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Affaire Guigue : du devoir de réserve au
droit réservé ...
Jean-Claude Lefort
Jean-Claude Lefort - Photo : site JC Lefort
31 mars 2008
Le sous-préfet de Saintes, M. Bruno Guigue, vient d'être
brutalement démis de ses fonctions par sa ministre de tutelle au
titre qu'il aurait gravement dérogé au « devoir de réserve » qui
doit marquer sa haute fonction. Cela a fait grand bruit en
France mais aussi à l'étranger, il faut le savoir, notamment au
Proche et Moyen-Orient.
Examinons donc successivement les faits, puis la notion de
« devoir de réserve », voyons si elle a ou non un caractère
« universel » et tirons les conclusions de cette « affaire ».
1.
L’objet du délit ? Une tribune libre publiée sur Internet.
C’était sa 18ème contribution sur le site « oumma.com » signée
de son nom mais sans qu’il soit fait mention de sa fonction.
Selon le ministère, il a tenu à cette occasion des propos
« violemment anti-israéliens ». En conséquence, toujours selon
le ministère, il a manqué à son devoir de réserve et il a été
limogé sur le champ.
Dans la tribune libre incriminée, Monsieur Bruno Guigue
réagissait à un article paru dans « Le Monde » signé par
plusieurs intellectuels (1). Cet article était intitulé :
« L’ONU contre les droits de l’Homme ».
M. Guigue prenait alors sa plume pour défendre le droit
international et les institutions mises en place pour le
« dire » et « l’appliquer » selon la Charte des Nations unies.
Car cet article publié dans « Le Monde » le 27 février s’en
prenait violemment au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, et
à l’Organisation en tant que telle. Ils accusaient l’ONU de
vouloir, ni plus ni moins, « détruire » les principes énoncés
dans la Déclaration universelle des droits de l’homme tant,
selon eux, « depuis un certain nombre d’années, par ses dérives,
l’ONU s’est caricaturée ».
Et les auteurs de l’article paru dans le journal du soir s’en
prenaient, d’un même mouvement à la réunion, tenue en 2001 à
Durban en Afrique du Sud sous les auspices de l’ONU, la
« Conférence mondiale contre le racisme », au cours de laquelle
l’Etat d’Israël, notamment, avait été fortement mis en cause
pour sa politique d’occupation des Territoires palestiniens.
Maintes résolutions de l’ONU et du Conseil de sécurité disent
exactement la même chose, ce qui souligne et met en évidence le
fait que l’Etat d’Israël bafoue impunément le droit
international. Mais outre la mise en cause frontale de l’ONU,
cet article publié dans « Le Monde » avait un objectif clair qui
reste d’actualité : faire pression sur les pays européens pour
saborder la prochaine Conférence sur le racisme organisée par
l’ONU, dite Durban 2, alors que l’Etat d’Israël a déjà annoncé
qu’il la boycotterait.
Dans sa défense de l’Organisation des Nations unies, M. Guigue,
spécialiste du Proche-orient, citait le cas du conflit
israélo-palestinien dont on a retenu qu’une phrase qui énonce un
fait exact, à savoir que l’Etat d’Israël disposait « de snipers
(qui) abattent des fillettes à la sortie des écoles ».
C’est cette phrase qui a mis le feu aux poudres tandis que le
silence fut bien lourd quand le vice-ministre israélien de la
défense a brandi, le 29 février, la menace d’une « shoah »
contre le peuple palestinien. Cette seule phrase a été retenue
mais aussi qualifiée par un responsable politique français comme
étant de caractère « antisémite », ce qui est totalement faux et
d’un caractère qui est sujet à de possibles poursuites.
Voilà le « délit » considéré, toute affaire cessante, comme
étant « violemment anti-israélien ». Voilà qui est « reproché »
à un sous-préfet jeté en pâture.
2.
Cela nous conduit directement à examiner le second point : la
question du « devoir de réserve » auquel sont assujettis les
fonctionnaires, spécialement les hauts fonctionnaires.
Anicet Le Pors est le « père » du « statut général » qui régit
la fonction publique. Ministre, il a fait adopter en 1983 ce
statut reconnaissant explicitement que les fonctionnaires
étaient des citoyens comme les autres et qu’en conséquence « La
liberté d’opinion (leur) est garantie » (Article 6 de la loi du
13 juillet 1983).
