Nouvelles d'Irak
Entretien
n°9 - FBI-Saddam Hussein
Gilles Munier
Gilles Munier
Dimanche 5 avril 2010
Baghdad Operation Center
24 février 2004
Entretien conduit par George L. Piro
Rapport traduit de l’arabe en anglais par le FBI
Traduction en français : Xavière Jardez
Titres, sous-titres et notes : Gilles Munier
© X.Jardez et G. Munier – Traduction en français et notes
Vers la Première
guerre du Golfe
Saddam Hussein (Détenu de Haute Valeur n°1) a été
interviewé le 24 février 2004 dans un bâtiment de détention
militaire à l’Aéroport International de Bagdad (AIB),
Bagdad, Irak. Hussein a fourni les informations suivantes :
Hussein a été informé dès le début de la session qu’elle allait
être la suite de la discussion sur l’histoire de l’Irak ; la
conversation couvrant les événements ayant conduit à la guerre
avec le Koweït.
Hussein a affirmé qu’après la guerre avec l’Iran de 1980 à 1988,
l’Irak essayait de se reconstruire. Il a comparé la situation
avec le Koweït à un combat entre deux individus ; quand le
combat se termine, chacun part de son côté. Peu après, l’une de
deux parties est importunée par quelqu’un qui désire se battre
aussi. Il ne lui reste d’autre option que de se battre.
Une grande puissance derrière la « conspiration »
Selon Hussein, Khomeiny et l’Iran auraient occupé tout le monde
arabe si l’Irak n’avait pas été là. L’Irak s’attendait à ce que
le monde arabe le soutienne pendant et après la guerre.
Cependant, c’est le contraire qui est advenu, particulièrement
s’agissant du Koweït. A la fin de la guerre, comme l’Irak
commençait son processus de reconstruction, le prix du baril de
pétrole était descendu à 7 dollars. Pour Hussein, il était
impossible à l’Irak de rebâtir son infrastructure et son
économie avec des prix à ce niveau, dont la faute incombait au
Koweït.
Dans un effort pour résoudre la situation et stimuler le
redémarrage de son économie, l’Irak envoya le Dr Hammadi
(1), ministre des Affaires étrangères, au Koweït. Hammadi
et la direction irakienne arrivèrent à la conclusion que le
niveau des prix du pétrole n’était pas de la seule
responsabilité des Koweitiens. L’Irak pensait qu’il y avait une
autre entité, une grande puissance, derrière cette
« conspiration ».
« Nous ferons en sorte
que l’économie de l’Irak soit si mauvaise,
que l’on pourra coucher
avec une femme irakienne pour dix dinars »
L’Irak envoya aussi des officiels en Arabie Saoudite pour
convaincre les Saoudiens de faire pression sur le Koweït. Par
ailleurs, le ministre saoudien du Pétrole se rendit en Irak et
eut des entretiens sur les prix du pétrole, l’économie irakienne
et les agissements du Koweït. Hussein a prétendu qu’un officiel
koweitien a dit : « Nous ferons en sorte que l’économie de
l’Irak soit si mauvaise, que l’on pourra coucher avec une femme
irakienne pour dix dinars». Hussein a dit aux Saoudiens que
si le Koweït ne cessait pas de s'immiscer dans les affaires
intérieures irakiennes, il ferait tomber le dinar koweitien à
dix fils (centimes).
Hussein a déclaré que le Koweït a été confronté au « vol du
pétrole irakien par le recours à la pratique des forages en
biais », et que les Koweitiens ont admis avoir
« seulement pris deux et demi milliards de pétrole. Ils ont
révélé cela comme si de rien n’était ».
L’Irak a envoyé des émissaires dans d’autres pays du Golfe dont il
a oublié les noms pour qu’ils expliquent les deux positions,
irakienne et koweitienne. Les autres pays (du Golfe)
promirent de corriger les prix du pétrole à la prochaine réunion
de l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole).
A la réunion suivante, il fut donc décidé de porter le prix du
pétrole à 16-17 dollars le baril, comme s’en souvient Hussein.
Le Koweït accepta cette décision. Cependant, plus tard, le
ministre du Pétrole koweitien, ou le ministre des Affaires
étrangères, déclara ne pas pouvoir respecter la décision de l’OPEP.
