Syrie, 3-17 octobre
2015
Les gardiens
Marie-Ange Patrizio
Samedi 12 décembre 2015
5ème épisode
Histoires du siège
de Qâra, et de quelques unes de ses
conséquences
Vendredi 9 octobre,
après-midi, des informations reçues de
Damas vont nous faire écourter notre
séjour au monastère, nous devrons partir
dimanche. Je réalise que nous n’avons
pas encore organisé certaines rencontres
projetées avant de venir en Syrie, pour
notre séjour à Qâra : enseignants du
primaire qui sont restés à leur poste
tout le long de la crise (sauf pendant
l’occupation par les terroristes, en
novembre 2013), atelier de tissage de
tapis traditionnel en cours de
lancement, et ceux qui travaillent dans
la région avec les « déplacés » syriens,
c’est-à-dire : les habitants qui sont
venus se réfugier dans les zones
contrôlées par le gouvernement, après
avoir quitté leur foyer dans les zones
menacées ou occupées par les groupes
armés (Armée syrienne libre, Etat
Islamique -Daesh-, Al Nosra et autres
groupes terroristes formés ou reformés
pendant les presque cinq années de crise
en Syrie). Personne, inversement, ne
nous a parlé de Syriens ayant quitté
leur foyer dans les zones
« gouvernementales » pour aller se
réfugier dans les zones contrôlées par
les groupes armés, rebelles,
révolutionnaires, modérés ou pas.
Certains ont quitté le pays pendant
quelques semaines ou mois et sont
revenus ensuite dans les villes ou
villages dont ont été chassés les
groupes armés. Depuis le début de
l’intervention russe (30 septembre) il
semble que de nombreux Syriens soient
revenus aussi des camps de réfugiés, et
attendent la libération totale de leur
région ou village pour y retourner.
Le samedi étant le jour férié hebdomadaire en Syrie, il est donc trop
tard pour programmer certains
rendez-vous extérieurs. Nous allons
passer des travaux saisonniers aux
interviews des gens proches du
monastère, faciles à rencontrer sur
place, et disponibles.
Abu Georges supervise l’intendance du monastère depuis 2009 (y compris
construction de la nouvelle hôtellerie
pour les visiteurs, actuellement à
l’arrêt) et avec son épouse Sylvie il
s’occupe aussi de l’aide aux déplacés
dans toute la zone du Qalamoun, pour le
Croissant-Rouge.
Il était là lors de mon premier séjour, en 2011, et il se souvient : à la
demande de Mère Agnès, il avait
accompagné à Homs une « journaliste freelance »
(pour des médias catholiques), BP, qui
faisait partie de notre groupe ; BP
voulait absolument aller à Homs voir des
« manifestations de démocrates»
opposants à Assad. Il avait dû, « avec
elle, pour sa sécurité à elle, entrer
dans des quartiers dangereux de Homs »,
où on nous avait recommandé de ne pas
aller. Traduction de R. : «Les gens les
regardaient de leurs fenêtres, il n’y
avait pas de voiture dans les rues,
c’était très facile de se faire
kidnapper dans une zone où il y avait
l’Armée (dite) Syrienne (dite) Libre. On
voyait bien qu’elle était étrangère [je
confirme] ; on voyait des gens avec des
cagoules, et des fusils. Elle a bien vu
que c’était des gens masqués et avec des
armes». La mission d’Abu Georges était
de l’accompagner et de la ramener au
monastère. BP, à qui j’avais demandé
(perfidement, oui) le soir si elle avait
rencontré les fameux manifestants
démocrates dont on nous parlait tant en
Europe, m’avait dit « non, mais je ne
suis pas allée partout ». Je n’ai vu
aucun compte-rendu de BP sur cette
« mission », à mon retour en France.
Mais peut-être ne suis-je pas, moi non
plus, « allée partout » sur Internet…
Abu Georges est originaire de Qâra, mais il est né et a grandi à Damas où
il travaillait dans le bâtiment. Il
était en relation avec Mère Agnès ;
c’est à cause de la crise qu’il s’est
"orienté vers le travail humanitaire, et
c’est une grâce de Dieu de pouvoir
travailler pour le Croissant-Rouge »[1].
Sa famille était à Damas pendant tout le
début de la crise, c’est la première
année qu’ils sont ensemble ici. Sylvie
était responsable des aides humanitaires
pour Mère Agnès à Damas. Elle est ici
depuis cet été et elle est responsable à
Qâra de l’organisation de stages pour
les femmes ; toutes celles qui veulent,
celles qui sont d’ici et n’ont pas ou
plus de travail (et de ressources), et
les déplacées.
Abu Georges parle des gens qui travaillent avec lui, exceptionnels,
"héroïques" dit-il : "ils vont livrer
des denrées avec un van, maintenant
c’est sécurisé mais ils l’ont fait
pendant toute le période où c’était très
dangereux de circuler ; où ils se sont
plusieurs fois fait tirer dessus"
(notamment lui et Brahim).
Sylvie était enseignante à l’école
Besançon, école française à Damas.
"Avant les événements, il y avait aussi
environ 2000 élèves au lycée français ;
après le début de la crise, 675, et
depuis ça varie[2].
Il y avait 300 enseignants, et il n’en
reste plus qu’une centaine [la plupart,
d’après une autre source à Damas, en
contrats locaux avec l’association des
parents d’élèves]. Le directeur,
maintenant, est un Syrien. Il y avait
une école française à Mazzé (quartier
résidentiel de Damas) qui a fermé après
le début des événements ; ils avaient
peur pour les élèves". Sylvie a
démissionné de l’école où elle
enseignait depuis 15 ans.
