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L'Iran, une menace ?
La leçon de Foucault (partie 2/2)
Mahmoud Senadji
Mardi 24 mars 2009 La révolution
islamique a-t-elle réalisé les idéaux pour lesquelles le peuple
s’est soulevé ? Comment un pays glisse t-il du rôle de
gendarme de l’Occident dans le Golfe dans le rôle du pays qui
menace l’harmonie du monde et défie l’Occident ? Sur quel
soubassement intellectuel, les locataires de l’Elysée et du Quai
d’Orsay fondent-t-ils leur jugement sur l’Iran ? Lequel des deux
discours, celui de Foucault, ou le leur, favorise-t-il la
confrontation ou le dialogue des civilisations entre elles ?
Quelle était la raison principale du
soulèvement des Iraniens ? Rompre le lien de la dépendance de
l’Iran avec les puissances étrangères, avoir le sentiment d’être
« chez soi » dans son pays, de décider et d’agir en puisant en
soi les principes et les conditions de l’action, n’être plus
qu’au service de sa conscience, de son histoire et de son
peuple.
En somme, atteindre l’âge de maturité dont
parle Kant. L’Iran de 2009 renvoie pleinement à un pays dont
l’autonomie de la prise de décision politique est manifeste. Sur
ce chapitre, le contrat révolutionnaire a été respecté. Peut-on
sous-estimer cet acquis ? Y a-t-il un bien plus précieux pour un
pays ainsi que pour un homme que celui d’être le maître de sa
destinée ? N’est-ce-pas l’indépendance de l’Iran dans la prise
de sa décision politique qui l’a mise sur le banc des accusés ?
« L’Iran est devenu menaçant parce qu’il n’est plus soumis [1] ».
La « menace » qu’on lui attribue qualifié
de « défi le plus grave qui pèse aujourd’hui sur l’ordre
international[2] » est–elle
inhérente à sa nature ? L’Iran a t-il eu par le passé des visées
expansionnistes qui l’ont amené à envahir un pays et déraciner
son peuple ? Les manuels d’histoire ne nous présentent-ils pas
la Perse comme le temple de la beauté du verbe ?
N’a-t-il pas été la proie de toutes les
convoitises depuis un siècle par les puissances occidentales
rivales ? Un peuple qui a secoué le joug de la domination sans
recourir à une révolte armée mais à son sens du sacrifice et à
sa détermination politique peut-il se transformer en un pays
belliqueux, lui qui a fondé son existence politique sur le
principe de la justice ? Qui nous présente l’Iran comme menace ?
« L’Iran défie l’Occident » est le slogan
publicitaire de la politique étrangère occidentale. Tel quelle,
la lecture de cette enseigne place l’Occident comme la norme,
et, par conséquent l’Iran se situe en dehors. L’Occident se
présente ainsi comme la vérité philosophique de l’histoire, la
visée et le point d’arrivée de l’humanité de l’homme.
Défier l’Occident c’est être dans la
démesure, dans la démence qui est dangereuse pour le monde et
l’Iran lui-même. Qui érige l’Occident en défenseur et garant de
l’ordre international ? Quelle instance morale l’autorise à
s’approprier l’Universel ? Le dialogue des civilisations qui
sous-entend la diversité culturelle peut-il être crédible et
donner du sens si, au préalable, on a assigné à l’humanité une
finalité philosophique : l’universalité des droits de l’homme
comme horizon indépassable ?
Lorsque l’Occident s’est identifié au
monde, à partir de 1492, l’Occident, a répandu au nom des
Lumières, l’image de l’humiliation et de la mort : « De toutes
les sociétés de l’histoire, les nôtres – je veux dire, celles
qui sont apparues à la fin de l’Antiquité sur le versant
occidental du continent européen – ont peut-être été les plus
agressives et les plus conquérantes ; elles ont été capable de
la violence la plus stupéfiante, contre elles mêmes aussi bien
que contre les autres [3] ».
