Récit de séjour en Syrie, 3-17 octobre
2015
Damas des
étoiles
Marie-Ange Patrizio
Samedi 19 décembre 2015
6ème épisode
Je reprends la rédaction de ce récit
après avoir regardé sur France2
« le 13h15 : Vivre à Damas »[1]
en me pinçant deux ou trois fois au
cours de l’émission pour vérifier que je
ne rêvais pas. France2 a bien envoyé des
reporters faire un documentaire montrant
des bribes de la vie à Damas telle qu’on
la voit, en effet, quand on s’y rend[2].
Incroyable. Et (bonne) surprise, quand
Zeina la jeune lycéenne et violoniste
interviewée dans le reportage arrive
chez elle : c’est Claudia T. qui lui
ouvre la porte : nous l’avons rencontrée
lundi 12 octobre (voir ci-dessous).
Je ne rêve pas. Comme disait l’autre,
« ça n’est pas la girouette qui tourne,
c’est le vent ». Il fallait bien que nos
médias pour tenter de nuancer l’énormité
de leurs mensonges antérieurs commencent
aussi à nous montrer le contraire de ce
qu’ils nous ont ressassé depuis bientôt
5 ans. Zeina au journaliste qui lui
demande si elle n’a pas peur en sachant
que la guerre est si proche, à 10 Km :
« mais non… l’Armée est ici, ils nous
protègent ! ». Eh oui, l’Armée arabe
syrienne sous le commandement du
Président Bashar al-Assad protège la
population ; on ne vous l’avait pas dit,
on vous a même dit le contraire. Si vous
l’avez cru, reprenez toute la logique de
vos raisonnements en commençant par le
postulat de base en vigueur ici : « Assad
est un dictateur » ; tout le reste en
découle. Ou bien France2 ment cette fois
aussi, en allant interviewer des
« propagandistes du régime » ?
Dimanche matin 11 octobre, nous
allons quitter le monastère et Qâra.
Nous n’aurons pas eu le temps d’aller
voir ce qui reste des fresques
médiévales, ni Notre-Dame du Lait (dont
nous a parlé le père de Brahim,
historien de sa ville) à l’église des
Saints Serge et Bacchus (du Père Georges[3]).
Ce matin nous avons bavardé une dernière
fois de la situation en Syrie avec le
Père Daniel et les deux jeunes Frères
(les parents de David, au téléphone
depuis l’Ohio juste avant notre départ :
« We love Poutine» !). Ils nous montrent
quelques produits distribués à la
population par l’UNFPA :
(Photo
Dominique de France)
Pas les mêmes remontants que ce qu’on
fournit à ceux d’en face. On n’aura pas
eu le temps non plus de bavarder avec
certaines religieuses ou novices,
discrètes, souriantes, accueillantes
dont Claire-Marie dans cette maison est
l’autre mère, « qui sourit et pardonne »
comme dit le cantique, et n’arrête pas
de travailler.
Avant de partir, photos de la communauté (avec Brahim et Abu
Georges), Claire-Marie entonne la
version de La Marseillaise
qu’elle a écrite pour la situation
syrienne actuelle.
(Photo
Dominique de France)
C’est à nouveau Georges qui va nous
conduire jusqu’à la « pension de famille
bon marché » recommandée par
Claire-Marie : « un cousin de Brahim y
travaille, vous serez bien et ça n’est
pas cher ». En confiance, nous n’avons
même pas réservé.
Nous partons vers 14h, la route est assez dégagée, peu de barrages,
toujours la même consigne : aux
contrôles pas de photos, parler le moins
possible, surtout français, pour ne pas
compliquer les choses, passeports à
portée de main. Nous n’aurons aucun
problème pour franchir ces barrages,
parfois assez lentement quand il y a du
monde. Dans la voiture de Georges, un
gros chapelet est suspendu au
rétroviseur intérieur. On n’est pas dans
le « Califat » ; quand même, ça me
semble osé… Le pare-brise a quelques
impacts : non, pas de balles. Mais on ne
remplace pas aussi facilement que chez
nous ; tant que ça tient.
