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Centre Palestinien
d'Information
Hamas : son histoire de l'intérieur (51)
Photo CPI
Lundi 26 octobre 2009
Dr. Azzam Tamimi
L’ouvrage
Hamas : Son histoire de l’intérieur
de Dr. Azzam Tamimi s’inscrit dans
une volonté de montrer au monde la vision du mouvement du
Hamas et d’expliquer ainsi son développement. Le département
français du Centre Palestinien d’Information (CPI) a donc
jugé intéressant d’en présenter ici la traduction complète,
diffusée régulièrement en de nombreuses parties.
Hors de la Jordanie (11)
Le 28 juin, exactement quatorze jours
après que Ghosheh atterrit en Jordanie, on lui dit qu’il avait
un visiteur spécial. On le ramena dans la pièce où il avait
passé sa première semaine en détention, où il trouva,
l’attendant, son ancien collègue Muhammad Nazzal, qu’il n’avait
pas vu depuis deux ans. Nazzal raconte les origines de cette
rencontre :
« Dix jours après la détention d’Ibrahim Ghosheh à
l’aéroport, j’ai été contacté par le même officiel du DRG avec
qui j’ai négocié les termes de la fin de mon statut de fugitif
et de la sortie de ma cachette. Il a dit qu’il voulait me voir
d’urgence. Je n’avais aucune idée de ce qu’il voulait. Je suis
allé aux quartiers généraux du DRG pour le rencontrer et j’ai
découvert que le DRG cherchait désespérément une aide pour
mettre un terme à la confrontation avec Ghosheh. Ils m’ont
demandé : “Comment allons-nous résoudre ce problème ?” J’ai
suggéré de le laisser entrer. Ils ont dit que cela allait être
impossible à faire de suite. Cela toucherait au prestige de
l’Etat, ont-ils expliqué. Ils ont alors suggéré qu’il quitte le
pays et qu’il revienne ensuite. J’ai dit qu’il serait très
difficile de convaincre les gens du Hamas que la Jordanie le
laisserait finalement revenir une fois parti. Je leur ai demandé
les garanties qu’ils donneraient prouvant qu’ils le laisseraient
entrer. Ils ont dit qu’ils ne souhaitaient pas créer une crise
avec un autre Etat arabe. Ils ont expliqué que leurs relations
avec le Qatar avaient déjà été touchées à cause de cette
question. J’ai contacté les frères au Qatar et leur ai transmis
la proposition du DRG, mais ils n’ont pas accepté l’idée qu’il
parte et qu’il revienne ensuite, car ils craignaient qu’il ne
serait tout simplement pas autorisé à revenir une fois parti.
Les officiers du DRG nous ont demandé de proposer un pays et ont
dit qu’ils étaient prêts à l’y emmener et de le ramener par
avion. J’ai essayé de persuadé les frères que, selon ma propre
estimation personnelle, les Jordaniens étaient sérieux et qu’il
n’était pas dans leur intérêt de créer un nouveau problème avec
un autre pays arabe. J’ai dit que je les sentais sincères dans
leur désir de résoudre le problème. De cette façon, j’ai réussi
à convaincre les frères, et nous avons accepté que cela se fasse
avec le Yémen. Les frères ont suggéré que la Jordanie contacte
les Yéménites, et si les Yéménites acceptaient, il n’y aurait
alors pas de problème. Mais ils ont dit qu’ils voulaient quelque
chose par écrit. Je leur ai dit qu’il n’était pas accoutumé
d’avoir un accord écrit avec les agences de sécurité, mais ils
ont insisté. Je suis allé tous les jours au DRG pour finaliser
l’accord. A ma surprise, le directeur adjoint du DRG n’a pas eu
d’objection quant à l’accord écrit. Il m’a même demandé de
dicter le texte. J’ai dicté ce qui suit : “Les frères du bureau
politique m’ont autorisé à informer le DRG que nous sommes prêts
à autoriser le frère Ibrahim Ghosheh de quitter la Jordanie, à
condition qu’il lui est permis de retourner en Jordanie à
condition qu’une fois dans le pays, il s’abstienne de toute
activité politique et médiatique”. L’officier supérieur du DRG a
signé de la part du DRG et j’ai signé mon nom de la part du
Hamas ».
La décision de conclure le problème de cette façon semblait
avoir été prise car le roi, qui s’était rendu en visite au
Royaume-Uni, avait donné pour instructions que l’affaire devait
être résolue une fois pour toute avant son retour. Certains
observateurs commentèrent à l’époque que peut-être, observant la
situation de Londres, le roi put voir le tort causé à l’image de
la Jordanie par cette affaire.
Nazzal, qui arriva à l’aéroport en la compagnie du directeur
adjoint du DRG, connu sous le nom d’Abu Hashim, expliqua à
Ibrahim Ghosheh qu’un accord avait été passé entre le mouvement
et le DRG pour qu’il se rende au Yémen et qu’il revienne
ensuite. Il lui montra une copie de l’accord écrit signé par les
deux parties. Lorsque Ghosheh fut rassuré de savoir que c’était
la décision du bureau politique, il accepta, en dépit de ses
regrets premiers. Apparemment, rien n’aurait plus donné plus de
plaisir à l’officiel du DRG. Il avait essayé sans succès,
pendant deux semaines, de persuader Ghosheh de partir.
