Madaniya
Le grand marché
transatlantique :
Vers Un OTAN
économique ?
René Naba
Photo:
D.R.
Dimanche 8 février 2015
1- Une mise au
pas américaine de l’Europe face à la
déferlante chinoise.
Paris- 04.02.15- Un
Grand Marché Transatlantique devrait se
mettre en place en 2015 dans la plus
grande discrétion, deuxième pilier d’un
édifice conçu par les États Unis en vue
d’assurer la pérennité de la suprématie
américaine face à la Chine, désormais
première puissance économique du monde,
d’une part, et le BRICS, d’autre part,
dont l’émergence diplomatique à la
faveur de la guerre de Syrie en y
mettant en échec la stratégie
atlantiste, a signé l’avènement d’un
nouveau monde multipolaire.
Le sommet anti
terroriste prévu le 18 février à
Washington en réplique au carnage de
Charlie Hebdo, le 7 janvier dernier à
Paris, devrait vaincre les réticences
des derniers récalcitrants européens à
une mise au pas de l’Union européenne
sous la coupe américaine.
Les BRICS (Brésil,
Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud)
ont affiché, en 2014, un PIB nominal
cumulé de plus de 14 000 milliards de
dollars, soit pratiquement autant que
celui de la totalité des 28 pays de
l’Union européenne (18. 874) et proche
de celui des États-Unis (17. 528). La
Chine, de son côté, a anticipé cette
manœuvre de contournement en s’ouvrant
sur la Russie, offrant un soutien à ce
pays en difficulté en raison des
sanctions atlantistes à propos de
l’Ukraine et en raison de la chute des
cours du brut.
Ce faisant, Pékin a
visé à renforcer sa politique de
voisinage en Asie, où se trouve la
moitié de ses dix principaux partenaires
économiques, notamment le Japon et
l’Inde, en reléguant au second plan ses
relations avec le bloc atlantiste, jugé
très interventionniste sur la question
du Tibet.
Traduction sur le
plan économique de la structure
militaire de l’Otan, héritée de la
guerre froide soviéto-américaine, le
Grand Marché Transatlantique se présente
comme le complément au «Traité de
Partenariat trans-pacifique» constitué
sous l’égide américaine dans la zone
Asie pacifique. En un déploiement
arachnéen, le marché transatlantique
constituera le substrat économique de
L’OTAN et le trans pacifique celui de
l’OTASE (l’Otan du sud est asiatique).
Ce groupement se
veut comme un «espace de liberté, de
sécurité, de justice» en Europe. Il
reposerait sur le marché libre et sur le
contrôle des populations. Il
fonctionnera à ce titre selon le
principe d’un commandement centralisé
-un décideur, 28 exécutants; un
dispositif dicté selon la loi implacable
des rapports de force. En somme un OTAN
économique: Une instance économique
dotée d’une structure fortement
hiérarchisée soumise à des règles
draconiennes sous la sourcilleuse
supervision des États Unis.
-
à ce propos
«Racket américain et démission
d’État»: Un rapport du Centre
Français de Recherche sur le
Renseignement par Leslie Varenne et
Eric Denécé (Rapport de recherche
n°13, décembre 2014).
Ce «futur Grand
Marché Transatlantique» mené par l’Union
Européenne et les États-Unis
s’articulera en effet sur deux piliers:
un Marché Libre, dérégulé et sauvage, et
un contrôle accru des populations
justifié par le terrorisme, avec son
acte fondateur: les attentats du 11
septembre 2001 qui légitiment une force
arbitraire. Le contrôle portera
notamment sur la surveillance des
données personnelles sur facebook et la
messagerie électronique, de même que les
puces des cartes de crédit, les caméras
de surveillance et la biométrie. Les
déboires d’Edward Snowden (NSA, National
Security Agency) et de Julien Assange
(Wikileaks) en portent témoignage. Dans
cette perspective, des fleurons de la
presse française sont ainsi passés sous
contrôle des grands opérateurs de
téléphonie mobile (Le Monde, Xavier Neel
Free, -Libération le franco israélien
Pierre Drahi Numéricable- et TFI
Bouygues) avec leur cohorte d’abonnés.
Ce nouvel ensemble
UE-US, approuvé le 28 mai 2008 par les
Institutions Européennes, signifierait
ainsi le transfert de la souveraineté
européenne, après la transfert des
souveraineté nationales de ses états
membres qui seraient alors
institutionnellement tous sous influence
et domination américaine. Ce nouvel
espace de liberté repose sur les
dispositifs juridiques suivants:
-La Résolution du
Parlement européen sur les relations
transatlantiques, B6-0280/2008, du 28
mai 2008.
