Interview
Mourad Dhina:
Abdelaziz Bouteflika, candidat pour un
quatrième mandat ? - « du certain
incertain ! »
Gilles
Munier
Gilles
Munier
Jeudi 25 avril
2013
Interview de
Mourad Dhina,
cofondateur du mouvement d’opposition
Rachad
Propos recueillis à Genève par Gilles
Munier
(1ère partie -
15 mars 2013)
En Algérie, le
besoin de changement se fait sentir avec
autant d’acuité que dans les autres pays
arabes. Bien que les médias français et
européens fassent silence sur ce qui s’y
passe, la situation est alarmante. Dans
ce pays disposant d’immenses richesses,
l’avenir semble bouché : des jeunes
s’immolent ou émigrent au risque de leur
vie, des émeutes éclatent un peu
partout, la corruption règne. C’est dans
cette atmosphère de fin de règne que le
président Bouteflika a décidé de se
représenter pour un quatrième mandat en
2014.
Nous avons demandé
à Mourad Dhina, cofondateurs du
mouvement Rachad*,
«
bête noire » du régime d’Alger
depuis qu’il prône le changement par la
non-violence, ce qu’il pense de cette
candidature.
Mourad Dhina : La
candidature de Bouteflika est certaine…
mais comme on dit en Algérie :
«
c’est du certain incertain ! ». Je
ne suis pas du tout sûr qu’il puisse se
représenter. Indépendamment du fait
qu’il le veuille, il y a des forces pour
qui c’est hors de question. Pour une
certaine frange des services secrets, il
est exclu qu’il se présente à un
quatrième mandat. Or, ce sont eux qui
l’ont porté au pouvoir. Ils sont les
«
faiseurs de rois ». Pour eux,
Bouteflika a rempli la mission qui lui
était assignée : leur assurer l’impunité
au sortir de la crise sanglante des
années 90, donner l’illusion d’un retour
à la paix et à la prospérité.
Certes, l’armée et
les
«
services » - son fer de lance – ne
sont plus dans la même position que
lorsqu’ils l’ont fait élire, mais ils ne
se sentent pas pour autant dans
l’obligation de reconduire le
deal passé avec lui. Les craintes et
le nombre des dirigeants politiques ou
militaires mêlés aux massacres des
«
années noires » se sont amenuisés
avec le temps. Agés, ils disparaissent
les uns après les autres.
Bien que Bouteflika
soit malade, absent, incapable d’exercer
pleinement les prérogatives de sa
charge, il n’en garde pas moins un
pouvoir de nuisance. Il s’en sert pour
affaiblir les institutions qu’il veut
garder sous sa coupe. Pour ce faire, il
utilise la ruse, l’argent, les
nominations à des postes clés de gens de
sa région, ou de clans qui lui sont
fidèles. Il faut cependant garder en vue
son profil psychologique qui lui fait
croire qu’il est « l’homme
providentiel », qu’il mérite de
mourir en tant que président… tout comme
il faut s’attendre à ce que la meute de
ceux et de celles qui tirent profit de
sa présidence – les scandales de
corruption à grande échelle nous le
rappellent - feront tout pour le
convaincre de se représenter afin de
continuer à tirer profit de la
situation.
En Algérie, personne ne peut accéder à
la présidence par la seule voie des
urnes
G.M : Alors, selon
vous, que va-t-il se passer si
Bouteflika se représente ?
Mourad Dhina : Il y
en a qui pensent que cette élection
pourrait être l’occasion de voir émerger
de nouvelles têtes, de nouveaux
programmes. Dans cette perspective, des
hommes politiques ayant encore des
accointances auprès de certains cercles
du pouvoir se déclarent partants et se
donnent des allures d’opposants, au
risque de n’être encore une fois que des
« lièvres ». C’est le cas, par
exemple, d’Ahmed Benbitour
(1). D’autres, comme Ali Benflis
(2) s’y prépare. Mouloud Hamrouche
(3) se dit
«
disponible ». Mais, tous ces gens
sont dans l’expectative car ils sont
liés d’une façon ou d’une autre au
système, malgré le fait que certains
d’entre eux se réclament de projets de
changement. Ils savent qu’en Algérie –
les choses étant ce qu’elles sont -
personne ne peut accéder à la présidence
par la seule voie des urnes, après une
compétition loyale. Alors, les hommes
politiques font la cour aux mentors dans
l’armée et les
«
services ». En 1994, Benflis avait
le soutien du général Lamari
(4), chef d’Etat major. Il croyait
que c’était dans la poche, mais il a dû
déchanter. Le général avait conclu entre
temps un autre
deal sans le prévenir…
Dans certains
autres cercles, on dit que 2014 n’aura
pas lieu. C’est le cas du général Mohand-Tahar
Yala
(5) qui fait partie des militaires
contestataires. Il déclare que le pays
va à la dérive, que Bouteflika a ruiné
l’Algérie sur tous les plans, qu’un
changement doit se produire comme dans
les autres pays arabes.
Je ne suis pas sûr,
non plus, que l’élection ait lieu dans
le cadre prévu, ou voulu par le système
en place. Tout est possible, mais des
signes avant coureur de ce qui se
passera sont à déduire des réactions de
l’armée aux gros dossiers que sont la
situation au Sahel et les affaires de
corruption. Le consensus qui existait
entre les différents courants a été
sérieusement ébréché. S’ajoutent à cela
la guerre au Mali et le survol de
l’Algérie par des avions de guerre
français…
Les nationalistes
algériens ont l’impressiond’être les
« dindons
de la farce »
G.M
: Le fait que
ce soit Laurent Fabius, ministre
français des affaires étrangères, qui
l’a annoncé a-t-il jeté de l’huile sur
le feu ? Comment expliquer qu’une telle
autorisation ait été donnée ?