Qara -
Damas
On longe encore les montagnes, toujours
pelées, en apercevant toutefois des
plantations sur les collines, le
reboisement est en cours. La route est
quasiment droite, de temps en temps un
peu de relief, ça monte et ça redescend,
des bandes de béton rétrécissent la
chaussée aux abords des barrages. Le
trajet est rapide, sans encombre.
Inconsciemment nous avons appliqué la
consigne même en dehors des barrages, on
ne parle quasiment pas ! Peut-être parce
que nous voulons, chacune, profiter au
maximum de ce que nous entrevoyons
depuis la voiture. En approchant de
Damas, sur le bord de la route des
panneaux pour « rejoindre l’armée »,
jeune soldate au second plan.
Panneau : « Rejoignez
l’armée, l’armée c’est nous tous, hommes
et femmes »
Nous allons quitter la M5 et obliquer à
droite pour contourner Douma ; détour
d’environ 3/4 d’heure, par une sorte de
bretelle qui rejoint rapidement une
autre grande route revenant vers le Mont
Qassioun. Là les barrages sont très
rapprochés : et sur des remblais de part
et d’autre de la route, « casemates en
béton, sacs de sable, soldats postés
avec des fusils mitrailleurs. C’est là
que j’ai le plus ressenti l’atmosphère
de guerre » m’écrit Dominique.
L’ennemi est proche, installé à Douma,
banlieue nord-ouest de Damas que
l’aviation syrienne, contrairement à ce
qui a été dit ici, ne bombarde pas
aveuglément[4],
sinon la situation serait réglée depuis
longtemps. Mais il y a des civils,
familles qui n’ont pas pu partir, ou
associées aux terroristes ou otages.
C’est de là notamment que les groupes
armés bombardent certains quartiers de
Damas à portée de leurs missiles et obus
de mortiers. Tous les jours à certaines
périodes sans qu’on n’en dise rien en
Europe : pendant des mois, quasiment
tous les jours quelques morts et
dizaines de blessés. Armes lourdes
amenées par des tunnels souterrains ;
certains assez larges pour acheminer le
matériel de guerre par camions.
Construits bien avant la crise, à
l’instigation de personnages haut placés
dans l’exécutif pour conduire de tels
chantiers discrètement et de façon
efficiente, sans difficultés, pas à la
pelle et à la pioche. En vue d’un coup
d’état à leur profit. Bien sûr il y a eu
des félons, au plus haut niveau, dans
l'entourage y compris familial du
président Hafez al-Assad[5].
Il y en a sans doute encore : pas facile
de faire le ménage en temps de guerre.
L’espace s’élargit et tout d’un coup -j’ai voyagé devant pour cette
arrivée- « on est à Damas !». En 2011 je
n’étais pas arrivée par cette route du
Mont Qassioun : d’ici on domine une
ville qui paraît immense. Il fait beau,
le temps est très clair, doux, la vue
splendide, on descend tranquillement :
Georges -qui a été silencieux pendant
tout le trajet- nous désigne surplombant
la route un édifice officiel assez
récent, où sont reçues les personnalités
étrangères importantes. Il a dû
percevoir notre émotion et il y
participe : un geste et quelques mots,
ça suffit pour qu’on sente sa fierté de
nous montrer cette ville qui est arrivée
à résister, à tenir debout.
Damas
Surprenante et belle aussi, pour moi,
cette présence du Qassioun dont je
réalise que le panorama m’est devenu
familier en quatre ans d’informations
-vidéos, photos- recherchées presque
quotidiennement sur la situation à Damas
: comme si je revenais dans un lieu
connu alors que je n’y suis restée que
trois jours en novembre 2011.
Entrée dans Damas
(Photo Dominique de France)
En entrant dans les faubourgs modernes
de la ville je reconnais quelques sites
: pas endommagés, pas détruits. Des
arbres et de la verdure, bien entretenus
dans ces quartiers : rien n’indique une
guerre, et surtout pas une guerre
civile.
Square
(Photo Dominique de France)
Le trafic est moins dense qu’il y a
quatre ans. Mais peu à peu en pénétrant
dans la ville, on est ralenti par les
nombreux barrages sécuritaires qui,
malgré la tranquillité apparente,
rappellent la réalité : état de siège.
