Interview
Interview
du Secrétaire Général du Hezbollah,
Sayed Hasan Nasrallah,
à l'occasion du septième anniversaire de
la fin de la guerre de Juillet-Août 2006
Chaîne TV Al Mayadin, 14 août 2013
Ghassan Benjeddou : […] Bonsoir,
votre Eminence.
Sayed Hasan Nasrallah : Bonsoir,
bienvenue à vous.
Ghassan Benjeddou : Nous sommes
aujourd’hui le 14 août 2013. A cette
même date, il y a quelques années,
durant la guerre de Juillet [2006], la
Résistance a permis au Liban et à son
peuple de remporter une grande victoire.
Nous nous rencontrons aujourd’hui pour
le dernier des 33 épisodes qui ont été
consacrées à cette guerre, dans lesquels
quelques éléments d’information sur ce
qui s’est passé durant ce conflit ont
été donnés. Ils n’en ont pas fini avec
vous, Sayed. Pourquoi ?
Sayed Hasan Nasrallah : Au nom de
Dieu, le Clément, le Miséricordieux.
Avant tout, il est de mon devoir, en mon
nom et au nom de tous mes frères au sein
de la Résistance de remercier votre
digne personne et tous ceux qui vous ont
aidé à réaliser tous ces épisodes, tous
les employé(e)s de la chaîne Al Mayadeen
que nous remercions pour ce programme,
Juillet, l’Histoire. C’était un
effort très réussi pour faire revivre
cette épopée légendaire, ces exploits
extraordinaires et ces actes héroïques
qui ne doivent pas être (comme cela se
produit dans l’histoire) enterrés,
oubliés et occultés. C’est la première
chose que je me dois de vous dire, vous
remercier et vous féliciter pour cet
accomplissement.
Naturellement, ils n’en ont pas fini
avec nous et ils n’en finiront jamais,
pas tant que cette Résistance sera
attachée à cette cause essentielle pour
la communauté (musulmane), et tant que
cette Résistance sera déterminée à
protéger le Liban, à défendre ce pays,
sa souveraineté et ses capacités. Le
véritable problème pour l’Amérique et
l’Occident, et même pour une grande
partie des gouvernements arabes qui
veulent en finir avec la cause
palestinienne, le problème qu’ils ont
avec nous est précisément le fait que
nous sommes une Résistance. Le problème
n’est pas un problème intérieur : la
scène libanaise est seulement utilisée
comme un moyen pour nous attaquer. Tel
est le véritable problème – la
Résistance. Et à ce sujet je rappelle
qu’avant l’année 2000 [année du retrait
israélien du Liban, défaite historique],
après l’année 2000, après 2006, on nous
a toujours approchés avec des
propositions : conservez vos armes,
recevez de l’argent de notre part, nous
vous ouvrons les portes (de la
jouissance) du monde d’ici-bas à une
seule condition, que vous nous donniez
une garantie, même de manière privée
(nous ne vous demandons pas de le faire
publiquement), que vous ne vous
occuperez plus de la question d’Israël,
de la cause palestinienne et des
ambitions (expansionnistes) d’Israël.
Ghassan Benjeddou :
Pardonnez-moi, qui (vous a fait ces
propositions) ?
Sayed Hasan Nasrallah : Les
Américains de manière indirecte, les
Anglais directement (leurs ambassadeurs
à Beyrouth), les Français de manière
directe et indirecte, un grand nombre
d’acteurs nous ont fait de telles offres
– naturellement, c’était de manière
indirecte pour les Américains car nous
n’avons aucun contact direct avec eux.
J’ai déjà évoqué – peut-être même lors
d’un précédent entretien avec vous – que
Dick Cheney avait envoyé une personne,
un citoyen américain d’origine libanaise
qui avait demandé à me rencontrer en se
présentant comme un journaliste. Puis il
a déclaré avoir un message à me
transmettre de la part de Dick Cheney.
C’était après l’année 2000, précisément
après les événements du 11 Septembre.
