Nouvelles d'Irak
Entretien
n°1 - FBI-Saddam Hussein
Gilles Munier
Gilles Munier
Dimanche 17 janvier 2010
Baghdad Operation Center
7 février 2004
Entretien conduit par George L. Piro
Rapport traduit de l’arabe en anglais par le FBI
Traduction en français : Xavière Jardez
Titres, sous titres et notes : Gilles Munier
Seul
Dieu ne commet pas d’erreurs…
« Pensez-vous que je dirais à
mes ennemis
si j’ai commis une faute ? »
Saddam Hussein (Détenu de Haute Valeur n°1) a été
interviewé le 7 février dans un bâtiment de détention militaire
à l’Aéroport International de Bagdad (AIB), Bagdad,
Irak. Hussein (1) a fourni les informations suivantes :
Hussein a déclaré qu’il servait le peuple irakien depuis très
longtemps. Il considère que ses plus belles réussites ont été
son programme social et les progrès obtenus dans les secteurs
économiques, ainsi que la promotion de l’éducation,
l’amélioration du système de santé ; le développement de
l’industrie, de l’agriculture et d’autres domaines qui ont
augmenté le niveau de vie général des Irakiens.
En 1968, le peuple « n’avait virtuellement rien ». La
nourriture était rare, tant dans les villages que dans les
villes. Les terres agricoles étaient négligées et les méthodes
de production, primitives. L’économie dépendait exclusivement de
la production pétrolière, celle-ci étant pour la plus grande
partie exportée par des compagnies étrangères, sans contrôle
gouvernemental. Comme le pays produisait peu, la plupart des
biens était importée, le système de santé était « primitif »
et le taux de mortalité chez les pauvres, très élevé. Chez les
enfants, il était estimé entre 40% et 50%. Le taux
d’alphabétisation tournait autour de 27% bien que ceux
considérés comme « alphabétisés » ne possédaient aucune
véritable compétence dans l’une ou l’autre des matières. Les
routes étaient quasi inexistantes dans les régions rurales et
« très mauvaises » en ville. Même à Bagdad, les chances
de poursuivre des études universitaires étaient limitées. Seules
quelques villes avaient une faculté. En règle générale, seuls
les riches pouvaient envoyer leurs enfants à l’université.
Hussein a amélioré la situation dans tous ces secteurs. Il
considère cela comme sa plus grande réalisation, son
« service » au peuple irakien.
Ce qui compte, c’est ce
que le peuple
pensera de lui dans 500 ou 1000 ans
A la question sur les fautes qu’il a commises, Hussein a répondu
que tous les êtres humains en font. Seul Dieu ne commet
pas d’erreurs. Il a noté que l’interrogateur était
« intelligent » et qu’il semblait avoir lu ses précédentes
interviews. Hussein a dit : « Il se peut qu’une conversation
entre deux personnes éduquées ne soit pas utile ou un échec».
Si quelqu’un dit qu’il est parfait, alors il se prend pour Dieu.
Hussein a précisé que tous ses efforts n’étaient pas vus par
tout le monde comme une réussite. Hussein a ensuite comparé ce
que certains ont dit de lui et les opinions qu’il ne partage pas
sur le système américain de gouvernement dont il est « peu
convaincu ». Il a souligné que quelque 30 millions
d’individus vivent dans la pauvreté aux Etats-Unis mais que les
Américains ne considèrent pas cela comme « un crime ».
Hussein a dit qu’il n’aurait jamais accepté une telle situation
en Irak. A la question réitérée sur ses erreurs, Hussein a
répondu : « Pensez-vous que je dirais à mes ennemis si j’ai
commis une faute ? ». Il a dit qu’il ne signalerait pas ses
erreurs à un ennemi, l’Amérique. Il tint à signaler que pour
lui, l’interviewer n’était pas à un ennemi, ni le peuple
américain, mais que c’était le système américain de
gouvernement.
