Opinion
Nous ne serons pas
complices des Pétain palestiniens
Pierre-Yves Salingue
Mercredi 25 août 2010
1ère partie : A quoi sert Salam
Fayyad ?
Ali Abunimah, fondateur et
éditorialiste du site Electronic Intifada, a récemment publié un
article critiquant
ce qu’il nomme « la fausse (ou hypocrite) campagne de boycott de
l’Autorité Palestinienne »
Il y accuse
notamment Salam Fayyad, le
« Premier ministre non élu basé à Ramallah », de vouloir
torpiller la campagne de BDS et aussi de tenter de récupérer les
actions de terrain de la « résistance populaire »
Peu de temps
avant, Jamal Juma, coordinateur palestinien de la campagne
contre le mur (Stop the Wall), avait déclaré que «
l’Autorité Palestinienne cherchait à paramétrer la résistance
pacifique contre le mur d’apartheid en fonction de sa propre
vision pour en prendre le contrôle »
Au même
moment, Mousa Abu Maria, coordinateur de Palestine Solidarity
Project et
animateur du comité populaire de Beit Ommar, arrêté tour à tour
par l’armée israélienne et par la police de l’Autorité,
analysait le soudain intérêt de l’Autorité Palestinienne
pour la résistance populaire non violente comme « une
offre voilée de Fayyad pour prendre le contrôle d’un mouvement
populaire »
Ces quelques
exemples illustrent une réalité qui ne fait pas mystère en
Cisjordanie. Là-bas,
nombreux sont ceux qui ont compris que le contrôle des
actions de « la
résistance populaire » est devenu un enjeu politique important.
Le « libéral » issu d’un coup de force
Il a été
fourni clés en mains par le gouvernement américain et les
différents pays « donateurs » qui l’ont imposé à Arafat en
qualité de ministre des finances en 2002.
Nul ne
devrait remettre en cause sa volonté de servir ses
compatriotes : après des études en université américaine et
quelques années passées à la Banque mondiale, il a mis en
pratique son « droit au retour » en acceptant en 1995 la
responsabilité de « représentant du FMI » dans les Territoires
de l’Autonomie Palestinienne.
En 2007 il a été désigné Premier
Ministre par Abbas qui venait de tenter un coup de force contre
le Hamas à Gaza avec son acolyte Dahlan. Après la débandade de
leurs forces financées par les USA, Abbas a décrété l’Etat d’urgence, a assisté
sans mot dire voire a encouragé le durcissement du blocus de
Gaza et l’arrestation des membres Hamas du Conseil législatif où
ils étaient majoritaires.
Celui qu’on
nous présente parfois comme un « libéral » n’a éprouvé aucun état d’âme à profiter d’un putsch
pour prendre la place du Premier ministre élu par la
majorité Hamas du Conseil Législatif Palestinien(CLP)
Depuis 3 ans,
alors que sa liste n’ avait obtenu que 2.4% des suffrages lors
des élections remportées par le Hamas
, il est
le « Premier ministre » d’un gouvernement qui n’a jamais
été ratifié par un vote du CLP et il a été nommé par un
« Président » dont le mandat est achevé depuis 18 mois !
Curieusement,
ses nombreux admirateurs occidentaux ne semblent pas choqués par
ce « léger » déficit de légitimité démocratique !
Construire un Etat sous occupation ?
Le plan prêté au nouveau sauveur des Palestiniens est le
suivant : eu égard à l’impasse des négociations,
l’Autorité modernisée par Fayyad va faire la
démonstration du sérieux palestinien sur le terrain et à un
moment donné il apparaitra clairement aux yeux de la Communauté
internationale (C I ) que le seul obstacle au règlement du
conflit, c’est l’occupation…
Naïveté ou soumission ? Voici ce qu’en dit Bernard Sabella, un
membre du Conseil législatif proche de Fayyad : « L’insistance
sur la non-violence chez nous, les Palestiniens aujourd’hui, est
en accord avec le plan de M. Fayyad pour arriver à une position
où la communauté internationale va regarder la Palestine et
dire : Voilà, les Palestiniens sont bien développés dans leurs
institutions, et même dans leur mentalité. Alors, pourquoi ne
pas leur reconnaître un État ? »
Fayyad affirme qu’il sera alors en capacité de forcer la main de
la CI pour exiger
la conclusion d’un accord mettant un terme à l’occupation de 67.
Il y aurait
donc désormais deux
options dans la recherche de la reconnaissance de l’état
palestinien : celle d’Abbas axée
sur la poursuite des négociations et fondée sur l’espoir
d’un changement d’attitude du gouvernement des USA et celle de
Fayyad consistant à agir sur le terrain pour établir les fondations économiques sans attendre la création de
l’Etat.