Ils nous a fait une offre très longue et
détaillée : on vous donne des milliards
de dollars, on vous retire de la liste
des organisations terroristes, on vous
permet de participer au gouvernement
(car il y avait un veto contre nous,
depuis longtemps), ou vous ouvre les
portes du monde entier, vous pourrez
aller et venir à votre guise, obtenir
des visas, créer des liens
internationaux, être reconnus par tous
les pays, conserver vos armes, nous
libérons vos prisonniers (à cette époque
le Cheikh Abdelkarim, Hajj Abou Ali et
d’autres jeunes étaient encore détenus).
Ghassan Benjeddou : Et vous
conservez vos armes ?
Sayed Hasan Nasrallah : Oui, vous
conservez vos armes, à condition que tu
t’engages (c’est-à-dire moi, l’humble
serviteur), pas même publiquement ni par
écrit, que tu t’engages à l’oral et dans
une pièce isolée [à ne pas les utiliser
contre Israël], et nous vous donnons
tout cela.
Naturellement, nous avons refusé, nous
ne pouvons donner un tel engagement ni
aux Américains, ni à l’Occident, ni à
quiconque sur cette terre, car à quoi
peuvent servir les armes si ce n’est au
service d’une cause et pour défendre un
pays ?
Tel est le problème, que nous soyons une
Résistance.
Ghassan Benjeddou : Si vous me
permettez, Sayed, vous avez refusé
directement ou après consultation ?
Sayed Hasan Nasrallah :
Directement bien sûr. Cette personne m’a
dit « Mais je sais que vous avez un
Conseil, une direction collective, ne
veux-tu pas au moins consulter tes
frères ? »
Ghassan Benjeddou : Et vous avez
également des alliés à l’extérieur (du
Liban), n’a-t-il pas évoqué ce point ?
Sayed Hasan Nasrallah : Non, il
n’a pas évoqué nos alliés. Lorsque je
lui ai directement donné un refus
définitif, il m’a demandé « Ne veux-tu
pas en parler à tes frères, les
solliciter ? » Je lui ai dit que cette
question est le socle, l’âme du
Hezbollah. C’est l’essence du Hezbollah.
C’est le fondement même du Hezbollah.
Cela ne fait pas partie des questions
sujettes à débat entre nous. Lorsque
nous avons choisi cette voie en 1982,
nous avons unanimement pris cette
décision et nous avons continué dans
cette voie, nous y avons sacrifié
l’élite des martyrs, les vies de notre
peuple libanais, de nos familles, de nos
frères et sœurs. Cette question n’est
sujette à débat pour aucun d’entre nous.
Il y a eu bien des tentatives d’offres
en ce sens, et je ne veux pas employer
plus de temps à les évoquer, mais je te
garantis dès le début que le véritable
problème avec nous est que nous sommes
une Résistance, et déterminés à rester
une Résistance.
Aujourd’hui même, si j’initiais un
contact direct avec les Européens, ou
indirect avec les Américains, leur
disant que nous nous engageons à ne plus
combattre Israël, qu’ils peuvent faire
ce qu’ils veulent, et que nous sortons
de cette équation, alors toutes les
choses seraient bouleversées. Et
personne ne nous demanderait plus de
nous débarrasser de nos armes. Au
contraire, ils souhaitent que tous les
pays arabes possèdent des armes pour
s’entretuer. Ils n’ont aucun problème
avec la présence des armes mais
seulement contre qui elles sont
dirigées. Et nous parviendrions alors à
des réussites politiques et matérielles
spectaculaires. Et nos opposants sur la
scène libanaise connaitraient leur
importance véritable auprès de leurs
maîtres.
Mais en ce qui nous concerne, c’est une
question de foi, un engagement et un
principe fondamental.
Ghassan Benjeddou : Mais, votre
Eminence, vous n’en avez pas fini avec
eux non plus. Et nous parlons
essentiellement d’Israël. Et je ne
remonte pas bien loin, je ne vais pas
parler de vieilles histoires. Bien que
la guerre de Juillet soit terminée, que
nous soyons dans une situation nouvelle,
il y a quelques jours, une opération a
eu lieu à Labbouné [zone libanaise
frontalière], et jusqu’à cet instant,
nous ne savons pas vraiment ce qui s’est
passé. Que s’est-il passé, votre
Eminence ?
