Nouvelles d'Irak
Entretien
n°6 - FBI-Saddam Hussein
Gilles Munier
Gilles Munier
Samedi 20 mars 2010
Baghdad Operation Center
16 février 2004
Entretien conduit par George L. Piro
Rapport traduit de l’arabe en anglais par le FBI
Traduction en français : Xavière Jardez
Titres, sous-titres et notes : Gilles Munier
La révolution
baasiste de juillet 1968
2ème partie : le coup d’Etat manqué
de Nadhim Kazzar
Saddam Hussein (Détenu de Haute Valeur n°1) a été
interviewé le 16 février 2004 dans un bâtiment de détention
militaire à l’Aéroport International de Bagdad (AIB),
Bagdad, Irak. Hussein a fourni les informations suivantes :
Au début de l’entretien, l’interviewer a annoncé que l’entretien
serait la continuation de la discussion d’hier sur les années
qui ont suivi la révolution de 1968 et sur les membres
proéminents du Parti Baas.
Au Baas, pas de distinction
« sur la base de la religion
ou de l’ethnie »
L’interviewer a indiqué à Hussein qu’il comprenait que la
tentative de coup d’Etat en 1973 était le fait de Nadhim Kazzar,
protégé de Hussein et directeur des services secrets du Parti
Baas (1), chiite de la ville de Al-Amarah. Hussein a
rétorqué qu’à l’époque le Parti ne savait pas qui parmi ses
membres étaient musulman sunnite, musulman chiite, ou chrétien.
Ce n’est que tardivement, a-t-il souligné, qu’il avait appris
que l’un des membres du parti, Tarek Aziz, était chrétien. Le
Parti avait réussi parce qu’il se liait aux gens et, ainsi, sans
qu’aucune distinction ne soit faite sur la base de la religion
ou de l’ethnie.
Hussein a raconté que peu de membres de la direction du Parti,
entre 1958-1963, étaient sunnites. Le Secrétaire-général était
chiite, de Nasiriya. Hussein a prétendu que, lors de sa
tentative d’assassinat du Président Kassem en 1959, il ne
connaissait rien sur les sunnites et les chiites. En 1963, à
l’exception de deux ou trois membres du Parti Baas, presque tous
les membres étaient chiites. Après la Révolution, les gens ont
commencé à se demander qui, au Parti, était chiite ou sunnite.
Cependant, vers 1968, presque tous les membres du parti
étaient sunnites. Comme le parti avait, auparavant, opéré
secrètement, peu de membres savaient ou se souciaient de la
religion de l’autre. Cependant, après la révolution, beaucoup
ont, au sein du gouvernement, évoqué la question pensant que les
promotions et les destitutions étaient décidées sur la base de
la secte musulmane ou de l’appartenance religieuse. Hussein a
déclaré : « Vous seriez surpris de savoir qu’en 1964, le
Secrétaire général du parti était un Kurde (2) ».
L’Irak venait de nationaliser le pétrole
Selon l’interviewer, Nadhim Kazzar était perçu comme « le
bras droit » de Hussein, et de ce fait, à un certain
moment, il avait été considéré comme une menace pour le régime
du Président al-Bakr. Hussein a refusé cette interprétation
disant qu’il n’était pas son bras droit dans le gouvernement et
que chacun avait ses devoirs et ses responsabilités. Il a dit
que même si Kazzar n’était ni un révolutionnaire, ni parmi les
soixante-dix qui investirent le palais présidentiel, il était un
bon membre du Parti et une personne endurante quand il avait été
emprisonné.
Kazzar n’était pas convaincu que l’armée serait une bonne chose
pour le Parti. Il était influencé par les membres qui
l’avaient quitté et croyaient en une philosophie socialo-
communiste. Il considérait les membres militaires du Parti comme
démodés et un fardeau. En dépit de cette éventualité, il demeura
au Parti. Hussein n’a aucune information sur les rencontres de
Kazzar avec des officiels iraniens. Il a raconté qu’après sa
tentative de coup d’Etat, il s’est enfui vers l’Iran mais fut
arrêté avant d’atteindre la frontière. Hussein a dit qu’il ne
voulait pas dire de « mal » de lui. Il a ajouté que,
quand Kazzar a « arrêté » le ministre de la Défense
Hammad Shihab (3) et le ministre de l’Intérieur,
Saadoun Ghaydan (4), cela s'est fait facilement car
cela ne requérait pas un plan élaboré (5).