Chaque civilisation se sent donc dotée
d’une mission : celle d’universaliser ses valeurs. La rencontre
avec l’Autre, lors de l’exportation de ses valeurs, dévoile sa
nature réelle et son essence. C’est le mode sur lequel s’opèrent
cette rencontre et cette cohabitation qui donne validité à ce
message, soit par l’adhésion soit par le rejet. La critique des
postcolonialistes de l’Occident est centrée sur la duplicité de
son message. Les sociétés conquises n’ont connu de l’Occident
des Lumières que son côté despotique.
Les autres sociétés ont été, elles aussi,
responsables de violence mais elle n’a jamais été aussi
systématique que dans l’époque moderne, et cela au moment où
l’humanité est censée vivre l’âge des Lumières radicales. Cette
violence, pour Foucault, a été aussi exercée par la société
occidentale contre elle-même. La violence est inscrite au cœur
de la naissance de l’Occident : la violence du capital. Son
unique valeur est l’appétit de puissance. Cette duplicité a
accompagné l’histoire de l’Occident durant toute son histoire.
En voici deux exemples récents.
La guerre d’Irak. « Nous venons de faire
une guerre que n’appelait aucune nécessité[4] ».
Toutes les justifications avancées par l’administration
américaine – les armes de destruction massive, le lien entre
Saddam et Al Qaeda - étaient une construction mensongère pour
manipuler l’opinion et gagner son soutien.
Les raisons réelles de l’agression
dissimulées au peuple sont loin de correspondre au discours. Ni
la sécurité des Etats-Unis n’était menacée par l’Irak, pas plus
que la démocratie et la liberté n’ont été la préoccupation de
l’administration américaine dans sa guerre contre l’Irak.
Bernard Kouchner, a reconnu s’être trompé
en ayant demandé la création d’un Secrétariat au droits de
l’homme car « il ya contradiction permanente entre les droits de
l’homme et la politique étrangère d’un Etat, même en France »[5].
Qu’est ce qui guide et oriente la politique d’un Etat :
l’intérêt ou la justice ?
Si nous posions la question aux ouvriers et
aux peuples de par le monde : d’où sentez vous la menace venir :
du programme nucléaire iranien ou de la violence financière du
capitalisme ? La réponse serait sans équivoque.
En adoptant le discours occidental du
partage des valeurs démocratiques, l’Iran n’est – il pas le pays
le mieux placé dans la région, comparé aux pays que les
occidentaux présentent comme des pays « modernes et modérés »
(l’Egypte et l’Algérie comme exemple), qui se rapproche de ce
modèle ?
Dans un temps très court, l’Iran a atteint
le taux d’alphabétisation le plus élevé dans la région, le taux
de fécondité par femme est le même qu’en France, ce qui fait de
la société iranienne une société autonome par rapport au pouvoir
politique. Un pays qui fait de la généralisation du savoir, du
savoir lettré le but de sa politique ne peut être accusé
d’oppressif, d’obscurantiste, …. .Car la domination ne s’exerce
pas sur un peuple de lettrés. Ce sont les pays dont les peuples
ont un grand taux d’analphabétisme, maintenus dans l’ignorance,
qui sont proches de l’esclavage.
Les pays qualifiés de modérés traitent
leur peuple comme des serfs. Les présidences à vie de Moubarak
et de Bouteflika sont là pour nous signaler que les peuples
n’existent que pour servir les princes.Cette dynamique de la
société iranienne atteste que sa visée n’est pas de se soumettre
au pouvoir. En libérant les énergies et les potentialités
créatives de la société, le régime affiche sa volonté
politique : faire de l’Iran une nation souveraine, puissante et
respectée. Les pays « modérés et modernes », leurs sociétés sont
plus gagnées par l’agitation que par le dynamisme.
En quoi ce dessein politique est-il
préjudiciable et menaçant pour l’ordre international ? Est-ce la
nature islamique de la république qui fait peser sur elle tous
les soupçons ? Par son existence comme puissance réelle, la
république n’ébranle-t- elle pas une vieille certitude que
l’Islam est la cause du retard des pays arabes ?