Sayed Hasan Nasrallah : Je vais
te révéler ce qui s’est réellement
passé. Naturellement, Israël a essayé de
minimiser l’incident, et certains
Libanais ont également essayé de le
minimiser, ce qui s’explique aisément.
Ce qui s’est passé, c’est qu’un commando
israélien est entré dans le territoire
libanais et, d’après ce qu’ils
racontent, qu'une vieille mine a explosé
sur leur passage par coïncidence – et il
est amusant que certains prétendent que
c’est une mine qui aurait été placée en
1948 - rires - (pourquoi 1948, je
ne saurais dire, d’autant plus que les
Israéliens occupaient cette région
jusqu’en 2000).
Ghassan Benjeddou : Pour vous
ôter tout mérite dans cette affaire...
Sayed Hasan Nasrallah : Quoi
qu’il en soit, je veux te dire en toute
franchise que ce qui s’est passé à
Labbouné est une intrusion israélienne,
cela est clair : deux groupes israéliens
sont entrés. Le premier groupe était
d’une importance moyenne et il a pénétré
le territoire libanais, et le second
groupe est également entré avec lui sur
le territoire libanais mais est resté en
retrait pour le couvrir afin que le
premier groupe puisse aller accomplir sa
mission et revenir en sécurité. Cette
région précise, la région de
l’opération, était surveillée par les
combattants de la résistance islamique.
Auparavant, et par plusieurs moyens,
nous avons été assurés par des
informations préalables que les
israéliens passeraient par cette région.
Naturellement, c’est une région
difficile : la forêt est dense, il y a
des rochers, des montagnes, des vallées,
des collines, etc. Nous sommes parvenus
à y placer des explosifs, et lorsqu’ils
sont arrivés – ils sont venus dans une
nuit extrêmement obscure – nous avons
fait exploser ces engins. Ce sont des
explosifs récents, qui ont été placés il
y a quelque temps, et ce ne sont pas des
mines laissées par l’armée israélienne.
Le premier explosif a éclaté au moment
du passage du premier groupe, qui était
un groupe des troupes Golani [commandos
d'élite], et lorsque le second groupe
d’appui est intervenu, le second
explosif a été activé. Les explosifs
étaient contrôlés à distance et ils ont
eu des blessés. S’il y a eu des morts ou
non, c’est ce qui apparaîtra plus tard
car les israéliens ont placé un lourd
secret sur le sort de ces soldats. Je
pense qu’il n’y a pas eu de morts, car
comme je te l’ai dit cette région
comporte une forêt dense et beaucoup de
rochers, ce qui protège les soldats,
mais il y a eu un certain nombre de
blessés.
L’opération qui a eu lieu est donc une
opération minutieuse, parfaitement
contrôlée, délibérée, ce n’était ni une
coïncidence, ni une mine faisant partie
des vestiges de l’armée israélienne.
Ghassan Benjeddou : Merci pour
ces informations, votre Eminence.
J’aimerais vous demander plus de
détails. Premièrement, quelle est
l’importance du premier groupe ?
Deuxièmement, vous nous dites maintenant
que vous aviez des informations
préalables sur ce qui allait se passer.
Ce n’est pas seulement un échec pour
eux, mais vous aviez des informations
(Dieu sait d’où elles provenaient), et
l’essentiel est la décision que vous
avez prise. Savez-vous combien ils
étaient ?
Sayed Hasan Nasrallah : Je ne
veux pas donner un nombre rigoureusement
exact, car il faisait très sombre. Mais
ils n’étaient pas moins de 12-13 au
total (les deux groupes).
Ghassan Benjeddou : Des forces
spéciales des Golani ?
Sayed Hasan Nasrallah :
Oui, Golani.
Ghassan Benjeddou : Et qu’en
est-il de la mission de ce groupe ?
Est-ce la première fois qu’ils pénètrent
dans cette région ?