Sur les prêts dûs aux pays du Golfe pour leur soutien pendant la
guerre Iran-Irak, Hussein affirma que ce n’était pas des prêts,
mais une aide gratuite de ces pays. Le mot « prêt »
avait été utilisé pour déguiser le but de ces fonds aux yeux de
l’Iran. Quand l’Irak apprit que ces sommes étaient en fait des
prêts, l’Irak entama des discussions avec ces pays et le Koweït
afin de résoudre cette question. Comme l’argent avait été
enregistré comme prêt, l’Irak ne pouvait obtenir de prêts
d’autres pays pour sa reconstruction.
Hussein a déclaré que, par deux fois, il avait discuté d’un
changement du prix du pétrole pour qu’il soit porté à 25 dollars
le baril. Lorsque le prix avait atteint 50$, Hussein avait dicté
à Tarek Aziz une lettre qui fut envoyée au journal
Al-Thaoura (2) dans laquelle il demandait aux pays
producteurs de pétrole de ne pas profiter des pays
industrialisés. Hussein leur demanda de réduire le prix du
pétrole à 25 dollars. Il a observé que cela paraissait étrange
dans la mesure où l’Irak avait du pétrole et pourrait utiliser
l’argent. Quand le prix est tombé à 7$ par baril en 1989-90, il
avait réclamé une augmentation jusqu’à 24-25 dollars le baril.
Ce prix, selon Hussein, ne pouvait offusquer le producteur ou
peser sur le consommateur.
Hussein a dit que ce que faisait ou non le Koweït a « confirmé
notre information » qu’il existait une « conspiration »
contre l’Irak, sa Direction et l’économie irakienne. A son avis,
la visite du Général américain Schwarzkopf (3) au
Koweït renforçait cette opinion. Sa visite comprenait un
"plan de sable" (4) ou des préparatifs militaires pour
l'invasion de l'Irak corroborant ce que la Direction irakienne
et Hussein envisageaient déjà. Les relations du Koweït avec les
Etats-unis et le Grande-Bretagne était bien connues même avant
cela. Quand il lui fut remarqué que les militaires des
Etats-Unis visitent beaucoup de pays à travers le monde, y font
des manoeuvres qui n'indiquent pas qu'il y a « une
conspiration », Hussein a demandé : « Dans quels autres
pays, Schwarzkopf a-t-il fait un « plan des sables »
comme au Koweït ? ». Dans quels autres pays, Hussein a, de
plus, demandé, Schwarzkopf a-t-il conduit des négociations afin
d’installer des forces défensives. Hussein reconnaît comprendre
l’existence et la nature de manœuvres menées par les Etats-Unis
en Egypte et en Jordanie. Cependant, quand ces manœuvres ou
plans désignent l’Irak comme l’ennemi et comprennent des moyens
de défendre le Koweït ou d’attaquer l’Irak, la situation est
différente de celle résultant d’exercices.
Hussein a parlé de la façon dont l’Irak était perçu par les
Occidentaux au cours des mois précédant la guerre avec le
Koweït. Après la défaite de l’Iran, les médias ont parlé de
l’Irak comme d’une menace militaire pour la région. L’Irak
pourtant n’était pas « dans le camp soviétique » et
essayait de refaire son économie. L’Irak commençait aussi à
restaurer ses relations avec les Etats-Unis.
Très vite, les Etats-Unis ont fait de l’Irak leur ennemi pour trois
raisons. La première, la puissance « sioniste » et son
influence aux Etats-Unis dictent la politique étrangère. Tout
pays vu comme une menace pour Israël - l’Irak par exemple -
devient une cible de la « conspiration ». Hussein a
offert comme preuve, une déclaration officielle d’Israël que
tout accord de paix avec les pays arabes devait inclure l’Irak.
Hussein a prétendu qu’Israël ne cherchait pas la paix, mais
seulement que les autres pays obéissent à ses desiderata. Israël
a utilisé son influence en Occident contre Nasser en Egypte,
comme il le fait vis-à-vis de l’Irak. Cette influence
« sioniste » s’étend à tout le territoire américain et
jusque dans le domaine électoral. Deuxièmement, il y avait,
auparavant, dans le monde, deux superpuissances, les Etats-Unis
et l’Union soviétique. Selon Hussein, le monde vivait
« mieux que maintenant », comme il était plus facile à deux
puissances de s’entendre que d’essayer de s’entendre à
plusieurs. Chacune d’elles essayait de rallier à sa cause
d’autres pays créant ainsi un équilibre mondial. Avec la rupture
de cet équilibre, les Etats-Unis sont restés la seule
superpuissance. Ils sont considérés, à l’heure actuelle, comme
voulant imposer leur volonté au reste du monde, dont l’Irak. Si
les pays ne sont pas d’accord avec les Etats-Unis, comme l’Irak,
ils deviennent des ennemis. La troisième raison est une raison
économique. Certaines entités aux Etats-Unis dont les fabricants
d’armes et des éléments militaires privilégient la guerre pour
les profits financiers qui peuvent en dériver. Ceci est vrai de
sociétés qui vendent de tout, du tapis aux tanks pour financer
une guerre. Hussein a ajouté que l’Amérique a découvert que la
guerre en Afghanistan n’était pas suffisante pour maintenir le
taux de profit du complexe militaro-industriel américain. D’où
la guerre avec l’Irak. Après l’effondrement de l’Union
soviétique, toutes ces raisons, internes et externes, ont, en se
combinant, amené les Etats-Unis à faire de l’Irak leur ennemi.
