L’entretien réalisé par ReOpen911 avec Thierry Meyssan a suscité
bien des critiques sur le forum de cette association. Sans
remettre en cause les propos du président du Réseau Voltaire,
certains lecteurs s’interrogeaient sur sa crédibilité au regard
des révélations des grands médias sur ses fréquentations. Une
seconde session de questions-réponses a donc été organisée au
cours de laquelle les membres de ReOpen911 ont pu vider leur sac
et Thierry Meyssan leur répondre avec la même franchise. Suite
et fin de ce dialogue décapant.
ReOpen911 :
M. Meyssan, vous terminiez
notre précédent entretien par ces mots : « Je vous invite à
renouveler [ce type d’]échange si vous continuez à vous
interroger sur les prises de position que m’attribuent les
médias. Je serais heureux de les préciser, de les expliquer et
de lever de possibles malentendus. » Bien que ReOpen911 n’ait
nullement pour vocation de devenir votre tribune, il nous
apparaît effectivement essentiel de le faire tant les
malentendus sont nombreux, d’autant plus que ReOpen911 y a été
associée ! Pour commencer, et lever toute « ambiguïté » à ce
sujet, quelles sont vos relations avec l’extrême droite, ses
idées, le Front National et plus précisément avec son nouveau
conseiller culturel, M. Alain Soral que vous avez rencontré à
plusieurs reprises ?
Thierry
Meyssan : Je ne m’attendais pas à ce que vous
saisissiez la balle au bond et que vous demandiez un nouvel
entretien dans un si bref délai. En revanche, je ne doutais pas
que vous souhaiteriez une clarification de mes positions
politiques, vu les âneries que l’on véhicule à mon sujet.
Cette clarification exige que
votre question elle-même soit claire. Or, vous placez au même
plan un homme, un parti, un courant politique et une idéologie.
Je me réclame de la pensée des Lumières et du radicalisme. À ce
titre, je veux développer le débat démocratique, y défendre mes
idées et en réfuter d’autres. Précisément, le débat démocratique
ne se développe que lorsque l’on accepte de se confronter aux
gens dont on ne partage pas les idées.
J’ai toujours activement
combattu les idéologies d’exclusion, que ce soit le racisme ou
l’antisémitisme, l’apartheid ou le sionisme, etc. Ceci m’a
conduit à publier de nombreux articles polémiques et à
participer à quantité d’émissions de radio et de télévision où
je me suis notamment opposé à des représentants du Front
National.
Jusqu’à la guerre du Kosovo,
l’action du Réseau Voltaire en général et la mienne en
particulier ont été unanimement reconnues à gauche au point que
les principaux partis politiques, syndicats, associations et
loges maçonniques de gauche m’ont confié à plusieurs reprises
l’animation du Comité national de vigilance contre l’extrême
droite.
Pour mener à bien ce combat
idéologique, j’ai mis en place au sein du Réseau Voltaire un
observatoire des extrêmes droites. Nous avons analysé en détail
la plupart de leurs discours et de leurs publications et nous
avons élaboré des argumentaires pour leur répondre. Pour
compléter nos analyses, j’ai interviewé de nombreux leaders
d’extrême droite. Je me suis efforcé de comprendre leur point de
vue et d’apprécier leurs qualités humaines. Cela n’a jamais
modifié en quoi que ce soit mes convictions, mais m’a conduit à
changer mon regard sur eux.
Alors que certains médias et
organisations faisaient campagne pour l’interdiction du Front
National, j’ai au contraire milité pour une réforme du mode de
scrutin qui lui permette de représenter ses électeurs à
l’Assemblée nationale. Alors que certains s’efforçaient de
diaboliser ce parti, j’ai milité pour que l’on prenne en
considération les préoccupations de ses électeurs et qu’on y
apporte des réponses conformes à nos valeurs. J’insiste sur ce
point : une analyse précise du discours de Jean-Marie Le Pen m’a
convaincu que son succès électoral n’avait rien à voir avec une
épidémie de racisme, mais avec la détresse de ceux de nos
concitoyens qui ont été les victimes de la colonisation et de la
décolonisation, qui se sont sentis manipulés, puis abandonnés
par l’État. A contrario, la diabolisation dont Jean-Marie Le Pen
et ses électeurs ont fait l’objet prolonge la lâcheté d’une
classe dirigeante incapable d’assumer ses erreurs historiques.
Simultanément, j’ai considéré
que nous devions réprimer les groupes paramilitaires qui
s’étaient formés à l’intérieur et autour du Front National.
Comme vous le savez peut-être, cette initiative a débouché sur
la création d’une commission d’enquête parlementaire, la mise à
jour de comportement illégaux, et en définitive l’éclatement du
Front National entre lepénistes et mégrétistes. Cette démarche a
été soutenue par mon parti, le PRG, mais perçue avec inquiétude
par d’autres formations politiques.
Je regrette de ne pas avoir pu
continuer cette lutte et d’avoir cédé devant des partis
politiques qui trouvent un intérêt électoral à diaboliser le
Front National pour affaiblir la droite. Ce faisant, non
seulement ils laissent certaines idées se répandre faute de les
avoir réfutées, mais surtout ils développent eux-mêmes
l’intolérance qu’ils prétendent combattre. En définitive, je
pense que les médias et les organisations qui ont manifesté pour
l’interdiction du Front National représentent un danger pour la
démocratie et j’observe que le Front National, lui, n’a pas
inscrit dans son programme l’interdiction de partis politiques.
Enfin, j’estime que si le Front National, ses électeurs et ses
militants, étaient traités normalement, ils se sépareraient de
certains éléments fanatiques et apporteraient une contribution
légitime au débat parlementaire. Je ne vois pas comment on peut
concevoir la démocratie si l’on ne comprend pas cette position
voltairienne.