Sayed Hasan Nasrallah : Ecoute,
comme à mon habitude, je ne vais pas
tout révéler maintenant, je garde des
éléments en réserve. Les Israéliens,
comme à leur habitude, ont dissimulé la
vérité de leur côté. Je veux laisser
chaque chose en son temps. Par exemple,
parmi les éléments que je ne révèle pas
maintenant : quelle était la mission de
ce groupe ? Jusqu’à quel point est-il
parvenu avant de faire demi-tour ?
L’explosion a-t-elle eu lieu à l’aller
ou au retour ? Nous gardons ces éléments
pour plus tard. Laissons les israéliens
faire leurs analyses et tirer leurs
conclusions. Naturellement, ils savent
ce qui s’est passé de leur côté, ils le
savent très précisément au niveau de la
direction de l’armée israélienne,
l’armée ennemie. Mais ces questions très
importantes, jusqu’où sont-ils allés
exactement, l’explosion a-t-elle eu lieu
à l’aller ou au retour, cela sera révélé
plus tard.
Ghassan Benjeddou : Etait-ce une
mission opérationnelle, ou une mission
d’exploration et d’espionnage ? Quel
était leur mission ?
Sayed Hasan Nasrallah : Laissons
cela de côté. Ils sont entrés…
Ghassan Benjeddou : Ne nous
donnez pas de détails. Dites-nous
seulement si c’était une mission
opérationnelle, ou seulement une mission
d’exploration, d’espionnage ?
Sayed Hasan Nasrallah : C’est une
opération armée. Sont-ils entrés avec
une cible précise, pour explorer la
région, pour placer des explosifs ou en
vue de le faire, pour placer des
appareils d’écoute sur une ligne de
communication précise, ou pour une cible
logistique particulière, cela sera
révélé en temps voulu.
Ghassan Benjeddou : Est-ce la
première intrusion de ce groupe ?
Sayed Hasan Nasrallah : Non, ce
n’est pas la première. Même les
Libanais, même la FINUL parlent de
plusieurs intrusions. Mais il se peut
que ce soit là la première intrusion
d’une telle profondeur et d’une telle
précision que nous ayons ciblée.
Ghassan Benjeddou : Votre
Eminence, prendre ce groupe pour cible
implique une décision, au-delà des
détails logistiques. Cela implique une
prise de décision, vous avez maintenant
décidé de les prendre pour cible. Sur
quelle base avez-vous fondé cette
décision ?
Sayed Hasan Nasrallah : Ecoute,
disons que depuis le 14 Juillet 2007 –
pardon, 2006 – depuis le 14 août 2006,
ces frontières sont sous la surveillance
de l’armée libanaise, de la FINUL et de
l’Etat. Et durant toutes ces années, les
israéliens commettaient des infractions,
des incursions sur le territoire
libanais. Durant cette période, nous
nous sommes tenus à l’écart, bien que
nous sachions tout cela.
Chaque fois, les incidents étaient
traités de la même manière : l’armée
libanaise contacte la FINUL, la FINUL
contacte les israéliens, l’incursion
israélienne est enregistrée – ici ils
ont pénétré de 50 mètres, là 100 mètres,
là-bas 40 mètres – et on connaît les
disputes qui se tenaient, entre la ligne
bleue ou la frontière internationale, la
ligne technique ou non, toutes ces
subtilités.
Naturellement, dans des régions
particulières comme les fermes de Chebaa,
à l’intérieur des terres libanaises
libérées, il y a des intrusions
continuelles. Nous n’avons pas de
présence directe là-bas. Ils capturent
des paysans, des bergers, puis des
contacts sont pris, etc. Tout cela est
humiliant. Si quelqu’un au Liban se
souciait de la souveraineté, ces
violations ne se produiraient pas et ne
seraient pas tolérées.
Et il est amusant de voir qu’après
l’expérience de 65 ans avec l’ennemi
israélien, l’expérience des Arabes sur
tous les fronts et dans tous les pays,
des Libanais viennent demander à l’ONU
de dissuader Israël et de mettre fin à
ses violations perpétuelles à la
frontière et sur les territoires
libanais.