Toutefois, il y eut un obstacle imprévu : le Yémen refusa. Le
gouvernement yéménite n’était pas content que le ministre des
affaires étrangères jordanien, Abd AL-Ilah Al-Khatib, ait
demandé la faveur à son homologue yéménite, ABu Bakr Al-Qirabi.
Ils insistèrent pour que le roi Abdullah appelle le président
Ali Abdullah Saleh et lui en fasse la demande personnellement.
Les Yéménites avaient peur de se retrouver dans la même position
que le Qatar, en hôtes malgré eux d’un déporté du Hamas.
L’officier du DRG revint vers Nazzal pour lui dire qu’ils
étaient dans une réelle situation fâcheuse et qu’il ne savait
pas où envoyer Ghosheh. Nazzal suggéra la Syrie. Cependant, ils
décidèrent de l’emmener ailleurs. Nazzal ne sut pas ce qui se
passa ensuite. Ayant attendu deux heures pour avoir des
informations de l’officiel, en vain, il fut reconduit chez lui.
Il appela ses collègues du Hamas à Doha et leur dit qu’il ne
savait pas où Ghosheh était conduit. Ils contactèrent les
Yéménites, qui dirent qu’ils n’avaient passé aucun accord et
qu’il ne savait rien du voyage. Les quarante-huit heures
suivantes virent une guerre de mots entre le Hamas, qui accusait
le DRG d’avoir kidnappé Ghosheh, et le gouvernement jordanien,
qui ne savait qu’à peine quoi dire. L’explication commença à
émerger lorsque le directeur adjoint du DRG appela le premier
ministre Abu Al-Raghib et lui dit que lui et Ghosheh étaient à
Bangkok. Le premier ministre explosa de colère, étant le dernier
informé, mais appela Nazzal et lui assura qu’aucune ruse n’était
jouée et que leur homme serait bientôt de retour à Amman.
Voici comment Ibrahim Ghosheh décrivit ce qui lui arriva après
avoir quitté Nazzal :
« Je suis allé dans ma pièce et j’ai quitté Nazzal avec
l’officiel du DRG. Deux heures plus tard, l’officiel est venu et
m’a demandé de me préparer à partir. Je suis monté à bord de
l’avion, pensant que je partais pour le Yémen. Nous étions cinq
au total. On m’a assis dans l’avion entre deux gardes, un à ma
gauche et un autre à ma droite, comme si l’on voulait m’empêcher
de fuir ! Le capitaine annonça que notre destination était
Bangkok. Je n’étais pas alarmé, car je savais que cela aurait pu
être le Yémen ou tout autre endroit. La raison pour laquelle
nous sommes allés à Bangkok était que le seul vol de la Royal
Jordanian à quitter Amman ce soir-là partait pour Bangkok.
C’était un voyage long et dur avec de fréquentes turbulences.
Pour empirer les choses, nous avons atterri à Calcutta pour
déposer quelques passagers. A l’arrivée à Bangkok, nous nous
sommes présentés à un hôtel de la zone duty free de l’aéroport.
Officiellement, nous ne sommes jamais entrés en Thaïlande. Pour
préparer la voie à mo retour, il m’a été demandé d’écrire une
déclaration, après quoi le roi me donnerait sa permission de
retourner à Amman. J’ai écrit une déclaration, que le directeur
adjoint du DRG a faxé à son chef, Sa’d Khayr, à Londres, qui se
trouvait apparemment avec le roi au cours de sa visite au
Royaume-Uni. Ma déclaration ne les a pas satisfaits, et ils ont
produit un texte alternatif dans lequel je semblais demander
pardon au roi et promettre de rompre tout lien avec le Hamas.
J’ai refusé de signer ce que je considérais à une déclaration
des plus humiliantes. J’ai dit à l’officiel du DRG qu’il avait
mon passeport et mon téléphone portable, et que même s’il devait
m’abandonner dans les ruelles de Bangkok, je ne mettrais jamais
mon nom sur une déclaration aussi humiliante. Les négociations
durèrent six heures avant que nous ne parvenions à un accord.
Puis ils m’ont permis d’effectuer un appel téléphonique avec mon
épouse en Jordanie pour lui dire que j’étais à Bangkok, que tout
allait bien, et que bientôt, je serais sur le chemin du retour
pour Amman ».
A environ minuit, les officiers du DRG décidèrent de quitter
Bangkok immédiatement. Ils avaient été alertés que les autorités
thaïlandaises étaient à leur recherche, car des médias
rapportaient qu’un officiel majeur du Hamas était bloqué à
l’aéroport de Bangkok. Fuyant ce qui aurait pu être un nouvel
épisode embarrassant, ils s’envolèrent sur le premier vion
disponible pour Kuala Lumpur. Des arrangements avaient déjà été
faits pour qu’ils prennent un vol de la Royal Jordanian de Kuala
Lumpur pour Amman, arrivant en Jordanie dans les premières
heures du matin du samedi 30 juin 2001.