Dans lequel les habitants vont et
viennent, se prêtent aux contrôles
militaires. Matériellement les barrages
sont vraiment de bric et de broc, mais
les contrôles sérieux. En apparence
l’ambiance est banale chez les passants
: évidemment, ça fait presque cinq ans
qu’ils doivent vivre avec la guerre. Ou
partir. Pas de tension palpable par des
étrangers, en tous cas. Mais la
circulation est moins affolée, moins de
klaxons et de voitures qui se forcent le
passage. Le danger a-t-il fait retomber
les fausses urgences et rappelé quelques
règles de la conduite (généralement sans
ceinture : la loi avait été votée
quelques mois avant le début de la
crise, personne ne la fait appliquer
depuis) ? L’état de nombreuses voitures
-et taxis !- par contre, est pitoyable…
Quelques files -jamais très longues- qui
attendent aux stations service. Et les
photos des soldats martyrs aux barrages
où ils ont été tués.
Martyr
Welcome Souria, toujours, quand
les militaires examinent nos passeports
aux contrôles. Et parfois quelques mots,
après la surprise de voir des touristes
Françaises. Le sérieux de la situation
ne fait pas forcément perdre le sens de
la courtoisie et de l’humour. On est
bien à Damas ; et on y sera bien, à
Damas.
La pension de famille recommandée est dans Bab Touma, le coeur historique
de la ville, où nous arrivons
assez rapidement. Je reconnais la
vieille Porte, debout, on prend la rue
par laquelle j’étais arrivée il y a
quatre ans, Georges tourne dans la
ruelle à droite et s’arrête : devant
l’hôtel où notre groupe avait été logé
en novembre 2011 ?!
En fait de « pension de famille bon marché » : Hôtel ***** (cinq). Elle
est comme ça, notre Soeur Claire-Marie,
elle fait confiance, la Providence… De
toutes façons on décharge les bagages,
Georges doit repartir au plus vite, il a
toute la route à refaire en sens inverse
avant la nuit. Inutile de vous rapporter
ici et maintenant la série de questions,
discussions entre nous puis négociations
à la réception pour savoir ce qui nous
attendait financièrement. Sans aucun
doute, pour moi, le moment de plus
grande inquiétude de tout notre séjour
en Syrie ! Et petit aperçu fugace du lot
quotidien de la majorité des Syriens au
fur et à mesure que leur pays a été
plongé dans la crise et attaqué par
l’embargo occidental, arme de
destruction massive illégale, et
contraire aux plus élémentaires droits
de l’homme.
Bref : la guerre ayant changé beaucoup
de choses, et en particulier évidemment
la fréquentation de l’hôtellerie de
luxe, donc ses prix, notre inquiétude
retombe assez vite[6].
Pour le confort et la qualité du
service, je savais que ce serait
parfait.
Dans le fond Claire-Marie avait raison. Nous allons rester, non seulement
cette nuit mais, tous comptes faits
rapidement le soir même, toute la
semaine : chouchoutées par le personnel,
dont certains -ceux qui servent le petit
déjeuner le matin- me disent « vous êtes
venue en 2011, non ? » : il faut dire
qu’il y a eu peu d’étrangers ces quatre
dernières années.
On est chez nous.
5 étoiles et fontaines
(Photo Dominique de France)
Et nous aurons des chambres au
rez-de-chaussée, donnant sur les patios
avec le chuchotement agréable des
petites fontaines, ça calme entre deux
bombardements. Au demeurant assez
espacés, n’exagérons rien : ça n’est pas
ça qui nous a pas empêchées de dormir…
Ni de sortir seules le soir pour aller
manger dans les restaurants populaires
(donnés, pour nous) du quartier ; où il
faut parfois attendre qu’une table se
libère. Les Damascènes viennent manger,
fêter le premier anniversaire du petit
bébé, regarder la télé, jouer aux
cartes…
Restaurant Bab Touma
(Photo Dominique de France)
Dans les ruelles on sort son téléphone
portable car l’éclairage public est
réduit, éventuellement à rien du tout.