Pendant cette discussion, Hussein a digressé et qualifié cette
période de meilleure période de l’Irak parce que « nous
avons nationalisé le pétrole (6), conclu les différends
pétroliers avec les compagnies pétrolières et investi de
l’argent dans Al-Thawra (7) » qui a été ensuite renommée
Saddam City.
Selon Hussein, le Baas avait pour habitude de recruter des
jeunes, dès le début de leur scolarité, en primaire et
secondaire, très rarement au niveau de l’université. La
philosophie était de pouvoir « modeler » une personne
pour qu’elle puisse « grandir » dans le Parti. Dans les
années 50 et 60, le Parti a, d’abord, accepté des jeunes et
quelques personnes plus âgées. Des membres du Parti, comme
Kazzar, ont mis en doute l’allégeance des membres les plus
récents.
Arrêté près de la frontière iranienne
L’interviewer a observé que beaucoup pensaient que le plan de
Kazzar d’assassiner Al-Bakr avait mal tourné quand il avait
appris que l’avion de ce dernier avait été retardé et avait cru,
à tort, que son complot avait été éventé. Il a continué en
disant qu’ainsi il avait pris les deux ministres Shihab et
Ghaydan en otages et s’était enfui vers l’Iran où il fut capturé
par Hussein. Hussein a alors dit : « Votre information est
erronée ». Selon ses sources, l’avion d’Al-Bakr n’avait pas
de retard et ses gardes l’attendaient à l’aéroport. Il l’a
lui-même attendu et l’a accompagné au palais présidentiel où ils
ont pris le thé. Plus tard, il s’est excusé afin que Bakr puisse
voir sa famille. Hussein a fait un tour de Bagdad et en route,
ils ont entendu sur la radio de la police que les ministres
Shihab et Ghaydan avaient fait une tentative de coup d’Etat. Vu
la gravité de la situation, il a pris le volant jusqu’à sa
résidence, située près de celle du Président al-Bakr. A l’entrée
de sa résidence, il a appelé Bakr au téléphone qui lui a demandé
où il se trouvait car il avait quelque chose de très important à
lui raconter. Hussein a dit qu’il était tout près mais qu’il
avait entendu les nouvelles. Hussein a donc rencontré Bakr qui
lui a rapporté que Shihab et Ghaydan avaient fait une tentative
de coup d’Etat, qu’il avait essayé, en vain, d’appeler
Shihab. Hussein a alors informé Al-Bakr qu’il avait un
« pressentiment » à propos de Kazzar, que c’était lui, et
non les deux ministres, qui avait fomenté le coup d’Etat.
Hussein a ensuite demandé à Bakr d’appeler la division militaire
et de se préparer à retrouver Kazzar et « de le frapper
avant qu’il ne franchisse la frontière avec l’Iran » (8).
Près de la frontière avec l’Iran, il y avait des tribus où
Hussein et Shaker (9) allaient chasser. Après le
Révolution, Hussein leur avait donné beaucoup de fusils. Une
annonce fut diffusée à la radio de capturer Kazzar et d’en
informer la cellule la plus proche du Parti Baas. Des membres
d’une tribu remarquèrent la caravane de Kazzar, l’entourèrent et
le détinrent. Des hélicoptères des Forces Spéciales furent
dépêchés pour le ramener à Bagdad.
Après que Bakr eut appris ce qui s’était exactement passé, il a
commencé à pleurer, a pris ses affaires et a quitté le palais
pour se rendre à sa résidence. Selon Hussein, il lui a
confié qu’il ne voulait plus être Président, qu’il voulait que
Hussein reste au gouvernement afin qu’il puisse
« s’éclipser ». Hussein prétend avoir fait à Bakr la
même déclaration, celle de vouloir quitter ses fonctions.
Hussein a alors demandé que l’on ne dérange plus Bakr, et de le
laisser chez lui, tranquille. Hussein a fait arrêter les
supposés auteurs du coup d’Etat, puis a appelé Bakr pour
l’informer que certains étaient membres de la direction du
Parti. Il a alors organisé une réunion avec Bakr, les dirigeants
du Comité Central du Parti et des comités nationaux et lui-même.
