Sputnik
Enjeux et perspectives
centrafricaines.
Entretien avec Sylvie Baipo-Temon
Mikhail Gamandiy-Egorov
©
Photo. Sylvie Baipo-Temon
Vendredi 18 novembre 2015
Source:
Sputnik
Sylvie Baipo-Temon
est une ressortissante centrafricaine.
Economiste de formation, cadre au sein
de la direction financière d’une banque
française, son engagement pour son pays,
la République centrafricaine, date de
2003. Un engagement d’abord passif à
travers des réflexions et analyses
personnelles, puis actif, surtout depuis
fin 2014.
De décembre 2014 à
juin 2015, elle sera porte-parole du
comité ad hoc diaspora pour la paix en
RCA. En ce moment, elle travaille sur un
blog dont l'objectif serait de faire
découvrir la Centrafrique: son histoire,
ses maux, ses tares, ses défis, ses
enjeux et perspectives.
Sputnik:
L'année dernière, la
République centrafricaine faisait
l'actualité en raison des affrontements
inter-religieux. Qu'en est-il
aujourd'hui? Quelle est la situation sur
le terrain?
Sylvie Baipo-Temon:
Les médias occidentaux ont présenté le
conflit centrafricain comme étant un
conflit inter-religieux. Cela n'est pas
exact.
Le conflit
centrafricain issu du dernier coup
d'Etat mené par la milice Seleka, est né
d'une crise politique. D'ailleurs, la
Centrafrique depuis son indépendance en
1960 n'a connu que des cycles de
violences liés à une instabilité
politique chronique. De 1960 à 2015, la
Centrafrique n'a connu qu'une seule
élection présidentielle libre et
transparente. Hormis le régime du défunt
président Ange-Félix Patassé, tous les
régimes ont été mis en place par un
recours systématique à la violence (coup
d'Etat).
Pour revenir à la
crise issue du dernier recours à la
force, orchestré par la Seleka et ayant
emmené au pouvoir Michel Djotodjia.
L'origine de cette crise est politique
et elle a glissé, parce qu'aucune
solution politique n'a été trouvé par
les parties prenantes, en conflit de
société à caractère religieux et cela
uniquement sur la base de manipulation
des hommes politiques.
Pour faire court, à
son avènement la Seleka a manipulé la
population de religion musulmane pour
obtenir à la fois:
— un soutien moral:
le nord-est du pays a toujours été
négligé pour ne pas dire abandonné par
les autorités centrafricaines (tout
régime confondu).
— un soutien
financier: la population de religion
musulmane possède la plupart des
commerces et est fortement implanté dans
l'exploitation du diamant. Elle est donc
une maille financière importante. Durant
le régime du Général Bozizé, les
diamantaires ont été fortement pénalisés
par les abus du pouvoir en place.
Politiquement, la
Seleka a justifié son coup d'Etat par
une révolte de la population du Nord qui
a été trop lésé jusqu'à date. Alors
qu'il s'agissait uniquement de
mercenaires étrangers à 60% (Tchadiens
et Soudanais) qui ont rallié par la
manipulation politique d'autres
mercenaires centrafricains. D'ailleurs,
parmi les mercenaires de la Seleka,
on retrouve les mêmes mercenaires qui
ont appuyé le Général Bozizé lors de son
coup d'Etat de 2003. Des mercenaires
insatisfaits par le régime qu'ils ont
aidé à l'époque à mettre au pouvoir.
Notons qu'une
guerre ou un conflit ne se passe pas
sans répercussions sur la population
civile et qu'un mercenaire est un
criminel. Dans leur marche vers la prise
de pouvoir à Bangui, les Selekas ont
volé, violé, pillé, tué la population et
majoritairement la population de
religion chrétienne. Celle-ci en riposte
à ces exactions et abus de la Seleka, a
réagi en formant des groupes
d'auto-défense qu'ils ont appelés les
anti-balles AK. Ils s'agissaient
uniquement de paysans usés, fatigués et
livrés à eux-mêmes.
Il y a eu une
récupération politique de ces groupes
d'auto-défense anti-balles AK qui a
donné naissance aux milices Anti-Balakas.
Et de là, le conflit politique s'est
transformé en conflit de société à
caractère religieux.
Pourquoi il s'agit
d'une manipulation politique? D'abord,
dans les différents groupes armés (Selekas
et Anti-Balakas), il y a eu des
scissions. Et ceux qui continuent à
semer les troubles sont ceux qui se
revendiquent des deux anciens présidents
déchus (Bozizé et Djotodjia), ils sont
appelés les Nairobistes (du fait de
l'accord signé à Nairobi).