Concernant, Alain Soral, j’ai
fait sa connaissance à l’été 2006 lors d’un voyage de soutien au
peuple libanais. Il n’avait pas encore rejoint le Front National
et était étiqueté communiste. Il se montrait provoquant et la
sympathie entre nous n’a pas été immédiate. Pourtant, j’ai vite
apprécié son indépendance d’esprit et son courage. Nous avons
traversé ensemble un pays en ruines, vécu des moments tendus
dans lesquels chacun révèle le fond de lui-même, et nous sommes
restés amis.
ReOpen911 :
À l’identique, on vous reproche également vos
relations avec Dieudonné. Votre voyage au Liban en sa compagnie
(et celle de M. Soral) en été 2006, c’est-à-dire juste après
l’intervention militaire de l’armée israélienne contre le
Hezbollah. Cette compagnie, plus que le but de la visite même
qui a été quasiment éclipsé, a étonné beaucoup de nos
compatriotes, et a renforcé le sentiment chez certains que vous
aviez rejoint le FN. Cette lecture simpliste des choses a par
ailleurs été renforcée par des articles mensongers (on se
souvient d’un article paru dans Libération
auquel
vous aviez répondu sur le Réseau Voltaire) qui annonçaient
votre ralliement au FN. Apparemment, vous n’êtes pas conscient
du « malaise » (en fait, plutôt de la haine) que suscitent ces
liens ? Ou alors cela vous est égal. Mais ne croyez-vous pas
qu’il est important d’être entendu pour être compris ?
Thierry
Meyssan : J’ai croisé Dieudonné dans les années 1980,
lorsque les partis de gauche fuyaient devant le Front National
et qu’il s’est présenté à Dreux contre Marie-France Stirbois. Je
l’ai revu après les attentats du 11-Septembre lorsqu’il a
ridiculisé à la fois le discours sur ben Laden et celui de ben
Laden. Après l’avoir ainsi vu se positionner contre le racisme
et contre l’impérialisme, je l’ai vu s’opposer au sionisme. En
2005, je l’ai invité à la conférence
Axis for
Peace. Et c’est logiquement qu’à l’été 2006 j’ai envisagé
avec lui d’organiser un voyage de leaders d’opinion au Liban
pour y témoigner de ce qui s’y passait. En définitive, les
personnalités qui s’étaient portées volontaires ont renoncé les
unes après les autres à se rendre dans un pays en guerre.
Lorsque le voyage a eu lieu, nous n’étions qu’un petit groupe et
les hostilités venaient d’être interrompues.
Dieudonné n’est pas un
politicien professionnel. C’est un bouffon qui se moque de nos
incohérences et nous renvoie une image ridicule de nous-mêmes.
Apparemment tout le monde n’a pas le sens de l’humour et
n’accepte pas d’être remis en question par un saltimbanque. Il a
fait à son tour l’objet d’une campagne de haine car le rire
qu’il provoque met à mal l’hypocrisie et la langue de bois. Où
qu’il se trouve, ses propos sont enregistrés et décortiqués. On
leur attribue un sens répugnant en les sortant de leur contexte.
Tout cela est bien loin de la démocratie.
Il m’a invité à son spectacle au
Zénith. Je me suis trouvé assis au carré VIP parmi des
personnalités de tous bords. Libération —
qui avait publié 25 articles pour me descendre à la publication
de L’Effroyable Imposture — a inventé de
nouvelles âneries à cette occasion. Ce quotidien a prétendu à
ses lecteurs que j’avais rejoint le Front National car j’avais
serré la main d’un de ses députés européens ; le frontisme se
transmettant probablement par simple contact cutané. Il
s’agissait de Bruno Gollnisch que je croisais souvent par le
passé au Parlement à Strasbourg ou à Bruxelles et que je
respecte à la fois comme homme et comme élu du Peuple. Pour les
fanatiques, la courtoisie est un crime, pour les démocrates
c’est une vertu.
ReOpen911 :
Permettez-nous d’insister, mais lorsque vous avez mené votre
enquête au Liban, après les bombardements israéliens, pour
écrire L’Effroyable Imposture 2, vous y êtes
allés avec MM. Alain Soral et Dieudonné. À la fin de l’interview
à la télévision syrienne que vous avez donnée en leur compagnie
à cette occasion, Dieudonné a parlé de la présence de M. Le Pen
au second tour des élections présidentielles comme d’une
émancipation politique du peuple français. Il a par la suite
demandé à Jean-Marie Le Pen d’être parrain au baptême de sa
fille, ce que M. Le Pen a accepté. Et l’engagement de Soral au
Front National est connu. Or les thèses remettant en cause la
version officielle des attentats du 11/9 sont considérées par
beaucoup à gauche comme étant celles de l’extrême droite
antisémite. Vous devez donc être conscient du discrédit que
votre apparition à la télévision syrienne jette sur votre
personne et, par voie de conséquence, sur la remise en cause de
la version officielle des attentats du 11/9 dans la gauche
française. Pourquoi avoir néanmoins accepté cette compagnie au
Liban et ensuite à la télévision syrienne ?
Thierry
Meyssan : Permettez-moi également d’insister. Dans la
vie, les mots et les actes des gens se contredisent souvent. Les
actes sont plus importants que les mots. J’aurais aimé que
beaucoup de leaders d’opinion nous accompagnent au Liban pour
témoigner des crimes de l’armée israélienne. Ils ont eu peur et
ne sont pas venus. Plus que des bombes, ils ont eu peur pour
leur carrière, car l’agresseur c’était Israël. Dieudonné et
Alain Soral étaient là, et c’est tout à leur honneur.
Il n’y avait alors que deux
moyens d’entrer au Liban, soit par un vol civil britannique
placé sous contrôle militaire de l’occupant israélien, soit par
voie terrestre depuis la Syrie. Nous avons choisi cette seconde
solution. À notre retour, la télévision syrienne a recueilli nos
impressions, chacun s’exprimant comme témoin, à titre personnel.
