Opinion
Thierry Meyssan
sur l'agression de la Syrie et la
diplomatie de François Hollande
Vendredi 6 juillet
2012
Dans une
interview pour la radio
La voix de
la Russie
que nous reproduisons dans nos colonnes,
Thierry Meyssan revient sur les
développements récents de l’opération de
déstabilisation de la Syrie et la
position du nouveau gouvernement
français. Dans la continuité de l’ère
Juppé-Levy-Kouchner, le Quai d’Orsay
s’obstine jusqu’à présent à prendre la
communication de guerre pour la réalité.
Alors que la France ne brille que
lorsqu’elle sait jouer de l’équilibre
entre les grandes puissances, elle se
prive de toute marge de manœuvre en
s’enferrant dans un parti pris à courte
vue.
La Voix de la
Russie. Monsieur Meyssan, merci d’être
avec nous sur les ondes de la Voix de la
Russie. Vous êtes au cœur de l’actualité
proche-orientale. Vous voyez les choses
évoluer au jour le jour et pouvez
témoigner de la situation à Damas. Que
pensez-vous de la mise en pratique du
plan de Kofi Annan qui, d’après vous, a
largement puisé dans l’initiative d’un
Serge Lavrov, chef du Quai d’Orsay russe
?
Thierry Meyssan. Le
plan Kofi Annan est la reprise du plan
Lavrov. On a juste modifié une clause
qui concerne le statut de la presse. Et
c’était une bonne manière de faire
puisque M. Lavrov avait réussi à trouver
un accord avec la Ligue arabe. Donc cela
pouvait paraître une plateforme de
discussion correcte. Cependant au moment
même où Monsieur Lavrov avait négocié
cela avec la Ligue arabe, le président
de séance de la Ligue à ce moment-là,
c’est-à-dire le représentant qatari,
avait donné une conférence de presse,
quelques minutes après celle de M.
Lavrov, en tenant des propos en totale
contradiction avec le contenu du plan.
Et aujourd’hui on est toujours dans la
même situation, c’est-à-dire que tout le
monde se réclame du plan Lavrov,
maintenant du plan Annan, mais certaines
parties au conflit s’expriment d’une
manière qui ne laisse aucun doute sur
leur refus de l’appliquer. Parce que la
base de cette idée, du plan de paix, est
que tout le monde doit cesser le feu de
manière unilatérale. On ne doit pas
attendre que les autres fassent une
démarche et descendre progressivement.
Chacun doit s’arrêter de tirer. Or,
l’armée syrienne a fait des efforts
considérables, s’est retirée des grandes
villes malgré les protestations des
gens, des manifestations – non pas
contre l’armée mais des manifestations
pour l’armée ; des gens réclamant la
protection militaire face aux groupes
des mercenaires. Et puis en face il n’y
a pas du tout d’arrêt, les actions
commandos continuent. Il y a beaucoup
d’actions ciblées soit pour détruire
l’infrastructure, soit assassiner des
responsables de l’État ou des personnes
qui ont manifesté leur soutien au pays.
Est-ce que d’après vous il
subsiste ne serait-ce qu’une infime
chance de pacification de la Syrie ?
Oui ! La chance, elle est toute
simple ! Si les armes et l’argent
arrêtaient d’arriver de l’étranger… Si
on arrêtait d’envoyer des mercenaires…
Il y a constamment des mercenaires qui
franchissent la frontière avec la
Turquie comme l’a souligné le
représentant russe au Conseil de
Sécurité. On a transféré des combattants
qui étaient en Libye vers la Turquie en
utilisant d’ailleurs les moyens des
Nations Unies. On a installé un camp des
prétendus réfugiés qui est en fait une
base arrière de cette pseudo-armée
syrienne libre. Et puis constamment ces
gens franchissent la frontière et
viennent pour commettre des crimes sur
le territoire syrien. Donc si on
arrêtait ce soutien extérieur aux bandes
armées, il ne resterait plus rien !
