Interview
Interview de René
Naba par le Rassemblement Pour le Liban
Jeudi 25 juillet 2013
- Liban: Le
phénomène Ahmad Al Assir, un mois
après.
- Hassan
Nasrallah tutoie l’histoire quand
Ahmad Al Assir touille la fange.
- Le néo
leadership sunnite libanais a opté
pour la fuite comme mode de
gouvernement.
- L’Egypte,
berceau des Frères Musulmans,
tombeau de l’Islam politique
Interview de
René Naba par RPL (Rassemblement pour le
Liban), la branche française du Courant
patriotique Libanais du Général Michel
Aoun.
Co publiée par
renenaba.com et RPL.
Propos recueillis par Mohamad Ezzeddine
RPL- Le
rigoriste Ahmad Al Assir a ruiné Saida
pendant deux ans et l’a détruite. Qui
finançait et armait ce terroriste et son
groupe?
RN: AL-Assir n’est
pas le fait du hasard. Nullement.
Certainement pas un phénomène de
génération spontanée. Certainement pas
une icône révolutionnaire du calibre de
Mohamad Bouazizi. Son surgissement a été
programmé. Depuis 2006, en pleine guerre
de destruction israélienne du Liban,
l’Arabie saoudite et l’Egypte de
Moubarak n’avaient de cesse d’entraver
le Hezbollah, projetant de créer une
milice sunnite au Liban, non pour
participer à la guerre contre Israël,
l’ennemi officiel du Monde arabe, mais
une milice sunnite qui fasse contrepoids
au Hezbollah, sur une base sectaire, en
vue de faire de l’ombre à la milice
chiite. Un pion dans une éventuelle
négociation visant à désarmer le
Hezbollah. Wikileaks a fait état des
entretiens à ce sujet de Saoud Al
Faysal, ministre saoudien des Affaires
étrangères, avec David Satterfield,
sous-secrétaire d’état américain, sur
suggestion de Fouad Siniora, premier
ministre libanais de l’époque, l’homme
qui a donné l’accolade à Consolez Rice,
secrétaire d’état américain, en pleine
destruction de Beyrouth par l’aviation
israélienne. Une première tentative a eu
lieu en 2008, au camp de Nahr El Bared
(nord du Liban) avec Fateh al Islam. Les
similitudes sont nombreuses entre ces
deux actions qui suggèrent une
marque de fabrique commune.
1-Les deux
formations sunnites ont pour géniteur
commun les pétromonarchies du Golfe.
Fateh Al islam, l’Arabie saoudite, qui
devait aménager une zone de droit pour
l’entrainement des milices sunnites et y
assurer la jonction territoriale avec
les régions sunnites du centre de la
Syrie (Homs-Hama). La brigade Assir
avait, elle, vocation à constituer un
abcès de fixation sur le flanc du
Hezbollah à l’effet de lui couper la
voie du ravitaillement stratégique du
sud Liban vers la zone frontalière.
2-Tant Fateh Al
Islam qu’Ahmad Al Assir se sont attaqués
à l’armée libanaise, agrégateur des
diverses composantes de la mosaïque
libanaise en ce qu’elle constitue
l’unique matrice du brassage humain
inter libanais. Les deux ont infligé de
lourdes pertes à l’armée libanaise. Plus
durement qu’elle n’en a subie depuis
l’indépendance du Liban, il y a 70 ans.
Et pas la moindre éraflure à l’armée
israélienne. Les deux ont
instrumentalisé des Palestiniens dans
leur aventure, dévoyant le combat
principal des Arabes de son champ de
bataille principal la Palestine.
3-Les chefs de ces
deux formations ont déserté le champ de
bataille. Chaker Absi, le nordiste, a
été exfiltré vers l’Arabie saoudite par
son ancien commanditaire Saad Hariri,
(remembrer l’épisode de la Banque de la
Méditerranée) à la nomination de
l’héritier comme premier ministre et
Ahmad Al Assir a disparu de la scène par
phénomène d’évaporation théologique. Une
baudruche dégonflée.