Le retard des pays arabes n’est – il pas
plus lié à leur dépendance et à cette conception traditionnelle
de l’islam qu’à l’islam lui-même ? Comment se fait-il que la
pratique d’un islam modéré dans des pays arabes engendre des
pouvoirs oppressifs avec des sociétés paralysées n’ayant pour
seule expression politique que la révolte et l’extrémisme ?
Alors que l’Islam révolutionnaire a transfiguré l’état d’un
pays : d’objet le voici un acteur historique.
De cette réalité comparative entre un islam
révolutionnaire et un islam modéré, il apparaît clairement que
le retard des pays arabes n’est nullement lié à l’islam mais à
la lecture et l’utilisation qu’on en fait. L’islam
révolutionnaire, un islam urbain, s’inscrit dans la mouvance
réformiste des penseurs de la Nahda.
L’islam modéré, un islam bédouin, né dans
les confins de l’Arabie, rigoriste et littéral, fataliste et
domestiqué, servant le politique au lieu de la justice. La
transformation du réel est à chercher auprès de ceux qui ont
poursuivi et accompli le labeur intellectuel de Al Afghani
(1839-1897, Iqbal (1873-1938), Abdou (1849-1905), elle ne se
trouve pas dans la doctrine du Wahhabisme[6](Doctrine
religieuse de l’Arabie Séoudite).
Seul un islam urbain, produit de son temps
- de la modernité, peut contribuer à apporter des solutions aux
défis de notre siècle. L’Arabie de 1920 n’est pas la Mecque de
la naissance de l’Islam. Celle-ci, à cette époque, était une
cité, le lieu de l’histoire. L’islam des bédouins, au lieu de
libérer enferme, le dogmatisme et la fermeture du champ
politique sont une véritable poudrière dont le Djihadisme d’Al
Qaeda est une de ses expressions les plus manifestes.
Prôner le combat contre l’extrémisme en
encourageant les pays « modérés et modernes » est un contre-sens
historique et improductif. L’extrémisme est le fruit de ces pays
qu’on qualifie de « modérés et modernes ». Signalons, par
ailleurs, à l’adresse des occidentaux, qu’aucun prisonnier du
Camp de la honte, Guantanamo, n’est iranien ? A- t- on vu une
population, dans une quelconque capitale, sortir spontanément
témoigner, dans un élan plein de compassion et de ferveur, sa
douleur avec les victimes du 11 septembre 2001.
Un visiteur venu d’une autre planète aurait
dit que la jeunesse de Téhéran était la plus humaine qui soit.
Et, en retour, l’Amérique, l’endeuillée d’un jour, recouvre son
orgueil et pointe son doigt contre l’Iran et l’accuse d’être le
pivot de l’Axe du Mal avec, pour président, une personne qui a
voulu être le pont entre les civilisations en tendant la main à
l’Occident ?
N’est ce pas sous la présidence de Khatami
que cette assignation de l’Iran comme Axe du Mal a été faite ?
Sommes- nous réellement devant une attitude crédible, cohérente
et responsable de l’Occident ? Pourquoi ne pas considérer les
pays modérés, par leur nature oppressive, fermant toute
possibilité à un changement politique comme une fabrique du
terrorisme ? L’existence du terrorisme est nécessairement
d’essence politique.
C’est dans la nature des régimes et dans
l’ordre du monde que se trouvent l’explication et la cause du
terrorisme. C’est parce que l’Iran demande à être traité comme
un partenaire égal, exigeant respect et justice qu’il devient
menaçant ? Contrairement au discours qui martèle avec
insistance, depuis août 2007[7],
que l’Iran est une menace, avancer l’idée que le défi iranien
est un espoir ? Que signifie respect et justice dans la
sémantique d’un homme parlant au nom d’un peuple vieux de 3000
ans d’histoire et sortant d’une humiliation qui a duré presque
un siècle et contre laquelle le peuple a fait sa révolution ?
