Opinion
Israël-Iran: La
guerre asymétrique 4/4
René Naba
Samedi 26 janvier
2013 Le
Hezbollah et la crise du modèle
occidental de guerre limitée de haute
technologie. Paris -Le
Hezbollah reprendra à son compte le
principe de l’asymétrie obtenant en 2000
le retrait israélien du Liban, premier
dégagement militaire israélien d’un pays
arabe, non assorti de négociations ni de
traité de paix. Il récidivera six ans
plus tard, en 2006, à un degré élevé de
sophistication dans sa guerre balistique
contre Israël. Le choix de missiles
s’explique par des raisons économiques
et stratégiques. Un missile infiniment
moins cher qu’un avion, son entretien
est moins couteux. Son entreposage est
plus discret et sa visibilité moins
attentatoire à la souveraineté de l’Etat
libanais, titulaire en théorie du
monopole de la force armée
réglementaire.
Face à la puissance de feu de son
ennemi et à l’hostilité quasi générale
des monarchies arabes, le Hezbollah a
innové par une nouvelle méthode de
combat, concevant un conflit mobile dans
un champ clos, une novation dans la
stratégie militaire contemporaine,
doublée d’une audacieuse riposte
balistique, à la grande consternation
des pays occidentaux et de leurs alliés
arabes. «Malgré l’engagement de
l’équivalent de l’armée de terre et
l’armée de l’air françaises, les
Israéliens ont échoué à vaincre au Liban
quelques milliers d’hommes retranchés
dans un rectangle de 45 km sur 25 km, un
résultat tactique surprenant,
probablement annonciateur d’un phénomène
nouveau, la fin une ère de guerres
limitées dominées par la haute
technologie occidentale.
L’armée israélienne découvre alors
que ses adversaires se sont parfaitement
adaptés face au feu aérien israélien, le
Hezbollah ayant développé une version
«basse technologie» de la furtivité,
combinant réseaux souterrains,
fortifications et, surtout, mélange avec
la population.
Le Hezbollah, légèrement équipé,
maîtrisant parfaitement son arsenal,
notamment antichar, a mené un combat
décentralisé, à la manière des
Finlandais face aux Soviétiques en 1940.
Il a pratiqué aussi une guerre totale,
tant par l’acceptation des sacrifices
que par l’intégration étroite de tous
les aspects de la guerre au cœur de la
population. En face, l’armée d’Israël
s’est engagée dans une ambiance de «zéro
mort», et a échoué.
Au bilan, Israël a perdu 120 hommes
et 6 milliards de dollars, soit presque
10 millions de dollars par ennemi tué,
et ce, sans parvenir à vaincre le Parti
de Dieu. À ce prix, sans doute eut-il
été tactiquement plus efficace de
proposer plusieurs centaines de milliers
de dollars à chacun des 3 000
combattants professionnels du Hezbollah
en échange d’un exil à l’étranger»
estimera un stratège français au Centre
français de doctrine d’emploi des forces
(armée de terre), chargé du retour
d’expériences des opérations françaises
et étrangères dans la zone
Asie/Moyen-Orient.
Tableau
comparatif de la progression de la
puissance de feu 1967-2006
Selon les précisions du Sayed Hassan
Nasrallah, le 12 Mai 2012, dans un
discours prononcé à l’occasion de la
célébration de la reconstruction de la
banlieue sud de Beyrouth, l’aviation
israélienne a effectué, lors 3eme Guerre
israélo-arabe de juin 1967, 4.338
sorties aériennes sur les fronts de
Syrie et d’Egypte, contre 15.500 sorties
lors de la guerre du Liban, soit trois
fois plus, en 2006 contre le Hezbollah,
dont dix mille raids.
Pour l’artillerie, en 1967, sur les
deux fronts de Syrie et d’Egypte,
l’artillerie israélienne a tiré 75.000
obus, contre 177.000 obus contre les
positions du Hezbollah au sud-Liban et
la banlieue sud de Beyrouth.
Au total douze mille milliards de
dollars la somme perdue suite aux
guerres qui ensanglantent l’ensemble du
Proche-Orient depuis 1991, selon
Strategic Foresight Group (SFG), un
groupe de réflexion basé en Inde et
soutenu par la Suisse, la Norvège, le
Qatar et la Turquie (1).