A croire que le néo
leadership sunnite libanais a opté pour
la fuite en avant comme mode de
gouvernement si l’on se souvient que le
premier fugitif politique libanais n’est
autre que Saad Hariri, en personne,
lequel n’a pas hésité à fuir Beyrouth,
au premier coup de feu tiré par les
Israéliens en 2006, alors qu’il est
député de Beyrouth, une ville
reconstruite par son père, de surcroit
chef de la majorité parlementaire à
l’époque. Il est piquant de relever que
le clan qui revendique l’application de
l’état de Droit au Liban soit celui qui
soustrait à la justice des criminels,
celui qui a le plus soustrait à la
justice de grands criminels.
RPL -Des rumeurs
prétendent que le terroriste d’Abra se
cache dans l’ambassade turque, d’autres
rumeurs disent qu’il est en Syrie. A
votre avis ou est-il caché?
RN: Peu importe le
lieu où il se terre. L’important c’est
qu’il a déserté le champ de bataille,
abandonnant ses troupes, victimes de sa
mégalomanie et de sa logomachie,
sacrifiées à des enjeux de pouvoir qui
le dépassent lui ainsi que ses
commanditaires. Ce comportement est
lourd de conséquences tant au niveau de
la symbolique et que de la déontologie
de combat.
Assir comptait
piéger le Hezbollah. Il s’est piégé
lui-même. En fait Assir porte bien son
nom. Assir est un captif, captif de sa
démagogie et de ses commanditaires,
eux-mêmes captifs de leur propre
commanditaire, les vassaux des Etats
unis d’Amérique. Infernale logique de
vassalité. Imaginez-vous un instant
Hassan Nasrallah déserter le champ de
bataille, abandonner ses compagnons de
lutte sur le terrain sans assistance;
fuir la capitale de son pays pour des
bains de vapeur afin de soigner son
embonpoint. Entre Assir et Hassan
Nasrallah, il existe une différence
d’échelle, celle qui sépare un touilleur
de fange d’un personnage qui tutoie
quotidiennement l’histoire. Celle qui
sépare un branquignole d’un personnage
considérable de l’histoire arabe
contemporaine, «LE» phénomène majeur sur
le plan politique et militaire de
l’histoire arabe contemporaine.
Se pose la question
du bien-fondé du choix malheureusement
répétitif des Etats unis de leurs
sous-traitants régionaux. Que des
branquignoles, l’héritier Saad Hariri,
alors que les «grandes démocraties
occidentales» combattent les dynasties
républicaines dans les pays arabes,
Wissam Al Hassan, qui n’a su protéger ni
son maitre, Rafic Hariri, ni sa propre
personne, Chaker Absi, Ahmad Al Asir,
jusques y Samir Geagea. Sans doute la
fascination pour les grands criminels,
ou pour leur servilité. Drôle de
parcours d’ailleurs pour Samir Geagea,
qui se voulait le représentant de
l’authenticité libanaise, qui aura fait
office d’ «arabe de service» aux deux
plus grandes théocraties mondiales
-Israël et L’Arabie saoudite-, la forme
la plus antinomique de l’équation
libanaise, qui finit sa carrière en
caution de l’islam pétrolier atlantiste,
la forme la plus pernicieuse du
patriotisme servile. Réjouissons nos de
son absence de descendance.
Réfugié à
l’ambassade de Turquie à Beyrouth, Assir?
Hypothèse plausible, mais Là n’est pas
la question. La Turquie a souhaité se
remettre en selle après sa déconfiture
de Syrie et Place Taqsim. Et les
sidoniens à la solde du clan Hariri ont
accueilli Erdogan en 2011 par des
clameurs d’une grande misère
intellectuelle: «Ahlan bi Khalifat Al
Osmaniyine» (Bienvenue à l’héritier des
Ottomans). Une insulte à la mémoire
libanaise de Safar Barlek, aux martyrs
chrétiens et musulmans de la place des
martyrs, victimes de l’arbitraire
sanguinaire des Ottomans; Place des
martyrs, où trône désormais curieusement
celui qui se considère comme l’unique
martyr du Liban, le milliardaire libano
saoudien Rafic Hariri.
RPL- Al-Assir et
les Salafistes libanais sont donc
totalement parties prenantes du projet
américano-qatari de «nouveau
Moyen-Orient»? Ce projet consiste-t-il à
uniformiser le monde arabo-musulman par
la doctrine du wahhâbisme à l’image de
ce que fut le nazisme en Europe?
