Rapport du CPI
Om Aziz : Entre le
marteau des souvenirs et
l'enclume de l'attente
Photo: CPI
Mardi 27 septembre
2011
Beyrouth – CPI
Cela fait plus de
vingt-neuf ans qu’elle attend ses quatre
garçons. Vingt-neuf ans suffisent
largement au temps pour creuser lui
creuser des entailles au niveau du
visage. L’octogénaire palestinienne Om
Aziz attend le retour d’Aziz, né en
1951, d’Ibrahim, né en 1953, de Mansour,
né en 1956, et d’Ahmed, né en 1969. Tous
les quatre ont été emportés par le
massacre de Sabra et Chatila. Om Aziz
n’a pas encore vu leurs corps.
Le camp de Borj
Al-Barajina
Sur la route qui mène
chez elle, dans le camp de Borj Al-Barajina,
dans le quartier sud de la capitale
libanaise Beyrouth, on remarque de
toutes parts les habitats endommagés. On
explique au correspondant du Centre
Palestinien d’Information (CPI) que la
guerre agressive menée par les occupants
israéliens contre le Liban en 2006 a
détérioré toutes les maisons du camp.
Bizarrement, toutes les maisons du pays
ont reçu une compensation, sauf celles
du camp. Pourtant, il a reçu des
milliers de gens qui fuyaient la guerre.
Et la maison d’Om Aziz ne fait pas
exception. Arrivée à la maison, Om Aziz
commence à raconter sa tragédie.
Sabra et Chatila
Le 6 juin 1982, les
avions militaires de l’occupation
israélienne se sont mis à bombarder la
région d’Al-Amiliya du camp de Borj Al-Barajina,
un prélude pour l’invasion du Liban. Om
Aziz n’a eu d’autre choix que de se
réfugier dans un bâtiment vers les camps
de Sabra et Chatila. Plus tard, les
forces israéliennes d'occupation sont
entrées dans la capitale Beyrouth, après
un accord international pour que les
civils ne soient pas touchés.
Trois mois plus tard,
le 16 septembre 1982 plus précisément,
des milices de l’extrême droite
libanaise, suivies après par l’armée du
collaborateur avec les envahisseurs Saad
Haddad, sont entrées dans les camps de
Sabra et Chatila et ont entamé le
massacre, aidées par les occupants
israéliens. Les têtes ont été coupées à
l’arme blanche, les ventres des femmes
enceintes ont été ouverts, sans parler
d’autres crimes que les habitants des
camps n’évoquent qu’avec une voix très
basse.
Le lendemain de cette
journée interminable, Om Aziz s’est
réveillée et a commencé à réveiller ses
quatre garçons : « Le petit déjeuner est
prêt ». Avant de sortir acheter des
légumes, elle a dessiné une bise sur le
visage du plus jeune Ahmed. Elle ne
savait pas que le massacre se
poursuivait quelques mètres plus loin.
Il n’y avait ni radio, ni portable,
encore moins Facebook.
Sur son passage, elle
a vu des hommes portant des vêtements
militaires, aux côtés d’un homme avec
une large moustache et des lunettes
noires. Ce dernier était Ili Habiqa, le
superviseur du massacre. Elle a continué
sa route, fait ses achats et est
retournée à la maison.
La disparition
Lorsqu’elle est
entrée dans la maison, elle a remarqué
un silence assourdissant, un calme
inhabituel pour une maison avec quatre
garçons. « Où êtes-vous ? », a-t-elle
crié, en vain. Elle n’a reçu que son
écho. L’écho du silence s’est mélangé à
l’image de ces militaires qu’elle avait
vus. Elle continuait à crier lorsqu’elle
a vu la femme de son aîné Aziz trembler
de toutes ses forces. Sa belle-fille l’a
informé qu’une force militaire avait
kidnappé les quatre garçons. Elle et son
bébé ont pu se cacher dans le placard de
la cuisine.
Om Aziz a couru
derrière des transporteurs de troupes
qui portaient des dizaines d’hommes
enlevés, sans que les soldats de
l’occupation israélienne n’aient fait
quoi que ce soit. Elle n’avait pas
oublié d’apporter la chemise d’Aziz : le
pauvre pouvait attraper froid. Elle a
entendu sa voix : « Maman, je suis
là ! ». Elle voulait s’approcher du
camion qui portait son fils, mais les
kidnappeurs l’ont frappé sans merci,
ainsi que son fils, blessé à l’œil. Elle
est revenue à la maison avec la chemise
de son fils, une chemise qu’elle garde
jusqu’à nos jours. Elle est revenue avec
une grande inquiétude.
Le charnier
Au troisième jour,
les nouvelles du massacre sont arrivées.
Om Aziz a couru vers les camps de Sabra
et de Chatila, pieds nus. Là-bas, elle
n’a vu que quelques mères et un certain
nombre de journalistes. Là-bas, elle a
vu des tas de cadavres. Là-bas, elle
s’est mise à chercher ses garçons parmi
les corps. Elle s’est mise à essuyer le
sang qui recouvraient certains visages.
Si le corps était grand, elle craignait
ou même espérait qu’il soit celui de son
aîné Aziz. Et quand elle voyait un petit
corps, elle criait que c’était Ahmed, le
petit dernier. Toutefois, toutes ses
recherches n’ont rien donné.
Elle s’est orientée
vers le complexe sportif où elle a vu
plus de vingt corps de jeunes tués à
l’arme blanche. Ses garçons n’étaient
par parmi eux.
Lorsqu’elle est
revenue à son camp, elle a remarqué que
le nombre de femmes avait augmenté.
Elles pleuraient, criaient, hurlaient de
manière hystérique. Elles ne se
couvraient même pas le nez, alors que
les médecins et les journalistes le
faisaient : l’odeur était insupportable.
Beaucoup de mères ont
pu trouver les corps des leurs et ont pu
faire leur deuil, mais pas elle. Elle
est allée vers un Chrétien chez lequel
son fils Aziz travaillait. Le pauvre,
dès qu’il a entendu l’histoire d’Om
Aziz, est tombé mort.
Un désespoir
extrême
Om Aziz a commencé à
perdre espoir et du poids. Son poids a
chuté pour descendre à quelque quarante
kilos seulement. Elle a cependant
continué à chercher. Dans une de ses
tentatives, elle a failli perdre la vie.
La vie sans ses garçons n’est plus. Elle
a perdu ses enfants et le sommeil avec ;
elle ne dort que deux heures par jour.
Cette dame que les
habitants appellent « La mère des
martyrs » n’espère qu’avoir une tombe
pour faire le deuil de ses garçons.
Les
rapports du CPI
Les dernières mises à jour
|