Aucune inquiétude pour circuler, même en
pleine nuit (on n’est pas en France), le
quartier est tranquille et on ne risque
même pas de glisser sur les trottoirs :
il n’y a pas, ou plus, de chien dans les
rues (qui sont propres, rien à voir avec
certaines de nos villes).
Des chats, oui :
Chat prudent
(Photo Dominique de France)
vrais chats de gouttière qui inspectent
les poubelles utilisées par les
cantonniers (combinaison orange type
guantanamo) qu’on voit vaquer à leur
travail tout le long de la
journée. Les chats ne sont pas
insensibles à nos appels en français
mais gardent leurs distances. Sauf dans
le patio d’une maison privée où nous
sommes entrées, un jour, pour admirer
l’architecture : où la minette de la
maison s’est laissée caresser puis tout
d’un coup a fait volte face et m’a
mordue : félin félon !? Ou affranchi :
« la main que tu ne peux pas mordre
embrasse-la, et prie pour qu’elle s’en
aille »[7].
Voilà pour « brosser le background », comme disait Saramago. Dans les
rues principales de Bab Touma il y a
toujours les mêmes petits commerces,
épiceries avec leurs cageots de fruits
et légumes exposés sur le trottoir, et
négoces où on trouve de tout. Par
exemple des pantoufles 5 étoiles made
in SAR, 3 euros, strass et cuir
véritable :
Mais pas de t-shirt avec le portrait du
Président Assad que je voulais ramener à
mon petit-fils, je m’y suis prise trop
tard, il aurait fallu aller dans un
autre quartier[8]
: le « culte de la personnalité »
serait-il en perte de vitesse ?! Pas
dans les vitrines du quartier,
« Bashar »
Le
Président
ni dans les ruelles où les vieux
s’installent pour la journée :
En
compagnie
Si vous ne voulez pas aller au
restaurant, les nombreuses dînettes
proposent à toute heure petits pains,
sandwichs, feuilletés, pizzas syriens
etc. tout frais (et tout chauds)
pour quelques dizaines de centimes
d’euros. Le verre de jus de grenade fait
sous vos yeux, quelques centimes
d’euros. Et Welcome Souria à la
place de « vous n’avez pas la monnaie
?! ».
J’oubliais. Comme partout dans Damas, à
chacune des portes historiques par
lesquelles on entre dans le quartier de
Bab Touma, il y a des postes de
contrôles, méticuleux, pour les voitures
et pour les piétons : d’un côté, des
militaires, de l’autre -pour les femmes
qui préfèreraient- femmes soldates ou
des comités de défense populaire : on
ouvre ses sacs en passant. Les filles
sont jeunes, en treillis, tête nue,
souvent maquillées ; un jour une des
« contrôleuses » avait un tatouage –rien
de patriotique- dans le cou, et joli
noeud « panthère » dans les cheveux :
rigolote et énergique ! Et accueillante,
j’aurais bien fait la photo.
Le dimanche soir nous retrouvons Thierry Meyssan et «Serge M.» comme ils
disent dans L’Express : plaisir
des retrouvailles mais pas le temps de
s’attarder, nous avons rendez-vous avec
un des principaux conseillers du
Président (son épouse est venue avec
lui) dans un restaurant en ville, où les
gens de la tablée voisine les salueront
familièrement. Pour venir nous avons
pris un taxi à la Porte de Bab Touma,
stationnement à peu près rangé en file ;
prudemment renseignées sur le tarif à
la réception de l’hôtel, Rafqa demande
le prix de la course en montant dans la
voiture : « ce que vous voulez »... Nous
continuons à nous appliquer notre
consigne : pas de conversation en
français dans la voiture. Pour rentrer
vers 1 heure du matin, avec la bonne
humeur de la soirée, nous ferons ce
qu’on nous avait recommandé de ne pas
faire, héler un taxi qui passe : retour
tranquille et en donnant la même somme
sans rien demander cette fois, 400 LS
(1,50 euros environ). Dernières
centaines de mètres à pied dans les
ruelles, sous les étoiles qu’on voit
mieux sans éclairage urbain.