The Council of the European Union, «Note
from Presidency to Coreper, Final Report
by EU-US Hight Level Contact Group on
information sharing and privacy and
personal protection»,
9831/08, Brussels 28 mai 2008).
2- Le seuil
critique
L’émergence sur la
scène internationale d’états continents
(Chine, Inde) et de dragons économiques,
ont conduit les états nations à
constituer de grands ensembles
régionaux, sur une base géographique,
afin d’atteindre un seuil critique à
l’effet de maintenir leur positionnement
sur les relations internationales et de
répondre aux exigences de la
mondialisation des flux.
ALENA (Canada,
États-Unis, Mexique), MERCOSUR (Amérique
Latine), Union européenne, Conseil de
Coopération du golfe (CCG), Groupe de
Shanghai (Chine Russie, Asie centrale
avec Iran au rang d’observateur), de
même que les «Next eleven»: Les sigles
se succèdent dans un entre-las
d’alliances à l’effet de favoriser une
synergie visant un positionnement
optimal dans la nouvelle compétition
pour la conquête des marchés et des
matières premières. Une recomposition
opérée dans un contexte marqué par un
bouleversement de la géo-économie
mondiale, avec une concurrence accrue de
l’hémisphère sud face à l’hégémonie
absolue de l’hémisphère nord dans la
gestion des affaires de la planète
depuis la découverte du continent
américain il y a cinq siècles.
Les «Next eleven»
comprend les onze pays suivants:
Bangladesh, Égypte, Indonésie, Iran,
Corée du Sud, Mexique, Nigeria,
Pakistan, Philippines, Turquie, Viêt
Nam. Ils sont présentés comme les onze
prochains pays émergents susceptibles
d’avoir le même effet que les BRICS.
3- La nouvelle
frontière: barrage ou passerelle ? (2)
Le développement de
ces grands ensembles économiques à
soubassement régional a certes répondu
aux besoins de la mondialisation de
l’économie. Mais si elles ont aboli les
frontières entre les états membres, pour
en faire des passerelles d’échange,
elles ont dressé des barrages face aux
autres états non membres.
La fin de la
bipolarisation du Monde a entraîné la
destruction des murs de séparation de la
guerre froide. La destruction du Mur de
Berlin et l’implosion de l’Union
soviétique ont entraîné l’inclusion de
l’Europe de l’Est ex-communiste dans la
sphère géopolitique de l’Otan et la
constitution d’une Union Européenne de
27 membres.
Cette dynamique
plutôt que d’entraîner une abolition des
frontières à l’espace planétaire, a
généré, dans la première décennie du XXI
me siècle, une multiplication de
barrages de séparation même au sein
d’états associés; voire même à des
démembrements d’états, contraire au
principe de l’intangibilité des
frontières issues de la colonisation
(Soudan), auparavant en Europe URSS et
Yougoslavie, et en riposte, l’Ukraine
par rattachement de la Crimée à la
Russie.
-
Muraille à la
frontière entre les États Unis et le
Mexique pour freiner la migration
clandestine quand bien même les
États Unis et le Mexique font partie
de l’ALENA. Illustration du slogan
du message subliminal des pays
occidentaux au reste du Monde: «Oui
aux capitaux exotiques, non à
l’immigration basanée».
-
Muraille de
sécurité à Bagdad autour de l’ancien
palais présidentiel de Saddam
Hussein, la fameuse zone verte, le
siège de l’ambassade américaine,
espace de démarcation entre les
libérateurs américains et leurs
supposés alliés, les anciens
opposants à Saddam.
-
Mur
d’apartheid entre Israël et la
Palestine autour de Jérusalem
-
Muraille de
sécurité entre l’Arabie saoudite et
l’Irak et le Yémen.
Cf à ce propos
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20150118.OBS0206/la-grande-muraille-de-l-arabie-saoudite-contre-l-etat-islamique.html?xtor=RSS-19
A noter toutefois
une percée diplomatique majeure sur le
continent américain, la fin de
l’ostracisme des États Unis à l’égard de
Cuba, au terme d’un blocus de 52 ans, le
plus long embargo économique de l’époque
contemporain; une levée de blocus
justifiée par les nouvelles menaces
planétaires, notamment le terrorisme pan
islamique.