Après on va se retrouver dans une
situation normale avec un gouvernement
qui est largement majoritaire, une
opposition qui existe, qui a les moyens
de s’exprimer, qui fait sont travail
d’opposition, qui propose des nouvelles
choses, etc. Il y aurait un débat
démocratique comme cela existe dans de
nombreux pays. Là quand se réunit
maintenant le groupe de contact initié
par la Russie, la question est est-ce
que les États-Unis qui sont la puissance
titulaire à la fois de l’Occident et du
Conseil de Coopération du Golfe, est-ce
que les États-Unis vont demander à leurs
alliés d’arrêter ce jeu en sous-main ?
Ou est-ce qu’ils vont au contraire
continuer à les encourager à jeter de
l’huile sur le feu ?
Une autre question, cette
fois-ci beaucoup plus délicate,
plusieurs de nos confrères, journalistes
d’une télévision locale, ont été
sauvagement assassinés par la prétendue
Armée libre syrienne soutenue par la
Turquie et les Occidentaux. Croyez-vous
qu’on s’attaque à la presse pour créer
un blocus médiatique, pour priver les
citoyens des pays occidentaux et arabes
de toute information véridique ? Quels
ont été les mobiles de ces criminels ?
Je pense qu’il y a deux éléments qui
vont ensemble. D’une part, au cours des
vingt dernières années, nous avons vu
les mêmes scènes se reproduire
successivement en Yougoslavie, en
Afghanistan, en Irak, en Libye et
maintenant en Syrie. Il y a des
puissances qui systématiquement
détruisent les médias des pays qu’ils
attaquent. Et c’est simple. Il y a
constamment derrière cela les États-Unis
et l’OTAN. Personne d‘autre ne se
comporte comme ça dans le monde. Il n’y
a pas de plus grand ennemi de la liberté
d’expression que les États-Unis et
l’OTAN. Quoi qu’on en dise, ce sont les
faits qui le montrent.
Deuxièmement, il était prévu dans le
cas particulier de la Syrie une immense
campagne en décrochant des satellites
les canaux syriens et en leur
substituant des canaux qui étaient des
programmes qui ont été fabriqués par la
CIA qui a créé plusieurs chaînes
satellitaires au cours des derniers
mois. Donc l’idée c’était qu’on allait
diffuser des images fictionnelles
tournées dans les studios, des images de
synthèse pour faire croire à
l’effondrement de l’État syrien et pour
que les gens en Syrie quand ils avaient
branché leur télévision, au lieu de voir
leur chaîne habituelle, ils auraient vu
autre chose avec de fausses images. Et
ils auraient pensé – voilà ! c’est trop
tard ! Il faut se résigner, la patrie
est perdue, elle est occupée par des
forces étrangères. Eh bien, ça ça n’a
pas été possible parce qu’il y a eu
d’abord une mobilisation incroyable dans
le monde entier. Il y a des dizaines de
très grands journaux qui ont consacré
des pages entières à ce sujet. Il y a eu
des centaines de sites internet qui ont
véhiculé tous les détails de cette
opération. Finalement NileSat
avait refusé d’enlever les chaînes
syriennes de son satellite. La Ligue
arabe a été forcée de reculer avec
ArabSat. Les Syriens ont installé
sur de nouveaux satellites leur
télévision. Enfin ils ont saisi le
Conseil de Sécurité avec une lettre très
importante sur ce sujet. Et surtout M.
Lavrov a inscrit comme point numéro un à
l’ordre du jour de la réunion du groupe
de contact l’arrêt immédiat de la guerre
médiatique contre la Syrie.
Alors l’OTAN s’est vengée comme ça.
Ils ont envoyé un commando. Cette
télévision était installée à une
quinzaine de kilomètres à la sortie de
Damas, à la campagne, en fait. C’était
un lieu pas du tout défendu. Le commando
était arrivé – des gens avec des
systèmes de visée nocturne, avec tout ce
qu’il faut. Ils ont tué les gardiens. Il
y avait juste 4 gardiens. Ils sont
rentrés. Ils ont arrêté 3 présentateurs
qu’ils ont ligotés et qu’ils ont
exécutés sur place. Et puis après ça ils
ont mis le feu. Ils ont fait tout
sauter. Maintenant ce ne sont que des
gravois cet endroit-là. Il y a juste un
bâtiment qui est encore debout.