La situation
d'aujourd'hui est que les affrontements
à caractère religieux sont localisés
dans les quartiers à forte concentration
des partisans des présidents déchus. Des
crimes et exactions sont savamment
orchestrés, tout cela pour maintenir une
tension tant que les différents groupes
armés n'obtiennent pas gain de cause. Il
faut garder en mémoire que les accords
de Nairobi n'ont rien donné pour les
protagonistes.
A aujourd'hui, la
population non partisane de ces groupes
est prise en otage. Un groupe
d'individus, des mercenaires et bandits
sèment la terreur et la population non
armée subit les exactions des uns et des
autres.
Nous en avons eu la
preuve lors du passage du Saint père (le
Pape Fançois), les Centrafricains
musulmans et les Centrafricains
chrétiens étaient ensemble pour
accueillir le Pape.
Lors du référendum
qui a eu lieu le dimanche 13 décembre,
la population musulmane qui a souhaité
faire valoir ses droits et devoirs
citoyens a subi les foudres de la
fraction Seleka. Le bureau de vote a
fait l'objet de tirs faisant 2 morts et
des blessés. Encore une preuve que les
conflits ne sont pas d'ordre religieux
mais uniquement de la manipulation.
Les médias
diffusent des informations qui
entrainent de la confusion, il est
important que chaque Centrafricain et
Centrafricaine s'efforce à rétablir la
vérité.
Sputnik : On
avait beaucoup parlé de la nécessité
d'une réconciliation nationale. A-t-elle
globalement eu lieu? Si non, quelles
seraient les raisons?
Sylvie Baipo-Temon
: Un forum a en effet eu lieu en mai
2015, mais nous ne pouvons pas parler
d'un forum de réconciliation nationale.
Déjà parce que la réconciliation n'a pas
eu lieu. Des affrontements persistent,
de manière localisée. Les groupes armés
détiennent encore une bonne partie du
territoire centrafricain. Récemment,
nous avons eu une nouvelle déclaration
choc de la fraction Seleka installée au
nord du Centrafrique, qui a décrété la
partition du pays. De plus, cette même
coalition a indiqué qu'elle s'opposerait
à l'organisation des élections annoncées
pour fin 2015, dans les zones qu'elle
occupe.
Ce que nous
retenons du forum, c'est qu'il a eu lieu
mais son issu a été aussi éphémère et
chaotique que son déroulement.
Personnellement, ce
n'est pas une surprise car en
Centrafrique on organise des dialogues
sans vraiment se fixer d'objectifs à
atteindre, sans réellement y travailler
de manière sérieuse, sans prendre la
mesure de la gravité de la situation et
surtout sans aucune méthode. Pour mener
une démarche de réconciliation, il
faudrait en comprendre le sens, comme
l'on fait avec succès d'autres pays
ayant vécu des situations toutes aussi
atroces voire au-delà que celui de la
Centrafrique. Il ne s'agit point
d'organiser un regroupement de personnes
où les gens se retrouvent, se saluent,
partagent un café et repartent avec leur
perdiem. Non, il s'agit d'entreprendre,
de faire un point sur notre histoire,
identifier les ennemis, permettre
l'expression de tous, pousser à la prise
de conscience les auteurs des crimes.
Globalement, la volonté du forum aurait
dû être celle d'affronter la situation,
de parler de ce qui fâche et divise,
cela pour arriver à le surmonter
ensemble. C'est un pan de notre histoire
qu'il nous faudra graver et apprendre à
vivre avec. Le Forum ne s'est pas
attaché à faire en sorte de ne plus
vivre cela, de cesser les incitations au
recours à la force comme seul moyen
d'accéder au pouvoir.
Pour atteindre
l'objectif de la réconciliation, il
aurait fallu et il faut que la démarche
de dialogue soit initiée et réalisée
dans un cadre légitime et de confiance,
c'est-à-dire pas par les autorités du
pays qui sont de fait juges et parties.
Pour preuve de l'incohérence entre ce
qui est dit et ce qui est fait, la
cheffe de la transition avait nommé
comme président de ce forum, un ancien
chef de rébellion. Comme quoi, en
Centrafrique, nous avons encore un long
chemin à entreprendre pour marcher sans
béquilles.
La démarche doit
concerner toute la population et non une
partie de celle-ci triée sur le volet.
Il aurait fallu aussi opter pour un
médiateur neutre et hors de la
sous-région.
Avant le dialogue,
il y a eu ce que les autorités ont
appelés des consultations populaires, le
résultat de ces consultations a été
faussé. Le peuple s'est exprimé mais au
final les revendications et souhaits
n'ont pas été pris en compte. Pourquoi?
Il faut retenir que c'est ainsi qu'on
incite à la formation de rebellions et
de groupes armés?
Suite dans la
seconde partie de l'entretien
© 2014 Sputnik
Tous droits réservés.
Publié le 20 décembre 2015 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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