Je n’avais aucune raison de refuser de participer à cette
émission alors que nous étions venus précisément au Liban pour
témoigner de ce qui s’y passait.
Par la suite, Alain Soral a
rejoint le Front National et il a présenté Dieudonné à
Jean-Marie Le Pen avec lequel il s’est lié d’amitié. C’est
étonnant, mais ça n’a rien de criminel. Qu’est-ce qui vous
choque ? Que Jean-Marie Le Pen ait accepté d’être le parrain
d’un enfant noir ? Ou, plus simplement, que les gens qui
partagent notre analyse du 11-Septembre ne soient pas nos amis,
mais des adversaires idéologiques ? Moi aussi, cela me perturbe.
Lorsque j’ai publié
L’Effroyable Imposture, je m’attendais à des
réactions selon le clivage droite-gauche, parce que j’avais
toujours vécu avec. Je me suis rendu compte qu’une autre ligne
de partage apparaissait, que j’avais des amis et des adversaires
dans tous les camps. Je pense que nous devons tous nous
repositionner en fonction de la question principale, celle de la
souveraineté des peuples face à l’impérialisme. Je milite au
PRG,
le parti de
Jean Moulin, l’homme qui coordonna la Résistance française
face à l’invasion nazie. Je m’inspire de son exemple : il
accepta de travailler avec tous ceux qui voulaient défendre la
liberté, de l’extrême gauche à l’extrême droite. Il n’exclua que
les individus et les groupes qui avaient participé à la guerre
d’Espagne aux côtés des phalangistes et fait couler le sang des
républicains. De même, je suis prêt à travailler avec tout le
monde, à l’exception de ceux qui ont participé activement aux
agressions impérialistes et fait couler le sang. Je pense aux
sarkozystes qui ont envoyé les troupes françaises participer à
la colonisation anglo-saxonne de l’Afghanistan.
Je suis étonné que vous soyez
choqués par mes relations avec Alain Soral et Dieudonné, et que
vous ne voyez rien à redire lorsque la totalité de la classe
politique française se presse à des mondanités autour d’Al Gore
ou de Condoleezza Rice. Qu’est ce qui est grave : témoigner des
crimes israéliens au Liban ou semer la mort et la désolation de
la Yougoslavie à l’Afghanistan ?
ReOpen911 :
Pour terminer avec ce fameux voyage au Liban à
l’été 2006, il vous a aussi été reproché d’être trop proche de
la chaîne de télévision al-Manar, interdite en France (vous
expliquez très bien dans quelles conditions dans
L’Effroyable imposture 2), et un sympathisant du
Hezbollah de M. Nasrallah, mouvement considéré par les médias
occidentaux mais aussi par l’administration états-unienne, comme
une organisation terroriste. Nous n’allons pas vous demander si
vous êtes vous-même un terroriste, mais pouvez-vous expliquer
votre position à nos lecteurs ?
Thierry
Meyssan : Je ne suis pas simplement proche d’al-Manar,
je prépare actuellement des émissions et des documentaires pour
elle. Cette chaîne se définit comme la voix de la Résistance
dans une région en guerre. Elle est devenue la seconde, en
termes d’audience, dans le monde arabe. Contrairement aux
allégations souvent colportées,
elle n’a pas été interdite en France pour antisémitisme ainsi
que le réclamait le CRIF, mais pour trouble à l’ordre public.
Ce qui est injuste, mais pas faux car al-Manar pose un problème
qu’il ne faut pas minimiser. Transposer en France sans
explications les images de guerre du Proche-Orient, c’est
introduire la guerre chez nous. On peut craindre que des
Français découvrant soudain une réalité d’une extrême violence
réagissent eux-mêmes d’une manière violente contre ceux qui en
sont responsables et qui l’ont cachée. La solution n’est pas
d’interdire al-Manar et de maintenir nos concitoyens dans
l’ignorance, mais au contraire de les informer, y compris par le
biais d’al-Manar, et d’ouvrir le débat démocratique. Le problème
ce n’est pas al-Manar, mais le fait que la population française
soit sous-informée sur le conflit au Proche-Orient, les médias
ayant adopté la problématique sioniste et ne donnant la parole
aux protagonistes que dans ce cadre biaisé.
Je vous ai dit que je ne connais
pas d’autres limites à mes alliances que celles voulues en leur
temps par Jean Moulin pour créer le Conseil national de la
Résistance. Je me sens donc proche du Hezbollah en tant que
principal réseau de résistance au Proche-Orient. Jadis, Charles
De Gaulle et la Résistance française étaient considérés comme
« terroristes » par les médias de la collaboration et par le
Reich ; aujourd’hui, Hassan Nasrallah et la Résistance libanaise
sont considérés comme tels par la presse occidentale et par
l’empire états-unien. C’est dans l’ordre des choses. Vous n’avez
pas de raison d’en être troublés.
J’éprouve beaucoup d’admiration
pour Hassan Nasrallah, parce qu’il n’est pas simplement un grand
résistant, mais parce qu’il a une vision claire du conflit et
une pensée généreuse. Alors que beaucoup de Libanais se
contenteraient de bouter l’occupant israélien hors du territoire
et de régler divers problèmes bilatéraux, il ne se satisferait
pas, lui, d’une paix qui laisserait des millions de non-Libanais
dans le désespoir. De plus, il est conscient que la paix est
impossible au Proche-Orient tant qu’y persistera l’apartheid,
comme Nelson Mandela était conscient que la paix était
impossible en Afrique australe tant que l’apartheid persisterait
en Afrique du Sud.