Mais ces derniers temps, nous avons
commencé à voir, à sentir et à savoir
que sur plusieurs points de la
frontière, des incursions à caractère
opérationnel se préparaient, opérations
qui visaient la Résistance – des cadres
de la Résistance, le peuple, etc. C’est
une chose sur laquelle nous ne pouvons
pas rester silencieux. Et c’est pourquoi
cette opération ne sera pas la dernière
que nous mènerons. Je vous le dis :
c’est peut-être la première, dans cette
nouvelle situation, mais je le dis, en
cette nuit du 14 août 2013, nous ne
tolèrerons plus les incursions
terrestres israéliennes. Quant aux
violations aériennes, c’est une autre
histoire : les cieux du Liban n’ont ni
souveraineté ni dignité, et il n’y a pas
un seul pays au monde qui tolèrerait ce
qui se passe dans notre espace aérien.
Je parle des incursions terrestres :
« Ce qui ne peut pas être complètement
réalisé ne doit pas être complètement
délaissé ». Sur la terre, chaque fois
que nous en aurons connaissance – je ne
veux pas m’engager absolument et dire
« de la mer au Mont Hermon », je ne peux
pas donner un tel engagement, d’autant
plus que c’est là avant tout la
responsabilité de l’Etat, la
responsabilité de l’armée libanaise.
Mais dans la mesure de nos capacités,
chaque fois que nous aurons connaissance
d’une incursion israélienne, où que ce
soit sur le territoire libanais, nous
les confronterons. Bien entendu, nous
les confronterons de la manière
appropriée, dans une opération
planifiée, préparée en vue de la
réussite. Nous couperons les pieds qui
violeront notre territoire chaque fois
que nous le saurons, inch Allah.
Nous ne tolèrerons plus les violations
qui se produisent depuis quelque temps.
Et c’est là notre droit. Car je sais
qu’après les propos que je viens de
tenir, tous ceux qui sont restés
silencieux au sujet de l’incursion
israélienne à Labbouné, sur la scène
libanaise interne, vont maintenant
s’exprimer, et mon intention est qu’ils
s’expriment.
Ghassan Benjeddou : J’ai entendu
leur silence mais...
Sayed Hasan Nasrallah : Je dis
que c’est notre droit, et la résolution
1701 n’a nullement ôté à aucun peuple,
pas même au peuple libanais ni aux
habitants des villages du Sud le droit
de résister aux israéliens s’ils
pénètrent en territoire libanais. Il n’y
a aucune résolution, aucune décision qui
déclare que cela n’est pas notre droit.
Ghassan Benjeddou :
Pardonnez-moi, votre Eminence, mais si
j’ai insisté sur votre prise de décision
c’est parce que c’est très important.
Vous pouvez révéler certaines choses,
prendre certaines mesures, envisager
certaines possibilités et peut-être même
faire des choses sans le déclarer
publiquement, envoyant ainsi un message
indirect à Israël, mais maintenant, la
Résistance prend la décision de
confronter Israël avec cette fermeté, et
va au-delà encore, car vous affirmez que
non seulement vous les avez confrontés à
Labbouné, mais que vous les confronterez
n’importe où ailleurs…
Sayed Hasan Nasrallah : En toute
franchise, sur tout point du territoire
libanais où pénètrent les israéliens à
notre su, nous les confronterons. Nous
ne permettrons plus aux israéliens de
pénétrer sur le territoire libanais.
Ghassan Benjeddou : Votre
Eminence, sur quoi avez-vous fondé cette
décision, depuis toutes ces années que
la résolution 1701 a été prise ?
Sayed Hasan Nasrallah : Car
personne n’a rien fait. Les israéliens
entrent et sortent, prennent des otages
et font des prisonniers, placent des
explosifs et des appareils d'écoute, et
il n’y a personne pour les en empêcher.
Ghassan Benjeddou : Qui devrait
les en empêcher ? La FINUL ? L’armée ?
Les deux ?
Sayed Hasan Nasrallah : Les deux.