RN: Je ne dirai pas
les choses de cette façon. Les
gérontocrates pétro monarchiques
cherchent à s’épargner les flammes de la
révolte populaire, en détournant le
cours de la révolution des rives
hautement inflammables du golfe
pétrolier théocratique vers la rive
méditerranéenne du Monde arabe et les
régimes républicains de type séculier.
Le camp atlantiste cherche, lui, à
briser l’axe de la contestation à
l’hégémonie israélo américaine. Il y a
donc conjonction d’intérêt.
RPL- Que
se-serait-il passé au Liban si l’Armée
libanaise n’était pas intervenue ou
avait été vaincue à Saida?
RN: Tout simplement
une réédition de la guerre inter
factionnelle qui a ravagé le Liban
pendant quinze ans. Mais dans une
équation inversée. Au lieu d’une guerre
confessionnelle islamo chrétienne, selon
le schéma sectaire de 1975, nous aurions
assisté à un conflit à front renversé
mettant aux prises le camp islamo
atlantiste, agrégeant les sunnites
inféodés à la dynastie saoudienne avec
la caution de leur appendice maronite,
les anciens chefs miliciens maronites
(Samir Geagea et la famille Gemayel),
face à une coalition groupant autour du
Hezbollah, le fer de lance du combat
anti israélien, les forces hostiles à
l’hégémonie israélo-occidentale sur la
zone.
Même configuration
qu’en 2006 où les chefs militaires
maronites, qui nourrissent la plus
grande méfiance à l’égard de l’ordre
milicien ancien, le président Emile
Lahoud et le Général Michel Aoun, chef
du courant patriotique libanais, ont
servi de couverture diplomatique à la
milice chiite dans son épreuve de force
contre Israël. En dépit d’une
configuration plus contrastée avec
l’affaiblissement de la Syrie, -et la
nouvelle vigueur de la contestation
populaire égyptienne, non religieuse-,
la combinaison peut se reconstituer à
tout moment en ce qu’elle se fonde sur
une vision stratégique du destin de la
zone et non sur des prébendes
électoralistes. Dans le même périmètre,
il convient d’inclure de grands
patriotes libanais, tels Soleimane
Frangieh, admirable de dignité, dont
toute la famille a été décimée, comble
d’ironie, par les milices chrétiennes
mais qui s‘abstient de faire commerce de
martyrologe, de même que Moustapha Saad
pour Saida et l’ancien chef de la garde
présidentielle, Moustapha Hamdane, pour
Beyrouth, qui maintiennent tous les deux
vivaces la flamme du militantisme
sunnite dans la filiation du nassérisme.
RPL – Y-a-t-il
une crainte de voir un jour se
constituer un émirat salafiste au Liban
et donc la syrianisation du pays?
RN: Une remarque
liminaire: Pas de risque de
syrianisation du Liban, c’est plutôt la
Syrie qui connait à son tour les affres
de la libanisation. Curieusement, du
fait partiellement de ses anciens
partenaires, le tandem Hariri Joumblatt,
les partenaires affairistes d’Abdel
Halim Khaddam, l’ancien proconsul syrien
au Liban, désormais promu au chef de
file de l’opposition syrienne. Le
mercantilisme obéit à de bien curieux
cheminements. Cela étant dit, le clan
Hariri est tenté par l’aventure de la
radicalisation dans une sorte de fuite
en avant destinée à masquer sa faillite
tant sur le plan politique que moral que
financier. Nahr El Bared et Chaker Absi
en sont la preuve de même que les
philippiques du Mufti du Mont Liban
Cheikh Jouzou. Mais les Américains ne
sont pas fous. Difficile qu’ils tolèrent
une légion islamique à la tête d’un pays
situé à une quarantaine de km à vol
d’oiseau de Tel-Aviv. Ils veulent bien
envoyer les djihadistes à la mort pour
affaiblir les récalcitrants à leur
ordre, mais pas leur accorder la
moindre prime.