Encore une fois ce n’est pas nouveau.
Les États-Unis et l’OTAN font ça partout
depuis 20 ans. C’est quelque chose
d’incroyable. Parce que ce sont les
mêmes personnes qui pratiquent ces actes
barbares et qui dans les organisations
internationales se présentent comme les
défenseurs de la liberté d’expression !
C’est le monde à l’envers ! La réalité
nous dit l’inverse de leurs paroles ! Et
pour nous, journalistes, ceci devient
impossible à vivre. C’est bien clair.
Toute personne qui veut s’opposer à cet
impérialisme et qui se retrouve dans un
pays qui n’a pas les moyens importants
pour se défendre est désormais en
danger.
Et qu’en est-il de la
position de la France par rapport à la
Syrie. On voit François Hollande
louvoyer à tous les vents et zigzaguer
sans cesse comme s’il ne savait à quel
saint se vouer… Qu’est-ce que vous en
dites ?
Comme vous dites : François Hollande
zigzague et louvoie. C’est-à-dire qu’il
ne sait pas quelle est sa politique ; Il
essaie de suivre son mouvement. Il se
rend bien compte que la position
officielle sur la Syrie n’est pas
tenable. Mais en même temps il n’est pas
capable d’en dégager une autre. Il n’est
pas capable de ça parce qu’il n’a pas de
marge de manœuvre. Il accepte que la
France continue comme au cours du mandat
de Nicolas Sarkozy à être le suiveur des
États-Unis. Comment pourrait-il énoncer
une nouvelle politique dans ces
conditions ? Il a à côté de lui
l’administration du Quai d’Orsay, les
diplomates français qui ne cessent de
lui répéter que nous commettons une
erreur très grave avec la Syrie. Que
normalement la France et la Syrie
devraient être alliés comme c’était le
cas dans le passé. La France a été la
puissance mandataire pendant
l’entre-deux-guerres ici. Il y a une
incapacité à s’adapter. Cette
incapacité, elle s’est exprimée
clairement lors de la première rencontre
de François Hollande et de Vladimir
Poutine à Élysée. C’était quelque chose
d’un peu grotesque en fait ! Les deux
Chefs d’État ont fait une liste de
sujets à aborder dont la Syrie qui
occupait une grande part de la
discussion. Et ils n’ont trouvé aucun
point d’accord. C’est honteux ! Aucun
point d’accord ! Pourquoi ? Parce que
sur chaque sujet Vladimir Poutine
exprimait les demandes de la Russie en
les argumentant. Nous voulons ceci parce
que cela… Et il donne ses arguments. Et
en face il y avait un François Hollande
qui lui répondait : « Nous pensons que…
» Sans arguments.. ! C’est-à-dire il n’y
a rien à négocier. C’est juste
l’affrontement d’un point de vue borné
en face d’une position ouverte. Et quand
on a abordé plus précisément la question
syrienne, ceci est devenu encore plus
ridicule ! Puisque le Président français
a évoqué seize mille morts dont serait
responsable le gouvernement, etc. Le
Président Poutine lui demanda : « Mais
d’où tenez-vous ces chiffres ? De
l’Observatoire syrien des droits de
l’homme ? Mais nous avons envoyé notre
ambassadeur à Londres. Il a vu ces gens
–là : c’est un marchand de kebab avec
une petite échoppe. C’est ça la source
des renseignements français ? La Russie
pendant ce temps, nous avons cent mille
Russes qui sont déployés sur l’ensemble
du territoire syrien ! Rien ne nous
échappe ! Nous pouvons tout vérifier !
Et nous pouvons vous affirmer évidemment
que ce que raconte ce marchand de kebab
à Londres n’a aucune valeur ! »
«
Le néant qui anéantit. Les journalistes
assassinés par les commandos de l’Otan.
L’incompétence et l’indécision de
François Hollande. Thierry Meyssan du
Réseau Voltaire témoigne », par
Alexandre Artamonov, Radio La voix de
la Russie, 30 juin 2012.
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