En réalité
ces deux attitudes ne sont nullement contradictoires.
Abbas et
Fayyad sont deux étoiles jumelles qui unissent leurs efforts
dans l’espoir que la Communauté internationale va leur octroyer
« un état » et tant pis s’il s’agit d’un bantoustan totalement
soumis économiquement à l’économie israélienne, sans
souveraineté et principalement voué au contrôle policier des
Palestiniens.
Et tant pis
aussi si cet « état » sert demain de justification à l’oubli de
la question palestinienne qui sera réduite à quelques épisodes
d’un banal « conflit frontalier entre deux états voisins » !
Fayyad sait que la
combinaison de la structure des accords d’Oslo et de
l’occupation militaire israélienne rend l’Autorité totalement
dépendante d’Israël et que c’est toujours l’intérêt de l’Etat
sioniste qui commande.
Le flic et le
banquier : au service de la paix pour le Capital
Si le blocus
financier a été levé et si le quadrillage militaire s’est un peu
allégé en Cisjordanie, c’est parce que le maintien sur place des
forces d’occupation israéliennes et la participation active des
collaborateurs palestiniens, notamment dans l’action répressive
des forces policières palestiniennes placées sous le
commandement du général américain Dayton,
le permettaient.
Comme Dayton
l’a expliqué, l’USSC (Equipe américaine de coordination de la
sécurité) est là «non pas pour apprendre à combattre Israël,
mais pour maintenir l'ordre et la loi, respecter tous les
citoyens et faire
régner la loi afin qu'ils puissent vivre en sécurité et en paix
avec Israël.»
La mission de
cette force policière est avant tout le contrôle de tout
mouvement populaire.
Certains
commentateurs occidentaux
n’ont pas manqué de noter la faiblesse des manifestations
de protestation des habitants de Cisjordanie lors de l’agression
meurtrière contre Gaza fin 2008.
Là encore
Dayton explique :
« Pendant cette période, les Israéliens ont gardé un 'profil
bas'; chaque jour, ils se coordonnaient avec les forces de
sécurité palestiniennes. Par exemple, le commandant palestinien
appelait le commandant israélien pour lui dire ''Une
manifestation se déroulera du point A au point B. Elle passe
près du check-point de Bet El. Nous apprécierions si, pendant
deux heures, vous pouviez quitter le check-point afin que nous
puissions contrôler la manifestation, ensuite vous pourrez
reprendre position.''
Dayton rapporte ensuite les propos d’un officier israélien :
«L'USSC est en train d'accomplir un travail formidable. Plus les
Palestiniens feront le boulot et moins nous devrons le faire».
[1]
La mission première de Fayyad ne devrait faire aucun doute : il
est là pour
contribuer à réunir les différentes conditions favorables à la
liquidation de toute résistance authentique, quelle qu’en soit
la forme, violente ou non violente.
Il n’est évidemment pas seul à la manœuvre et bénéficie de
l’appui encore nécessaire de Abbas,
du soutien contraint et
pas toujours enthousiaste du Fatah et de la complicité plus ou
moins discrète de dirigeants d’ONG dont la survie dépend
de l’USAID ou de l’argent de Fayyad.
Quant à la « gauche palestinienne », elle semble n’avoir comme
seule stratégie que réclamer l’unité et la réconciliation,
refusant d’admettre
que, dans les présentes circonstances, toute réconciliation ne
pourrait se faire que sur le dos de la résistance et au
détriment des droits
fondamentaux du Peuple palestinien.
Fayyad est un jalon important dans la mise en place d’une
Autorité dépolitisée, une simple administration de gestion du
quotidien des Palestiniens « sous sa forme techniciste
éloignée de tout engagement patriotique »[2]
C’est aussi ce que dit Azmi Bishara : « l’ancien officiel de la
Banque mondiale, qui se vante d’être pragmatique, offre des
solutions au jour le jour à la place d’une cause nationale »
Pour autant,
dans cette « gestion du quotidien », la relative amélioration de
certains aspects de la vie des habitants de Cisjordanie, par la levée temporaire de certains barrages à l’entrée des
villes palestiniennes et par la permission
donnée aux Palestiniens d’emprunter certains segments de
routes précédemment réservées aux seuls Israéliens,
n’a pas modifié en profondeur la situation des
Palestiniens ordinaires dont l’immense majorité ne fréquente pas
les dancings de Ramallah où le coca se paye 4 € et ne pourra pas
devenir propriétaire d’ un appartement à Rawabi.
Aussi, dans un contexte global d’intensification de la chasse
aux militants du Hamas et plus généralement de la répression à
l’encontre de tous ceux qui contestent sa politique de
complicité active avec l’occupation, Fayyad doit donner le change et ne peut pas être réduit au
rôle de collaborateur actif et dévoué de l’occupant.