Dans la discussion de cette loi, Anicet Le Pors s’est opposé à
un amendement visant justement à codifier « le devoir de
réserve » auquel sont contraints les fonctionnaires – « devoir
de réserve » à ne pas confondre avec le respect du « secret
professionnel » ou bien encore avec le devoir d’exécuter les
instructions que reçoit tout fonctionnaire de sa hiérarchie
« sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et
de nature à compromettre gravement un intérêt public » (Article
28 de la loi).
S’agissant du « devoir de réserve », le ministre a fait valoir
qu’il ne fallait pas le codifier car celui-ci est, pour Anicet
Le Pors, « une construction jurisprudentielle extrêmement
complexe qui fait dépendre la nature et l’étendue de
l’obligation de réserve de divers critères dont le plus
important est la place du fonctionnaire dans la hiérarchie »
(Assemblée nationale, le 3 mai 1983).
Le plus important étant donc : la place occupée par un
fonctionnaire dans la hiérarchie. Et s’il y a deux fonctions
qui, à ce titre, supposent clairement le respect du « devoir de
réserve », ce sont celles de préfet et d’ambassadeur. Ces deux
fonctions sont sensées exprimer et représenter la totalité de la
politique de l’Etat au service duquel lesdits fonctionnaires ont
été nommés.
Bien que M. Bruno Guigue ait publié bien d’autres écrits sur le
sujet du conflit israélo-palestinien, en particulier deux livres
(2), et bien qu’il n’ait jamais fait état de sa fonction, il est
juridiquement fondé de dire, en l’espèce, qu’il est sorti de son
« devoir de réserve ».
Mais on est alors obligé de se demander si ce qui est vrai pour
lui l’est en toutes circonstances, et donc pour tous les
fonctionnaires de haut rang. Autrement dit, il nous faut
vérifier si le « devoir de réserve » s’applique de manière
absolue ou non, s’il procède de l’arbitraire ou non.
On admettra volontiers qu’il ne peut y avoir aucune exception ou
dérogation à ce principe comme à tout principe.
3.
Le « devoir de réserve » est donc nécessairement valable pour
tous ou il n’est pas. Or il n’est pas. Je prendrais deux
exemples récents pour le démontrer.
Le premier concerne le préfet du Val-de-Marne, M. Tomasini, qui
en octobre 2006 est face au problème du « squat » des « 1000 de
Cachan ». L’imitateur Gérard Dahan, se faisant passer pour
Philippe de Villiers, l’appelle au téléphone le 3 octobre. Le
préfet le prend aussitôt au fil et, entre autres choses, lui dit
que les « squatteurs » veulent
« reconstituer un village africain en plein
Paris ». Il ajoute sans ambages : « Ce sont
principalement des Maliens et des Ivoiriens. Ces gens-là tuent
des gens chez eux mais ils nous donnent des leçons ». Le
faux Philippe de Villiers s’interroge s’il ne pouvait pas tout
de même prendre la défense des parents d’élèves.
Le préfet le stoppe. « Il faut savoir, dit-il,
que les parents d’élèves tous sont membres de la FCPE qui est
entre les mains du Conseil général qui est communiste ici. Et si
vous communiquez en disant « les pauvres parents d’élèves, les
pauvres enfants », bon oui, mais vous faîtes le jeu de la FCPE
et donc des communistes ». Ses propos ont fait le tour des
radios et des média. Interrogé sur la réalité de ceux-ci le
préfet Tomasini confirmait et assumait. Je me souviens avoir
écrit aussitôt au premier ministre de l’époque pour lui demander
de révoquer le préfet qui tenait des propos qui sentaient le
racisme et qui avait une position politique partisane absolument
contradictoire avec son « devoir de réserve » et de neutralité.
Le préfet du Val-de-Marne est toujours en place à ce jour… Et
vous allez voir qu’il sera nommé préfet de région un de ces
quatre….
Second exemple. Un français, député européen, M. François
Zimeray, a mené, et ceci durant plusieurs années, une véritable
campagne combinée à des actes « violemment anti-palestiniens »
au Parlement européen. Au point que son parti (le Parti
socialiste) ne l’a pas représenté, pour ces motifs précis, aux
élections européennes suivantes. Il a continué néanmoins son
action dans le même sens avec des moyens conséquents d’origine
« non contrôlée », si l’on peut dire. Et voilà que tout
récemment ce monsieur vient d’être nommé en Conseil des
ministres « Ambassadeur des droits de l’homme » sur proposition
de rama Yade.