Leur fille est en terminale dans un lycée à 7 Km de Qâra, trajets
quotidiens. Leur fils est à la faculté
de médecine à Dayr Atiyah. Il avait
d’excellentes notes ; il a demandé un
visa pour venir étudier à la faculté de
médecine à Lyon. Refusé. Motif
étonnamment signifié par l’université
qui n’est pas l’autorité compétente en
la matière [par email à Soeur
Claire-Marie] : il est catholique
pratiquant, donc il refuse l’avortement,
pense-t-on… Il avait été lui aussi à
l’école Besançon. Maintenant c’est parce
qu’il est à l’université du Qalamoun que
Sylvie a voulu se rapprocher et venir
habiter ici.
Un détail me revient aujourd’hui, à propos des jeunes hommes qui
poursuivent leurs études actuellement en
Syrie. Détail peu médiatisé sur
l’effroyable « dictature » des Assad,
père et fils : pour la conscription,
tout jeune Syrien garçon unique dans la
fratrie est dispensé de service
militaire, en tant que soutien de
famille. Y compris en temps de guerre où
pourtant l’Armée manque de soldats au
bout de plusieurs années de l’agression
qui a tué au combat au moins, estimation
la plus basse, 80 mille militaires
-appelés, réservistes ou engagés[3].
Les divers attachés et expatriés que
nous avons stipendiés pendant des années
en Syrie par exemple à l’ambassade et à
l’IFPO[4],
aujourd’hui recyclés en France experts
politologues, oublient, entre autres
choses, de nous parler de ce détail dans
les médias où ils passent en boucle pour
cracher sur le «régime ».
Abu Georges :
"Pour comprendre la situation ici : la
ville est sur la frontière avec le
Liban, la contrebande y était une
ressource essentielle ; l’autre étant la
production de cerises sur les flancs des
montagnes, à quelques kilomètres.
Maintenant les cerisaies sont aux mains
de Daesh qui a pris la montagne. La
cerise de Qâra n’est pas pour la
consommation courante car elle est très
chère ; c’est une variété qui est ferme,
donc bonne pour l’exportation. Elle
s’appelle napoléon, en tous cas ici on
l’appelle comme ça"[5].
A ce moment de notre entretien, on
entend le canon.
"Ici, le froid complexifie la situation
: à Qâra il peut faire -16, -20°,
l’hiver. On est à 1300 mètres. A cause
de la crise il n’y a plus de contrebande
[ou plus la même], il n’y a plus de
cerises, le mazout est rare et cher et
il fait très froid". Toutes
circonstances aggravant les problèmes de
Qâra où, "avant la crise, les jeunes
entre 16 et 18 ans arrêtaient l’école
pour faire de la contrebande qui leur
rapportait beaucoup plus. De ce fait,
une partie de la population n’a pas de
métier, et a eu beaucoup d’argent par la
contrebande. Donc le niveau d’éducation
scolaire est faible, ici".
m-a : Contrebande de tout, y compris
armes ? « Avant [la crise] ils prenaient
le mazout ici [vendu à bas prix] et le
vendaient au Liban. Et ils revenaient
avec de tout. C’était une bombe à
retardement, avec ces facteurs de
déséquilibre : économiques, sociaux et
moraux. Avant à Qâra il n’y avait pas de
vol, ça a commencé à apparaître. Ici
c’était très préservé, et maintenant on
a commencé à voir des familles se
défaire ; c’est ce qui fait que le
monastère se concentre sur Qâra, plutôt
qu’ailleurs ».
Abu Georges et sa femme ont « pris aussi l’option du Croissant-Rouge pour
renforcer le travail du monastère ; ils
ont plus de soutien. Le Croissant-Rouge
les a sollicités parce qu’ils sont les
mieux rodés à Qâra pour ces
interventions ; avant, l’équipe de Mère
Agnès, ils étaient 25 ; maintenant ils
ont une équipe de 256 personnes, au
Croissant-Rouge. Ils ne travaillent pas
qu’avec les chrétiens : avec toutes les
familles qui ont besoin d’eux. Une
équipe était déjà formée, avant, par le
monastère, et c’est le Croissant-Rouge
qui leur a demandé de constituer aussi
une équipe pour lui. Il y a un village à
côté, Jarajir, où il n’y a aucun
chrétien, ils ont aidé tout le monde.
Le 15 XII 2013 [un mois après l’occupation de Qâra par les groupes armés]
ils ont agrandi leur zone d’intervention
à cause des besoins. Pour l’équipe de
Mère Agnès la zone est la Syrie toute
entière ; pour le CR seulement la région
Qalamoun.
Un mois avant, il y avait eu des combats entre l’Armée syrienne et les
groupes armés. Personne ne pouvait
circuler sauf la voiture du monastère :
ils pouvaient entrer et sortir car ils
représentaient le monastère, et l’Armée
Syrienne qui faisait le siège autour de
la ville acceptait que le véhicule
passe. Les groupes armés se sont enfuis
après 3 jours de combats, ils sont allés
au Liban à Aarsâl [juste de l’autre côté
des montagnes]. Les civils étaient
partis dès l’arrivée des groupes armés,
ils avaient peur des combats. Avant la
crise il y avait environ 25 000
habitants à Qâra, et après ces 3 jours
de combat 20 personnes seulement étaient
restées : une seule famille, avec des
personnes handicapées qui ne pouvaient
pas bouger et des personnes âgées. Les 3
premiers jours ils ont accueilli au
monastère 200 familles, sauf les hommes
: Abu Georges a interdit aux hommes de
rentrer pour éviter des problèmes.