Neutraliser la résistance populaire
Il a donc décidé d’occuper, pour mieux les neutraliser, les deux terrains où s’exprime aujourd’hui
la lutte contre l’occupation en Cisjordanie : d’une part
« la résistance populaire » et d’autre part le boycott
d’Israël.
Diverses
luttes ont été
spontanément engagées à partir de 2002 par des villageois
confrontés aux premiers travaux de construction du mur (Jayyous,
Bil’in…)
Elles ont
souvent pris la forme de manifestations régulières contre le
mur, pour la défense du libre accès aux terres et aux villages
de plus en plus cernés par les colonies.
Ignorées des
principales factions politiques et méprisées par l’Autorité,
elles sont restées isolées pendant plusieurs années.
« Stop the
Wall Campaign »
puis l’appel BDS en 2005 ont été les premiers à tenter de
relier entre elles
ces recherches
d’une alternative d’une part à la faillite de la stratégie des
négociations de
paix et d’autre part à l’impossibilité d’une participation
populaire à la
deuxième Intifada militarisée.
Mais la
situation a changé. Les négociations sont devenues inexistantes
et l’isolement des actions armées a mené la deuxième Intifada
dans l’impasse.
Depuis
quelques temps, Stop the Wall et BDS sont confrontés à la
concurrence de deux organismes : le Comité National et le Comité
de coordination.
Le premier a
été créé par le Fatah dès 2005 et a été réactivé depuis sa
dernière conférence nationale, après l’été 2009.
Le second est
sous le contrôle du gouvernement de Fayyad et il prétend vouloir
organiser l’ensemble des responsables des comités populaires de
Cisjordanie.
Fayyad ne
lésine pas sur l’utilisation de l’argent et les différents
comités populaires ne sont pas logés à la même enseigne dans la
distribution !
Comme le dit
avec franchise Mohamed KATTIB, l’un des leaders du comité de
Bil’in soutenu par l’Autorité, « la pression médiatique et
l’argent qui a coulé à flot ont créé des tensions. Chacun veut
sa part… » [3]
Et puis, la
répression des manifestations par l’armée israélienne aboutit à
de nombreuses destructions et à des arrestations. Il faut
rémunérer des avocats, payer
les cautions et les amendes, rendre visite aux prisonniers dans
des prisons israéliennes éloignées Etc.
Tout cela
coute cher et celui qui paye entend bien en tirer un avantage
politique.
On peut le constater en étudiant les déclarations finales des
conférences internationales qui se sont tenues à Bil’in ces
dernières années.
Quand la présence de Fayyad en 2009 et l’absence de l’AP dans la
lutte sur le terrain avaient fait l’objet de critiques acerbes
et que la conférence avait alors mis la priorité sur la campagne
BDS, 2010 a confirmé l’influence croissante
de l’Autorité sur de nombreux comités populaires.
En mobilisant des moyens financiers importants et en n’hésitant
pas à user de la répression sélective contre certains
dirigeants, avec souvent la complicité active des forces de
l’occupation,
Fayyad semble avoir réussi là où Mustapha Barghouti et
le Fatah
avaient échoué dans leurs tentatives de récupération.
En avril 2010 à Bil’in, les porte-paroles de BDS ont assisté
à la rétrogradation de
leur action au deuxième rang
et vu un « boycott des produits israéliens provenant des
colonies » se substituer au boycott d’Israël !
Fayyad
est donc l’homme
orchestre d’ un dispositif qui permet de faire des
projets de zone industrielle, des projets de développement
touristique, qui favorise le boom de l’immobilier et des
commerces de luxe à Ramallah…mais un dispositif qui ne met pas
fin à l’occupation et qui n’empêchera pas l’armée israélienne,
si elle le décide demain face à une nouvelle révolte populaire
palestinienne, de détruire toute cette pacotille dont seule tire
profit aujourd’hui une petite élite palestinienne qui ambitionne
de trouver sa place dans le projet néolibéral de Grand Moyen
Orient.
La
réalisation du plan néolibéral de Fayyad passe évidemment par la
liquidation de toute résistance authentique, puisque ce plan
intègre l’occupation israélienne comme un état de fait
inébranlable.[4]
[1] “Speach
of Lieutenant General Keith Dayton, US Security Coordinator,
Israel and the Palestinian Authority, publié par The Washington
Institute for Near East Policy Washington, 7 Mai 2009”
[2] JF Legrain.
www.ifri.org/downloads/notemomjflegrain.pdf
[3]
International
Crisis Group – MER n°95 26/04/2010
[4] Cf. C Cirillo-Allahsa
http://www.politis.fr/La-paix-sur-un-mode-neoliberal,10243.html
2ème partie : les fantassins français de Salam Fayyad
3ème partie : Une autre voie est possible.
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