4- La
problématique de l’Union européenne
Chaque
superstructure s’est accompagnée d’un
abandon de souveraineté et d’une
dépersonnalisation concomitante des
citoyens. Il en est ainsi de l’Union
européenne mue à l’origine par une
double impulsion idéologique:
-
Sceller, par
la mise en commun des richesses
communes (charbon, acier), la
réconciliation des deux grandes
puissances continentales européennes
dont la rivalité au XX me siècle
avait entraîné, au terme de deux
guerres mondiales (1914-1918,
1939-1945, un déclassement de
l’Europe dans la hiérarchie des
puissances.
-
Proposer une
ambition nouvelle à la jeunesse
européenne après la perte des
colonies. Ambition d‘une fraternité
trans européenne, simultanément à
l’engagement humanitaire dans le
tiers monde. La décolonisation de
l’Afrique est intervenue au début de
la décennie 1960, alors que John
Kennedy lançait l’idée de la
conquête de nouvelles frontières
(l’espace et Peace corps).
Un même espace
juridique commun à 27 pays, un marché de
consommation de 527 millions de
personnes, représentant sept (7) pour
cent de la population mondiale et 25
pour cent de son PNB, un centre de haute
technologie et de productivité haut de
gamme, cimenté par une monnaie commune,
un dispositif réglementaire commun ont
donné une nouvelle visibilité au
continent européen.
Mais, en
contrecoups, La directive européenne et
le principe de la subsidiarité ont
imposé des limites à la souveraineté
nationale des états membres, quand bien
même ils constituent un gage
d’intégration européenne. La
supranationalité, une innovation
juridique européenne, a impliqué une
souveraineté minorée des états membres
en ce qu’elle constitue une notion
intermédiaire entre la souveraineté
absolue et le régime de la tutelle.
5 – Libre Marché
et déficit démocratique.
Face à la crise
systémique de l’endettement européen, le
devenir de l’Europe balance ainsi entre
stagnation de la croissance et montée en
puissance des pulsions xénophobes, dont
les faits les plus marquants auront été
le carnage d’Oslo, une visibilité
électorale des partis nationalistes de
la droite radicale (FN en France), les
guerres de prédation économique (Libye,
Syrie), sous couvert de printemps arabe.
Des pays dirigés
par des directives européennes
elles-mêmes «dictées» par les États-Unis
avec le consensus de Washington comme
moteur du consensus de Bruxelles.
L’Union Européenne, elle-même soumise et
non plus souveraine, conduite à régenter
selon le schéma américain la vie
quotidienne des citoyens, dont la
souveraineté étatique est déjà confiée à
l’Europe.
Au clivage
droite-gauche,
conservateurs-travaillistes
(Royaume-Uni), se substituera un nouveau
clivage: population/pouvoir versus États
et entreprises privées, citoyens
Européens versus Institutions-lobbies.
Un clivage dominé et régi par le libre
Marché. Avec en prime le triomphe d’une
culture d’entreprise sur la culture
démocratique et républicaine en ce que
les États-Unis n’accepteront un espace
de libre-échange qu’à la condition d’un
contrôle accru des populations et des
démocraties. Le slogan sarkozyste
«travailler plus pour gagner plus»
pourrait s’interpréter dans cette
perspective par «travailler plus pour
réfléchir moins».
L’alter-mondialisme
et l’anticapitalisme basique ont été
caricaturés et marginalisés par
l’idéologie de la Mondialisation au
point de stigmatiser les tenants de
cette ligne de combat politique de Jean
Luc Mélenchon à Olivier Besancenot.
La finance,
l’argent, le Marché sont de bons
serviteurs et de mauvais Maîtres. La
devise de ce grand marché pourrait être:
libre Marché et déficit démocratique. Et
pour la population de l’ensemble
européen, un consommateur et non un
citoyen.
6 -Le précédent
de l’AMI (Accord Multilatéral sur les
Investissements)
L’AMI, au nom si
trompeur, tout comme d’ailleurs l’OMC
sur un autre plan, masquait en fait une
vaste opération de séduction dolosive.
De par ses dispositions, l’AMI, accord
multilatéral, ne paraissait pas si
amical que ce sigle ne suggérait. Le
Libre échange qu’il entendait instituer
à l’échelle de la planète n’a aménagé ni
la liberté, ni la réciprocité. Bien au
contraire. Sous la bannière de la libre
entreprise, il imposait la dure barrière
de la loi du plus fort, la loi de la
jungle de l’impériale Amérique.
L’Accord
multilatéral sur l’investissement (AMI),
en anglais Multilateral Agreement on
Investment (MAI), a été négocié
secrètement au sein des vingt-neuf pays
membres de l’Organisation de coopération
et de développement économique (OCDE)
entre 1995 et avril 1997.