RPL- De Tunis,
au Caire, en passant par Benghazi, et
aujourd’hui Damas, les révolutions dans
le monde arabe ont mené au pouvoir les
Frères musulmans. Doit-on alors parler
de »printemps salafiste » ou bien
« d’automne des peuples »? Un peu
partout ces Frères musulmans qui ont
accaparé le pouvoir sont contestés.
Est-cela le véritable « printemps
arabe »?
RN: L’analyse est
correcte. A tout le moins était correcte
jusqu’à fin juin 2013, un mois qui s’est
révélé catastrophique à tous égards pour
l’Islamisme politique. Les Frères
Musulmans n’ont pas su mettre à profit
leur hold up sur le pouvoir en proposant
un projet de dépassement des clivages
antérieurs, notamment en Egypte. Le
vent a tourné. Le déclic populaire
contestataire a été le fait des franges
de la société informelle arabe, les
Frères Musulmans l’ont subverti du fait
de leur discipline et de leurs
considérables moyens financiers. Ils
devaient tenir compte de la diversité de
la population égyptienne et non
d’imposer à une population frondeuse une
conception rigoriste de la religion.
Soixante ans
d’opposition démagogique ont trouvé
trouvent leur conclusion dans le
pitoyable épilogue de la mandature Morsi.
Au pouvoir, les Frères Musulmans
auraient ont prendre en compte des
profondes aspirations d’un peuple
frondeur et tombeur de la dictature, de
même que les impératifs de puissance que
commande la restauration de la position
de l’Egypte dans le Monde arabe. Sur
fond de concurrence avec la mouvance
rivale salafiste, cette épreuve a été
infiniment plus redoutable que près de
cinquante ans d’opposition déclamatoire
souvent à connotation sinon démagogique
à tout le moins populiste. Ils auraient
dû faire preuve d’innovation, par le
dépassement du conflit idéologique qui
divise le pays depuis la chute de la
monarchie, en 1952, en une sorte de
synthèse qui passe par la réconciliation
de l’Islam avec le socialisme. Cesser
d’apparaitre comme la roue dentée de la
diplomatie américaine dans le Monde
arabe, en assumant l’héritage nassérien
avec la tradition millénaire égyptienne,
débarrassant la confrérie de ses deux
béquilles traditionnelles ayant entravé
sa visibilité et sa crédibilité, la
béquille financière des pétromonarchies
rétrogrades et la béquille américaine de
l’ultralibéralisme.
Sous la direction
de la confrérie, l’Egypte, épicentre du
Monde arabe, aurait dû prendre en outre
l’initiative historique de la
réconciliation avec l’Iran, le chef de
file de la branche rivale chiite de
l’Islam à l’effet de purger le non-dit
d’un conflit de quinze siècle résultant
de l’élimination physique des deux
petits-fils du prophète, Al-Hassan et
Al-Hussein, acte sacrilège absolu fruit
sinon d’un dogmatisme, à tout le moins
d’une rigidité formaliste. Répudier la
servilité à l’égard des Etats-Unis,
bannir le dogmatisme régressif sous
couvert de rigueur exégétique, concilier
Islam et diversité, en un mot conjuguer
Islam et modernité…
Tel était le
formidable défi des Frères Musulmans au
pouvoir dont la réussite lui aurait
conféré une légitimité durable et un
magistère moral indiscutable, dont la
mutation aurait d’ailleurs impulsé une
dynamique de changement à l’épicentre de
la gérontocratie pétro monarchique du
Golfe, en particulier l’Arabie saoudite,
le foyer de l’intégrisme et de la
régression sociale, condition
indispensable au relèvement du Monde
Arabe. En un mot rompre le cordon
ombilical qui la lie depuis la période
post coloniale au camp occidental, si
préjudiciable à sa crédibilité et à la
cause qu’elle est censée défendre, dont
l’Islam sunnite aura été, de surcroît,
le grand perdant de son pari sur
l’Amérique.