L’ordre international que l’Iran menace
est-il un ordre juste ? La dernière agression criminelle contre
la population de Gaza et la crise financière, « cette faillite
abyssale qui tient le monde sous sa menace[8] »,
ne sont – elles pas le produit de cet ordre international et de
ceux qui parlent en son nom ?
Quelle crédibilité donner aux propos de
Sarkozy à l’égard de l’Iran, lorsqu’il parle du programme
nucléaire « dont chacun sait qu’il n’a aucune finalité civile[9] » ?
D’où peut-il tirer cette certitude ? Le programme nucléaire
iranien n’a jamais été en soi un objectif stratégique de la
révolution islamique. Il l’est devenu suite à l’agression
irakienne.
Ce programme nucléaire civil est une
question nationale iranienne lié à sa souveraineté et sa
sécurité. Avons-nous un antécédent dans l’histoire de l’Iran qui
peut appuyer la thèse des dirigeants occidentaux pour enlever
toute crédibilité aux propos des responsables iraniens ? Par
contre, dans le cas de l’Occident, une guerre en 2003 a été
menée sur la base d’un mensonge !
Face à l’Iran, l’Occident, par la voix de
la France, affiche sa détermination à mettre les dirigeants
iraniens devant un choix : ou renoncer au programme nucléaire,
la bombe iranienne pour Sarkozy, ou le bombardement de l’Iran.
Après lui, Kouchner, n’écartait pas cette éventualité : « on
doit s’attendre au pire, le pire, c’est la guerre [10] ».
Peut-on dire que ces déclarations sont
sécurisantes ? Qu’elles travaillent dans le sens du dialogue ou
de la confrontation des civilisations ? L’Iran menace-t-il notre
sécurité en France ? La politique extérieure, telle qu’elle est
conduite envers l’Iran est, selon Todd, « contraire à la morale
et à l’intérêt de la France[11] ?
Faut-il rappeler que les Iraniens ont fait
une révolution pour s’affranchir de toute soumission, qu’ils ont
conquis leur indépendance politique et culturelle dans un
isolement et une hostilité sans précédent à leur égard dans le
monde, que par leur géographie et la présence des soldats
américains en Irak et en Afghanistan et ses voisins dotés de
l’arme nucléaire, ils se sentent menacés. Devant cette
configuration, loin s’en faut que les Iraniens renoncent à un
programme qu’ils jugent comme une priorité vitale pour la
nation.
Il en va aussi de la vie et de la mort de
ce qu’ils considèrent, eux aussi, la raison pour laquelle ils
ont fait une révolution : être une nation respectée et
respectable dans les choix qui engagent son devenir.
Foucault, témoin de la Révolution
islamique, y a vu un événement qui mérite d’être salué. N’est-il
pas sage d’accompagner ce regard en adoptant l’attitude du
philosophe pleine de retenue, de pudeur, de présence et de
générosité ?
La position politique française n’est –
elle pas traversée par le souffle des néoconservateurs
américains ? Le socle intellectuel sur lequel se fonde
cette politique ne porte t-il pas l’esprit des intellectuels qui
ont inspiré toute la mouvance des « faucons » en Amérique ?
L’Occident, d’autant plus l’Europe, n’est
pas le monde, il en fait partie. Les Iraniens l’ont compris.
Telle qu’elle est, la vérité occidentale n’est pas garante de la
paix dans le monde. Telle qu’elle, la politique étrangère ne
sauve pas la France. Dans ce défi de l’Iran à l’Occident, ou,
plus justement dit, dans cette circonstance, de cette résistance
iranienne à l’Occident, se dessinera les contours d’un monde, en
tous les cas, pour les peuples, meilleur que celui-ci.
Obama et Ahmadinajad. Lier ces deux noms
peut paraître pour certains un non sens. Un soulève
« l’espoir », l’autre « l’inquiétude ». Mais ces deux personnes
viennent de loin. Ils appartiennent, chacun dans son histoire
propre, à l’histoire des humiliés. Celui-là porte l’espoir du
peuple noir, des laissés pour compte du système libéral,
l’espoir d’une Amérique qui renoue avec les idéaux de liberté et
de justice.