Ici, ils avaient 5 paquets de pain et
quelques produits alimentaires, ils ont
divisé les paquets de pain, "on a
l’habitude de faire des réserves de
nourriture", ils ont commencé à donner
du pain ; à un moment ils en ont donné à
un vieil homme qui est riche, et Abu
Georges a senti qu’il était gêné. Le
vieil homme l’a pris dans ses bras et
lui a dit "ça fait deux jours que je
n’ai pas mangé", il avait les larmes aux
yeux.
Ensuite un soldat du Hezbollah l’a
appelé pour lui dire qu’il y avait une
vache dans une ferme qui perdait son
lait : qu’il vienne la chercher. Il n’a
pas pris ça au sérieux mais le soldat
l’a rappelé pour lui dire "on vous
attend !". Abu Georges a demandé à
Brahim de l’accompagner. Ils sont partis
chercher la vache et en fait ils ont
trouvé plein d’animaux dont beaucoup
avaient péri ; ils ont dû y retourner
plusieurs fois, et ont ramené plus de
100 vaches, rassemblé environ 200
moutons et chèvres. A ce moment-là
c’était très dangereux, ils ont essuyé
des tirs, des balles ont frôlé les pieds
de Brahim. Tous les animaux qu’ils ont
trouvés ils les ont ramenés au couvent
et dans la ferme d’en face [élevage de
volailles, fermé maintenant, zone
militaire]. Comme Brahim s’y connaît un
peu en élevage, il a pu s’en occuper. Et
il se trouve qu’il y avait à Qâra un
vétérinaire -dont la femme et les
enfants étaient réfugiés à Damas- qui
était revenu seul voir son père resté
ici ; Abu G lui a demandé de venir les
aider. L’épouse de cet homme l’appelait
de Damas en lui disant de venir
s’occuper d’eux mais il a fini par lui
répondre de se débrouiller, qu'il avait
autre chose à faire !
Ils n’avaient plus d’électricité et c’était l’hiver, beaucoup de neige
mais plus d’eau. Ils ont fait fondre la
neige pour donner à boire aux animaux.
Quand les gens sont rentrés chez eux après les combats, ils venaient
reconnaître leurs animaux et les
reprenaient. Une partie des animaux
avait été volée et vendue entre le 19 et
le 25 XI 2013. Ils avaient commencé à 3,
le vétérinaire a été le 4ème,
puis un avocat qui était au monastère
les a aidés. Un autre jeune et 2
personnes extérieures à Qâra.
"L’étincelle est venue du responsable
du Hezbollah" qui l’a appelé. Abu
Georges lui avait dit mais il y en a
beaucoup ! l’autre lui a dit ça ne fait
rien. Si quelqu’un vous embête on peut
s’organiser avec l’Armée pour vous
faciliter la tâche.
Ils ont trait les vaches qui en avaient besoin, même si personne ne
savait traire (rires). Ils ont eu
beaucoup de lait. Sylvie en se moquant :
"ils se lavaient avec du lait !" Abu
Georges : "non, mais comme il y en avait
beaucoup et pas d’eau on buvait du lait
; les religieuses ont fait des yaourts
qu’ils ont donnés à Qâra".
Ils ont cherché où il y avait du foin. Par chance ils en avaient eux,
ici, et à la ferme d’en face ; et Abu
Georges avait un ami qui avait beaucoup
de vaches, donc du foin : ils ont tout
ramené au monastère. Ils ont pu
nourrir un peu les bêtes, en partageant
ce qu’ils avaient : une vache a besoin
de 8 kilos de nourriture, ils ne
pouvaient en donner que 4. Pour leur
donner à boire, ils mettaient des
grosses bassines de neige à
chauffer.
Avant que les gens ne
reviennent les chercher, les animaux
sont resté plus d’un mois et demi,
certains trois mois et "nous nous sommes
débrouillés, dans la neige, pour faire
vivre ces vaches. Le vétérinaire était
musulman. Nous sommes fiers de cette
action !".
Quand les habitants de Qâra sont revenus
leurs maisons étaient presque toutes
pillées, certaines brûlées. Comme le
monastère leur donnait des aides ils
pensaient que le monastère n’avait aucun
besoin, Abu Georges n’a pas de souvenir
d’une chèvre ou d’un agneau donné en
remerciement ; les gens ne pensaient pas
à donner eux-mêmes quelque chose pour
remercier d’avoir retrouvé leurs animaux
en vie.
Certains habitants pillaient les
maisons qui étaient encore vides. Alors
eux descendaient du monastère et
allaient engueuler les gens qu’ils
voyaient piller, ils les chassaient et
fermaient les portes des maisons. On
leur a dit après : « vous êtes les
gardiens de Qâra ! ».
Brahim : « on ne pensait pas à la peur,
dans le feu de l’action !».
Il n’y avait pas de réseau pour téléphoner. Abu Georges est monté en haut
de la tour pour trouver un soupçon de
réseau pour envoyer un SMS à sa femme et
appeler Agnès Mariam qui était aux USA.
"Heureusement qu’elle était aux USA car
sa présence ici était un danger plus
important pour le monastère.
Aujourd’hui, oui, elle est toujours
visée, donc sa présence est un danger
pour les autres. Quand elle vient, comme
ces jours-ci, on lui dit de partir le
plus vite possible. Quand elle est ici
c’est à nous de la protéger.
