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Maria
Gideon
Lévy
Haaretz, 15 juin 2006
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=726896
Maria
Aman, la fillette qui a perdu sa mère, son frère et sa grand-mère
à cause d’un missile israélien (1),
a été transférée, paralysée et sous assistance respiratoire,
vers un centre de réhabilitation à Jérusalem, après avoir
failli être renvoyée mourir lentement à Gaza
Tout
est bien qui finit bien ? Ce n’est ni la fin ni bien.
Maria, une fillette paralysée et sous assistance respiratoire, a
été transférée cette semaine à l’hôpital des enfants
« Alyn » à Jérusalem, alors qu’Israël avait déjà
annoncé son retour à Gaza. Maintenant la fillette, qui a perdu
il y a environ un mois sa mère, son frère et sa grand-mère, va
devoir suivre un programme de revalidation qui durera de longs
mois et au terme duquel, peut-être, peut-être pourra-t-elle au
moins respirer par ses propres moyens, parler et même se lever de
son lit. Les médecins estiment à environ six mois le temps de
son hospitalisation dans cet hôpital réputé. Son père sera à
ses côtés, emprisonné dans l’hôpital, pendant que
l’attendra chez lui, à Gaza, Mouaman, son petit garçon de six
ans, orphelin de mère.
Les
deux enfants, Maria et Mouaman, sont des rescapés de « l’assassinat
ciblé » sorti de la production de la force aérienne et
qui visait Mohamed Dahdouh du Jihad Islamique, mais avec qui
quasiment toute une famille a été fauchée, de façon ciblée.
N’avait été l’intervention de l’Association des Médecins
pour les Droits de l’Homme et la réponse du Ministre de la Défense,
Amir Peretz, qui a œuvré au financement du programme de réhabilitation
de la fillette, celle-ci aurait été envoyée à Gaza où il
n’existe pas le moindre hôpital de réhabilitation, pour y
mourir lentement. Cette semaine, une solution semblable a encore
été recherchée pour son oncle Nahed, lui aussi paralysé et mis
sous assistance respiratoire à la suite de l’assassinat, et père
de deux petites filles en bas âge.
Le
général Dan Halutz était tout particulièrement fier de
l’action de sa force aérienne : au terme de
l’investigation menée par l’armée israélienne, le chef d’état-major
a indiqué que l’attaque avait été opérée avec « un
grand professionnalisme » et une grande « précision
de jugement ». Voici alors une proposition pour ce sensible
chef d’état-major, ancien commandant de la force aérienne, à
qui nulle souffrance humaine n’est étrangère : qu’il
veuille bien se donner la peine de se rendre à l’hôpital Alyn
de Jérusalem pour voir de ses propres yeux le « grand
professionnalisme » et la « précision
de jugement » de ses pilotes. Peut-être faudrait-il
aussi y envoyer tous les élèves pilotes, peu avant qu’ils ne
sortent pour leurs missions de mort, afin qu’ils voient de leurs
yeux le résultat qui n’apparaît jamais sur les écrans de
leurs ordinateurs sophistiqués : une jolie petite fille,
dont tout le petit monde est dévasté, et les membres d’une
joyeuse famille qui étrennaient la voiture qu’ils venaient
d’acheter, brisés, secoués par le deuil, rendus orphelins,
infirmes.
Le
vernis rouge qui avait été appliqué avec soin sur les
petits ongles s’écaille déjà. La peau des mains se ratatine.
Seuls les cheveux et les yeux ont gardé leur beauté, comme sur
les photos. Vendredi passé, pour la première fois depuis
qu’elle a été blessée, Maria a vu son papa et sur ses lèvres
s’est dessiné un premier faible sourire. Trois semaines sans
maman ni papa, avec la seule présence du frère du grand-père :
paralysée et sous assistance respiratoire, placée dans une
attelle, incapable de bouger quoi que ce soit sauf les lèvres, et
ignorant que sa mère, son frère et sa grand-mère ne sont plus.
Elle
n’est pas la dernière : après elle il y a eu, vendredi
soir, les enfants de la famille Ghalia, blessés et tués sur la
plage, non loin de la maison de Maria, à Gaza. Elle n’était
pas la première non plus : ces derniers mois, nous avons
parlé ici d’Omar Abou Ouarda, qui cultivait des agrumes (2),
de Moussa Al-Swarka, qui gardait des chameaux, de Hassan Al-Shafay,
qui cultivait des pastèques (3),
et de ces cultivateurs de fraises, les enfants de la famille Raban
tués le premier jour de leurs vacances d’été par un tir de
nos forces armées (4).
Maryam Raban qui a perdu quatre fils, un petit-fils et deux neveux
dans le champ de fraises, est venue cette semaine rendre visite à
la famille Ghalia pour partager sa douleur. Redoublement de
l’horreur : il apparaît que Maryam est la sœur d’Ali
Ghalia tué vendredi soir sur la plage, sous les yeux de sa fille
hurlant, et qu’elle est la tante des cinq enfants qui y ont été
tués. Tels sont les liens du sang à Gaza.