Hussein a déclaré qu’avant l’invasion du Koweït, il y avait eu un
meeting du Conseil de Commandement de la Révolution (CCR)
qui avait porté sur ce sujet. La Direction irakienne avait
espéré que l’Arabie saoudite « interviendrait » et
trouverait une solution. Le vice-Président du CCR était
allé en Arabie saoudite solliciter son assistance mais était
revenu bredouille. Il s’ensuivit que la question ne pouvait être
discutée et décidée qu’en faveur d’une option militaire. Hussein
a reconnu que la possibilité qu’un ou plusieurs membres du
CCR s’opposent ou votent contre l’invasion avait existé,
mais il ne se souvient pas spécialement d’une telle opposition.
Il ne se souvient pas, non plus, si la majorité ou tous les
membres du CCR étaient d’accord pour une action
militaire. Hussein a déclaré : « J’étais contre une attaque
si une solution pouvait être trouvée ». La dernière
tentative de parvenir à une solution a été faite avec la visite
déjà citée du vice-Président du CCR en Arabie saoudite
au cours de laquelle ce dernier a rencontré le frère du
dirigeant koweitien, Cheikh Sabah (5).
La décision finale d’envahir le Koweït a été prise afin de «se
défendre en attaquant». Hussein a justifié l’invasion au
plan historique, car le Koweït faisait partie de l’Irak. Hussein
a déclaré que le but de la guerre a été "celui annoncés".
A savoir que les Koweitiens devaient se gouverner eux-mêmes et
décider du genre de relations qu'ils voulaient entretenir avec
l'Irak. Quant aux dirigeants koweitiens, Hussein a dit qu'ils
étaient des « conspirateurs » contre l’Irak, le Koweït
et tous les pays arabes. Ils conspiraient même après avoir fui
le Koweït. Ils étaient sous le contrôle des Etats-Unis.
Du fait qu’il « conspirait » avec les Etats-Unis, le
Koweït ne s’attendait pas « à recevoir des coups ».
Hussein a déclaré qu’il en méritait « dix ». Le Koweït
n’était pas aussi fort militairement que l’Iran. Le manque de
positions défensives du Koweït ne signifiait pas qu’il n’avait
pas de plans avec les Etats-Unis. Les plans discutés au cours de
ce qui a été appelé « plans de sable » étaient
offensifs par nature, pas défensifs. Les motifs pour envahir
l’Irak existaient avec ou sans la présence des forces
américaines. Comme ils l’ont fait pour la dernière guerre, les
Etats-Unis ont « créé » les conditions pour combattre
l’Irak au Koweït en 1991. Hussein a réfuté l’accusation d’avoir
inventé cette « conspiration » pour justifier
l’invasion du Koweït. Hussein a dit que l’Irak a découvert des
documents attestant de l’existence d’une «
conspiration » koweitienne avec les Etats-Unis.
« Nous pouvons discuter de cela pendant des jours »,
a dit Hussein. Les Etats-Unis et vingt-huit pays autres pays ont
mis sept mois pour mobiliser les forces nécessaires à la guerre
en 1991. Cette mobilisation a eu lieu parce l’Irak était perçu
comme une menace militaire ; c’est ce qui a incité les
politiciens US à soutenir la guerre. Les profits financiers
engendrés par un conflit ont aussi joué en faveur d’une action
contre l’Irak. La frappe préemptive de l’Irak sur le Koweït a
été conduite avant que la mise en place des lignes défensives
soit achevée. Hussein a insisté sur le fait que l’absence de
forces US au Koweït ne signifiait pas qu’il n’y avait pas de
« conspiration ».