Au-delà de
cette gesticulation guerrière, trois
vérités s’imposent: -1re
vérité: Le Monde arabe est redevable à
l’Iran d’une part de sa culture et
l’Islam d’une partie de son rayonnement,
qu’il s’agisse du philosophe Al Fârâbî,
du compilateur des propos du prophète,
Al Boukhary, du linguiste Sibawayh, du
théoricien du sunnisme Al Ghazali, des
historiens Tabari et Shahrastani, du
mathématicien Al Khawarizmi
(Logarithmes), et naturellement du
conteur du célèbre roman Kalila wa
Doumna, Ibn al Mouqaffah ainsi
qu’Avicenne (Ibn Sinna). De même,
l’expansion de l’Islam en Asie centrale
aux confins de la Chine n’a pu se faire
sans le passage par la plateforme
iranienne.
2me vérité: Le Monde arabe est redevable
à l’Iran d’un basculement stratégique
qui a eu pour effet de neutraliser
quelque peu les effets désastreux de la
défaite arabe de juin 1967, en
substituant un régime allié d’Israël, la
dynastie Pahlévi, le meilleur allié
musulman de l’Etat hébreu, par un régime
islamique, qui a repris à son compte la
position initiale arabe scellée par le
sommet arabe de Khartoum (Août 1967) des
«Trois NON» (non à la reconnaissance,
non à la normalisation, non à la
négociation) avec Israël.
Il a ainsi offert à l’ensemble arabe
une profondeur stratégique en le
libérant de la tenaille israélo
iranienne, qui l’enserrait dans une
alliance de revers, compensant dans la
foulée la mise à l’écart de l’Egypte du
champ de bataille du fait de son traité
de paix avec Israël. La Révolution
Islamique en Iran a été proclamée le 9
Février 1979, un mois avant le traité de
Washington entre Israël et l’Egypte, le
25 mars 1979.
En retour, les Arabes, dans une démarche
d’une rare ingratitude, vont mener
contre l’Iran, déjà sous embargo, une
guerre de dix ans, via l’Irak, éliminant
au passage le chef charismatique de la
communauté chiite libanaise, l’Imam
Moussa Sadr (Libye 1978), combattant
dans le même temps l’Union soviétique en
Afghanistan, le principal pourvoyeur
d’armes des pays du champ de bataille
contre Israël.
3me vérité: Le Monde arabe s’est
lancé, au-delà de toute mesure, dans une
politique d’équipements militaires,
pendant un demi-siècle, payant rubis sur
ongle de sommes colossales pour
d’arsenal désuets, pour des livraisons
subordonnées à des conditions politiques
et militaires draconiennes, alors que,
parallèlement, les Etats-Unis dotaient,
gracieusement, Israël de son armement le
plus sophistiqué.
Le
différentiel de traitement entre Arabes
et Israéliens. Israël a
bénéficié, à ce titre, de cinquante et
un (51) milliards de dollars de
subventions militaires depuis 1949, la
majeure partie depuis 1974, plus
qu‘aucun autre pays de la période
postérieure à la II me Guerre mondiale,
selon une étude du spécialiste des
affaires militaires Gabriel Kolko, parue
dans la revue «Counter punch» en date du
30 mars 2007.
A cette somme, il convient d’ajouter
11,2 milliards de dollars de prêts pour
des équipements militaires ainsi que 31
milliards de dollars de subventions
économiques, sans compter la promesse de
George Bush Jr, au terme de son mandat,
de fournitures de l’ordre de trente
milliards de dollars, dont des missiles
à guidage laser, des bombes à
fragmentation, des bombes à implosion,
un dôme d’acier de protection anti
balistique, en vue de préserver la
suprématie militaire israélienne au
Moyen Orient.
A deux reprises au cours du dernier
quart de siècle, les pays arabes ont
participé à des guerres lointaines par
complaisance à l’égard de leur allié
américain, parfois au détriment des
intérêts à long terme du Monde arabe,
s’aliénant même un allié naturel,
l’Iran, un voisin millénaire, dans la
plus longue guerre conventionnelle de
l’époque contemporaine, sans pour autant
bénéficier de la considération de leur
commanditaire américain.
A l’apogée de sa puissance, au plus
fort de son alliance avec l’Iran,
l’Amérique n’a jamais réussi à faire
restituer à leur propriétaire arabe
légitime les trois îlots du golfe,
propriété d’Abou Dhabi: Abou Moussa et
les deux iles Tumb, occupés par le Chah
d’Iran, dans la décennie 1970.
En phase de puissance relative,
l’Amérique saura-elle, à tout le moins
protéger durablement ces relais
régionaux, au moment où ses déboires en
Irak et en Afghanistan la place sur la
défensive, alors qu’en contrepoint,
l’Iran, fort de sa maîtrise de la
technologie nucléaire et des succès
militaires de son allié libanais, le
Hezbollah se pose en parfait
contre-exemple de la servitude
monarchique.
