Interview dans "Le Monde des religions"
Autour des tueries
de Toulouse et Montauban
Tariq
Ramadan
Tariq
Ramadan
Jeudi 29 mars 2011
propos recueillis par Matthieu
Mégevand - publié le 28/03/2012
Après les
tueries de Toulouse et Montauban, le
fondamentalisme islamique est à nouveau
pointé du doigt. Questions à Tariq
Ramadan, professeur d’Etudes islamiques
à l’université d’Oxford.
Vous dites que "le problème
de Mohamed Merah n’était ni la religion
ni la politique". Expliquez-nous.
Lorsqu’on étudie un tout petit peu la
vie de Mohamed Merah, y compris dans les
semaines et mois qui ont précédé les
attentats, lorsqu’on écoute ceux qui,
psychologues, policiers, avocat, ont eu
affaire à lui, on peut mettre en
évidence le parcours d’un jeune fragile
que l’on veut aujourd’hui absolument
diaboliser sur le coup de l’émotion,
mais qui était porteur d’une anxiété,
d’un mal-être social évident. Ce jeune
homme voulait rentrer dans l’armée
française et a été refusé pour des
questions de casier judiciaire, puis
s’est tourné vers la religion et la
politique afin de donner des réponses à
son mal-être. Rien dans sa vie ne montre
qu’il avait de réelles convictions
politiques ou religieuses. Lorsqu’il
cherche à abattre un militaire, que
finalement il ne le trouve pas et se
rabat sur une école juive en expliquant
qu’il souhaite venger les enfants
palestiniens, cela montre qu’il s’agit
de constructions a posteriori, ce ne
sont pas des motivations développées sur
le long terme. Le problème, comme
toujours, c’est lorsque l’on cherche à
comprendre l’humain, on vous accuse de
vouloir justifier l’inhumain. Or ce
n’est pas du tout l’objectif, ce qu’il
faut c’est comprendre comment un humain
parvient à l’inhumain, en d’autres
termes comment un jeune homme français
décroche ainsi. Et il faudra bien que la
France comprenne que Mohamed Merah était
un enfant de la France, pas un enfant de
l’Algérie.
Les injustices sociales
seules permettent-elles d’expliquer les
actes de Mohamed Merah ? Qu’en est-il du
fondamentalisme musulman ?
Il y a un vrai problème du
littéralisme religieux et de certaines
postures radicales ou violentes,
marginales certes, mais qu’il ne faut
pas oublier. Je ne nie pas ce problème,
et du point de vue islamique il faut
répondre, condamner et délégitimer ce
type d’attitudes. Mais je dis simplement
que cette hypertrophie du fait religieux
qui s’ajoute à la diabolisation de la
personne, par opposition à une lecture
plus sociologique, et plus simplement
politique de la situation de la jeunesse
française et en particulier de cette
jeunesse-là ne mène à rien. Je ne nie
pas qu’il existe certains problèmes
religieux, mais je dis que l’essence du
problème n’est pas religieux, et que
tous les faits objectivement rassemblés
de la vie de Mohamed Merah le confirment
et le prouvent.
Dans une tribune au journal
Le Monde, le philosophe Abdennour Bidar
voit dans les tueries de Toulouse et
Montauban l’expression extrême d’une
"maladie de l’islam", un islam incapable
de se remettre en question. Qu’en
pensez-vous ?
Le problème avec cette
interprétation, dans la droite ligne du
propos courant en France, c’est qu’elle
refuse de reconnaitre que la France
produit aujourd’hui des citoyens qui se
perçoivent comme de seconde classes, qui
sont marginalisés, et pour lesquels
l’islam devient un référant utilisé
comme une arme. Cela n’a rien à voir
avec une quelconque maladie de l’islam ;
si l’islam était la cause des actes de
Mohamed Merah, je pense que les
banlieues de France et d’Europe seraient
aujourd’hui à feu et à sang. Or ce sont
des phénomènes complètement marginaux,
qui n’ont rien à voir avec la pensée
musulmane contemporaine. C’est
d’ailleurs tellement vrai que ceux qui
ont porté un islam extrémiste comme
al-Qaïda n’ont absolument pas réussi à
drainer des populations, et sont de plus
en plus marginalisés.
La réalité c’est que ceux qui se sont
soulevés contre des dictateurs en
Tunisie, en Egypte, en Lybie ou en Syrie
ne l’ont pas fait contre l’islam mais
avec l’islam. Ce sont des musulmans qui
se sont battus pour la liberté. Pourquoi
prendrait-on comme exemple de l’islam
contemporain la dérive d’un seul en
oubliant l’aspiration de millions ?
Source :
http://www.lemondedesreligions.fr/e...
© Tariq Ramadan
2010
Publié le 29 mars 2012
Le sommaire de Tariq Ramadan
Le dossier
religion musulmane
Les dernières mises à jour
|