Proposant une
libéralisation accrue des échanges
(interdiction des discriminations par la
nationalité entre investisseurs), il
entraîna de vives protestations de la
part des partisans de l’exception
culturelle, des mouvements de défense de
l’environnement et de quelques
mouvements syndicaux lors de sa
divulgation au grand public par des
mouvements de citoyens américains.
Des organisations
non gouvernementales sont parvenues à se
procurer le projet d’accord, et à
alerter le public. Selon un de leurs
dirigeants, Susan George, «l’AMI est
comme Dracula: il meurt à être exposé en
plein jour». Finalement, devant
l’opposition française.
Ainsi donc moins
d’une décennie après la débâcle du
communisme, les États Unis s’étaient
déjà employés à édifier, à leur profit
exclusif, un oligopole mondial dont les
fers de lance, l’AMI et l’OMC, étaient
articulés sur de puissants vecteurs à
l’effet d’assurer son emprise sur la
sphère intellectuelle et économique de
la planète en vue de son verrouillage
exclusif et de ses succédanés.
L’histoire n’est
pourtant pas avare d’exemples en la
matière et la vie des empires en
témoigne: l’hyperpuissance engendre
l’atrophie, de la même manière que la
boulimie provoque l’embolie. L’empire
romain, les grands empires d’Asie,
l’empire ottoman, l’empire britannique,
et plus près de nous l’empire
soviétique, pour grands qu’ils aient pu
être, sont désormais relégués au niveau
des vestiges anciens dans la mémoire
collective humaine.
Références
1- Grand marché
transatlantique: annexe documentaire:
Racket américain et démission d’état. Un
rapport du Centre Français de Recherche
sur le Renseignement par Leslie Varenne
et Eric Denécé: Racket américain et
démission d’État. Le dessous des cartes
du rachat d’Alstom par General Electric
(Rapport de recherche n°13, décembre
2014).
Le 19 décembre
2014, l’assemblée générale des
actionnaires d’Alstom a autorisé la
vente des activités de sa branche
Énergie à General Electric (GE). Une
nouvelle fois la France a capitulé
devant son allié américain en lui cédant
dans des conditions litigieuses et
rocambolesques les activités rentables
et pour partie stratégiques d’un fleuron
de son industrie.
Quelles sont les
réelles raisons qui ont conduit à cette
vente? En effet, il est troublant que la
France ait cédé sans état d’âme une
entreprise dont les activités sont si
importantes pour son indépendance.
Les risques liés
aux procédures judiciaires pour
corruption engagées contre Alstom dans
de nombreux pays ont joué un rôle
déterminant dans le rachat de la société
française. La justice américaine a su
habilement exploiter les craintes des
dirigeants du groupe. En effet depuis
plusieurs décennies, les règles
juridiques édictées à Washington
s’imposent au reste du monde, au
détriment des droits et des intérêts des
autres nations. Ce sont elles, et non
une soi-disant complémentarité
économique ou la recherche de la taille
critique, qui sont à l’origine de la
cession de la branche Énergie du groupe
français.
L’affaire Alstom
met par ailleurs en lumière deux faits
préoccupants :
- D’une part,
l’attitude de nos «élites» qui,
derrière un discours circonstancié
sur la mondialisation -mais en
réalité motivées par la satisfaction
d’intérêts personnels ou la
dissimulation d’erreurs
stratégiques- sont en train de
vendre nos joyaux industriels à
l’étranger, n’hésitant pas à
sacrifier notre indépendance
militaire et nucléaire;
- D’autre part,
l’incompétence et l’impuissance des
politiques, qui n’ont toujours pas
compris ce qu’était la guerre
économique moderne et se révèlent
incapables de défendre nos intérêts.
Dans ce dossier, rien n’a été fait
pour sauver Alstom, le gouvernement
n’a pas été à la hauteur des enjeux.
Enfin, pour aboutir
à cet accord et pendant toute la période
des négociations, il y a eu une
multiplication «d’affaires» dans
l’affaire: suspicion de manipulation de
cours et de délits d’initiés, conflits
d’intérêts, projet de déménagement du
siège d’Alstom à Singapour, etc. Autant
d’éléments qui, ajoutés à la vente
déshonorante d’activités stratégiques
nationales, font de l’affaire Alstom un
véritable scandale d’État.
2- Voir à ce propos
le débat sur la frontière entre Régis
Debray et Henri Guano : Sur la
frontière, la guerre Debra-Guaino est
déclarée Mardi 1 Mai 2012
http://www.marianne.net/Sur-la-frontiere-la-guerre-Debray-Guaino-est-declaree_a217237.html
Reçu de
René Naba pour publication
Le sommaire de René Naba
Les dernières mises à jour
|