Certains s’imaginent que, s’ils
parviennent à libérer le Proche-Orient, Sayed Hassan Nasrallah
et le Hezbollah imposeront une dictature religieuse. Ils pensent
que je suis naïf et que je ne devrais pas m’acoquiner avec des
fanatiques qui attendent sournoisement le moment pour écraser
les mécréants comme moi. C’est prendre la propagande pour la
réalité. La même propagande expliquait jusqu’à l’été 2006 que le
Hezbollah était un groupuscule terroriste de moins de 500
combattants. Quand il a repoussé l’armée israélienne, il a fallu
admettre que c’était une véritable armée soutenue par la
majorité de la population, quelle que soit son appartenance ou
sa non appartenance religieuse. Le Hezbollah, c’est un réseau de
résistance à l’occupation militaire israélienne qui s’est formé
au sein du mouvement social de Moussa Sadr, l’imam des pauvres.
La seule comparaison contemporaine possible est avec les
guérillas issues de la théologie de la libération en Amérique
latine. Quand le père jésuite Camillo Torres dirigeait l’Armée
nationale de libération en Colombie, il n’avait pas d’agenda
caché pour instaurer une dictature religieuse. Il voulait
simplement libérer son pays de l’impérialisme états-unien et des
injustices sociales qu’il génère. Ce type d’accusation est un
classique de la propagande : pendant des années, les médias
occidentaux nous ont expliqué que Nelson Mandela voulait
massacrer les Blancs et imposer une dictature communiste en
Afrique du Sud. Aujourd’hui, les mêmes journaux célèbrent avec
emphase son 90e anniversaire tandis que le président Bush s’est
juste avisé, il y a quelques semaines, de le retirer de la liste
des « terroristes » recherchés par les États-Unis.
ReOpen911 :
Il est regrettable que le remarquable travail
d’investigation et d’analyse géopolitique qui est le vôtre soit
trop souvent discrédité jusque dans les milieux de gauche ou
d’extrême gauche, pourtant au moins aussi anti-impérialistes que
vous. Les sujets que vous abordez bouleversent tant les
consensus habituels et vous déclenchez tant de polémiques qu’il
devient difficile de discerner le vrai du faux concernant les
bruits qui circulent sur vos sources d’information. Dans leur
livre L’Effroyable Mensonge, Guillaume
Dasquié et Jean Guisnel supposent que l’une de vos sources
d’information sur le 11-Septembre serait Lyndon Larouche (par
l’intermédiaire de Jacques Cheminade), qu’ils accusent
d’appartenir à l’extrême droite. Larouche vous a-t-il réellement
donné des informations sur le sujet ? Que pensez-vous de cette
accusation fréquemment portée à son encontre d’appartenir à
l’extrême droite ?
Thierry
Meyssan : Nous revenons au processus de la
diabolisation. Vous vous interdisez de penser quelque chose ou
de discuter avec quelqu’un parce que vous craignez qu’il vous
contamine. Vous vous interrogez sur l’origine de chaque idée
avant de l’examiner. Vous enquêtez sur les relations de chaque
personne à qui vous parlez pour vous assurer qu’elle n’est pas
elle-même contaminée à son insu, comme le porteur sain d’une
maladie. Finalement, votre paranoïa vous étouffe. Avant toute
chose, désintoxiquez-vous, émancipez-vous.
Pour répondre à votre question,
deux journalistes assurent dans un livre de commande que je
serais un incapable et que L’Effroyable
Imposture m’aurait été dicté par quelques individus, tous
moins recommandables les uns que les autres. Parmi mes supposés
mentors, ces journalistes imaginatifs citent le commissaire
Hubert Marty-Vrayance que vous avez évoqué la dernière fois,
puis Jacques Cheminade et Lyndon LaRouche que je ne connaissais
pas à l’époque. Quelque peu surpris par cette élucubration,
Jacques Cheminade m’a contacté à la parution de cet ouvrage.
Je n’ai donné suite à son invitation qu’une fois le procès en
diffamation contre ces auteurs terminé, c’est-à-dire deux ans
plus tard. J’ai découvert un économiste de gauche, cultivé et
généreux, avec lequel j’ai pris l’habitude de partager des
analyses. Par la suite, il m’a présenté Lyndon LaRouche avec
lequel j’ai moins accroché. J’ai lu les livres et les principaux
articles qui les présentent comme des militants d’extrême droite
camouflés, particulièrement le pavé de Dennis King, et j’ai pris
le temps de vérifier les documents cités. C’est simplement
idiot.
Personne ne m’a dicté ce que
j’ai écrit, mais je n’ai pas pour autant le monopole de la
lucidité. Bien d’autres personnes que moi ont compris dès le
début que George W. Bush mentait à propos du 11-Septembre.
Jacques Cheminade et Lyndon LaRouche sont de ceux-là, tout
autant qu’Andreas von Bülow et bien d’autres.
ReOpen911 :
Au cours de notre précédente interview, vous
avez encore déclaré que « vous condamniez l’antisémitisme et le
sionisme ». Si pour l’antisémitisme les choses sont claires,
pour le sionisme, elles semblent l’être moins. Ce mot employé
souvent par des gens qui n’en connaissent pas le sens exact ni
la portée politique, fait référence à l’ensemble des tendances
et sensibilités politiques de la communauté juive, laïque ou
religieuse qui à partir de la fin du XIXe siècle ont milité pour
la création d’un État juif.
Après la Seconde Guerre mondiale
et la Shoah, les conditions issues du choc psychologique de cet
effroyable événement ont poussé la « communauté » internationale
et les Anglais, sous la pression des sionistes, à la création de
l’État d’Israël en 1948. Le sionisme par là même aboutissait
dans son combat. La formidable injustice faite au peuple
palestinien à cette occasion a produit ce qui était prévisible
sinon calculé : 60 ans de guerre et de haine, des milliers de
morts.Aujourd’hui lorsque vous déclarez condamner le sionisme,
devons-nous comprendre que vous appelez, à la déconstruction de
ce que la communauté juive, laïque ou religieuse, d’extrême
gauche à l’extrême droite, rassemblée par cette idée d’un État
laïc pour le peuple juif a obtenu en 1948 ? Si la réponse est
oui, pensez-vous que cet appel soit aujourd’hui une stratégie
viable pour une paix durable ? Ne pensez-vous pas qu’un partage
équitable de Jérusalem et la création d’un État palestinien sur
un territoire viable serait une voie plus réaliste, le respect
d’un principe d’équité fondement d’une paix durable ? Sinon
qu’entendez-vous par « combattre le sionisme » ?