Il aurait du se taire et ne plus parler à titre personnel à
partir de là. Mais, non ! Devant la décision de le nommer à ce
poste, compte tenu de son profil, des voix se font entendre vers
les pouvoirs publics. Et M. Zimeray, ayant rang d’ambassadeur
cette fois, répond de manière publique qu’il maintient ses
positions antérieures qualifiables, encore une fois,
« d’anti-palestiniennes extrêmes ». A peine est-il nommé qu’il
déroge à son « devoir de réserve », et cela une semaine tout
juste avant que n’éclate « l’affaire Guigue ». Est-il pour
autant sanctionné ? Aucunement.
Il est toujours ambassadeur des droits de l’homme…
Un préfet, un ambassadeur. Leur niveau hiérarchique ne fait pas
de doute : ils sont formellement tenus au « droit de réserve ».
Et pourtant, dans ces deux cas, aucune sanction d’aucune sorte
n’est venue, ni du ministère de l’Intérieur ni de celui des
Affaires étrangères.
4.
Il ne fait pas de doute, en comparant les situations évoquées,
que le « devoir de réserve » n’est donc pas seulement un concept
« légal » ayant une valeur « universelle ».
Il est avant tout, la preuve nous est donnée ici, sous emprise
de la politique.
D’un côté on inflige une lourde sanction à un sous-préfet qui a
défendu le droit international et son application et, de
l’autre, on ne fait et on ne dit rien contre deux hauts
fonctionnaires tenant des propos sortant totalement de ce que
l’Etat est en droit d’attendre d’eux.
En vérité M. Guigue est avant tout frappé par une sanction
politique.
Cette sanction politique reflète à l’évidence tout à la fois la
dérive proaméricaine de la politique extérieure de la France et
le fait que le lobby pro-israélien français y trouve des espaces
nouveaux pour sévir, ceci à la manière du lobby de même nature
qui existe aux USA. Un livre de deux courageux professeurs
américains détaille cette question dans « Le lobby pro-israélien
et la politique étrangère américaine » (3). ‘ C’est pourquoi le
sous-préfet Bruno Guigue est aujourd’hui frappé par une décision
discrétionnaire teintée de droit mais qui est en réalité
principalement politique. C’est pourquoi notre solidarité lui
est acquise ainsi que notre estime.
Amis, tout cela se passe en France aujourd’hui. Mais dans cette
même France de 2008, il y a des voix nombreuses en faveur de la
paix au Proche-Orient ainsi que des personnes suffisamment
lucides quant au motif réel de la sanction qui frappe ce
sous-préfet. Symbolique cette décision de le frapper lui, et lui
seul, est largement commentée à l’étranger, notamment dans les
pays arabes. Que toutes ces personnes s’unissent pour protester
vivement contre ce « deux poids, deux mesures » qui est à
l’œuvre dans cette affaire. Elles agiront de la sorte pour la
justice et l’image mais aussi le rôle de la France à l’étranger.
Car il faut noter, pour en tirer toutes les conséquences
sérieuses, que cette fois ce « deux poids, deux mesures », c’est
en France qu’il s’exerce… On ne peut laisser faire. C’est une
question qui provoque le présent mais qui convoque aussi
l’avenir…
Jean-Claude Lefort
Député honoraire
Notes :
(1) « Point de vue » du 27 février publié dans « Le Monde » et
signé notamment par Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Claude
Lanzeman, Elie Wiesel, Pierre-André Taguieff, Frédéric Encel…
(2) « Aux origines du conflit israélo-arabe » en 1998 et
« Proche-Orient : la guerre des mots » en 2005, tous deux chez
« L’Harmattan »
(3) « Le lobby pro-israélien et la politique étrangère
américaine » de John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt. Editions
« La Découverte » 2007.
Droits de
reproduction et de diffusion réservés ©
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Publié le 1er avril 2008 avec l'aimable autorisation
d'Oumma.com
Le texte de Bruno
Guigue
Les commentaires d'Oumma.com
Le communiqué de l'UJFP
Nidal. Commentaires sur
l'affaire du sous-préfet limogé
Nous sommes solidaires
de Bruno Guigue
À propos de l'Affaire Bruno
Guigue et de la non-affaire Goasguen
De l’accusation d’antisémitisme comme arme de dissuasion
par René Naba (Texte de janvier 2007 mais toujours
d'actualité)
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