Hussein a déclaré qu’il n’est pas seulement important de savoir
ce que le peuple dit ou pense de lui maintenant, mais ce qu’il
pensera de lui dans l’avenir, dans 500 ou 1000 ans. Ce qui
importe est ce que Dieu pense. Si Dieu croit en quelque chose,
Il convaincra le peuple de le croire. Si Dieu n’est pas
d’accord, ce que le peuple pense n’a aucune importance. Hussein
a ajouté qu’un « traître » a fourni le renseignement
qui a conduit à sa capture. En tant qu’ « hôte » du
lieu, et en tant qu’Irakien, il n’aurait pas dû être livré aux
forces US. Les petits-enfants de ce « traître » le
rendront responsable devant les générations futures.
Hussein croit que, plus tard, il sera connu pour son équité et
la façon dont il a «fait face à l’oppression ». Enfin,
ce que les Irakiens penseront dépendra d’eux. Hussein a déclaré
que les Irakiens ne compareront pas les dirigeants de l’époque
préislamique à ceux de la période islamique.
Hussein croit que les citoyens irakiens ont eu la possibilité
d’exercer leur droit à s’autogouverner comme le garantissait la
Constitution intérimaire de 1990, parce que le peuple avait un
chef et un gouvernement pour le conduire.
Hussein pense que l’Irak « ne mourra pas ». L’Irak est
une grande nation maintenant comme il l’a été à certaines
époques de l’histoire. Les nations n’atteignent le «sommet »
généralement qu’une fois. L’Irak, cependant, y est parvenu de
nombreuses fois, avant et après l’Islam. L’Irak est le seul pays
dans l’histoire du monde qui ait fait cela. Dieu a donné ce
« don » au peuple irakien : quand le peuple irakien tombe,
il se relève. Hussein pense que le peuple irakien « prendra
les choses en main », se gouvernera et, avec Dieu, décidera
de ce qui est bien. Hussein espère que l’Irak progressera dans
tous les domaines, financier, religieux, etc… Il a ajouté, qu’en
tant qu’humaniste, il souhaite qu’il en soit de même pour le
peuple américain.
« Je souhaite qu'il
y ait d'autres partis que le Baas »
On a cité à Hussein un passage du livre « Zabiba et le Roi »
(2), qui lui a été communément attribué, où les députés
crient « Vive Zabiba, Vive le peuple, Vive l’armée ».
Les députés ne crient pas « Vive le Roi ». On a demandé
à Hussein s’il pensait que le peuple irakien l’oublierait ou ne
l’acclamerait plus. Il a répondu : « Non, cela est entre les
mains de Dieu ». Hussein a souligné que le sujet principal
du livre n’est pas le roi, mais le peuple. Il a ajouté que Dieu
venait en premier, puis le peuple. Hussein a ajouté que Jésus
Christ était considéré comme «homme du peuple », de
même que Marie et que le Christ avait vécu parmi le peuple. Etre
loyal est une chose bénie, être un traître est la pire des
choses. Hussein a déclaré : « Dieu voulait nous dire de ne
pas être surpris si des gens vous trahissent ». Hussein a
terminé cette partie de l’entretien en disant « un
prisonnier ne peut rien faire pour le peuple ». Il a dit
qu’il devait toujours avoir foi en Dieu et a répété : « C’est
entre les mains de Dieu ».
Hussein a affirmé que le Front Progressiste National a
existé comme parti politique tout d’abord sous le nom de Front
National de 1970 à 1974. Il comprenait le Parti Démocratique
du Kurdistan (PDK), le Parti Communiste et le
Parti Baas. Les partis politiques en Irak comme c’est
le cas dans les autres pays, manifestaient leurs différences.
Certains groupes, dont les Kurdes, ne croyaient pas au
socialisme dans les mêmes termes idéologiques que le Parti
Baas. En 1991, la Constitution n’ayant pu être votée en
raison de la 1ère Guerre du Golfe, le Front
Progressiste National ne put voir le jour.
