Sputnik
Enjeux et perspectives
centrafricaines.
(Partie 2)
Mikhail Gamandiy-Egorov
©
Photo. Sylvie Baipo-Temon
Lundi 21 novembre 2015
Source:
Sputnik
Sylvie Baipo-Temon
est une ressortissante centrafricaine.
Economiste de formation, cadre au sein
de la direction financière d’une banque
française, son engagement pour son pays,
la République centrafricaine, date de
2003.
Un engagement
d'abord passif à travers des réflexions
et analyses personnelles, puis actif,
surtout depuis fin 2014. De décembre
2014 à juin 2015, elle sera porte-parole
du comité ad hoc diaspora pour la paix
en RCA. En ce moment, elle travaille sur
un blog dont l'objectif serait de faire
découvrir la Centrafrique: son histoire,
ses maux, ses tares, ses défis, enjeux
et perspectives.
Sputnik: Lors des affrontements
entre les milices Seleka et les Anti-balaka,
certains spécialistes avaient avancé
l'éventualité d'une partition de la RCA,
dans le cas où une solution pacifique
durable n'est pas trouvée. Votre avis
sur la question?
Sylvie Baipo:
La Centrafrique est un pays indivisible.
Pour moi, la partition est un non sujet,
parce qu'aucune vraie action de sortie
de crise n'a été entreprise, mise à part
celle entreprise récemment par le Pape
François. Comment parler de partition
alors que tout n'est que manipulation?
Nous avons vu ce que la partition du
Soudan a donné? Un fiasco sans nom.
C'est cela que la communauté
internationale veut renouveler en
Centrafrique? Sachant que le cas du
Soudan est différent de celui du
Centrafrique car au Soudan, la partition
est née notamment en raison des
problèmes raciaux (Nord blanc et Sud
noir). Ce racisme n'existe pas en
Centrafrique, et la partition sur la
base religieuse n'a aucun fondement. La
population rejette cette partition.
Seuls les partisans de cette partition
savent les avantages qu'ils en tirent.
Il faut avoir à
l'esprit que la division rend
vulnérable, il faut que la Centrafrique
et l'Afrique en général comprenne que
nous sommes dans une ère où seuls les
grands ensembles survivent. Se diviser
nous rend vulnérable et à la merci des
tentations des voisins.
De plus, derrière
les revendications de la Seleka, se
cache des revendications pécunières que
la Centrafrique ne peut honorer car les
caisses sont vides. Et je pense que
répondre à la demande de criminels est
une faiblesse qui ouvre la porte à pire
demain. Le terrorisme a pris de
l'ampleur au moment où nos grands chefs
des puissances ont fait le choix de
négocier et discuter avec le terrorisme.
Retenons qu'on ne discute pas avec un
terroriste ni avec un criminel.
Sputnik:
Parlons du rôle de la communauté
internationale. Notamment de la France
qui était intervenue en RCA, on se
souvient d'ailleurs de la fameuse
opération Sangaris. Est-ce que cette
intervention avait contribué à apporter
la paix ou non? Plus largement, quel est
lien aujourd'hui qui lie la France, ou
plutôt l'Elysée, à la Centrafrique?
Sylvie Baipo:
Sans hésitation, non, cette opération
qui est toujours en place n'a pas
apporté le résultat escompté. Nous en
sommes à nous poser la question sur la
sincérité de l'aide annoncée. Car depuis
que les sangaris sont en place il y a eu
davantage d'exactions et de victimes.
Sans compter que les sangaris eux-mêmes
ont commis des exactions (viols sur des
mineurs de 8/9 ans).
Je ne connais pas
les liens entre l'Elysée et la
Centrafrique, mais ils semblent
troubles. Nous avons appris qu'il y a
une pléthore de conseillers français
auprès des autorités de transition. Je
n'en connais pas leur nombre, mais
compte-tenu du chao qui persiste, leur
stratégie est soit inefficace soit
contraire à celle annoncée.
Nous ne sommes pas
dupe, au-delà d'être des défenseurs de
droits de l'homme, la France a davantage
un enjeu économique en Centrafrique.
D'ailleurs, le Président Hollande l'a
clairement dit lors du sommet
France-Afrique en 2013 « la France
soutien ses intérêts ».
Il y a aussi des
casques bleus appelés Minusca en
Centrafrique. De même, leur impartialité
sur le terrain est remise en cause par
la population. Je me demande quel a été
le critère de sélection des troupes
composant la Minusca. Et soyons honnête,
citez-moi un pays où une intervention
sous l'égide de l'ONU a été un succès?
Sputnik: La
politique française en République
centrafricaine peut-elle être vue comme
partie intégrante de ce qu'on appelle la
Françafrique? Si oui, combien de temps
selon vous cela va continuer?
Sylvie Baipo:
Oui totalement, c'est un système ancien
qui perdure et n'a pas pris une ride.
Il est paradoxal
que certain pays du tiers-monde ont
réussi à prendre leur envol et que seul
les pays assujettis à des accords de
coopération restent cloués au sol.
D'autant plus que ces pays ont un
potentiel non négligeable.
Je pense que la
paupérisation de l'Afrique et de la
Centrafrique en particulier est une
stratégie géopolitique pour conserver
une forme de domination.
Foccart n'est plus mais le dossier a
bien été transmis et continuera à se
transmettre.
Cela continuera
jusqu'à une prise de conscience totale
et profonde des Africains et des
Centrafricains en particulier. Espérons
que cette prise de conscience soit
rapide et pacifique.
Sputnik:
Dernière question. Quel avenir
entretenez-vous pour votre pays? Sur le
court et le moyen terme. Quels sont ses
principaux défis?
Sylvie Baipo:
Je pense que nous ne pouvons que
nous relever. Après de telles atrocités,
nous ne pouvons que nous unir pour un
avenir meilleur si et seulement si nous
le voulons et tirons les leçons d'un
passé chaotique.
A court terme, nous
avons des échéances électorales. Au
regard des campagnes en cours et du
comportement de la classe politique, je
ne suis pas sûr que les leçons de la
crise ont été tirées.
Par conséquent, ces
élections ne donneront lieu qu'à une
période de transition légitime et
nécessaire pour remettre le pays sur de
bons rails.
J'ai plus d'espérance sur le moyen
terme, espérance conditionnée par les
efforts qui seront fait par le prochain
président en termes de gouvernance
(transparence, responsabilité,…).
La Centrafrique n'a pas d'autre choix
que de se relever et se reconstruire par
le travail de ses fils et filles. Notre
destin ne dépend que de nous, de notre
volonté, de nos capacités et du fait de
vouloir regagner un peu de dignité.
© 2014 Sputnik
Tous droits réservés.
Publié le 22 décembre 2015 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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