En premier lieu, c’est la responsabilité
de l’Etat. Bien entendu, je ne dis pas
que l’armée est négligente. Elle agit
dans la mesure de ses capacités.
Ghassan Benjeddou : Et la FINUL
est négligente, ou elle ferme
(délibérément) les yeux ?
Sayed Hasan Nasrallah : La FINUL…
elle ferme les yeux (rires).
Ghassan Benjeddou : Votre
Eminence, comment expliquez-vous le
silence du gouvernement libanais, de
l’Etat libanais, de la classe politique
libanaise – mis à part le gouvernement
démissionnaire – la classe politique
libanaise est restée silencieuse sur
tout ce qui s’est passé ?
Sayed Hasan Nasrallah : Pour moi,
ce n’est pas surprenant. Je veux te dire
que même avant la guerre de Juillet,
même avant l’année 2000 – car
aujourd’hui, peut-être que quelqu’un
peut chicaner sur les événements et dire
« C’est une incursion de 18, 12, ou 15
soldats ? Ils sont rentrés dans le
Labbounés, dans les fermes de Chebaa ?
(jusque dans les terres qui ne sont pas
disputées) C’est quoi cette histoire,
c’est quoi cette affaire ? »
O mon frère, toute la zone frontalière
était occupée. De 1985 à 2000, dans la
zone frontalière, il y avait un grand
nombre de villes et de villages qui
étaient occupés, et il y avait une
diversité confessionnelle dans la bande
frontalière, où étaient tous ces
gens-là ? Quel est leur sentiment
national et patriotique ? Si c’est la
question de la souveraineté, il y a des
terres libanaises occupées. Si c’est la
question des sentiments envers le
peuple, il y avait un peuple sous
occupation. Si c’est la question
confessionnelle, ce peuple sous
occupation était de toutes les
confessions, de toutes les sectes. Mais
ceux-là ne comptaient pas, ils étaient
hors contexte, hors sujet. Et chaque
fois, je dis que notre problème, au
Liban, c’est qu’il y a des forces
politiques qui ne considèrent pas Israël
comme un ennemi, ô mon frère, c’est de
l’hypocrisie manifeste. Il y a au Liban
des forces qui ne considèrent pas Israël
comme un ennemi, fondamentalement, et ne
traitent pas Israël en ennemi.
Pour cette violation (israélienne),
imaginons un instant que 8 ou 10 soldats
syriens aient pénétré le territoire
libanais, on aurait vu quelles sont
leurs prises de position. Car ils
traitent la Syrie en ennemi. Mais
qu’Israël pénètre sur notre territoire,
il n’y a aucun problème (pour eux).
Voilà la toile de fond, voilà toute la
vérité de l’affaire. Cela n’a aucun
rapport avec les disputes politiques
quotidiennes au Liban. Cela a un rapport
direct avec le principe de notre
position : est-ce qu’Israël est un
ennemi ? Peut-être que demain, quelqu’un
va déclarer qu’Israël a le droit de
rentrer sur notre territoire, à titre
préventif, de violer notre souveraineté,
etc., car il y a des forces (au Liban)
qui menacent de lancer des opérations
contre Israël. Peut-être trouvera-t-on
des personnes qui donneront des
justifications à Israël. C’est ce type
de discours que nous entendions dans les
années 1990 et 1980. Et ce sont les
mêmes personnes, elles n’ont changé en
rien.
Ghassan Benjeddou : Je ne veux
pas maintenant désigner tous ceux qui ne
considèrent pas Israël comme un ennemi.
Mais nous pouvons certainement évoquer
certaines personnes, certains
responsables, certains groupes dont le
passif n’indique pas qu’ils ne
considèrent pas Israël comme un ennemi.
Que dire du silence du Président de la
République, par exemple ? Le silence du
gouvernement ?
Sayed Hasan Nasrallah : Il n’y a
pas de gouvernement actuellement. Je
sais que le Président de la République a
demandé au Ministre des Affaires
Etrangères de déposer une plainte auprès
du Conseil de Sécurité de l’ONU, il a
demandé d’élargir l’enquête, et la
plainte a été adressée aujourd’hui.