Les ambitions de Daesh, ce n’est pas que la Syrie, leur but c’est
l’Europe, parce que Daesh est partout,
parmi les réfugiés il y a des gens de
Daesh ".
m-a : Qui finance les
aides pour les déplacés ? "Le
Croissant-Rouge ".
Les aides distribuées par les équipes de
Mère Agnès sont financées par les dons
reçus[6]
au Monastère Saint Jacques le Mutilé,
provenant de la solidarité suscitée par
les conférences de Mère Agnès ; qui a
appris l’existence de "sommes énormes"
arrivant ailleurs en Syrie via des
églises évangéliques étasuniennes ou
communautés -dites- « caritatives »
nord-américaines. Avec bibles en prime
pour la nouvelle croisade. Fond de
commerce et fonctionnement identiques à
ceux des sectes fondamentalistes
(financées par « nos amis » du Golfe)
que nous prétendons combattre maintenant
en Syrie, et à Paris.
Où va cet argent ? Les Patriarcats d’Orient sont très vigilants,
politiquement, et transparents dans
leurs actions : et de ce fait mal vus
par les gouvernants occidentaux.
Pour les réfugiés syriens en Turquie,
par contre, l’Union européenne vient
d’allouer 3 milliards d’euros au
gouvernement turc[7]
: qui peut contrôler la destination
exacte et l’utilisation de cet argent ?
"Blanchiment d’argent pour les armes que
va livrer l’Occident" plus ou moins
clandestinement aux mercenaires
terroristes, ai-je entendu pendant notre
séjour, cette allocation venant d’être
annoncée mais pas encore actée.
Samedi 10 octobre
matin, rendez-vous avec Brahim et Sylvie
pour plus de précisions sur leur
intervention ; Abu Georges est là aussi.
Ambiance de jour férié.
Dehors, pendant que j’attends avec Brahim, je le questionne sur les
montagnes derrière nous, qui sont pelées
; il me dit que les tâche vertes qu’on
voit sur les contreforts sont des
cerisaies. Et Daesh pas loin. Abu
Georges me dit en passant no camera
en me voyant avec l’appareil photo
en-dehors de l’enceinte du monastère,
zone militaire.
Brahim : "Avant, toute la montagne était
une forêt, avec des arbres un peu comme
les cèdres au Liban, mais d’une autre
variété. Toute la montagne a été
déboisée au fil des siècles. C’était du
très bon bois, pour faire les maisons,
pour les charpentes. Il y en a
d’ailleurs dans le monastère".
On commence nos entretiens en déjeunant avec Brahim qui vient d’apprendre
qu’il doit partir à 10h à Tartous
(livrer le fauteuil roulant avec le
jeune réserviste).
Sur la table : pains, petits fromages
genre mozzarella et féta, olives vertes,
oeufs durs, tomates. Et zaatar (le vert)
; Sylvie nous dit qu’en Allemagne sa
soeur trouve plus de choses qu’ici pour
cuisiner syrien !
m-a à Brahim, jeune
homme d’une trentaine d’années : quel
est ton travail sur le terrain ?
Il est fonctionnaire, ingénieur
agronome, il dirige - "petit
directeur " nous dit-il en riant-
une usine d’aliments pour animaux, à 15
Km, à An Nabk. Après son travail il
vient ici, après 15h et les jours fériés
: pour les déplacés et pour la gestion
des 40 hectares du monastère. "Une
partie seulement est cultivée,
maintenant : la plus proche du
monastère, qui malheureusement n’est pas
bonne pour la culture. L’autre partie,
la meilleure, ne peut plus l’être car
sous le tir possible des terroristes.
Dans le domaine, il y a des oliviers,
abricotiers, amandiers, figuiers,
cerisiers (peu), noyers, pommes et
poires, cognassiers (pâtes de fruits de
Claire-Marie). Un seul noisetier, et des
pêchers. Et les potagers. Et une céréale
pour les animaux" [dont nous
n’arriverons pas à identifier le nom :
peut-être du seigle].
Autrefois Brahim avait lui-même une ferme avec des animaux, poules,
moutons ; maintenant il n’a plus
d’animaux, seulement des cultures. Parce
que les conditions sont difficiles : le
travail coûte très cher et il est
risqué. S’il a des animaux et qu’il y a
encore une attaque il sera obligé de les
abattre ; ça coûte cher de les avoir
donc ce n’est plus possible pour le
moment. Il avait environ 130 moutons,
pour l’élevage. Dans la première période
il a vendu du lait et quand il a eu trop
de travail il a abandonné la vente du
lait de brebis et a fait de l’élevage
seulement pour la viande. La viande de
mouton est 7 fois plus chère maintenant.
Les oeufs, ça fait deux ans qu’il n’en
vend plus ; 30 oeufs = 700 LS , 1 oeuf =
25 LS. Autrefois entre 50 et 100 les 30
oeufs ».
m-a : et avec
l’équipe de Mère Agnès ?
Ils font la distribution des aides :
aliments, vêtements, hygiène. Mère Agnès
achetait des grosses quantités de riz
qu’ils divisaient pour faire des
rations. Mais ça n’est pas toujours
facile, les gens peuvent être agressifs
s’ils n’ont pas leurs aides. Ils
distribuent aux réfugiés et aux gens de
Qâra et des alentours, à tous ceux qui
ont besoin.
"Une partie de l’équipe va dans les
maisons, pour faire l’inventaire de ce
qu’ont les gens ; c’est un travail qui
est sympa et en même temps difficile,
parfois très difficile".
m-a ? "De traiter avec les gens parce
que tout le monde veut, tout le monde a
besoin, ils veulent qu’on leur donne ce
qu’ils veulent, eux, et pas forcément ce
qu’on a, nous".
