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Comme des mouches
Gideon Lévy 



Haaretz, 18 mai 2006

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=717109

 

Un gardien de chameaux, âgé de 67 ans, et un cultivateur de pastèques, âgé de 49 ans, sont les dernières victimes des bombardements de l’armée israélienne en « terrains ouverts », à Gaza. Voilà ce que c’est que d’envoyer plus de 100 obus par jour – tout est ouvert.

Samedi, un gardien de chameaux a été tué au pâturage. Le lendemain, un cultivateur de pastèques était tué dans son champ. Deux paysans pauvres, pères et grands-pères de nombreux enfants et petits-enfants, que les obus de l’armée israélienne ont fauchés. Dans les deux cas, l’armée israélienne a essayé de se dérober à sa responsabilité : déclarant à propos du gardien de chameaux, Moussa Al-Swarka, qu’ « il n’y a eu aucun tir de canon en direction de Beit Lahiya » et à propos de la mort de l’agriculteur, Hassan Al-Shafay, que « le compte-rendu palestinien est rempli de contradictions et éveille des doutes ». Aucun doute : les deux hommes ont été tués par des obus de l’armée israélienne qui en a tiré, au cours du mois et demi écoulé, plus de 5000 sur le nord de la Bande de Gaza, une moyenne de 110 obus par jour, plus de quatre obus par heure, tous en « terrains ouverts ». Cette semaine, le porte-parole de l’armée israélienne a communiqué la réponse suivante à propos de la mort des deux paysans : « Dans les deux cas dont il est question, l’armée israélienne a exécuté un tir d’artillerie en direction d’une cible précise, inhabitée, dans la région de Beit Lahiya, d’où ont lieu des tirs à trajectoire courbe. Un examen balistique réalisé par nos forces a révélé qu’il n’y avait eu aucune déviation de tir. »

Lundi, le lendemain de notre visite sur ce champ de tir, un autre paysan, Nabil Marouf, a encore été blessé dans la même zone et emmené à l’hôpital. Peut-être ce compte-rendu sera-t-il lui aussi jugé « rempli de contradictions et de doutes » et l’examen montrera-t-il qu’aucun tir n’a été dévié. Seul le paysan dévie : il se lève le matin pour son travail de la journée, s’en va au champ ou au pâturage et ne revient pas. Il laisse derrière lui femmes, enfants et petits-enfants ; ils sont des dizaines, avec la douleur du deuil. Encore un millier d’obus et une centaine de tués et peut-être tous ces paysans misérables se sauveront-ils d’ici : Israël aura alors encore une « bande de sécurité », cette fois-ci dans le nord de la Bande de Gaza.

Les restes de Dougit sont visibles en bord de mer dans le nord de la Bande de Gaza. A cause de cette colonie, toute liberté de mouvement était interdite dans le passé aux bédouins habitant la région de Siafa. Pendant des années, ils n’ont pas pu approcher de la côte occupée. Des réfugiés qui avaient fui Ashdod de justesse pour arriver jusqu’ici et mener une vie misérable de réfugiés, se retrouvent maintenant à regretter déjà le temps des colonies, celui où au moins on ne bombardait pas leurs maisons et leurs pâturages avec des dizaines d’obus semant la mort, la destruction, la terreur. Ici aussi, entre la liberté et la sécurité, on préfère la sécurité.

Moussa Al-Swarka était lui aussi un réfugié. Né dans les dunes d’Ashdod, il aura passé la plus grande partie de sa vie dans les dunes de Siafa, près de Beit Lahiya, dans une misère abominable, jusqu’à ce qu’il soit contraint, il y a une quinzaine de jours, de fuir sa cabane touchée par des obus de l’armée israélienne. Réfugié pour la seconde fois. A 67 ans, ce pasteur ne menait plus paître que ses cinq chameaux, laissant à ses fils le soin du petit bétail. Trois enfants, dix petits-enfants, il a fui de peur que les obus n’atteignent la maison de son fils, Salim, une baraque moitié toile moitié tôle plantée dans le sable où les vêtements de la famille sont dispersés de tous côtés. Un âne appartenant à la famille a été tué quand la maison a été bombardée il y a environ deux semaines.