Hussein a réaffirmé que l’invasion avait pour but de donner aux
Koweitiens le droit de « décider de la manière dont ils
voulaient traiter avec l’Irak ». Hussein a démenti qu’avoir
proclamé le Koweït dix-neuvième province de l’Irak allait à
l’encontre de ce qu’il avait fait précédemment. Selon lui, un
gouvernement koweitien avait été formé, après l’invasion, il a
démenti qu’un membre du CCR, Ali Hassan al-Majid, ait
été nommé gouverneur du Koweït. Il a ajouté que les membres du
cabinet koweitien avait décidé « de se rallier» aux
Irakiens. A la question de savoir si les Koweitiens avaient le
choix, Hussein a demandé si on avait donné aux Irakiens la
possibilité d’exprimer leur opinion sur la dernière guerre
contre leur pays. Les agissements de l’Irak par rapport au
Koweït étaient certainement plus logiques que la position des
Etats-Unis par rapport à l’Irak lors de la dernière guerre.
Hussein a déclaré que la désignation du Koweït comme 19ème
Province de l’Irak « était méritée et logique ».
En 1961 ou 1962, le Président irakien Kassem avait voulu faire
du Koweït une région de l’Irak (6).
Hussein a souligné qu’il a déjà expliqué pourquoi aucune action
n’avait été prise pour empêcher l’invasion et pourquoi le Koweït
était devenu la 19ème province. Les solutions
politiques ont complètement disparu lorsque les Etats-Unis ont
attaqué. Hussein a assuré que l’Irak « aurait pris une autre
direction » si les Etats-Unis n’avaient pas attaqué. Les
solutions politiques épuisées, il ne restait que deux options.
L’Irak aurait pu se retirer du Koweït et il est probable que ses
forces auraient continué d’être attaquées pendant ce retrait.
L’Irak aurait été la risée du monde. L’autre solution, et la
plus appropriée, était de ne pas se retirer et de déclarer le
Koweït la 19ème Province de sorte que les forces
irakiennes combattent avec plus de vigueur.
Notes :
(1)
Saadoun Hammadi
(1930-2007),
originaire de Kerbala, a adhéré au parti Baas dans les années
40. Il a été plusieurs fois ministre : ministre du Pétrole
(1968),
ministre des Affaires étrangères
(1974-83),
membre du Conseil de
commandement de la révolution (CCR)
en 1984, et Président de l’Assemblée nationale de 1996 à 2003.
Arrêté après l’invasion américaine, il est le seul haut
dirigeant irakien à avoir été libéré, en
février 2004, pour
raison de santé. Autorisé à se rendre à l’étranger pour se
soigner, Saadoun Hammadi est décédé en mars 2007 dans un hôpital
allemand.
(2)
Al-Thawara (La Révolution)
était le quotidien du parti Baas. Il a été dirigé par Tarek Aziz
avant que ce dernier accède à des postes ministériels et au
Conseil de commandement de la
révolution (CCR).
(3)
En 1990, le général Norman Schwarzkopf dirigeait le Commandement
central de l’armée étatsunienne, organisme chargé du déploiement
de troupes terrestres au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Ouest.
Il a commandé l’Opération
Tempête du désert contre
l’Irak, en janvier 1991.
(4) Le
« plan des sables »
dont parle Saddam est l’opération militaire simulée
informatiquement, organisée début 1990 par le général
Schwarzkopf, qui annonçait la guerre. Jusqu’à cette date ce type
d’exercice avait pour cible l’Union soviétique, or, cette année
là, l’ennemi était l’Irak. Notons au passage que les mots
« sable ou désert »
ont pris, dans le contexte des guerres du Golfe, une
signification particulière car ils ont introduit le concept de
« guerre propre » :
les espaces désertiques n’ayant pas ou peu de population, il n’y
avait donc pas de victimes civiles…
(5)
La famille des Al-Sabah est originaire d’Arabie
(tribu Anizah).
Elle s’est installée au 18ème
siècle au Koweït, arrondissement du wilayet ottoman de Bassora,
qui jouissait d’une certaine autonomie. La position stratégique
de l’émirat n’avait pas échappé aux Britanniques. En 1896, le
cheikh Moubarak étrangla son demi-frère et s’empara du pouvoir
avec l’aide de l’Intelligence
Service. Il signa peu après
avec les Anglais un traité faisant de l’émirat un protectorat
britannique.
(6)
Lors d'une conférence de presse donnée à Bagdad le 25 juin 1961,
le Président Abdul Karim Kassem déclara que le
« Koweït fait et fera éternellement partie
intégrante de l’Irak ». Il
annonça son intention de l’annexer. La Grande-Bretagne dépêcha
aussitôt deux porte-avions et un corps expéditionnaires de 5000
hommes pour protéger l’émirat… et ses intérêts.
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 6 avril 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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