Comment avez-vous su que Kazzar s’enfuirait en Iran ? Hussein a
répondu que, lorsque l’avis de recherche a été lancé à la radio,
les gens ont commencé à appeler pour dire qu’ils l’avaient
aperçu. Ce n’est que, au fur et à mesure de ces informations,
que Hussein a compris qu’il se dirigeait vers l’Iran.
Kazzar a-t-il appelé le Président Bakr ? Non, a répondu Hussein.
Apparemment, le véhicule de Kazzar s’était embourbé et, quand il
a sollicité l’aide des fermiers aux alentours, ces derniers ont
appelé à l’aide. C’est à peu près à ce moment-là que Kazzar a
tiré sur les ministres Shihab et Ghaydan qu’il avait pris en
otage. Shihab a survécu en faisant le mort.
Abdel-Khaleq as-Samarrra’i
parmi les conspirateurs ?
Il fut demandé à Hussein si Kazzar avait appelé Al-Bakr pour
négocier la libération des otages et, dans le même temps, choisi
la résidence de Abdel-Khaleq as-Samarrra’i (10) pour
une rencontre. Hussein a démenti et précisé qu’une annonce
avait été faite sur la fréquence d’urgence de la radio annonçant
une tentative de coup d’Etat et que tous les membres du parti
devaient se réunir chez Abdel-Khaleq as-Samarra’i. Il ne sait
pas pourquoi cet endroit avait été retenu comme lieu de réunion
mais il soupçonne qu’on y avait convié les membres du Parti pour
les arrêter. Samarra’i était-il impliqué dans le coup simplement
à cause de cette réunion ? Hussein a répondu : « un comité
s’était chargé de cela ». Il ne se souvient plus de qui
était à la tête du comité, ni même si c’était Izzat Ibrahim
al-Douri (11). « Je ne voudrais pas commettre
une erreur sur quelque chose dont je ne suis pas sûr à cent pour
cent ». Hussein a reconnu que Samarra’i était membre du
Parti depuis 1968. A la question de savoir si Samarra’i donnait
son avis sur les questions, Hussein a dit : « Au Parti Baas,
on parlait librement. C’est les médias qui disent que personne
ne pouvait s’exprimer ». Il reste encore des membres du
Parti, a-t-il suggéré à l’interviewer que ce dernier pourrait
interroger. On lui a demandé s’il avait été surpris des
allégations contre Samarra’i. Il a répondu : « Quand nous
confions à quelqu’un quelque chose à faire, nous lui faisons
confiance. Ce sont des choses qui arrivent au cours d’une
révolution ».
Hussein a alors remarqué : « Que je sois le premier ou le
deuxième, toutes les questions me reviennent. Je n’ai pas peur
de prendre mes responsabilités devant la loi ou le peuple. Vous
ne pouvez pas seulement accuser la direction, mais aussi des
gens qui ont conspiré tels que Samarra’i. Je veux que vous
compreniez bien la situation. Hier, nous avons parlé de
l’assassinat de Nayif et Hardan à l’étranger. Ibrahim Daoud ne
l’a pas été. Si le gouvernement irakien est accusé de tout cela,
pourquoi n’a-t-il pas tué Daoud ? ».
Hussein a déclaré : « Si je me souviens bien, Bakr a
gouverné jusqu’en 1979 et n’a jamais été appelé un dictateur,
mais quand j’ai pris le pouvoir, on m’a appelé un dictateur ».
Hussein a ensuite demandé : « Après 1979, qui a été tué ou
assassiné à l’intérieur ou à l’extérieur du pays ? Qui a été
exécuté dans les ministères ou en dehors de la direction
du Parti après 1979? ».
« Chacun a ses propres préjugés…
L’homme n’est pas un ordinateur »
A la suite de ces questions, l’interviewer a dit que des
questions restaient sans réponse, mais qui demandaient, pour
l’histoire, d’être clarifiées. Hussein a dit : « Ce n’est
pas suffisant de me questionner. Vous devriez demander à
d’autres dirigeants ». Hussein a dit qu’il n’était pas gêné
de répondre aux questions.
L’interviewer a alors observé qu’il (Hussein) répondait
aux questions pour les mêmes raisons qu’on les lui posait, à
savoir l’histoire. Hussein a répondu : « Vous me voyiez,
quelquefois, contrarié parce certaines choses sont sombres. Au
cours de cette période, il y a eu des temps heureux et des temps
sombres. Nous avons ri et plaisanté. Samarra’i a servi et nous
avons plaisanté avec lui. Il a commis des erreurs. Nous avons
poursuivi notre route. J’espère que vous serez juste dans le
compte-rendu que vous (les interviewers) ferez ».