Hussein a estimé que tout individu, loyal à l'Irak et au peuple,
fait partie du Baas. Le parti Baas assume la responsabilité des
succès et des erreurs. En 1989 et encore en 2002, Hussein a
essayé, en vain, de convaincre ses « collègues » de la
nécessité du multipartisme car, selon lui, un seul parti n’était
pas bon pour l’Irak. Il dit : « La vie n’accepte pas une
seule idée, elle n’accepte qu’un seul Dieu ». Hussein a
poursuivi en disant qu'un système politique semblable à celui
des Etats-Unis, avec de multiples partis, générerait de nombreux
« traumatismes » au peuple irakien, car il serait
contraint de l’accepter. Hussein a dit : « Je souhaite qu'il
y ait d'autres partis que le Baas ». Les divergences, que
ce soit dans une famille, dans un gouvernement, ou au sein du
peuple, sont bonnes. Hussein a conclu cette partie de la
discussion en constatant : « Aujourd'hui, les seuls partis
existant en Irak sont ceux qui ont des armes ».
Le peuple résiste sous
la « bannière » de Hussein
On a lu à Hussein un autre passage de « Zabiba et le Roi »
où il est écrit : « Je suis un grand dirigeant. Vous
devez m’obéir. Et pas seulement cela, vous devez m’aimer ».
On lui a ensuite demandé si un dirigeant peut atteindre la
grandeur par ses réalisations ou l’obtenir par la peur. Hussein
a répondu que la peur ne peut ni faire pas un dirigeant ni qu’il
soit aimer du peuple. L’amour vient de la communication. L’
« auteur » de ce livre compare le Roi aux rois qui l’ont
précédés. Il ne veut ni appuyer, ni favoriser l'idée de la
monarchie auprès du peuple car « il » n'approuve pas
cette forme de gouvernement. Ainsi, le Roi meurt et Zabiba vit
comme symbole du peuple.
Hussein croit que le peuple l'aimera plus après sa mort qu’à
l’heure actuelle. Le peuple résiste à l'occupation de l’Irak,
aujourd’hui comme hier, sous la « bannière » de
Hussein. Bien que maintenant Hussein ne soit pas au pouvoir,
mais en prison.
Hussein a déclaré que le peuple aime une personne pour ce
qu'elle a fait. Au cours de sa Présidence et avant il a beaucoup
fait pour l’Irak. Il a conclu un accord de paix avec Barzani
(les Kurdes) dans le nord en 1970. Il a nationalisé l’industrie
pétrolière irakienne en 1972. Il a soutenu, en 1973, la guerre
contre Israël en Egypte et en Syrie. L’Irak a survécu à huit ans
de guerre contre l’Iran, de 1980 à 1988 et la Première guerre du
Golfe peu après. L’Irak a vécu 13 à 14 ans de boycott. En dépit
de ces souffrances et de ces malheurs, 100% des Irakiens
votaient pour lui aux dernières élections. Pour Hussein, cela
signifiait qu’ils soutenaient leur leader.
Notes :
(1) Curieusement, l’intervieweur George Piro, pourtant d’origine
libanaise, appelle Saddam Hussein : « Hussein », alors
que ce n’est ni son nom, ni son prénom, mais le prénom de son
père. Le prénom Saddam signifie
Le batailleur,
Le
combatif, voire
Le cogneur. Lors de son procès, le
Président irakien se présenta aux juges comme étant Saddam
Hussein al-Majid.
(2) Le livre Zabiba et le Roi (par son auteur) est
paru, en 2003, aux Editions du Rocher. Traduction en
français sous la direction de Gilles Munier.
http://www.amazon.fr/s/...
Saddam Hussein est l’auteur de plusieurs romans. Ses poèmes,
écrits en prison, sont pour la plupart en possession du FBI et
du régime de Bagdad. L’un d’eux – « Ode à l’Irak »,
sorti clandestinement de prison en février 2006 - a été
traduit pour le magazine Afrique Asie de janvier 2010 :
http://www.france-irak-actualite.com/...
© X.Jardez et G. Munier – Traduction en français et notes
Paru dans Afrique Asie (janvier 2010)
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 18 janvier 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
Entretien n°2 - FBI-Saddam Hussein
Entretiens FBI-Saddam Hussein (Introduction)
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