient accueilli l’occupation étrangère (des
Etats-Unis) de leur pays, devaient être expulsés par la
force. Selon Hussein, les dirigeants koweitiens ne venaient pas
du " peuple" . Au contraire, il avait été mis là, à
l'origine, par les Britanniques. Il a ajouté qu'il connaissait
le sentiment des citoyens koweitiens avant l'invasion et après
l'occupation des forces irakiennes. Si, après l'occupation de
l'Irak, les Koweitiens avaient réclamé leurs anciens dirigeants,
a déclaré Hussein, il aurait respecté leur décision.
Hussein a redit sa croyance, comme exprimé dans un entretien
précédent, que quiconque « conspire contre un frère »
doit être chassé (dans ce cas, le Koweït). Sur la
tradition ou l’entendement que les pays arabes ne doivent pas
prendre les armes les uns contre les autres, Hussein a déclaré
qu’il y croyait et qu’il l’avait affirmé publiquement dans ses
discours bien avant l’invasion du Koweït. D’autres pays arabes,
et le Koweit en particulier, ont refusé d’obéir à ce principe.
L’Arabie saoudite a confisqué des territoires au Yemen, la Syrie
continue d’occuper des territoires au Liban, l’Egypte a pris des
territoires au Soudan et s’est comportée de manière agressive
envers la Libye.
Les recherches d’un pilote américain
abattu au-dessus de l’Irak
ont été facilitées
Revenant sur le sujet des prisonniers de guerre américains, Hussein
a de nouveau nié avoir connaissance de tortures ou de mauvais
traitements comme le montrent les documents médicaux fournis
après leur rapatriement. Hussein a demandé si ces résultats ont
été obtenus par les Américains ou un organisme d’enquête
indépendant. Il a rappelé qu’aucun mauvais traitement n’était
tolérable qu’il s’agisse d’un citoyen irakien ou de citoyens de
pays-tiers. Il dément que ces mauvais traitements ou tortures
aient fait l’objet d’une information à la direction irakienne.
Dans le contexte de la discussion sur les accusations de mauvais
traitements des prisonniers de guerre US, l’interviewer a fait
remarquer que : « Le gouvernement US, l’ONU et la
Croix-Rouge ont porté ses allégations à la connaissance du
gouvernement irakien. Elles n’étaient peut-être pas du ressort
du Président et personne au sein de la direction irakienne
ne les a prises en compte ». Hussein a répliqué :
« Ce dont on m’a parlé est qu’il y avait un prisonnier
américain, pas un prisonnier, excusez-moi, mais un Américain. Je
pense que c’était un officier. On m’a dit que son avion avait
été abattu dans le désert occidental mais qu’il s’était
parachuté et que les Américains le recherchaient. Ils m’ont
montré les documents et je leur ai commandé de faciliter la
mission et conseillé de dire qu’ils étaient les bienvenus.
Qu’ils aient l’information pour qu’ils ne disent pas que nous
l’avons trafiquée. Qu’ils la gardent par devers eux. Quant aux
gens à sa recherche, faites-les venir pour nous dire où est ce
pilote, je veux dire, qu’ils fassent les recherches ».
Hussein ne se souvient pas du nom du pilote, même qu’il s’appelait
Speicher (2). Il a dit aux officiels irakiens de
permettre aux Américains d'effectuer les recherches. Il a aussi
constaté que ces officiels les "ont aidé" à recueillir
des renseignements sur l'endroit où il se trouvait.
Notes :
(1) L’Irak est un des pays
fondateur des Nations unies.
(2)
Le pilote Michael Scott Speicher a été abattu, le 17 janvier
1991, durant la première nuit de l’Opération
Tempête du Désert. Pendant des
années, les Etats-Unis ont accusé l’Irak de le détenir. Ses
restes ont été retrouvés dans le désert par les
Marines,
en août 2009. Des bédouins l’avaient enterré.
© G. Munier/X.Jardez
- Traduction en français et notes
Publié le 20 avril 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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