Thierry
Meyssan : Premièrement, contrairement à ce que vous
dites, et ainsi que je l’ai montré dans
L’Effroyable Imposture 2, le sionisme n’est pas un mouvement
nationaliste juif qui se serait développé au XIXe siècle en
réaction à l’antisémitisme européen et aurait reçu l’appui de la
communauté internationale après le massacre des juifs d’Europe
par les nazis, comme on le prétend communément. La création de
l’État d’Israël pour y regrouper les juifs dispersés est un
projet des puritains anglo-saxons (appelés plus tard les
« non-conformistes » et aujourd’hui les « évangéliques ») depuis
le XVIIe siècle. Ce projet a été inscrit par les Britanniques à
l’ordre du jour de la conférence diplomatique de Berlin en 1878,
contre l’avis des communautés juives d’Europe qui y étaient
alors fermement opposées. C’est effectivement à partir de
Theodor Herzl et de Zeev Jabotinsky que des juifs européens s’y
sont progressivement ralliés. La Déclaration Balfour annonçant
la création du « foyer national juif » en Palestine a été
rédigée par le Royaume-Uni pour faciliter l’entrée des
États-Unis dans la première guerre mondiale. Le président Wilson
a alors confirmé que la création de l’État Israël (et de
l’Arménie, mais c’est une autre histoire) étaient un des 14
objectifs de guerre des États-Unis. Si vous avez le moindre
doute sur ces faits, je vous renvoie à mon livre où j’ai donné
les références exactes de ces documents.
Cette mise au point est
indispensable car on ne peut pas comprendre les relations
actuelles de Washington et de Tel-Aviv et certains aspects de la
politique internationale post-11-Septembre si l’on ne connaît
pas la genèse réelle du sionisme.
Deuxièmement, à mes yeux, le
problème actuel ne réside pas dans l’existence de l’État
d’Israël, qui est devenu un sujet de droit international, mais
dans la nature du régime politique en vigueur dans cet État. En
1947, la faction juive du mouvement sioniste était composée de
nombreux groupes, inspirés par des idéologies diverses et
antagonistes, mais en définitive, avec le temps, c’est la
conception de la faction chrétienne du mouvement sioniste qui a
façonné le régime politique de Tel-Aviv, comme elle avait
façonné par le passé celui de Pretoria. Là encore, je vous
renvoie à L’Effroyable Imposture 2, si vous
ignorez l’histoire commune de l’apartheid sud-africain et de
l’apartheid israélien.
Lorsque je vous ai dit, en tant
qu’humaniste, combattre le sionisme, j’ai affirmé mon opposition
résolue au système d’apartheid, rien d’autre. J’ai lu sur le
forum de Reopen911 que l’un d’entre vous avait compris que je
voulais éradiquer la population israélienne. C’est très
insultant. Malheureusement, cela reflète le conditionnement
auquel nous soumettent les grands médias. À les entendre, il n’y
aurait que deux options : se résigner aux crimes de l’armée
israélienne ou préconiser des crimes plus vastes encore ; il n’y
aurait aucune possibilité de paix juste et durable. Ne vous
laissez pas enfermer dans ces âneries.
Je reviens à mon propos. En
l’état actuel des choses (et non pas au regard de la situation
de 1947), je considère que la création d’un ou de deux États
palestiniens à Gaza et en Cisjordanie privés des attributs de la
souveraineté ne serait qu’une fiction, identique à celle des
bantoustans d’Afrique du Sud, visant à la consolidation du
régime d’apartheid. Je milite pour la reconnaissance de la
citoyenneté israélienne des apatrides palestiniens, où qu’ils se
trouvent, et la réforme du régime politique israélien sur la
base « un homme, une voix ». C’est de cette manière que le
problème sud-africain a été résolu et c’est ainsi qu’une paix
juste et durable peut s’installer au Proche-Orient.
ReOpen911 :
Nous n’allons pas nous appesantir sur cette
pratique qui tend à accuser (ou à laisser planer la suspicion)
d’antisémitisme, puisque vous avez déjà répondu sur ce sujet.
Cependant, vous voyagez beaucoup, partout dans le monde, et donc
d’après votre expérience personnelle, est-ce là une pratique
généralisée ou peut-on parler de spécificité française ?
Thierry
Meyssan : Partout en Occident, le souvenir des crimes
du passé nourrit une crainte de voir resurgir l’antisémitisme.
Mais il n’y a qu’en France et dans les pays anglo-saxons que
cette inquiétude légitime ait été instrumentée pour discréditer
les dissidents politiques. Vous voulez interdire d’antenne un
humoriste qui vous critique ou virer un dessinateur de votre
journal ? Dites qu’ils ont la rage ou accusez-les
d’antisémitisme.
ReOpen911 :
L’Effroyable Imposture ayant été un succès
planétaire, il vous a été reproché de vous être « enrichi sur la
crédulité des gens ». Certes, nul n’a accusé M. Bernard
Henri-Lévy de s’être enrichi grâce à son « romanquête » sur le
journaliste Daniel Pearl, mais il était déjà richissime et
extraordinairement influent. Peut-on savoir les bénéfices que
vous avez personnellement tirés de la vente de ce best-seller ?
Thierry
Meyssan : Comme je vous l’ai dit la dernière fois, mon
éditeur français de l’époque, [Carnot], a été sollicité par des
responsables états-uniens. Il a créé une filiale aux USA et y a
transféré tous mes droits d’auteur sur l’édition française et
les éditions étrangères dont il avait la charge. Puis, il a
déposé son bilan en France et s’est enfui avec l’argent que
j’avais gagné. Je n’ai donc jamais eu l’occasion de m’enrichir.