Avant de venir j’avais demandé à
Thierry s’il pouvait nous aider à
rencontrer des gens travaillant dans le
domaine de la santé ou de la santé
mentale. Nous devions parler des
rencontres dans la semaine, mais
plusieurs choses sont incertaines à
cause de… tout un tas de raisons. Elles
n’auront finalement pas lieu, pas cette
fois du moins. Mais l’épouse du
conseiller avec qui nous avons bavardé
amicalement - est-ce la situation de
crise qui peut faire rapidement tomber
les barrières mondaines, ou les qualités
des gens rencontrés- me dit en nous
quittant « il y a beaucoup de travail,
avec les familles des martyrs, avec les
enfants mutilés, traumatisés, on est
démuni ». De nombreux professionnels
(pas seulement industriels et artisans
d’art : des praticiens, thérapeutes,
médecins, universitaires) ont fui la
crise, pas à pied par les Balkans. Nous
parlerons plus loin de l’obtention des
visas.
Le lendemain matin nous avons
rendez-vous dans un centre pour
« enfants handicapés » : deux sections,
autistes et malentendants[9].
Nous sommes reçues par Claudia Touma
(qu’on aperçoit dans « Vivre à Damas »)
qui dirige le centre. Présentation
mutuelle de nos expériences, puis exposé
précis de leurs méthodes et praxis,
populations accueillies, moyens
techniques et références théoriques. La
discussion est très intéressante,
ouverte et approfondie, avec les points
communs et les différences d’approches
théoriques et pratiques. On fait ensuite
une visite des deux sections. Je suis
surprise immédiatement par la présence
des familles qu’on croise dans les lieux
de « récréation » de l’institution : pas
n’importe où mais pas tenues à l’écart
des praticiens et des enfants. On en
reparle ensuite, à la fin de notre
visite : la famille a une place centrale
dans la société syrienne. On revient sur
le temps accordé pour la réflexion
quotidienne après les séances tenues :
prise de notes requise à chaque
praticien tous les soirs. Sur la
fréquence des réunions
pluridisciplinaires et bilans pour
évaluer le travail mis en oeuvre : rien
à voir avec ce que j’ai connu en France,
centres (dits) pilotes ou pas. Le centre
est en lien direct avec l’université et
d’autres lieux de formation, y compris
-maintenant- à l’étranger, par skype
: la recherche et la formation sont
présentes dans la praxis quotidienne. Et
si je vous dis que la directrice connaît
-vraiment- chaque enfant qu’elle croise,
et que tous ces enfants que nous avons
croisés, dans les deux sections, sont
venus spontanément vers elle avec
entrain, je complète notre impression.
Elle remplace régulièrement des gens
absents : pas pour garder les gosses,
pour travailler avec eux. Cette
institution donne l’impression d’être en
travail, allant devenant, comme disait
Dolto.
Dans le bureau où nous revenons boire du thé, je vois la photo de
l’inauguration du centre en 2006 par la
femme du Président, Asma al-Assad. Sans
aucun doute toutes les institutions
syriennes (s’il y en a d’autres)
n’ont-elles pas les mêmes moyens
financiers et humains ; mais on peut
avoir ces moyens-là et pas la dynamique
d’ouverture et de recherche qui semble
être à l’oeuvre ici.
De fil en aiguille Claudia T. nous dit
qu’elle dirige la chorale d’enfants du
Père Elias Zahlaoui, à Notre-Dame de
Damas.
m-a : Vous connaissez le Père
Zahlaoui ?! - oui, vous voulez le voir ?
téléphone au Père Elias, rendez-vous
demain après-midi. Thierry qui est venu
visiter le centre avec nous viendra
aussi, il ne l’a jamais rencontré.
La chorale : 10 concerts prévus en
France en mars 2016, enfants de 8 à 15
ans, toutes obédiences chrétiennes,
répertoire pas seulement syrien (dont
chants traditionnels). On parle musique
; et musique en Syrie. « A cause de la
crise, des musiciens sont partis : un
chef d’orchestre [qu’on voit dans
« Vivre à Damas »] a décidé d’embaucher
des jeunes pour les remplacer, il est
allé au Conservatoire, a écouté, et a
choisi des musiciennes. Que des filles,
c’est un orchestre de femmes ! ». Je
découvrirai en regardant le documentaire
de France2 qu’une fille de Claudia,
Zeina, fait elle-même partie des
musiciennes (violoniste) qui jouent
maintenant dans cet orchestre. Toute
cette famille est musicienne. J’avais
apporté en Syrie le petit harmonica avec
lequel j’ai travaillé pendant des années
-en particulier- avec les sujets
autistes ; on est sur un terrain commun.