Des fois il a envie d’arrêter mais
quelque chose lui dit non ; "c’est
difficile aussi d’arrêter !"
m-a : depuis quand font-ils ça ?
"Depuis le 15 XI 2013. Toujours la même
date !" A Damas l’équipe de Mère Agnès a
été active avant, et il lui arrivait
d’aller à Damas pour aider.
m-a : tu as aussi du temps libre ?
"Maintenant oui, parce que la
distribution ce n’est pas tous les
jours. Quand les aides arrivent on
distribue. L’aide vient de Mère Agnès,
et des Jésuites". Et il leur arrive de
donner de l’argent : pour des gens qui
sont malades, pour des opérations
chirurgicales.
Les denrées alimentaires arrivent de
l’extérieur. Ici à Qâra ils n’ont jamais
acheté de denrées à distribuer. Mais ils
préfèreraient recevoir de l’argent et
acheter dans le pays [bien moins cher
que d’envoyer d’Europe, et pour faire
fonctionner la production et le commerce
syriens].
Sylvie connaît une Libanaise d’origine syrienne qui lui donnait de
l’argent pour qu’elle lui achète des
lots de sous-vêtements ici, parce que le
coton syrien est beau, de belle qualité
; elle les vendait ensuite au Liban et
la différence allait aux réfugiés. "Il y
a plein de petites actions de
solidarité. Il y a ce qu’il faut en
Syrie, pour se nourrir, se vêtir. Mais
maintenant ça peut être très cher ; par
exemple, les bons cartables, ceux
qui durent longtemps valent environ 10
000 LS, et le salaire mensuel de ceux
(militaires) qui sont sur les frontières
c’est environ 15 à 20 000 LS (100 $) ;
alors les gens sont d’accord pour donner
un bakchich".
Le salaire de Brahim est inférieur à 100
$, environ 20 000 LS.
"Les salaires ont été augmentés après
l’Aïd, 130 $ [si nous avons bien
entendu] environ ; même si c’est peu on
remercie Dieu. Et les fonctionnaires ont
toujours été payés. Avant la crise la
Syrie n’avait pas de dette « et
croissance à 7%.
"La Syrie est auto-suffisante. Par
exemple, la production de blé est
suffisante pour avoir toujours 5 années
d’avance ; la Turquie en a pillé ces
dernières années mais il y en a encore
!".
Abu Georges reprend la parole : L’an dernier, l’hiver a été très sévère.
Une femme l’a arrêté sur le chemin et
lui a dit qu’elle avait besoin de choses
pour ses enfants, qui n’avaient plus
rien à se mettre. Il a demandé les
tailles, les pointures, elle a appelé
son fils pour lui demander sa pointure,
il avait des claquettes en plein hiver.
Abu Georges avait des chaussures en
réserve, mais juste la pointure
au-dessous : trop petites. Lui au
monastère il peut bouger, demander à
Mère Agnès, et aller chercher des choses
ailleurs. Pas le CR où on ne prend que
ce qui arrive. Un carton d’aide du CR
vaut 100 LS et comme la personne qui le
reçoit a d’autres besoins elle est
obligée de vendre ; il excuse les gens
qui revendent le contenu des cartons
d’aide. "En plus ils sont perdants car
quand ils vendent ils perdent 40% de la
valeur du carton ; si les aides étaient
en cash ça éviterait tout ce trafic et
ça serait plus adapté".
Récemment les usines de médicaments
autour de Damas ont réouvert, mais ça a
augmenté de 55%, d’un coup. C’est récent
qu’ils aient des médicaments à
distribuer. Agnès Mariam avait des
hôpitaux ambulatoires pour Homs et Alep.
Dans la première période, quand les
habitants sont revenus à Qâra après la
bataille il n’y avait plus rien. Du
monastère, eux arrivaient à sortir : ils
répertoriaient les besoins de la
population en médicaments et allaient
les chercher ailleurs. Avant il y avait
10 pharmacies à Qâra, qui est un gros
bourg depuis longtemps : en 1266 il n’y
avait que des chrétiens à Qâra, 36 000
habitants. [Le père de Brahim, militaire
à la retraite, a écrit un livre sur
l’histoire de sa ville : nous y
reviendrons]. Les derniers temps, il y
avait 25 000 habitants à Qâra ; après,
80 000 avec les déplacés de Al Qusayr ».
Brahim : "Quand on est sorti de la
colonisation ottomane, la France nous a
sortis de la misère et de l’ignorance et
ouverts au progrès et à la civilisation
; nous nous considérions comme des amis
de la France et nous ne comprenons pas
son attitude actuelle». Ces propos de
Brahim, que je ne partage pas, reflètent
aussi, en tous cas, la perplexité de
nombreux Syriens sur l’attitude des
gouvernants français ces dernières
années (ministres des Affaires
Etrangères notamment, dont Alain Juppé
au coude à coude avec celui qui apprécie
le « bon boulot » de la branche syrienne
d’Al Qaeda, le Front Al Nosra).
m-a : mais maintenant nous avons des
gouvernements sionistes et atlantistes.
Nous sortons
accompagner Brahim qui va partir livrer
le fauteuil roulant à Tartous (20 kilos,
donateur : www.arcenciel.org
Liban, inscription sur le carton :
« participer au développement »). Nous
bavardons avec le jeune réserviste qui
va conduire et escorter la livraison
(cf. « Matins de lumière »).