Plus précisément, alors qu’elle se
lance à la conquête de l’Asie pour y
endiguer la Chine, l’Amérique
pourra-t-elle protéger ses relais des
turbulences internes attisées par les
frasques monarchiques répétitives, en
parfait décalage avec les dures
conditions de la réalité quotidienne de
la multitude de leurs concitoyens et qui
gangrènent inexorablement les assises de
leur pouvoir.
Les Arabes ont trop souvent sacrifié la
stratégie à des succès tactiques à court
terme. Au point que l’un des plus actifs
partisans de la diplomatie
pétitionnaire, Leila Shahid, déléguée de
l’autorité palestinienne auprès de
l’Union européenne, a admis l’échec de
leur stratégie après la dernier
offensive anti israélienne contre Gaza.
Pour leur malheur et le nôtre.
L’exemple le plus patent est celui de
Khaled Mecha’al, le chef du Hamas,
bénéficiaire de l’hospitalité et de la
protection de la Syrie pendant seize
ans, qui ne mentionnera pas dans ses
remerciements les artisans de sa
victoire, se bornant à remercier le
Qatar, la Turquie et l’Egypte pour leur
soutien au combat anti israélien de
l’enclave, alors que les missiles à
longue portée tirés sur Israël ont été
fournis par la Syrie et l’Iran et que
dizaines des militants du Hezbollah et
des «Gardiens de la Révolution
iranienne» ont péri en transportant en
pièces détachées des missiles vers Gaza,
contournant de sérieux obstacles dressés
notamment de l’Egypte.
Sadate a détruit la ligne Bar lev
avec des missiles soviétiques, puis
s’est retourné contre Moscou, ralliant
les Etats-Unis. Lui comme Moubarak
deviendront captifs de la tenaille
israélo américaine. Ibidem pour le Hamas
Dans un pied de nez à son grand rival
américain, le Président Mahmoud Ahmadi
Nijad a effectué, fin décembre 2012, une
visite officielle en Irak en vue de
délimiter son territoire dans cette
ancienne chasse gardée américaine, un
mois avant le discours sur l’Etat de
l’Union du Président Barak Obama,
Au pouvoir en Iran et en Irak, par
effet d’aubaine dans ce dernier cas,
disposant de surcroît d’une redoutable
capacité de nuisance au Liban, les
Chiites constituent le groupement
ethnico-religieux qui a enregistré, en
trente ans, la plus forte progression
sur la plan de la dissuasion militaire
et de l’autosuffisance technologique
mettant en échec les menées hostiles du
camp atlantiste, alors que l’Islam
Wahhabite scellait sa soumission à l’axe
israélo-américain, sans la moindre
contrepartie sur le plan palestinien, ni
au niveau de la sécurisation de l’
espace national arabe, s’inscrivant dans
les annales de l’histoire comme le plus
gros exportateur de djihadisme
erratique. L’ingratitude ne constitue
pas toujours la forme la plus achevée de
l’intelligence politique.
Références
1 – Douze mille milliards de pertes
depuis 1991. Strategic Foresight Group
(SFG), groupe de réflexion basé en Inde
et soutenu par la Suisse, la Norvège, le
Qatar et la Turquie, a chiffré à douze
mille milliards de dollars la somme
perdue suite aux guerres qui
ensanglantent l’ensemble du
Proche-Orient depuis 1991. Ce coût
englobe aussi bien les pertes humaines
que les dégâts infligés à l’écologie,
aux répercussions sur l’eau, le climat,
l’agriculture, en passant par la
croissance démographique, le chômage,
l’émigration, la hausse des loyers, le
prix du pétrole, voire même l’éducation.
Le rapport de 170 pages se fonde sur 95
paramètres. Plus de cinquante experts
d’Israël, des territoires palestiniens,
d’Irak, du Liban, de Jordanie, d’Egypte,
du Qatar, du Koweït et de la Ligue arabe
ont participé à cette étude. Le
chercheur indien Sundeep Waslekar,
président du SFG, a précisé que sur
point il convenait de parler «d’une
cascade de coûts dont une partie n’est
pas quantifiable financièrement comme
les atteintes à la dignité humaine».
Le rapport pointe par exemple les
centaines de milliers d’heures de
travail perdues par les Palestiniens aux
check points (barrages israéliens). Il
révèle aussi que 91% des Israéliens
vivent dans un perpétuel sentiment de
peur et d’insécurité.
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