Celui-ci porte l’espoir des déshérités et
de leur désir d’accéder à une vie digne, l’attente d’un Iran qui
demande respect et justice. Lequel des deux présidents, devant
les défis auxquels ils sont confrontés, sera fidèle à son
histoire : celle des humiliés. Lequel des deux, au-delà de leur
appartenance nationale, l’idée de justice guidera ses pas et
infléchira ses décisions. La Justice est le nom de la grande
politique, le nom de la gouvernance mondiale.
C’est au nom de la Justice que l’histoire
jugera l’action des deux hommes et au-delà, celle de l’Occident
et de l’Iran. Le bon sens saisira si les décisions et les
actions sont déterminées par les intérêts ou les principes. De
la petitesse ou de la grandeur d’être un homme.
Peut-on faire l’économie de répondre à la
question frontale dont l’emprise se fait de plus en plus
pressante : l’Iran sera-t-il bombardé ou non ? Il est utile de
rappeler que si aucune nécessité ne justifiait la guerre en
Irak, celle-ci a bien eu lieu. Elle n’était pas justifiée pour
l’Amérique comme nation mais elle répondait à la logique de
l’Amérique comme empire. L’empire américain a besoin d’asseoir
sa puissance pour réaliser ses desseins planétaires. La maîtrise
de la Terre présuppose le contrôle des richesses et des hommes.
C’est pourquoi qu’il était nécessaire pour
l’Amérique comme empire d’écarter l’obstacle que représentait
l’Irak, pour mieux faire face au défi qu’est l’Iran. Deux
guerres (2006 et 2008) se sont déjà déroulées dans cette région.
Dans les deux cas, on frappait l’adversaire mais on s’adressait
à l’ennemi.
A défaut d’atteindre l’idéal, la fin de
l’Iran islamique, cette tension grandissante a- t- elle pour
objectif de contribuer à amener les réformistes aux commandes ?
Les occidentaux veulent-ils se racheter et saisir la main qui
leur fut tendue par Khatami ? Certes, avec Khatami, l’Iran sera
libérée de toute la sémantique qui lui a été accolée avec
Ahmadinajad, comme cela a été le cas pour l’Amérique libérée de
Bush. Khatami-Obama.
Ces deux noms vont –ils pouvoir réduire la
distance séparant leurs deux pays et transformer la
confrontation en coexistence ? Le dialogue est la volonté
politique affichée des deux hommes. Khatami avait déjà lancé
l’idée de dialogue des civilisations que Bush a interprété dans
son langage texan comme duel. Certes, avec Khatami, sur le plan
moral, aucune nécessité ne pourrait justifier le bombardement de
l’Iran.
L’image de l’homme balaie les soupçons qui
pèsent sur les intentions réelles du programme nucléaire
iranien. Même dans ce cas de figure, peut-on faire l’économie de
l’hybris des Israéliens et des desseins de l’Empire américain ?
Mais, entre l’élection de Khatami et la reconduction d’Ahmadinajad,
les Iraniens sont maîtres de leurs destins. Dans les deux cas,
pour ce qui nous concerne, l’important n’est pas dans la réponse
à la question l’Iran sera-t- il bombardé ou non, mais dans
l’équation posée : l’Iran défie l’Occident.
Pour la première fois, dans l’histoire
moderne, un verbe autre que celui de l’Occident partage la scène
du monde. Certes, l’Occident ne répond pas aux questions que
l’Iran pose, mais il se sait interpellé, et de cela, il en a
conscience. L’Iran ne se contente pas seulement de parler : il
défie. L’Iran, un lieu géographique, défie l’Occident, qui est,
lui un lieu mental plus qu’une géographie. Cette région mentale
qu’est l’Occident, le lieu de l’Universel, voit se dresser
devant elle une volonté qui exige respect et justice.