Toujours intriguée par la nudité des montagnes, je demande à Sylvie
quelle est l’origine de la déforestation
: « Au fil des siècles, et en
particulier par les Turcs : et ça s’est
achevé avec le besoin de travées pour
construire la voie ferrée de l’Empire
ottoman vers La Mecque. Mais la
déforestation avait commencé il y a 4 ou
5 siècles ».
Sylvie est d’origine arménienne,
catholique, elle pourrait avoir un
passeport arménien parce qu’elle peut
prouver que ses ancêtres sont arméniens
; elle a 41 ans. Elle organise des
stages de crochet et tricot. "Les
ateliers de tapis c’est une autre qui
s’en occupe".
"Ça fait longtemps que les gens ne
savent plus faire ces travaux-là parce
qu’on pouvait les trouver beaucoup moins
cher que si on les faisait à la maison.
Avec la crise tout est beaucoup plus
cher et c’est nécessaire de se faire
soi-même certains vêtements pour
économiser ; faire ses pulls" etc. Ils
ont mis une annonce au Croissant-Rouge,
et dans les rues, pour demander qui veut
faire du tricot ou du crochet ou de la
couture et ils ont commencé cet été.
Au début il y a eu peu de femmes. "Quand c'est gratuit on croit que ça
n’est pas sérieux, pas important. Donc
peu de femmes sont venues". Pour
qu’elles viennent Abu Georges leur a dit
que celles qui viendraient auraient une
aide ; « comme celles qui viennent sont
très pauvres, elles ont eu une aide que
de toutes façons elles allaient avoir »
(!). Elles ont commencé avec une ou deux
femmes seulement, et ensuite une dizaine
sont venues. "Quand elles ont commencé à
apprendre, elles ont beaucoup aimé.
Celles qui ne savaient absolument pas
tenir une aiguille étaient très
contentes".
m-a : quel âge ? "de 16 à 50 ans
environ. Les jeunes ne savaient pas du
tout, et certaines parmi les plus âgées
non plus ; elles n’avaient pas de
technique". Le CR donnait le matériel -3
pelotes- pour s’entraîner et ensuite un
sac de pelotes pour faire un tricot
utile ; stages dans les locaux du CR,
dans une pièce de quelques mètres
carrés.
D. : pour vendre ? « "Oui, c’était ça le
but, pour avoir une source de revenus.
On a commencé cet été. A An Nabk des
femmes le faisaient avant la crise,
depuis une dizaine d’années, et quand
elles sont venues voir ce que faisaient
les stagiaires ici, elles étaient
étonnées de leurs travaux".
Stages de 2 mois et demi pour le
crochet, deux mois pour le tricot : 3
fois 1h30 par semaine = 25 séances.
Sylvie a un salaire symbolique pour ce
travail.
Le but est d’apprendre aux gens à faire quelque chose soi-même : robes,
vêtements, chaussettes, bonnets bébés,
écharpes, châles, gants. Trois
stagiaires qui travaillent très bien
vont aller vendre leur production au
bazar [marché]. "Elles ont commencé pour
les bébés et ensuite les vêtements pour
des plus grands. C’est important pour la
femme qui reste à la maison ; on boit
beaucoup de café ici, alors quand on
boit le café on tricote et
psychologiquement c’est un très bon
plan, tu produis quelque chose".
L’équipe pense faire bientôt des cours de français et anglais, "stages de
langue pour les enseignants, du CP à la
4ème, pour la prononciation ; les profs
ont une mauvaise prononciation. Pour le
tricot tout est théorique, les devoirs,
la pratique c’est à la maison, il y a
même un mari qui en a assez de toujours
voir sa femme avec un tricot ! ». On se
quitte en bavardant tricot, crochet…
Nous
avons continué ce jour-là par les
entretiens avec le jeune réserviste et
le colonel, de passage au monastère. En
fin d’après-midi nous partons à Qâra
faire une visite à une famille de
déplacés. Visite non préparée : nous ne
savions rien de ceux que nous allions
rencontrer, introduits par deux
personnes du Croissant-Rouge avec qui
nous échangeons quelques mots -R.
traduit- en passant les prendre avec le
pick-up de Abu Georges : on se serre et
on ne traîne pas dans les rues du
quartier, l’obscurité est en train de
tomber. La jeune femme qui nous
accompagne est psychologue, mais on
n’aura pas le temps de parler, ni avant
ni après notre visite ; son mari est le
maire du quartier et nous expliquera,
chez les déplacés, le mode de
désignation du maire.
Nous arrivons dans une petite maison basse entourée d’une cour, il semble
que nous arrivions au milieu d’une fête
familiale, il y a du monde mais on
s’installe à l’écart avec celle que nous
venons rencontrer, dans la pièce où elle
vit. Tapis par terre, un plateau avec le
maté et quelques biscuits arrive ensuite
: nous sommes une bonne dizaine et
partageons les trois verres, par souci
d’économie. Celle qui nous reçoit a cinq
enfants. L’aîné est un garçon qui a 8 ou
9 ans, à qui sa mère dit de s’asseoir à
côté de moi. Nous sommes nombreux dans
la pièce qui n’est pas grande : nous
trois, les deux membres du CR et Abu
Georges (qui s’absente ensuite pendant
notre entretien), notre hôtesse et une
de ses soeurs habitant dans la maison à
côté, et une ribambelle d’enfants qui,
quand ils vont être moins intimidés par
la situation, entrent et sortent
librement, et gaiement. Pas facile de
s’entendre au milieu de ces va et vient,
de la circulation du maté, des
interventions des membres du CR pour
expliquer la situation. La jeune femme
raconte, et précise en fonction de nos
questions.
