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Interview avec Samir Hamdard, un Afghan qui vient de se
rendre dans son pays
Kaboul, l'histoire d'une inégalité criante
Mardi 2 février 2010
Samir Hamdard est président du Comité de
Solidarité 'Afghan Cultural Center'. Il habite Bruxelles, mais a
ses racines en Afghanistan. Samir venait de revenir de Kaboul
lorsque nous l’avons rencontré. Il a vécu quelques semaines dans
les quartiers pauvres de Kaboul et il y a contracté un sérieux
refroidissement. Un témoignage direct sur la vie réelle dans la
capitale de l’Afghanistan.
Samir: “Ne vous attendez pas de ma part à une
vue d’ensemble de la situation dans le pays. J’ai vu Kaboul, j’y
ai cohabité avec la population dans les camps de réfugiés et
dans les quartiers populaires. Mais je n'ai pas vu le restant du
pays et ceci pour deux raisons. Tout d’abord, à 25 km de Kaboul,
il y a déjà de l’insécurité et on risque – même comme ‘Afghan
étranger’ – sa vie, et de plus j’étais pleinement occupé par la
mise en place de notre initiative de solidarité 'Solidarity
Shop'.
La première chose que vous remarquez lorsque vous vous
promenez dans Kaboul, c'est la différence entre riches et
pauvres. Entre les grandes villas des nouveaux riches, les
buildings modernes des banques étrangères, les voitures
prestigieuses des importantes ONG d’une part, et la vie de tous
les jours des gens communs d’autre part. Les enfants essaient de
gagner un petit sou en cirant les chaussures, en vendant de
l’eau ainsi que des petits livres religieux. Ils arrivent ainsi
à rassembler quelques pauvres 50 afghanis (0,75 €). Tandis que
la villa – avec piscine – d'un membre du gouvernement ou d’un
autre personnage important coûte 35.000€ par mois en frais de
location.
Les ‘shopping centers’ brillent de luxe et de richesse. Mais on
n'y rencontre pas d'Afghans moyens, seulement des Occidentaux ou
des hommes d’affaires indiens… Tous les ‘shopping centers’ sont
également très surveillés. Partout l’on peut voir l’image
suivante : le progrès est présent pour les quelques personnes
qui sont devenues très riches, mais pour les gens communs il n’y
a qu’insécurité et pauvreté. La ville elle-même est très sale,
non entretenue. C'est de plus un goulot pour les milliers de
voitures qui sont plus à l’arrêt qu’en circulation.
Un mur contre la population
Les riches se cachent. Leurs villas sont entourées d’un,
deux, voire trois murs. A chaque mur il y a une sécurité, vous y
êtes fouillé et contrôlé. La même chose pour tous les bâtiments
gouvernementaux. Des blocs entiers de maisons sont isolés par
des check points, où l’on ne passe qu’avec un passeport. Les
rues principales de la ville peuvent être empruntées, mais
partout il est « interdit de tourner». Tout le monde a peur. Un
chauffeur de taxi m’a raconté que chaque matin il dit au revoir
à sa famille, comme si c’était le dernier jour de sa vie. La
sécurité est améliorée, nous dit-on, mais je n’en ai pas
l’impression. Lorsque les troupes américaines reviennent d’une
mission et se dirigent vers leur caserne, la circulation est
paralysée. Tout le monde doit s’écarter. Et tout le monde
s’enfuit, car regarder calmement passer les Américains, c’est
également risquer sa vie. Pendant mon séjour de quelques
semaines j’ai même entendu parler de deux attentats, dont un
juste à côté de l’Ambassade pakistanaise. La réaction générale
est : « Sauver sa propre peau avant tout ». Une femme qui
s’était enfuie d’une zone guerrière me raconta comment l’armée
américaine opère. Lorsque qu’ils rentrent dans un village
‘suspect’, ils obligent tous les hommes à se déshabiller, à la
recherche d’armes ou de munitions cachées. Et ceci en présence
des enfants, ce qui est très humiliant. Cela suffit pour que ces
gens décident de s’allier aux talibans.
Corruption
Lorsqu'on parle avec l’homme de la rue, le premier sujet de
conversation est la corruption, avec des histoires sur les
ministres ou gouverneurs qui tout à coup deviennent immensément
riches. Un nom qui est constamment prononcé est celui du
demi-frère du président Karzai, Ahmed Wali, que l’on appelle ‘Mister
Asphalte'. Il aurait gagné des millions de dollars via des
contrats très lucratifs pour la réparation des routes. Mais ce
qui irrite le plus les gens, c’est la corruption journalière.
Des policiers et des officiers de l’état civil reçoivent le
salaire ‘dérisoire’ de 100 à 200 dollars par mois et
l’arrondissent sans honte au moyen de ‘primes’. Pour chaque
papier officiel, vous devez payer deux fois, une fois au guichet
et une autre à l’entrée du bureau, chez un ‘entremetteur’. Tous
ces soldats, tous ces policiers qui sont engagés et ‘formés’ par
l’Occident, sont une vraie plaie. Et cela s’appelle dès lors
“Aide à la construction d’un Etat de droit”. Les gens disent que
la corruption n’ jamais été aussi importante qu’à présent.
Les fugitifs oubliés
Les situations les plus terribles dans la ville,
vous les trouvez dans les camps de réfugiés. ‘Camp’ est un grand
mot : quelques tentes et tôles sur un terrain en friche, sans
sanitaires ou d'accès à l'eau. L’aide des instances
internationales est absente. Il s’agit d’un groupe de population
oublié et personne ne s’en occupe.
L’arrivage des fugitifs est énorme. Il s’agit de personnes –
des centaines de milliers – qui reviennent du Pakistan ou d’Iran
et qui fuient les zones de combats. Attention, les familles avec
lesquelles j’ai parlé disent que la raison de leur fuite ce sont
les bombardements des Etats-Unis et de l’OTAN. Les gens restent
assez laconiques au sujet des talibans : « Nos filles ne
pouvaient aller à l’école sous le règne précédent, elles ne
pouvaient aller à l’école sous les talibans et à présent elles
ne peuvent toujours pas aller à l’école, car nous sommes trop
pauvres. Quelle est la différence ?”. Et en effet, les enfants
des familles en fuite ne vont pratiquement pas à l’école.
Beaucoup s’en vont tous les jours afin de gagner quelques sous.
Et ceux qui se rendent à l’école, se retrouvent dans une
….tente, dans le meilleur des cas devant un tableau scolaire.
Lorsqu’il pleut il n’y a pas d’école, car la classe se trouve
sous eau. Ce qui veut dire : les trois quarts de l’année. Les
enfants sont constamment malades. En été surtout à cause de la
malaria, et en hiver à cause d’affections pulmonaires et de
membres gelés. Car dans les tentes il n’y a pas de chauffage.
L’Afghanistan a le triste record du plus grand
nombre de veuves proportionnellement à sa population. On parle
d’un million et demi de veuves, dont 30 à 50.000 rien qu’à
Kaboul. C'est le groupe cible de notre 'Solidarity Shop'. Nous
soutenons les familles dont le père est décédé. Il s’agit de
familles qui ont fui les zones de guerre. Le but est d’aider ces
familles, de veiller à ce que les enfants puissent aller à
l’école et que les mères deviennent plus vaillantes.
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