Lorsque
nous avions rencontré Maryam Raban après sa tragédie, elle
avait seulement demandé que les soldats du char qui avaient tiré
l’obus meurtrier sur ses enfants comparaissent en justice. De la
bouche du père de Maria, Hamdi Aman, est sortie une demande
semblable lors de notre visite chez lui dans le quartier de Tel
Al-Hawa, quelques jours après la tragédie : amener le
pilote qui a tiré le missile à comparaître devant un tribunal.
Dimanche,
Hamdi et son oncle Nabil, le regard brouillé, étaient assis dans
la pièce réservée aux familles, à côté du département des
soins intensifs de l’hôpital des enfants à Tel Hashomer. Maria
était alitée dans la chambre toute proche. Les efforts des
intercesseurs avaient abouti et ce jour-là, Maria était sur le
point d’être transférée à « Alyn », au lieu de
Gaza. Quelques jours plus tôt, quand je m’étais rendu dans ce
département, Nabil était seul au chevet de Maria, ne bougeant
pas de là, de jour comme de nuit, trois semaines entières, et
l’hôpital avait annoncé qu’elle était sur le point d’être
renvoyée à Gaza. Le père, Hamdi, ayant appris la nouvelle chez
lui par téléphone, a poussé des cris de désespoir. Dimanche,
à côté du lit de Maria, un moment avant son transfert à l’hôpital
« Alyn », Hamdi était déjà plus paisible.
Le
numéro de téléphone de « Ezer Mizion » [organisation
d’assistance aux malades - NdT] et « Observe
le jour du shabbat pour le sanctifier » sont affichés
dans la pièce réservée aux familles, où séjournent des
membres de familles palestiniennes : un grand-père de Rafah
qui est depuis déjà 40 jours d’affilée au chevet de son tout
jeune petit-fils qui a subi une opération au cœur, un père de
Tulkarem au chevet de son bébé et un oncle de Gaza venu auprès
d’un être aimé. Il leur est interdit, à chacun d’eux, de
sortir de cet hôpital, aux termes du précieux permis de séjour
qu’ils ont réussi à obtenir, et leurs cartes d’identité ont
été déposées chez l’officier de sécurité qui contrôle
leur présence en permanence. Personne ne se soucie de leur donner
à manger. Les nuits, ils les passent sur des lits superposés
dans la pièce voisine. Certains d’entre eux se trouvent ici
pendant des mois. Voici Ramzi Hashash, originaire du camp de réfugiés
de Balata mais habitant Jisr al-Zarqa en Israël, qui a perdu deux
de ses enfants dans une mystérieuse explosion qui s’est
produite dans la maison de son père dans le camp de réfugiés de
Balata et dont les deux enfants qui lui restent sont hospitalisés
ici avec de très graves brûlures. Nous l’avions rencontré
tout de suite après la tragédie, en février. Cela fait quatre
mois qu’il n’a pas bougé d’ici, même un instant. Ses
enfants, Amir et Roni, brûlés sur tout le corps, circulent déjà
dans les couloirs et sur son téléphone portable, leur père peut
montrer des photos d’eux avant la tragédie et aussi après, le
visage couvert d’un masque effrayant. L’épouse israélienne
de Ramzi est elle aussi ici, après avoir été hospitalisée il y
a quelques semaines dans un état mental grave, et maintenant
Ramzi ne la laisse pas un instant seule avec leurs deux enfants brûlés.
Hamdi
Aman a lui aussi arrangé une modeste présentation de sa tragédie
sur l’écran de son téléphone portable. Au son d’une musique
arabe de deuil, apparaissent ses victimes : voici la photo de
Naima, son épouse, 27 ans, voici leur fils Mouhand, six ans, et
voici Hanan, sa mère de 46 ans. Et puis voici la photo de Maria,
avant et après. Hamdi regarde et pleure, regarde et sanglote.
« Voyez : une
jolie petite fille. Qu’avait-elle fait ? »
Hier,
il voulait se rendre à l’hôpital Ikhilov [à
Tel Aviv] pour voir son oncle blessé, mais il lui est
interdit de sortir des portes de l’hôpital de Tel Hashomer. Sa
sœur a accouché hier à Gaza d’une petite fille appelée En
Palestine Hanan, à la mémoire de sa grand-mère. Son frère
Mohamed lui a déjà promis que s’il avait un fils, il perpétuerait
le souvenir du petit Mouhand.
Un
coup de téléphone pour Hamdi depuis le barrage d’Erez :
Yankele dit que Hamdi doit venir immédiatement au barrage, pour
modifier son permis de séjour en fonction du nouveau lieu :
l’hôpital Alyn. Hamdi écoute, le visage penché, ne parvenant
pas à se décider. Aller maintenant à Erez ? Comment s’y
rendre ? Comment en revenir ? Yankele se ravise et dit
que Hamdi peut « entre
temps » se rendre à Jérusalem « et
après on verra ». Le conseiller en communication du
Ministre de la Défense, Ilan Ostfeld, téléphone pour expliquer
que dès que le Ministre a été mis au courant du projet
d’envoyer Maria à Gaza, il a ordonné de s’occuper du
financement de la poursuite du traitement en Israël, quelle
qu’en soit la durée. Il serait intéressant de savoir si le
Ministre de la Défense partage le sentiment de son chef d’état-major
pour qui l’attaque a été exécutée avec « un
grand professionnalisme » et une grande « précision
de jugement ».