Ployant sous le
fardeau de l’inflation et de la pénurie,
sans perspective d’avenir, sans la
moindre percée politique, à la remorque
de la diplomatie islamo atlantiste, dans
la crainte de la menace de strangulation
que fait peser sur l’Egypte le projet de
percement d’un canal rival israélien au
Canal de Suez, le Canal Ben Gourion, le
peuple égyptien, pour la deuxième fois
en trois ans, déjouant tous les
pronostics, particulièrement les
universitaires cathodiques, a créé la
surprise, dégommant des palais nationaux
ce président néo islamiste. Avec le
consentement et le soutien actif de
l’armée et surtout des plus hautes
autorités religieuses musulmanes et
chrétiennes du pays. Luxe de raffinement
ou de perfidie ? Les protestataires ont
mobilisé près de vingt millions de
manifestants, le nombre d’électeurs que
Morsi avait recueilli lors de son
élection présidentielle.
Un an de pouvoir a
fracassé le rêve longtemps caressé d’un
4eme Califat, qui aurait eu pour siège
l’Egypte, le berceau des «Frères
Musulmans», devenue de par l’éviction
brutale du premier président membre de
la confrérie, la tombe de l’islamisme
politique. L’histoire est impitoyable
avec les perdants.
RPL- A votre
avis y-a-t-il un moyen de lutter contre
la propagation du salafisme-wahabisme?
RN: Faire front et
les renvoyer à leur propre duplicité et
turpitudes.
Faire front, c’est
à dire éviter la réédition de l’erreur
criminelle commise tant en Tunisie qu’en
Egypte par les démocrates en se
présentant à la compétition électorale
en ordre dispersé ou plutôt dans le
désordre de la rivalité et de la
surenchère.
Les renvoyer à leur
propre image, c’est-à-dire pointer le
décalage existant entre leur discours et
leur action souterraine, ou leur
inaction par rapport à la question
majeure des Arabes, la Palestine. Depuis
le début du «printemps arabe», les
Frères Musulmans ont multiplié les
bulletins de victoire sur fond de
concession sur la question palestinienne
(renonciation du droit au retour des
réfugiés palestiniens à leur patrie,
admission du principe d’échange de
territoires), sans la moindre concession
israélienne, pas même un assouplissement
du blocus de gaza, alors que le
wahhabisme (le couple Arabie saoudite et
Qatar) constitue l’allié le plus servile
des Etats Unis, le protecteur d’Israël
et que trois pays arabes sont gouvernés
par des néo islamistes (Egypte, Tunisie,
Libye).
RPL-Revenons à la
situation libanaise. Le courant du futur
accuse le Hezbollah d’avoir combattu aux
côtés de l’Armée. Est-ce la réalité ou
bien un mensonge? Le 14 mars
endosse-t-il la responsabilité de la
situation catastrophique à Saida, à
Tripoli, dans la Bekaa, mais aussi en
Syrie ou il fut le premier à
déstabiliser le pouvoir en place?
RN: Le Courant du
futur, contrairement à sa dénomination,
est un courant passéiste. Un passé
fortement rétrograde. Il s’imagine vivre
au temps du mandat des puissances
occidentales. Dans l’impunité la plus
totale des occidentaux, qui lui rendent
là un mauvais service. Le terme
«responsabilité» est banni de son
lexique. Preuve en est Saad Hariri, un
fugitif récidiviste. En plein «printemps
arabe», alors que ses propres
sympathisants sont fortement engagés
dans la bataille de Syrie, l’héritier
est aux abonnés absents au Liban. Skieur
à ses heures, tweeter à d’autres. Depuis
près de trois ans.
Qu’on n’invoque
surtout pas des «considérations de
sécurité». A qui fera-t-on croire
que Saad Hariri est plus menacé
qu’Hassan Nasrallah dont la totalité des
services de renseignements des
monarchies arabes, de l’Otan et
d’Israël, sont à ses trousses, sans
compter les mercenaires libanais,
toujours aptes à se vendre au plus
offrant. Certes, il a eu l’assassinat de
son père, Rafic Hariri. Mais là, il
serait judicieux de voir les
défaillances du côté de son ancien garde
de corps, Wissam Al Hassan, pris d’un
besoin incompressible de thèse doctorale
au paroxysme de la crise syro libanaise.
Qui lui vaudra pour prix de sa
défaillance le titre galvaudé de
«martyr».