Au demeurant, il faut être bien naïf pour croire que l’on puisse
faire de l’argent en combattant l’empire états-unien.
J’ai néanmoins perçu quelques
royalties avant sa faillite. Une fois payés les frais d’avocat,
j’ai consacré la quasi-totalité de cet argent au Réseau
Voltaire. Je vis de mon activité de journaliste dans des revues
étrangères. Je n’ai ni propriété immobilière, ni voiture.
ReOpen911 :
De même, qui finance le Réseau Voltaire ? Quel
est son budget ? Le nombre d’employés ? Les méthodes de
travail ?
Thierry
Meyssan : Le Réseau Voltaire est exclusivement financé
par ses lecteurs. Nous avons mis en place un système de
dons en ligne qui offre des conditions maximales d’anonymat.
Je me suis donc mis dans l’incapacité d’identifier les donateurs
et je n’ai aucun moyen de les contacter pour les remercier. Nous
touchons également une commission sur les livres vendus en
ligne, bien qu’il s’agisse là plutôt d’un service aux lecteurs
que d’une source de financement. Mais les petits ruisseaux font
les grandes rivières.
Au cours des derniers mois, nous
avons racheté du matériel. Dans la période actuelle, nos
ressources financières sont insuffisantes et, outre les frais de
documentation, sont entièrement absorbées par la maintenance
technique des 12 sites Internet que nous éditons. Vous devez
avoir en tête que des sites de cette taille coûtent cher.
Par le passé, nous avons eu des
journalistes salariés. C’était malsain. On ne peut pas être
salarié d’un réseau de résistance, fût-elle intellectuelle.
Aujourd’hui, tous nos rédacteurs sont bénévoles.
Pour nous développer, nous
devrions avoir des équipes de traducteurs permanents et un
secrétariat pour la mise en ligne. Nous devons donc trouver
d’autres sources d’argent. Nous voudrions mettre de la publicité
sur Voltairenet.org, mais les annonceurs hésitent à mêler leur
image à la nôtre. Évidemment pour une société qui a des intérêts
aux États-Unis, c’est une mauvaise idée, mais pour ceux qui
veulent percer sur les marchés arabes ou sud-américains, ce peut
être au contraire très intéressant.
Nos méthodes de travail n’ont
rien d’original, sinon que notre rédaction est éclatée dans
plusieurs pays et que nous devons donc travailler avec des
outils Internet adaptés. Ce qui est original, c’est le choix de
nos sources et notre indépendance de pensée.
Après une année difficile, nous
avons décidé de nous regrouper au Liban où plusieurs d’entre
nous viennent de s’installer. Nous nous sommes placés au service
de la Résistance et entendons poursuivre notre travail d’analyse
et de prospective en étroit contact avec l’ensemble des
formations anti-impérialistes, au Proche-Orient et partout
ailleurs dans le monde.
ReOpen911 :
À la suite de la publication de L’Effroyable
Imposture, de votre point de vue, comment s’est
mise en place
la campagne de discrédit contre vous (et accessoirement votre
présentation des faits) alors qu’au départ l’accueil semble
avoir été plutôt neutre, voire assez bienveillant comme chez
M. Thierry Ardisson (qui d’ailleurs par la suite invita M. Eric
Laurent) ?
Thierry
Meyssan : Dès sa parution, ce livre a été chroniqué à
l’étranger de manière très positive, puis en France avec
bienveillance. La campagne de dénigrement a été lancée
simultanément par trois médias : la Radio télévision belge,
Le Monde et Libération.
Seuls les journalistes du Monde avaient lu
l’ouvrage, ceux de la RTBF et de Libération
n’avaient aucune idée de son contenu. Les autres ont embrayé en
quelques jours.
L’identité et la simultanéité
des arguments, alors même qu’ils n’ont aucun fondement,
attestent que ces critiques ont été coordonnées. Selon le
témoignage d’amis journalistes qui ont assisté à la préparation
de ces papiers, une personnalité est intervenue auprès des
rédactions de plusieurs médias en ce sens. Les autres ont suivi
de manière grégaire. Cette personnalité est aujourd’hui un des
proches collaborateurs du président Sarkozy.
On a oublié quels étaient les
arguments principaux de cette campagne. Il y avait, nous venons
d’en parler, l’accusation d’antisémitisme, et celle
d’anti-américanisme, mais il y avait surtout des critiques sur
mes sources d’information. On me reprochait d’avoir travaillé en
équipe, de ne pas m’être déplacé personnellement sur le site du
World Trade Center et sur celui du Pentagone et d’avoir
sollicité mes collaborateurs aux États-Unis et dans d’autres
pays. On me demandait qui j’étais pour avoir une telle équipe.
Surtout, on me reprochait de donner en bas de page les URL des
documents cités. En 2002, tous les documents officiels US
étaient disponibles sur Internet, mais en France le Journal
officiel n’existait encore qu’en version papier. Mes confrères
ne savaient pas comment utiliser ce média et n’étaient pas
capables de faire la différence entre une déclaration du
président des États-Unis publiée sur le site de la
Maison-Blanche et les délires d’un illuminé sur son blog. Pour
eux, tout ça, c’était du pareil au même et ce n’était pas
fiable. J’utilisais un outil étrange et cela leur paraissait
déloyal.
ReOpen911 :
À l’issue de cette campagne, vous avez décidé de
changer de stratégie et d’aller à la rencontre des pays arabes ?
Thierry
Meyssan : Non, au début ce n’était pas un choix.
L’occasion s’est présentée. Au cours de cette campagne, j’ai été
invité au
centre Zayed, qui était à l’époque le think tank de la Ligue
arabe à Abou Dhabi, puis j’ai été l’invité de la principale
émission politique d’al-Jazeera. J’ai convaincu et cela m’a
ouvert bien des portes.