Permets-moi de te dire qu’une telle
prise de position, de qui qu’elle soit,
est une prise de position faible. Vous
prétendez être un Etat. Et chaque fois
que nous discutons de la stratégie de
défense nationale, là est le débat.
Est-ce sérieux ? Vraiment, la frontière,
le territoire, le peuple, la dignité du
peuple, le sang du peuple, la sécurité
du peuple à la région frontalière et
dans le Sud, dans les régions du Sud et
surtout dans les zones adjacentes, cette
crainte qui pèse nuit et jour, doit-on
les considérer avec une grande
sensibilité, doit-on les considérer
froidement, ou sont-elle complètement
hors du champ de considération ? Là est
le problème, toujours. C’est
l’expérience de décennies.
Ghassan Benjeddou : Comment
expliquez-vous le silence imposé par
Israël autour de cet incident ?
Sayed Hasan Nasrallah : Au début,
ils ont prétendu que l’engin a explosé à
la frontière. Mais il y a des témoins,
il y a l’armée, ils ont tout entendu,
car les explosions étaient très
puissantes. Ils ont ensuite lancé des
fusées éclairantes, et il y a eu des
mouvements durant toute la nuit.
Ghassan Benjeddou : Y a-t-il eu
des combats ?
Sayed Hasan Nasrallah : Oui, mais
de loin.
Ghassan Benjeddou : Pas de combat
de près.
Sayed Hasan Nasrallah : Non, de
loin. Ils ont essayé de minimiser
l’incident, mais ce n’est pas possible
de minimiser un tel incident. Ensuite,
ils ont emmené les soldats blessés à
l’hôpital et les ont mis au secret. Et
on voit bien que les médias israéliens
n’en ont pas parlé – quelles sont les
blessures des soldats, quelle était la
nature de l’opération, où a-t-elle eu
lieu. Tous ces détails ont été gardés
secrets. Un contrôle militaire très
sévère a été exercé sur les médias.
Naturellement, il ne leur est pas
loisible d’en parler, car c’est eux les
agresseurs, c’est eux les
transgresseurs, c’est eux qui sont
entrés sur le territoire libanais.
Peut-être demain certains
prétendront-ils qu’il y a eu violation
mutuelle. Je serais d’accord avec cela :
si le Conseil de Sécurité condamne
Israël pour avoir violé notre territoire
au Sud du Liban, et qu’il nous condamne
avec Israël, je suis d’accord. En des
temps difficiles, nous abaissons le
plafond de nos exigences. Tu sais bien,
pour m’avoir rencontré durant la guerre
de Juillet 2006, j’avais dit très bien,
nous acceptons que la communauté
internationale et le Conseil de Sécurité
mettent sur le même plan la victime et
le bourreau, nous n’avons pas de
problème avec ça.
Ghassan Benjeddou : En général,
je n’aime pas les questions virtuelles,
votre Eminence, les « et si… et si… et
si… », mais avec votre permission, cher
Sayed, est-ce que vous réalisez, lorsque
vous dites « à partir de maintenant,
nous ne nous tairons pas face aux
incursions terrestres israéliennes et
nous les confronterons », que ce soit de
la même manière que cela s’est passé à
Labbouné ou peut-être encore plus
fermement. Peut-être y aura-t-il une
réaction d’Israël encore plus grave (une
escalade) et nul ne sait jusqu’où cela
pourrait aller.
Sayed Hasan Nasrallah : C’est
notre droit de ne pas tolérer de
violation de notre territoire. Car il ne
s’agit pas seulement d’une violation de
souveraineté. Oui, ils pénètrent notre
territoire, violant notre souveraineté,
et ils s’en retournent, et peut-être
qu’il y a beaucoup de personnes qui sont
très indulgentes sur la question de la
souveraineté. Mais ces violations sont
de nature opérationnelle. Ce ne sont pas
de simples violations de la
souveraineté. Ce sont des violations
opérationnelles, qui ont des objectifs
opérationnels. Et c’est une chose qui ne
peut pas être tolérée. Il viennent pour
te tuer. Ils viennent placer des engins
explosifs. Ils viennent t’agresser. Que
fais-tu ? Tu dis « non, tuez-moi,
agressez-moi, etc., car il y a des gens
qui ont peur de votre réaction [en cas
de légitime défense] ».