Saad Hariri, c’est
du jamais vu dans les annales de la
science politique, le parfait
contre-exemple de la responsabilité en
politique, sans le moindre blâme de ses
protecteurs occidentaux, sans la moindre
complainte de ses sympathisants et
électeurs. Un véritable zombie de la
politique, jouissant d’une impunité
absolue. Dans l’ordre logique des
choses.
Comment peut-on, en
effet, engager la responsabilité d’un
pantin néanmoins responsable au premier
chef de la prédation de l’économie
libanaise, de la confessionnalisation
excessive de la vie politique nationale,
du glissement du Liban dans la fournaise
syrienne avec les prestations
humanitaires de leur factotum, Okab Sakr.
Rendez-vous compte,
un membre du parlement, qui a déserté sa
fonction au sein de la représentation
nationale, pour servir de ravitailleur
aux milices syriennes. En toute logique,
il devrait répondre de ses actes devant
la justice, de la même manière que
l’ancien ministre Michel Samaha a eu à
répondre des actes, sous réserve
toutefois qu’ils aient été confirmés.
Preuve de leur
irresponsabilité, les rodomontades de
l’un de leur fort en gueule, assurant
que «le géant sunnite s’est réveillé».
Grand bien leur fasse, mais pour faire
quoi? Sécuriser l’espace national arabe?
Le doter d’une force de dissuasion?
D’une capacité de projection de
puissance? Le faire accéder au rang de
puissance du seuil nucléaire? Non, plus
prosaïquement, pour jouer le
croquemitaine de la scène libanaise et
bouffer du chiite. Pitoyable ambition.
La culture de l’impunité est érigée en
mode de fonctionnement et de régulation
des conflits politiques. Un comportement
présomptueux exonère gouvernants et
gouvernés du devoir de faire prévaloir
l’intérêt national sur les intérêts
particuliers, le fondamental sur le
superficiel.
J’ai ainsi lu
quelque part que le président Michel
Sleimane avait intimé au Hezbollah de
cesser ses interventions en Syrie. Que
n’a-t-il adressé la même injonction aux
Hariristes? L’homme pratique-t-il les
indignations sélectives. Auquel cas,
est-ce parce que le clan saoudo
américain au Liban dispose de davantage
de grands électeurs pour la prochaine
présidentielle libanaise que leurs
rivaux? Si tel était le cas, l’homme
manquerait de grandeur et de noblesse.
En contrepoint, le
Hezbollah, dans le viseur conjugué
d’Israël, de la constellation des
monarchies arabes et du camp atlantiste,
ne saurait se permettre le moindre faux
pas. Là réside la différence majeure
entre le Hezbollah et ses détracteurs,
une différence de taille qui explique
ses performances et leur désolation.
Mais alors pourquoi tant de haine
vis-à-vis d’un mouvement arabe musulman
et libanais. Sans doute en raison de son
invincibilité qui focalise toute la
haine wahabo-salafistes, le miroir
inversé de leur échec et de leur haine
recuite, en contradiction avec les
enseignements de l’Islam dont ils se
réclament tant: «Wa’ 3 Tassimou bi Habl
lillah wala taffarkou».
La Charia et la
Char’hiya (légitimité)
RPL – Quel
avenir voyez-vous pour le Moyen et
Proche-Orient à moyen et long terme ?
J’aurai savouré
entendre la réponse de Laurent Fabius
sur ce point. Plein de morgue et
suffisance tout au long de la séquence
syrienne et voilà que d’un coup, en
moins d’un mois, tous ses alliés sont
happés par la trappe de l’Histoire du
bibendum du Qatar, à Mohamad Morsi qui
se voyait le nouveau pharaon d’Egypte,
aux djihadistes cannibales de Syrie, et
leur parrains prédateurs sexuels des
pubères syriennes, aux libyens
dynamiteurs de son ambassade. Et dire
qu’il a pour Dircab, Denis Pietton,
ancien ambassadeur de France au Liban,
un homme réputé pour son expertise.
S’agit-il là aussi d’une réputation
usurpée?