Ne croyez pas que c’était
facile. Si le public arabe était heureux d’entendre dire que des
musulmans n’étaient pas responsables des morts du 11-Septembre,
il protestait lorsque j’expliquais qu’Oussama ben Laden était un
agent de la CIA chargé de provoquer le choc des civilisations.
J’ai multiplié les débats publics avec des ambassadeurs, des
généraux et des ministres. Je devais argumenter face à des
contradicteurs autrement mieux informés sur ces sujets que les
journalistes européens.
Cheikh Zayed, le président des
Émirats arabes unis, a fait traduire mon livre. Il l’a imprimé
et en a envoyé 5 000 exemplaires dédicacés aux principales
personnalités universitaires et politiques arabes. J’ai mobilisé
la Ligue arabe pour qu’elle propose à l’Assemblée générale de
l’ONU de constituer une commission d’enquête internationale sur
le 11-Septembre. Les États-Unis m’ont alors déclaré
persona non grata, ils ont menacé les États
membres de la Ligue arabe jusqu’à ce qu’ils renoncent au projet,
et ils ont contraint le Centre Zayed à fermer et à licencier ses
140 chercheurs.
Ce que j’ai entrepris là est
d’autant plus considérable que je l’ai fait seul. Je n’ai jamais
exercé de fonctions officielles et je n’ai jamais été adossé à
une institution. Je n’avais d’autre arme que la force de mes
idées.
ReOpen911 :
Parlons de la Russie. Pourquoi être allé
« pactiser » avec la Russie de Poutine, où la liberté
d’expression est très contrôlée (on pense par exemple à la mort
de la journaliste Anna Politkovskaïa), la stratégie des
opérations menées « sous faux pavillon » tout aussi connue
(attaques « terroristes » tchétchènes de 1999, voire
l’empoisonnement de M. Alexandre Litvinenko) et les intentions
impérialistes tout aussi fortes que celles des États-Unis ?
Quelles étaient alors vos intentions ? Quel est le niveau de
connaissance des élites russes sur le sujet du terrorisme
fabriqué ?
Thierry
Meyssan : Si vous examinez un jour les trois faits que
vous me citez avec autant de précision que la version bushienne
du 11-Septembre, vous découvrirez que vous vivez dans un monde
de propagande et que la version que vous en avez est tout aussi
fausse.
Vous me dites que la liberté
d’expression est très contrôlée en Russie. C’est vrai, mais
c’est relatif. Elle l’est beaucoup moins qu’en France. Il est
plus facile de critiquer Vladimir Poutine et Dmitry Medvedev
dans les journaux russes que Nicolas Sarkozy dans la presse
française.
Précisément, je me suis rendu
compte que la presse française n’est pas libre. Ses journalistes
s’interdisent de penser hors du conformisme ambiant. J’ai
constaté le fantastique écho de mes travaux dans le monde arabe
et je me suis décidé à mobiliser l’opinion publique
internationale. J’ai donc pris l’initiative de poursuivre par la
Russie. J’y conserve des contacts à haut niveau et j’écris
régulièrement dans le principal hebdo politique et le mensuel
féminin le plus diffusé.
Contrairement à votre préjugé,
je ne pense pas que l’on puisse comparer la volonté de puissance
des États-Unis à celle de la Russie. Washington prétend
contrôler le monde global, Moscou ambitionne de restaurer son
influence dans sa sphère linguistique et historique
traditionnelle. Vous ne trouverez pas en Russie de projet
comparable à
celui du PNAC que vous avez traduit. Il faut l’admettre :
les États-Unis veulent nous dominer, tandis que la Russie veut
être notre partenaire. Les Slaves ne sont pas nos ennemis, ce
sont nos frères. Ils sont beaucoup plus proches culturellement
de nous que les États-uniens. Voltaire a vécu à la cour de
Catherine II de Russie où le français était la langue
officielle.
Il y a quelques jours, les
États-Unis et Israël ont poussé la Géorgie à tuer les Russes
d’Ossétie. Moscou a répliqué par une vaste opération militaire
que la presse occidentale présente comme disproportionnée. En
réalité, la Russie vient de sauver la paix mondiale, car si elle
n’avait pas immédiatement stoppé l’agression, Washington et
Tel-Aviv en auraient conclu qu’ils pouvaient se lancer dans la
guerre qu’ils ambitionnent : la conquête de l’Iran, qu’ils ont
préparée en occupant l’Afghanistan et l’Irak.
Les élites russes sont
parfaitement conscientes de la réalité du 11-Septembre. Je vous
renvoie à la préface du
général Leonid Ivashov de la réédition française de
L’Effroyable Imposture et du
Pentagate. Jusqu’à présent, les élites russes ne voulaient
pas en faire un sujet de polémique. Cela change : ne manquez pas
la soirée que la première chaîne de télévision russe y
consacrera le 9 septembre.
ReOpen911 :
Même question avec une personne et un pays
encore plus controversés : M. Mahmoud Ahmadinejad et l’Iran.
Thierry
Meyssan : J’ai rencontré les principaux dirigeants
iraniens des dernières années, mais pas le président Ahmadinejad
et n’ai jamais demandé à le rencontrer. Ceux qui ont lu
L’Effroyable Imposture 2 savent que je
déplore sa stratégie : je pense qu’il devrait s’efforcer de
faire baisser la tension dans cette région du monde au lieu de
multiplier les provocations rhétoriques.
Au demeurant, la réalité de
l’Iran n’a aucun rapport avec ce qu’en disent les médias
occidentaux. On peut présenter la Révolution iranienne de
manière négative tout autant que la Révolution russe ou la
Révolution française. Mais ces événements ont émancipé des
millions de gens à plus d’un titre.