Mourad Dhina : Le
survol de l’Algérie par des avions
militaires étrangers n’est pas nouveau.
Les Américains le font de façon assez
récurrente depuis une bonne dizaine
d’années. Ces décisions sont souvent le
fruit du lobbying de certains politiques
auprès des « services », plutôt
que prises par le commandement
militaire. Il ne faut pas aussi oublier
que l’armée algérienne évolue : la
génération ALN (6) a quasiment
disparu, les déserteurs de l’armée
française – les fameux DAF – ne
sont plus seuls aux commandes. Ils
doivent compter avec d’autres, notamment
avec les officiers formés dans les
écoles US –
ils sont relativement nombreux dans les
postes de commandement - ou qui
cherchent à moderniser l’armée en
regardant vers les Etats-Unis.
Le survol de
l’Algérie par des chasseurs français et
son annonce par Fabius ont provoqué un
malaise parmi les caciques de l’armée et
les anciens de l’ALN. Les nationalistes
ont eu l’impression d’être les
«
dindons de la farce », que l’ANP
(7) était devenue une institution
sous-traitante de l’ancien colonisateur.
Je rappelle aussi qu’en 2006 un Mirage
français s’est écrasé dans l’Est
algérien sans que l’on sache ce qu’il
faisait.
La façon dont a été
gérée la prise d’otages de In Amenas est
à l’origine de nombreuses tensions entre
militaires commandant l’opération…
Q : Justement,
comment expliquez-vous qu’une telle
attaque ait pu se produire. Le Sahara
est sous haute surveillance, y compris
par les satellites occidentaux, et les
Algériens qui veulent s’y rendre ont
besoin d’une autorisation spéciale…
Mourad Dhina : Des
questions resteront toujours en suspens,
mais cet événement démontre que ce qu’on
appelle quadrillage et contrôle de
l’armée sont une utopie, un mythe. Je
suis loin d’être convaincu que l’armée –
dans son état actuel - ait la
capacité de protéger véritablement
l’Algérie d’intrusions en provenance de
l’étranger. L’armée est comme les autres
institutions. On ne peut pas avoir un
pays à deux vitesses, un pays en
faillite dans des domaines aussi
stratégiques que l’éducation et la
santé, et j’en passe, et être performant
ailleurs, notamment dans le secteur
militaire. Il y a là, comme ailleurs,
des manifestations diverses de
médiocrité, de mépris. Il y a des gens
qu’on peut acheter, des choses qui ne
fonctionnent pas parce que le cœur n’y
est pas, que ce soit au niveau de la
troupe ou des hauts gradés.
Je ne crois ni à
l’image de l’armée que le régime
véhicule, ni ceux qui suggèrent que ce
qui s’est passé à In Amenas était
manipulé. Je ne veux pas dire qu’il n’y
a pas eu de complicités. Combien de fois
n’a-t-on pas assisté à des scénari qui
dérapent –
comme dans l’affaire des moines de
Tibhirine - et qui finissent de
façon catastrophique ? A chaque fois, le
régime affirme que
«
notre glorieuse armée a fait ce qu’il
fallait faire… ». Et à ceux à qui
cela ne suffirait pas:
« Circulez, il n’y a rien à voir ! ».
Tout cela dénote d’un état de
délabrement de l’armée qui fait peur.
A
suivre…
* Mourad Dhina -
physicien algérien formé au MIT, ancien
chercheur au CERN et professeur à
l’université polytechnique de Zurich
- est un opposant algérien résidant à
Genève où il dirige
Alkarama, une ONG arabe des droits
de l’homme. En 2007, il a cofondé le
mouvement Rachad
(« droiture » en français) après
avoir représenté le
Front Islamique du Salut (FIS) à
l’étranger. Il milite pour un changement
politique non-violent
dans son pays, ce qui par les temps qui
courent effraie le plus les régimes
militaires. Arrêté le 16 janvier 2012 à
l’aéroport d’Orly, suite à une demande
d’extradition des autorités algériennes
qui l’accusent de
«
terrorisme », il a été libéré six
mois plus tard. L’avocat général,
Jean-Charles Lecompte, s’est en effet
déclaré
«
défavorable » à son extradition,
compte tenu des
«
incohérences », des
«
approximations » et de nombreuses
«
discordances » dans les documents
transmis par le régime d’Alger. Le
magistrat a qualifié la justice
algérienne d’
«
ubuesque » !
Note :
(1) Ahmed Benbitour, Premier
ministre de 1999 à 2000.
(2) Ali Benflis, Premier ministre de
2000 à 2003.
(3) Mouloud Hamrouche, Premier
ministre de 1980 à 1991.
(4) Mohamed Lamari, ancien officier
de l’Armée française ayant déserté en
1961, chef d’Etat major de l’Armée
nationale populaire algérienne
(1993-2004). Décédé en février 2012.
(5)Mohand-Tahar Yala, ancien
commandant des Forces navales
algériennes.
(6) ALN :
Armée de libération nationale.
(7) ANP : Armée nationale populaire.
Pour en savoir plus
sur Mourad Dhina et son combat, lire :
Le parcours de
Mourad Dhina : une brève histoire de
l’avenir
(31/1/12)
http://hoggar.org/index.php?option=com_content&view=article&id=3139:le-parcours-de-mourad-dhina-une-breve-histoire-de-lavenir&catid=94:hoggar&Itemid=36
La menace
d’extradition pèse toujours sur Mourad
Dhina, par Gilles Munier
(AFI-Flash – mars 2012)
http://www.france-irak-actualite.com/article-la-menace-d-extradition-pese-toujours-sur-mourad-dhina-102163863.html
2ème partie
© G. Munier/X.
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Publié le 25 avril 2013 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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