A court terme
Hariri and Co devraient cesser de
brandir à tout bout champ la «Charia»
pour exclure d’autres libanais et
d’autres arabes du champ politique et se
préoccupaient davantage de la Cha’riyah,
la légitimité qu’ils se doivent de
gagner sur le plan de la lutte nationale
et non par intronisation des anciennes
puissances coloniales et de leurs féaux
arabes. A moyen terme, l’avenir est
sombre. Pour le long terme, avec de
glorieux peuples du calibre du peuple
égyptien ou libanais, dans sa frange
militante pour ce dernier. L’avenir sera
ce que décidera la volonté des peuples
en lutte.
Beyrouth Ouest, en
1982, a payé son tribut de sang face aux
Israéliens, en 1982, Beyrouth Sud a
repris le flambeau d’une manière
identiquement admirable, vingt-quatre
ans plus tard, en 2006. Le jour où
Beyrouth Est en prendra la relève, un
avenir radieux se profilera pour le
Liban. Mais pour ce faire, il importera
au préalable de balayer la scène des
scories de la politique; De ces nouveau
«bourgeois de Calais» Libanais, dont
l’un, Mosbah Al Ahdab (sunnite de
Tripoli), rêve de se rendre en train de
Beyrouth au Caire, via Tel Aviv,
ignorant que ce train-là sera le train
de la reddition et de la mort, et
l’autre, Samy Gemayel (maronite du Mont
Liban), meurt d’envie de signer un
nouveau traité de paix avec Israël, en
un pitoyable remake du chef d’œuvre de
son père, feignant d’ignorer le
traitement de laquais que lui ont
réservé les Israéliens à son père et à
son oncle, Bachir. Ah le fameux
entretien houleux de Menahem Begin avec
Bachir Gemayel, à Herzliya, dans la
foulée de l’invasion israélienne du
Liban. Ah quelle humiliation. A vous
vacciner à jamais contre le syndrome de
la trahison.
Hasard du
calendrier ou clin d’œil ironique de
l’histoire? L’abdication de l’Emir du
Qatar, est intervenue, le 25 juin 2013,
qui a coïncidé avec la date
commémorative du 13eme anniversaire du
dégagement militaire israélien du Liban,
sous le coup de butoir du Hezbollah,
bête noire des monarchies sunnites du
Golfe et l’adversaire le plus résolu aux
menées atlantistes contre le Monde
arabe. La plus formidable opération de
ravalement cosmétique opérée en faveur
des pétromonarchies s’est déroulée sur
fond de furieux combats aux quatre coins
du monde islamique illustrant le
désarroi et la confusion mentale de
l’islam wahhabite et de ses parrains
américains
Dommage collatéral
du conflit de Syrie, l’abdication de
l’Emir du Qatar a donné le signal d’une
décade extraordinairement désastreuse
pour la stratégie occidentale avec la
spectaculaire attaque talibane le jour
même contre le périmètre stratégique de
Kaboul, -le palais présidentiel et le
ministère de la défense et l’Hôtel
Ariana qui abrite le siège de la CIA
dans la capitale afghane-, et
l’éradication du chef salafiste
libanais, Ahmad Al Assir, le poignard
voué par les wahhabites du Qatar a percé
le flanc du Hezbollah sur la route du
ravitaillement stratégique de la
banlieue sud de Beyrouth à la zone
frontalière israélo-libanaise; une
décade calamiteuse pour le Qatar,
culminant avec l’éviction de Mohamad
Morsi de la présidence égyptienne. De ce
champ de ruines du Monde arabe, auquel
il a grandement contribué, n’émerge que
l’Arabie saoudite, un royaume des
ténèbres, géant aux pieds d’argile. Pour
combien de temps?
In fine, la
politique n’est pas un jeu et le combat
doit se faire dans la clarté. Un ami est
un ami. Un ennemi est un ennemi. L’ami
de mon ami est un ami. L’ami de mon
ennemi est un ennemi et l’ennemi de mon
ennemi jamais mon ami. C’est la règle
que s’impose le Hezbollah, que n’ont
respecté ni les milices chrétiennes
durant la guerre libanaise (1975-1990),
ni le clan Hariri aujourd‘hui de même
que le Hamas qui explique l’impasse du
mouvement national palestinien.
Prochaine parution
: «L’Islam, otage du wahhabisme,
l’Arabie saoudite, un royaume des
ténèbres» Golias Automne 2013
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