C’est le pire des stades auxquels on
puisse arriver, qu’il y ait un débat sur
la question de savoir si, en cas
d’incursion israélienne sur le
territoire libanais, on ait le droit de
les combattre ou pas. C’est la pire des
choses. Naturellement, je pense que
personne de sain et de raisonnable ne
peut soulever ce débat.
Ghassan Benjeddou : Mais c’est
pourtant le cas, comment pouvez-vous
dire que ce débat n’est pas soulevé,
votre Eminence ? Une guerre de 33 jours,
et vous savez bien quelles disputes,
quels débats ont eu lieu. Cette question
a été posée.
Sayed Hasan Nasrallah : Eh
bien, oui, elle est soulevée, qu’est-ce
que tu veux que j’y fasse ? (rires)
Ghassan Benjeddou : Eh bien,
maintenant revenons à la guerre de
Juillet 2006, je ne pensais pas qu’on
passerait tout ce temps sur cette
question, mais ce sont là des choses
très importantes. Pardonnez-moi, une
dernière chose, je voulais vous
demander, ne vouliez-vous pas (par cette
opération) envoyer un message très
sérieux à Israël, indépendamment des
détails opérationnels que vous m’avez
expliqués, pour leur faire savoir que le
Hezbollah est prêt malgré tout ce qui
peut se dire ? Les pressions exercées
sur lui, son engagement hors des
frontières du Liban, etc.
Sayed Hasan Nasrallah : C’est un
des résultats de l’opération, mais qui
ne faisait pas partie des objectifs.
Ghassan Benjeddou : Ce n’était
pas votre intention.
Sayed Hasan Nasrallah : Non, mais
c’est un des résultats. Les résultats de
l’opération portent ce message. Mais
nous n’avons pas mené cette opération
pour envoyer un message. Nous l’avons
menée car elle était nécessaire en
elle-même, pour des raisons défensives.
Ghassan Benjeddou : Votre
Eminence, considérez-vous qu’Israël a
été surpris du fait que vous ayez tout
découvert et que vous ayez répondu de
cette manière, ont-ils été surpris ?
Sayed Hasan Nasrallah : Oui.
L’ampleur du contrôle et du secret
exercés par l’armée israélienne sur ces
événements démontre clairement que
c’était une surprise. Que leur groupe
soit découvert les a surpris. Que des
engins explosifs aient été placés les a
surpris. Ils ont l’expertise pour savoir
clairement si ces engins explosifs sont
neufs ou anciens, et peut-être même
qu’ils peuvent savoir quand ces engins
ont été placés et d’autres choses de ce
genre. L’importance de la censure
exercée dans les médias prouve
clairement que c’était une grande
surprise, car ces incursions se
déroulaient depuis des années.
Ghassan Benjeddou : Depuis
combien de temps étiez-vous attentifs à
cette affaire, votre Eminence ?
Sayed Hasan Nasrallah : Depuis un
certain temps. Je ne veux pas donner de
réponse précise.
Ghassan Benjeddou : Des jours,
des semaines, quatre jours, cinq jours ?
Des jours ou des semaines ?
Sayed Hasan Nasrallah : Plus que
cela.
Ghassan Benjeddou : A ce point ?
Sayed Hasan Nasrallah : Oui.
Ghassan Benjeddou : Tout est donc
sous le contrôle, la surveillance et la
supervision.
Sayed Hasan Nasrallah : Oui.
Ghassan Benjeddou : Très bien.
[...]
Retranscription Salah L.
Lien
vidéo correspondant à cette première
partie de l'interview :
https://www.youtube.com/watch?v=s1f5jfAirWY
Autres vidéos sous-titrées en français :
https://www.youtube.com/playlist?list=PLgJPDxCzzmTNP_1gitE-UONm5W5sO2NP9
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