Ils sont « déplacés » venant de la
Ghouta, de Beit Sawe, à côté d’Irbin.
L’aîné des enfants présents dit tout
d’un coup à sa mère que le petit a été
réveillé ; on ne l’avait pas vu, il
était sous une couverture, sa mère ne
l’avait pas laissé sortir parce qu’il
est malade. Très rapidement elle parle
de l’aîné, qui a plutôt envie de quitter
la pièce pour aller rejoindre ses frères
et cousins. "Il a eu un accident, un
baril d’essence a explosé à cause de la
chaleur (chez eux) et il a un morceau de
cerveau qui est sorti. On lui a mis un
os artificiel, un morceau de crâne",
opéré à l’hôpital du Qalamoun. "Il ne
peut pas lire, se concentrer, il va à
l’école mais il ne lit pas, n’écrit pas,
il a des problèmes de concentration". Sa
mère dit que c’est peut-être le choc qui
fait qu’il est comme ça. "Quand il
entend un bruit ça le réveille, ou ça
lui fait peur. Il faudra plus tard lui
remplacer cet os artificiel ». Le récit
est impressionnant mais le garçon n’a
pas l’air d’avoir de séquelles
fonctionnelles apparentes.
Puis elle nous dit que son mari a été pris il y a deux ans, à un
barrage de l’Etat, et depuis elle n’a
aucune nouvelle de lui, qu’il n’a aucun
lien avec les groupes armés, que c’est
peut-être un problème d’homonymie, elle
ne sait rien sur lui… Ici elle a des
frères qui l’aident, elle s’entend bien
avec eux, elle a peu de ressources pour
vivre, elle est à l’étroit.
Celui qui nous a amenés ici nous explique alors sa fonction dans le
quartier qu’il administre, et le mode de
désignation du « maire » ; il travaille
aussi pour le Croissant-Rouge, avec sa
femme. Ses interventions sont
intéressantes mais nous entraînent loin
de ce que disait notre hôtesse et je
demande si on peut revenir à elle. Qui
nous demande alors si on peut parler à
Mère Agnès de son mari, pour avoir des
informations. Les échanges sont confus,
difficiles à cause des interventions qui
se croisent, en s’interrompant. Abu
Georges revient avec un grand sac dont
il sort des peluches qu’il distribue aux
enfants rentrés derrière lui…
m-a à l’hôtesse : Depuis combien de
temps sont-ils là ? "Depuis le début des
événements".
Pendant que sa mère parle, l’aîné-rescapé qui est à côté de moi se lève
discrètement, sans difficultés et
rapidement pour essayer de rejoindre la
bande qui est ressortie : je le retiens
par la jambe et il se rassoit, sans
difficultés fonctionnelles et sans
résistance non plus, sans rancune, je
lui fais comprendre qu’on n’a pas fini !
Dans le brouhaha je demande à R. de lui
dire qu’il écrive son prénom, en lui
tendant mon crayon et mon cahier : il le
fait sur le champ, sans hésitation ni
difficulté apparente ; puis, deuxième
question du « test », je lui dis « Souria
? » en montrant le papier, et il l’écrit
aussi, sans traduction cette fois. Je
lui dis alors en français qu’on a fini,
tous les deux, et qu’il peut sortir si
il veut ; il comprend instantanément et
sort content. La partie « verbale » du
test -flash- improvisé me semble plutôt
bonne ! Je montrerai le soir la partie
« performance »
à R. et D. qui n’avaient pas suivi cette
partie là de la
« consultation ». J’ai des doutes
sur l’origine traumatique de ses
difficultés à écrire et à se concentrer
en classe.
J’essaie de reprendre le fil de la conversation avec notre
interlocutrice, au milieu des
interventions multiples : pourquoi
ont-ils quitté leur maison à Ghouta ?
« Parce que ce qu’elle voyait à la télé
lui faisait peur et elle ne voulait plus
sortir et ils ont décidé de partir, de
venir ici où est sa famille. Son mari
était chauffeur de taxi là-bas. Elle a
décidé rapidement avant que quelque
chose ne lui arrive. Elle ne veut rien
savoir de Ghouta. Quand il y a eu les
événements à Qâra [novembre 2013] ils
sont à nouveau repartis, cette fois à
Aarsâl, au Liban ; elle y est restée un
mois. [Pendant toute notre visite
je remarque que les petits ne touchent
pas aux biscuits, peut-être leur a-t-on
dit de nous les laisser].
m-a : Son mari a pu continuer à
travailler ici ? Oui, il avait trouvé
une voiture, pas un taxi, un camion
citerne. "Quand ils l’ont pris, il
partait chercher des affaires à Damas,
mais pas avec son camion citerne".
Elle a des aides pour elle et sa famille
? « Elle lave des tapis pour les gens, à
un lavoir » ; on a vu ces tapis étendus
sur la murette à l’entrée de la maison ;
« elle gagne de l’argent comme ça. Elle
a des aides du Croissant-Rouge mais pas
de l’Etat : "si quelqu’un est
fonctionnaire, il a des allocations,
sinon rien" (sic). A la fin de la crise
elle ne retournera pas là-bas où elle
était en location, ici elle est chez
elle.
m-a : est-ce que les enfants parlent de
la disparition de leur père ?
-"Qu’est-ce qu’ils peuvent dire ?" Elle
pleure. Ne peuvent-ils rien dire ?
R. me dira ensuite que ceux qui nous ont
introduites ont trouvé mes questions
déplacées, « des questions de
journaliste ». Qu’attendait-on de nous ?