Dans un effort de se sauver la face, le ministre de
l’information jordanien Salih AL-Qallab annonça que le roi avait
pardonné à Ibrahim Ghosheh, qui, affirma-t-il, avait promis dans
une lettre de renoncer à tous liens avec le Hamas. Il se démena
pour nier l’existence d’un accord entre les autorités
jordaniennes et le Hamas, insistant que « nous n’avons pas de
dialogue avec le Hamas ». En réalité, Ghosheh écrivit dans la
lettre : « Je gèlerai mes activités politiques, médiatiques et
organisationnelles avec le Hamas », et ne promit jamais de
renoncer à tous les liens comme Al-Qallab le prétendait. C’est
pourquoi Khaled Meshaal pensa nécessaire de dire aux médias et
au public que Ghosheh garderait son rôle au sein du Hamas sous
l’accord parvenu avec le gouvernement. Il expliqua que l’accord
entre le Hamas et les autorités jordaniennes « stipule
qu’Ibrahim Ghosheh arrête toute activité à l’intérieur de la
Jordanie au nom du Hamas, et non pas qu’il renonce à son rôle et
à sa position dans le mouvement ».
Ce fut la fin de la guerre de retour entre la Jordanie et le
Hamas, qui trouva une compensation pour la perte de sa position
à Amman avec les gains réalisés dans une multitude d’autres
capitales. Sur le plan opérationnel, les leaders du Hamas
pouvaient désormais employer Doha, Damas et Beyrouth. La
Jordanie, d’autre part, perdit un bien très important : la bonne
volonté du Hamas. C’était quelque chose que le défunt roi
Hussein avait hautement estimé, le trouvant très utile dans sa
conduite de la politique dans la région. Comme les événements
allaient le prouver par la suite, la guerre jordanienne avec le
Hamas fut une erreur de calcul très coûteuse. A cause de son
attaque contre le Hamas, la Jordanie ne joue plus de rôle
significatif dans la question palestinienne. Par exemple, la
Jordanie ne peut rivaliser avec les accomplissements de l’Egypte
dans les domaines de la médiation, l’aide aux discussions et les
négociations entre les différentes factions palestiniennes. Elle
ne peut non plus jouer le genre de rôle que la Turquie peut
jouer dans le futur, en termes de médiation entre une autorité
palestinienne dirigée par le Hamas et Israël.
Ibrahim Ghosheh resta en Jordanie, gardant profil bas et se
conformant aux termes de l’accord qui lui permit finalement de
rentrer au pays. Cependant, les autorités imposèrent des
restrictions sur son voyage à l’étranger. Il ne lui était pas
permis de quitter le pays, pas même pour la ‘umra ou le hajj (le
petit et le grand pèlerinages), jusqu’en décembre 2005, où il
fut autorisé à se rendre à Sanaa au Yémen pour assister à la
quatrième conférence des administrateurs de Quds Foundation,
duquel il était un administrateur et un membre fondateur.
Muhammad Nazzal, entre-temps, rejoignit le reste des membres du
bureau politique du Hamas à Damas. Il visite fréquemment la
Jordanie en accord avec un accord qu’il atteignit avec les
autorités jordaniennes, qui promirent qu’il serait autorisé à
rentrer au pays par un arrangement préalable avec eux, à
condition qu’à l’intérieur de la Jordanie, il ne s’engage pas
dans des activités politiques ou médiatiques. Les autorités
jordaniennes annulèrent leur précédente décision de retrait de
la nationalité aux membres jordaniens du bureau politique et
leurs personnes à charge. Les familles de tous les officiels du
Hamas continuent à être libres de voyager à l’intérieur et à
l’extérieur de la Jordanie comme ils le souhaitent.
Entre-temps, les relations entre le Hamas et les Ikhwan
jordaniens parvinrent finalement à un équilibre par lequel les
deux mouvements s’accordèrent mutuellement à dire qu’ils
n’étaient plus la même organisation, en aucun cas. Ils ne
partagent plus les mêmes objectifs non plus, comme ils l’avaient
fait jusqu’au milieu des années 1990. Ceux qui désiraient une
séparation totale entre les deux mouvements voyaient leur vœu se
réaliser. Il se peut que le même résultat pût être réalisé,
toutefois, de manière à préserver un pont entre les deux
organisations. Les Ikhwan jordaniens considèrent maintenant le
Hamas comme une organisation illégale en Jordanie. Le Hamas
regrette que les événements se soient ainsi terminés, mais il
apparaît qu’il n’eut de choix que d’accepter la situation
jusqu’à ce que les circonstances puissent changer et que les
relations entre le Hamas et le régime jordanien puissent être
restaurées. En dépit de tout cela, au niveau du public, le Hamas
est toujours très populaire en Jordanie, à l’intérieur comme à
l’extérieur des rangs des Ikhwan.
Fin du chapitre.
Hamas: son histoire de
l'intérieur (50)
Hamas: son histoire de
l'intérieur (52)
Traduction réalisée
par le Centre
Palestinien d’Information (CPI)
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