Je vous choque et vous pensez
que j’ignore la condition des femmes, des homosexuels ou des
baha’is ? Pas du tout. Je vois le chemin qui a été accompli
depuis le renversement de la dictature du Shah et l’expulsion
des puissances coloniales. Contrairement à ce que prétend la
propagande occidentale, les problèmes dont nous parlons ne sont
pas dus à la Révolution islamique, ils sont bien antérieurs. La
Révolution a réussi de grandes avancées sociales, auxquelles
certains pays européens ne sont toujours pas parvenus, de la
formation universitaire des femmes au remboursement de l’IVG.
J’ai autorisé les autorités
iraniennes à publier mes livres en farsi sans droits d’auteur, à
titre de contribution personnelle à la Révolution. Je participe
presque chaque semaine à des émissions de radios ou de
télévisions iraniennes, et je ne manque jamais une occasion de
rappeler au public iranien l’intolérance et la violence qui
persistent au sein de la société iranienne.
ReOpen911 :
Comment s’est passé votre rencontre avec le
Président du Venezuela, M. Hugo Chávez ?
Thierry
Meyssan : Le Réseau Voltaire a agrégé de nombreux
médias non alignés, particulièrement en Amérique latine. Les
pages en espagnol de Voltairenet.org sont les plus lues et notre
site est devenu la principale source indépendante en langue
espagnole, si je mets de côté
Rebelión
qui est un portail et non une agence.
La plupart de nos responsables
en Amérique latine ont des contacts fréquents avec le président
Chávez, je ne l’ai rencontré pour ma part que brièvement, même
s’il m’a fait l’honneur de me citer largement.
Vous semblez moins gênés par mes
amitiés vénézuéliennes que russes ou iraniennes. Pourtant, Hugo
Chávez aussi a été présenté dans la presse occidentale comme un
dictateur antisémite et il a rapproché son pays à la fois de la
Russie et de l’Iran. Il est vrai que, vu sa popularité dans
toute l’Amérique latine, les accusations à son encontre n’ont
pas marché.
ReOpen911 :
Revenons en France, le gouvernement Sarkozy
bénéficie de l’expertise de nos services de renseignement. Leur
hiérarchie et leur organisation ont immédiatement subi de grands
changements au lendemain des élections. La perception française
des attentats du 11-Septembre (en assumant que le tandem
Chirac/Villepin avait compris) a-t-elle évolué au sein de ces
services et du cabinet Sarkozy et dans quel sens selon vous ? En
clair, quel est votre avis, personnel, sur le niveau de
connaissance du gouvernement Sarkozy au sujet de ce qui s’est
réellement passé le 11-Septembre 2001 ?
Thierry
Meyssan : Je ne pense pas que M. Sarkozy s’intéresse à
savoir ce qui s’est réellement passé le 11-Septembre.
J’observe par contre qu’il
écarte systématiquement tous ceux qui ont un avis dérangeant sur
le sujet. Il a procédé à une véritable épuration au sein des
services secrets extérieurs, des instituts de défense et de
l’audiovisuel extérieur de tous ceux qui s’interrogeaient à voix
haute sur le sens de l’opération de l’OTAN en Afghanistan et sur
l’authenticité des liens supposés entre le 11-Septembre et ce
pays. Il s’agissait de fonctionnaires qui se gardaient bien de
professer des opinions dissidentes, mais qui avaient le tort de
poser des questions légitimes.
Le président Sarkozy vient
d’envoyer à la mort 10 jeunes soldats français en Afghanistan.
Il justifie cela en reprenant à son compte le discours des
néoconservateurs sur le 11-Septembre et la guerre au terrorisme.
Ses arguments n’ont pas convaincu les militaires engagés dans
cette opération, d’autant que ceux-ci voient très bien qu’ils ne
luttent pas contre des « terroristes internationaux », mais
contre une insurrection nationale. Le voilà donc qui se lance
lui aussi dans le mensonge, allant jusqu’à reprendre le mythe
(lancé par Laura Bush) des jeunes filles dont les « talibans »
arracheraient les ongles parce qu’elles les ont vernis. Ce genre
d’intox peut convaincre une opinion publique sous-informée aux
États-Unis ou en France, mais pas les militaires en mission qui
sont sur place. Au contraire, le recours si visible à la
propagande ne peut que souligner à leurs yeux la mauvaise foi du
président Sarkozy.
ReOpen911 :
Qu’en est-il de l’élite diplomatique,
journalistique et politique française ? Est-elle aussi
désinformée que les citoyens français ?
Thierry
Meyssan : Les élites ont les moyens de savoir si elles
le veulent. Mais la plupart ne veulent rien savoir du tout.
Elles préfèrent s’en tenir au confort du statu quo.
ReOpen911 :
À votre avis, le mouvement pour la vérité sur le
11-Septembre (9/11 Truth Movement) est-il suivi par différents
services de renseignement dans le monde, et est-il considéré
comme une véritable menace ou simplement comme marginal et
minoritaire ?
Thierry
Meyssan : Ce mouvement n’a rien de marginal. Il porte
sur un point essentiel qui est un révélateur de tout un système.
Comprendre le 11-Septembre, c’est retrouver l’esprit critique et
découvrir que nous vivons dans un monde de mensonges. C’est par
voie de conséquence remettre en cause tous les dogmes de notre
époque, y compris les préjugés que vous avez cités à propos de
la Russie ou de l’Iran. C’est aussi remettre en cause le
bien-fondé de tout ce qu’a permis le 11-Septembre : les guerres
en Afghanistan et en Irak, les lois anti-terroristes, les
enlèvements de la CIA, la torture, etc.
Bien sûr que le mouvement pour
la vérité est suivi par les services de renseignement de
nombreux États. Comprendre le 11-Septembre, c’est redevenir un
esprit libre. Cela a de quoi inquiéter les partisans de l’empire
et conforter ceux qui lui résistent.