L’interviewer a observé : « Heureusement, ou
malheureusement, j’aurai un impact capital sur votre histoire ».
A quoi, Hussein a acquiescé et répondu : « Personne ne peut
dire qu’il est sans préjugé. Les gens pensent ce qu’ils veulent.
Chacun a sa propre opinion. L’homme n’est pas un ordinateur.
Nous sommes tous faits de chair et de sang ».
Notes:
(1)
Nadhim Kazzar était membre du
Djihaz al-Hunein (en référence
à la bataille d’Al-Hunein, livrée par le Prophète Muhammad au
début de l’islam), le service secret interne au parti Baas
créé dans la clandestinité par Saddam Hussein et Hassan al-Bakr.
Après la Révolution de 1968, Kassar dirigea les services de
sécurité et le Palais de la fin
(al-Nihahiyah), un
ancien palais royal transformé en lieu de détention. La
tentative de coup d’Etat eut lieu le 30 juin 1973. Un de ses
objectifs était, dit-on, de rayer la ville de Tikrit –
dont
Hassan al-Bakr et Saddam Hussein étaient originaires – de
la carte.
(2) (recherche documentaire - en attente)
(3)
Le général Hammad Shihab, proche du parti Baas, avait commandé
le 10ème régiment blindé et participé à la Révolution
de 1986, posant comme condition que le Président Aref ne soit
pas exécuté. Après la Révolution, il fut nommé gouverneur
militaire de la région de Bagdad, chef d’Etat major de l’armée
et membre du Conseil de commandement de la révolution.
(4)
Le lieutenant-colonel Saadoun Ghaydan commandait le régiment
blindé de la Garde républicaine du Président Aref. Proche du
Baas lors de la révolution de février 1963, il participa à celle
de 1968, fut promu au grade de colonel, commandant de la garde
présidentielle. Et élu membre du Conseil de commandement de la
révolution.
(5)
Nadhim Kazzar avait invité Hammad Shihab et Saadoun Ghaydan a
visité une partie soi-disant secrète et ultra moderne du Palais
al-Nihahiyah et les avait mis aux arrêts !
(6)
Le Président Hassan al-Bakr a nationalisé l’IPC
(Iraq
Petroleum Company) le 1er juin 1972. Les parts
de la société se répartissaient ainsi :
British Petroleum
Company (23,75%), consortium Shell et compagnies royales
hollandaises (23,75%), CFP -Compagnie française des
pétroles (23,75%), compagnie américaine d’exploitation du
Proche-Orient (23,75%), Calouste Gulbenkian- compagnie de
participation et de prospection (5%).
(7) Al-Thawra (La Révolution) :
quartier de Bagdad dont la construction a débuté sous la
présidence du général Kassem. Agrandi et modernisé après 1968,
il a été rebaptisé Saddam-city. Aujourd’hui, il est
appelé Sadr-City.
(8)
L’Iran et l’Irak accueillaient généralement leurs opposants
mutuels.
(9)
Saadoun Shaker, membre de la direction régionale du Baas,
n’était pas encore ministre de l’Intérieur
(cf. note-
entretien n°5). L'entretien n°7 lui est consacré.
(10)
Abdel-Khaleq as-Samarrra’i, membre de la direction régionale du
parti Baas (c'est-à-dire pour la région Irak), où il
était chargé des relations extérieures. Il fut également membre
du Commandement national (pan-arabe) de 1968 à 1970.
C’était un intellectuel influent, classé à gauche en raison de
ses contacts avec des membres du Parti communiste. Emprisonné à
la suite du complot Kassar qui lui avait téléphoné quand il
s’était aperçu que son opération avait échouée, Abdel-Khaleq
as-Samarrra’i a été exécuté en 1979.
(11)
Izzat Ibrahim al-Douri
(cf. note entretien n°5). De1968
à 1974, il était ministre de la Réforme agraire..
© X.Jardez et G. Munier – Traduction en français et notes
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 20 mars 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
Entretien n°5 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°4 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°3 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°2 - FBI-Saddam Hussein
Entretien n°1 - FBI-Saddam Hussein
Entretiens FBI-Saddam Hussein (Introduction)
Le dossier
Irak
|