Samedi passé, une nouvelle série d’obus a atterri dans cette zone. Moussa et Salim s’étaient rendus en ville, à Beit Lahiya tout proche, pour en revenir à midi. Les tirs s’espaçant, ils sont partis pour le pâturage. Moussa a emmené les chameaux en prenant la direction des ruines de Dougit. Au cours de l’après-midi, le bombardement a repris. S’inquiétant pour lui, Hadra, l’épouse de Moussa, s’est dépêchée d’aller jusqu’au pâturage. En approchant, elle a aperçu son mari étendu sur le sable. Elle était convaincue qu’il essayait de s’abriter des obus. Mais quand elle s’est approchée davantage et qu’elle lui a crié de se relever, elle a découvert que Moussa était déjà mort. Postés sur une butte de sable qui domine la zone et où se trouvait une position de l’armée israélienne quand elle veillait sur Dougit, des soldats palestiniens de la « Sécurité Nationale » se sont empressés de l’éloigner de l’endroit.

Un éclat d’obus avait atteint Moussa à la tête. L’obus était tombé à 20 ou 30 mètres de lui. Deux de ses chameaux ont également été blessés par des éclats. Il était déjà six heures du soir. Une ambulance palestinienne a évacué Moussa vers un hôpital, pour constater le décès.

« Si seulement les colonies étaient restées ! C’était plus sûr pour nous », dit Hadra, sa veuve. « Ces diables veulent tirer et c’est nous qui sommes punis. Les diables, ce sont ceux qui tirent des roquettes Qassam. Ceux-là tirent sur ceux-là et c’est nous qui sommes punis. » Elle dit que les tirs de Qassam se font à une distance d’environ deux kilomètres seulement de leur maison.

Deux jours après la mort de Moussa, un autre obus a touché deux filles de la famille parties cueillir de l’herbe pour les bêtes. Camla et Nawal, deux belles-sœurs de 25 et 33 ans. L’une d’elle, grièvement blessée au dos, est maintenant hospitalisée à Beit Lahiya. Hadra : « Si seulement tous les Qassam pouvaient ne tomber qu’en terrains ouverts et ne toucher aucune maison israélienne et que les obus ne blessent personne chez nous ».

Dehors, un chameau pousse un grognement. Des éclats d’obus dans le sable, un cratère d’obus dans la cour des voisins. Les murs en tôle ondulée troués par des éclats. Les cheminées de la centrale électrique d’Ashkelon, dans le lointain. Les enfants des voisins sont accroupis sur leur lopin à cueillir des pommes de terre : encore un « terrain ouvert » promis à la prochaine calamité de l’armée israélienne. Sur le trajet vers l’ouest à travers les dunes, en direction du pâturage de Moussa, vers son ancienne maison et l’endroit de sa mort, on passe devant les ruines de Dougit. Un cerf-volant blanc flotte dans le ciel. La mer est bleue. Lorsque nous approchons de la maison de son père, Salim demande que nous repartions immédiatement : trop dangereux ici ; il craint le prochain obus.

Hassan Al-Shafay cultivait des fraises et des pastèques. Après avoir travaillé en Israël pendant des dizaines d’années, le plombier installateur de Beit Lahiya a été contraint, pour subsister, de se contenter de son petit lopin de terre à lui. 49 ans, neuf filles et deux fils, seize petits-enfants, ‘avec le mauvais œil’. Il a travaillé pendant des années dans la réfection chez le Juif Mati. Avant cela, il a travaillé avec Yossi. Sa veuve Sadiya n’a aucune idée si Yossi et Mati savent que leur installateur a été tué. Grâce aux fréquentes conversations téléphoniques de son mari dans les bonnes années, elle comprend un peu d’hébreu.

Elle est assise chez elle, habillée de noir, entourée de ses belles filles et de ses nombreux petits-enfants. Tous ont le visage accueillant. Dimanche passé, son mari s’est levé le matin, il a bu du café, attendu son ouvrier puis, ensemble, ils sont partis dans sa petite Renault pour aller arroser le champ de pastèques, à un kilomètre de la maison. Une heure plus tard environ, Sadiya a entendu une salve de sept obus. Elle s’est hâtée d’appeler le téléphone portable de son mari mais il n’a pas répondu. Elle a pressé un de ses fils à courir jusqu’au champ pour voir comment allait le père mais le fils a tardé à revenir. Entre-temps sont arrivés les voisins. Ils avaient entendu à la radio qu’un paysan avait été tué dans cette zone et ils accouraient chez elle. Ils lui ont d’abord dit qu’il était blessé, puis qu’il avait été tué.

L’ouvrier était en état de choc et n’a pas émis un son de toute la journée. Le lendemain, il a raconté à la veuve avoir vu Hassan être touché par un éclat puis tomber, et qu’alors il a fui. L’éclat avait touché Hassan dans le dos. Sa photo est au mur. Les pastèques sont encore petites mais leur sort est déjà réglé : l’ouvrier n’est pas prêt à retourner dans le champ.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)


 Source : Michel Ghys


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