Nous sommes venues en tant que
voyageuses, questionnant sur la vie
quotidienne des gens que nous
rencontrons. Il était essentiel, pour
moi en tout cas, de poser des questions
sur les raisons et les circonstances du
« déplacement » de nos hôtes. Celle qui
nous a reçues a parlé d’abord de
l’accident de son fils et questionnées
sur ses effets présumés ; lui avait-on
dit que R. et moi étions psychologues ?
En tout état de causes une
« consultation », la plus imprévue et
improvisée soit-elle, sur des effets
présumés traumatiques ne se passe pas
d’un minimum d’anamnèse, y compris sur
la situation familiale, surtout avec une
disparition -énigmatique, telle que je
l’ai entendue- du père.
A la fin de notre visite quand nous sommes debout pour partir le jeune
accidenté n’est pas loin de moi et, en
lui serrant la main pour le saluer, je
lui dis -en français et demande à R. de
lui traduire- qu’il est important pour
le moment, pour lui et pour sa famille,
qu’il continue à aller en classe,
travailler. Emballé c’est pesé ?
Peut-être, mais le très bref échange
avec ce jeune garçon a sans aucun doute
été pour moi le meilleur moment de cette
visite qui me laisse par ailleurs
quelques interrogations.
Le soir je suis fourbue ; et interrogative après les rencontres de cette
journée et les discussions qu’elles
provoquent, y compris entre nous trois
dans la chambre du monastère. Les
traumatismes de guerre et de la guerre
travaillent l’intimité et la vie sociale
de tous ceux qui y sont confrontés,
victimes, témoins et visiteurs[8].
Avec leurs effets dits secondaires,
nocifs ou faussement bénéfiques, qui
peuvent égarer chaque sujet happé plus
ou moins directement dans cette
situation confuse et tragique.
Toutes choses à questionner et analyser sans préjugés ni a priori,
pseudo scientifiques ; et politiques. La
résistance à l’agression, l’action pour
préserver justice et dignité, la
reconstruction matérielle et la
réconciliation en cours sont une part
essentielle aussi de la thérapie la plus
intime, à tout âge, chacun selon ses
moyens, là où il est. En Syrie comme
ici.
m-a patrizio
Marseille,11 décembre 2015
Merci, une fois de
plus, à Dominique de France pour sa
contribution à la précision et à la
logique des textes des entretiens.
[1]
Le Croissant-Rouge syrien fait
partie de la Fédération
Internationale des Sociétés de
la Croix-Rouge et
Croissant-Rouge.
[2]
A mon retour, j’ai
rencontré
dans la région
marseillaise une fillette
syrienne qui était dans cette
école, à Damas, jusqu’à son
départ il y a trois mois ; l’an
dernier un tir de mortier des
« rebelles » de Douma a tué une
de ses amies, sous ses yeux.
[3]
Par contre : « Les « Forces
démocratiques
(sic) de Syrie »,
pseudo-parti politique créé
par les puissances
coloniales (France, Israël,
Royaume-Uni) pour masquer le YPD
(Kurdes de Syrie), ont décrété
la conscription obligatoire des
jeunes de 18 à 30 ans. De
nombreux Kurdes, opposés à
la création
d’un
pseudo-Kurdistan dirigé
par le clan Barzani, fuient les
camps de réfugiés en Irak et en
Turquie pour ne pas être
contraints de se battre pour ce
projet »,
http://www.voltairenet.org/article189398.html
.
[4]
Institut Français du
Proche-Orient, voir à ce sujet :
http://palestine-solidarite.org/analyses.marie-ange_patrizio.270214.htm
[5]
Cette variété -bigarreau
napoléon- à cause de sa taille
et de sa fermeté est utilisée
dans la confiserie, dans le
Vaucluse. Avant l’embargo
l’importation revenait
moins cher pour les confiseurs
européens.
[6]
Dons déductibles fiscalement,
par le biais d’une organisation
française : traçabilité garantie
du donneur au consommateur.
[7]
http://www.24heures.ch/monde/accord-ue-aide-turquie/story/24803034
[8]
et bourreaux, sans aucun doute ;
autre histoire que travaille le
processus pour la réconciliation.
Voir à ce propos l’entrevue
accordée par le Président
Bachar al-Assad à la télévision
tchèque le 1er décembre
2015 [Texte intégral transcrit
et traduit par Mouna Alno],
question 11 :
« le processus politique a
deux aspects : l’un d’eux est de
traiter avec l’opposition
politique, l’autre est de
traiter avec ces groupes
[armés]. En Syrie nous désignons
ce deuxième aspect par « le
processus de réconciliation »
qui fait que nous accordons l’amnistie
à ceux qui déposent leurs
armes et retournent à une vie
normale.
Intervention : À
vos conditions ?
Président al-Assad : Non, il
s’agit d’une
amnistie avec reprise d’une vie
normale. Dans ce cas, l’amnistie
est totale sans aucune
condamnation retenue contre
vous. Vous êtes libre de mener
votre vie, une vie normale,
paisible, sans combat armé, sans
terroriser les gens. En Syrie,
ce processus de réconciliation
a réussi plus que tout
autre processus politique ».
http://www.mondialisation.ca/entrevue-avec-le-president-syrien-bachar-al-assad-nous-devons-proteger-notre-pays-des-terroristes-soutenus-par-des-puissances-regionales-et-par-loccident/5493348
>>> Partie 4
>>> Partie 3
>>> Partie 2
>>> Partie 1
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|