Ils
attendent maintenant l’ambulance qui viendra chercher Maria. Ils
préparent deux énormes sacs contenant des jouets et des jeux que
de braves Israéliens ont envoyés ou apportés. La fillette gît,
immobile, dans son lit, regardant fixement ce qui se passe avec
des yeux tristes. Un petit mouton blanc tout laineux est posé sur
son épaule.
L’ambulance
de réanimation du Magen David Adom fait la route jusque Jérusalem.
Tout le monde s’y est serré : Hamdi, Nabil et Maria et
avec eux l’équipe médicale. Le tube de respiration est fixé
au cou de Maria, relié directement à la trachée. A côté de ce
tube-là, pénètrent d’autres tubes. Les yeux de l’enfant
sont fermés. « Nous
ferons tout pour la faire progresser mais cela prendra beaucoup de
temps », explique à Hamdi, avec un accent américain,
un médecin portant kippa, le Dr Eliezer Be’eri, directeur du département
de revalidation respiratoire, à son arrivée à l’hôpital Alyn.
Hamdi
et Nabil semblent un peu ébahis par ce nouvel endroit. Hamdi est
plein de gratitude, Nabil s’inquiète de savoir où ils pourront
passer la nuit et s’il sera possible de mettre une chaise près
du lit. La directrice de l’hôpital, le Dr Shirley Meyer,
s’occupe de Maria, prenant soin d’elle avec dévouement. Un
enfant juif orthodoxe, paralysé, est alité près de Maria, dans
sa nouvelle chambre. Hamdi dit : « Le
malheureux ». Maria observe ce qui se passe autour
d’elle.
« L’infirmière
en chef s’appelle Inga et elle répondra à toutes vos questions »,
explique la directrice, Shirley Meyer, avec un fort accent
australien. L’hôpital est impressionnant. Des enfants et des
adolescents, arabes et juifs, frappés du sort, paralysés et
difformes, circulent en fauteuil roulant dans les couloirs
spacieux et étincelants. La fenêtre de la chambre de Maria donne
sur un paysage de pinède comme elle n’en a encore jamais vu. Le
docteur Be’eri poursuit ses explications à l’adresse de Hamdi
et Nabil : « Cela
peut prendre des mois. Nous verrons comment elle progresse, mais
il faut de la patience. Ce n’est pas comme une maladie où l’état
du patient s’améliore en quelques jours. Nous avons d’autres
enfants avec un problème comparable et je suis sûr que vous
parlerez avec eux et que vous entendrez. Cela prendra beaucoup de
temps et l’amélioration sera progressive. Cela prendra beaucoup
de temps avant qu’elle puisse s’asseoir et cela prendra
beaucoup de temps avant qu’elle puisse se tenir debout pour la
première fois. Pour le moment, elle est incapable de parler,
incapable de faire sortir un son, mais elle parlera. Nous
travaillerons à ce que vous puissiez communiquer avec elle. Vous
verrez qu’il y a beaucoup d’enfants ici, mais chacun a une
histoire différente. Cela ne veut pas dire qu’elle sera comme
eux ».
Hamdi
raconte au docteur Meyer que Maria lui a demandé, vendredi, juste
avec ses lèvres, où était maman. Alors le docteur Meyer lui
explique : « Nous
ne savons pas ce que l’enfant sait. Demain, nous organiserons un
entretien avec l’assistante sociale et elle vous expliquera
comment lui dire et quand. Il n’est pas bon de lui mentir mais
on vous expliquera quoi lui dire au juste, en fonction de son âge,
de sa compréhension et de la personne qui le lui dit. Il vaudrait
mieux que ce soit son papa qui lui dise. Apparemment, elle ne pose
pas de questions sur son frère et sa grand-mère. En général,
l’enfant cherche d’abord sa maman. En général, nous disons
que maman est très très fort blessée et qu’elle se trouve
quelque part loin, et quand l’enfant devient plus fort, on lui
dit la vérité ».
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
(1)
G. Lévy - « Attentat
ciblé » dans la Bande de Gaza : un Palestinien perd sa
mère, son épouse et son fils » www.palestine-solidarite.org/debat.Gideon_Levy.310506.htm
et
G. Lévy – Assassinat
ciblé www.palestine-solidarite.org/debat.Gideon_Levy.010606.htm
(2)
G. Lévy - Dans le verger,
à l’heure d’arroser www.palestine-solidarite.org/debat.Gideon_Levy.080606.htm
(3)
G. Lévy - Comme des
mouches www.palestine-solidarite.org/debat.Gideon_Levy.180506.htm |