Dans ce rapport Occident-Iran se profile le
vieux conflit du XIXe siècle : colon-indigène. L’Occident a
toujours eu recours à l’emploi de la force. l’Iran est sommé de
choisir entre la modération ou la résistance. En usant du
langage sartrien, l’Iran n’a qu’un choix : « la servitude ou la
souveraineté. [12] »
Occident-Iran. Tout est dans la relation du
défi. Puisque la catégorie biblique de David contre Goliath est
passée de l’universalisme au particularisme, il nous reste les
catégories philosophiques de Foucault : l’universel et la
singularité. Si tout pouvoir porte en soi ou génère sa propre
résistance, selon Foucault, la singularité, celle qui résiste,
dans ce cas, est l’Iran.
C’est pour cette raison que l’espoir dont
nous avons parlé porte sur la philosophie du défi. Foucault a
déjà vu dans le soulèvement iranien en 1978 l’ébranlement du
vieux monde : « Quand je suis parti d’Iran, la question qu’on me
posait sans cesse était bien sûr : « Est-ce bien une
révolution ? » […] Je n’ai pas répondu. Mais j’avais envie de
dire : ce n’est pas une révolution, au sen littéral du terme :
une manière de se mettre debout et de se redresser.
C’est l’insurrection d’hommes aux mains
nues qui veulent soulever le poids formidable qui pèse sur
chacun de nous (c’est nous qui soulignons), mais plus
particulièrement, sur eux, ces laboureurs du pétrole, ces
paysans aux frontières des empires : le poids de l’ordre du
monde entier. C’est peut-être la première grande insurrection
contre les systèmes planétaires, la forme la plus moderne de la
révolte et la plus folle.[13] »
Là est la véritable leçon de Foucault. Et là, Foucault ne s’est
pas trompé.
Si Sartre a vu dans Les damnes de la
terre de Fanon un grand événement pour l’Occident, et si Foucault a salué la volonté
collective qui s’est incarnée dans le peuple en Iran, nous
dirons que le défi de l’Iran vis-à vis de l’Occident est un
grand événement pour l’humanité.
[2]
Discours de Nicolas Sarkozy à l’Elysée le 27 août 2007
portant sur l’ensemble des orientations de la diplomatie
française.
[3]
Michel Foucault, « vers une critique de la raison
politique », ibid., p.11
[4]
Propos de R.Byrd, dans sa déclaration au Sénat, 21 mai 2003,
cité par John G Mason, « Guerre d’Irak et guerre
culturelle : « les pieux mensonges » néo-conservateurs »,
Critique,
janvier-février 2004
[5]
Bernard Kouchner, dans un entretien au quotidien le Parisien
- Aujourd’hui, le Monde 10 décembre, source AFP.
[6]
Le Wahhabisme prône le retour à un islam d’origine, il est
devenu par la suite la doctrine officielle de l’Arabie
Séoudite. En étant au service du politique, le Wahhabisme
s’inscrit en droite ligne en héritier des Ommeyades : Une
foi au service d’une dynastie.
[7]
Discours de Nicolas Sarkozy à l’Elysée le 27 août 2007.
[8]
Michel Rocard : « Il y a dans le patronat guadeloupéen une
aile irréductible », le monde,
23/02/2009 ;
[9]
JDD.fr, le 16 janvier 2009.
[10]
Bernard Kouchner, le 17 septembre 2007.
[11]
Emanuel Todd : « Kouchner est passé de Médecins du monde à
Militaires sans frontières », 17 septembre 200,
http://www.marianne2.fr
[12]
Frantz Fanon, les damnés de la
terre, préface de J.P. Sartre,
François Maspéro, Paris, 1961, p.13
[13]
Dits et écrits, p 716 (c’est nous qui soulignons).
Mahmoud Senadji.
L'Iran, une menace ? La leçon de Foucault (partie 1/2)
Mahmoud Senadji, Ancien professeur à l’Ecole
Supérieure des Beaux-Arts d’Alger
Publié le 28 mars 2009 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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