A propos de cet orchestre et de la chorale Claudia nous dit : « c'est
pour la continuité de la culture et ça
soutient la résistance ». Tout ça
rapidement, de parenthèse en parenthèse,
on aurait envie de suivre tous ces fils
qui se présentent mais on a conscience
de la charge de travail de nos hôtes : à
leur poste, et dans leurs activités
annexes, et leur famille. Le tout,
depuis presque cinq ans, en essayant de
passer entre les explosions.
Ceux que nous rencontrons en Syrie sont vraiment en vie, c’est-à-dire
conscients, lucides. Quand la mort et le
malheur surgissent beaucoup plus
fréquemment et moins raisonnablement
qu’on ne s’y attend, on finit par être
obligé d’aller chercher ce qu’est
l’intérêt de la vie et où on le trouve,
avec et malgré l’adversité[10].
Epicure, enseigne dans « Vivre à Damas »
le professeur de philosophie français
retraité, revenu au lycée Charles de
Gaulle. Oui, L’art d’être heureux par
gros temps[11].
Avec les espoirs : « les espoirs qui ont un destin à accomplir, qui
est de naître les uns des autres, cela
explique que malgré tant de déceptions
ils n’aient pas encore disparu du monde »[12].
marie-ange patrizio,
Marseille, 18 décembre 2015
Merci encore à Dominique de France et
Rafqa F., pour la mémoire des faits, et
à Dora et Souha (réseau des amies
syriennes) pour les précisions et
traductions de dernière minute :
Internet fonctionne bien avec la Syrie.
Photos libres de diffusion avec
le texte et mention des auteurs (D. de
France ou M-A Patrizio).
Post scriptum au 5ème
épisode, pour corrections de quelques
données erronées.
Reçu de Dora, Damas : « l’école primaire
française à Mazzé n’a pas fermé, ma
cousine y travaille ; elle est dirigée
par un Syrien, et ce sont d’anciennes
élèves qui enseignent maintenant ».
Et le lycée Charles de Gaulle avait non
pas 2000 mais un millier d’élèves
environ avant la crise et maintenant à
peu près 300 ; il est dirigé par un
ancien proviseur, Monsieur Leprêtre,
retraité revenu travailler à Damas après
que le ministère français des Affaires
étrangères a fermé ou lâché ses
institutions sur place.
Proviseur-adjointe syrienne. Voir :
http://lcdgdamas.org .
Nous regrettons de ne pas être allées
rendre visite à ceux qui continuent à
faire fonctionner le lycée : élèves,
enseignants, administration et parents
d’élèves.
[2]
Sauf les premières images de
rues complètement en ruines,
désertes et sans
nos reporters, que la
rédaction aura fait ajouter au
montage…
[3]
Cf. épisode précédent : « Les
gens qui ont un livre »
[5]
très confortablement installés
par exemple à Paris, depuis
longtemps.
[6]
Pour les six nuits, grand
« petit déjeuner » syrien
compris, péréquation pour trois
personnes dont une Syrienne,
réparties dans deux chambres :
l’équivalent de 225 euros,
chacune.
[7]
Le diton, que m’a envoyé ensuite
mon amie Dora, Damascène de
souche, est « musulman, souvent
employé à l’égard des
chrétiens ».
[8]
« à
Baramké, sur le "pont du
président" qui traverse l’autostrade
entre les hôtels Damas
Rose et 4 Seasons, chez les
vendeurs ambulants du côté
opposé aux hôtels » m’a-t-on
dit.
[10]
C’est aussi ce qu’on peut
apprendre en travaillant avec
des personnes lourdement
handicapées et/ou aliénées, ou
autistes.
[11]
Cf. Le bonheur, ou l’art
d’être heureux par gros temps,
Jean Salem (Bordas, Paris 2006)
[12]
Les intermittences de la mort,
José Saramago, Seuil, Paris
2008, p. 230.
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