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Entretien avec Leïla Shahid
Mercredi 31 mars 2010
« La question
de Jérusalem dépasse le cadre du conflit israélo-palestinien »
La représentante de la Palestine à Bruxelles réagit au désaccord
apparu la semaine dernière entre Barack Obama et le premier
ministre israélien Benyamin Netanyahou.
Vous revenez de Palestine où vous étiez quand a éclaté la crise
des constructions de nouvelles colonies à Jérusalem- Est.
Depuis, il y a eu la rencontre de Benyamin Netanyahou avec
Barack Obama. Un coup de froid diversement interprété : simple
brouille entre amis ou désaccord profond ?
Leïla Shahid.
C’est une vraie crise qui n’a pas commencé la semaine dernière
mais en septembre 2009, quand Barack Obama a invité le premier
ministre israélien et le président palestinien Mahmoud Abbas à
New York, avec l’intention de relancer les négociations de paix
et de faire une déclaration solennelle à l’Assemblée générale de
l’ONU. Il voulait mettre en pratique son discours du Caire où il
avait dit que le conflit israélopalestinien était la clé de
voûte de tous les conflits de la région, de l’Irak à
l’Afghanistan en passant par l’Iran. Malheureusement, l’attitude
de Netanyahou a infligé à Obama une humiliation publique et
entraîné le refus par les Palestiniens de tout contact direct à
haut niveau. Que pouvait faire Mahmoud Abbas face à Netanyahou
disant : je refuse les frontières de 1967, je refuse de négocier
sur Jérusalem et sur le droit au retour des réfugiés, je ne
reconnais ni les accords signés ni la feuille de route du
Quartet ?
Pourquoi la crise n’a-t-elle éclaté qu’en mars ?
Leïla Shahid.
Parce qu’Obama a été pris par des difficultés internes et par
l’Afghanistan. Il a dû remiser la question palestinienne au
placard. D’autant plus que le lobby proisraélien, très influent
au Congrès, intervient sur tout et pouvait lui mettre des bâtons
dans les roues pour sa loi sur l’assurance santé. Maintenant, il
est un peu plus libre et il revient à la pierre angulaire de sa
politique étrangère : le règlement du conflit palestinien est la
clé d’une réorganisation complète de ses alliances. C’est très
clair quand on voit les déclarations de militaires de haut rang,
comme le général Petraeus, qui a dirigé les opérations en Irak.
Il dit que « l’obstination d’Israël porte atteinte à la
crédibilité des États-Unis et met en danger leurs intérêts
nationaux ». Et que « la colère arabe à propos de la situation
en Palestine limite la profondeur des liens entre les États-Unis
et les gouvernements et populations de la région ». Cela
signifie que le sabotage de la paix par le gouvernement
israëlien, son refus de l’État palestinien, empêche les
États-Unis de renforcer leur alliance avec les pays arabes pour
faire face à l’Iran. Obama a besoin d’un front très large pour
résoudre la crise iranienne. Il a besoin des Européens, de la
Russie, de l’ensemble du monde arabe. Or le monde arabe vient de
redire qu’il ne soutiendrait pas la reprise de négociations avec
Israël sans gel de la colonisation, notamment à Jérusalem-Est.
Ce sont les conclusions du sommet arabe de Syrte, auquel
assistait d’ailleurs la Turquie.
Leïla Shahid.
C’est aussi un allié important pour Obama. Or, le premier
ministre turc a déclaré que Jérusalem était « la prunelle de ses
yeux ». Dans l’ensemble du monde musulman, les populations
demandent : « Que faites-vous pour Jérusalem ? » La question
dépasse le cadre du conflit israélo-palestinien. C’est un point
sensible, très important pour Obama au moment où il redessine la
carte de ses alliances pour bâtir une politique basée sur le
multilatéralisme.
Quelles sont les conséquences de la crise en Israël et aux
États-Unis ?
Leïla Shahid. En
Israël, c’est un séisme. Les Israéliens, habitués à des
relations idylliques, sont bouleversés par la froideur d’Obama à
l’égard de Netanyahou : il l’a planté là et fait attendre pour
aller dîner avec sa famille ! Et on se souvient que la dernière
crise grave, en 1991, entre Bush père et Shamir, s’est soldée
par le départ de Shamir et l’arrivée de Rabin.
Aux États-Unis, il y a une levée de boucliers de certains
membres du Congrès qui sont aux ordres d’Israël sous l’influence
de l’Aipac. Le lobby pro-israélien est en train de se mettre en
branle dans tout le pays et Obama n’aura pas la tâche facile.
Que pensez-vous des premiers pas Mme Ashton, la « Madame
Affaires étrangères » de l’UE ?
Leïla Shahid. Son
voyage dans la région a été très important. Elle a eu le courage
d’insister pour aller à Gaza et à Jerusalem-Est où elle a
rencontré Hanane Ashraoui, ce qui n’a pas plu à Israël. Elle a
surtout affirmé : « Ma feuille de route, c’est la déclaration de
l’UE du 8 décembre dernier. » C’est important, car elle rappelle
tous les points importants à nos yeux : les frontières de 1967,
Jérusalem-Est, territoire occupé qui doit devenir la capitale de
l’État palestinien, le problème des réfugiés qui doit être
traité comme le propose l’initiative de paix arabe. Après, elle
est allée à Moscou où elle a fait adopter cette « feuille de
route » par le Quartet. Et dans le Quartet, il y a les
États-Unis. Cela explique aussi le raidissement d’Israël. Mais
il faut savoir que la position de Mme Ashton dépend de ce que
les 27 lui concèdent. Or, parmi les membres de l’UE, il y en a
qui insistent encore pour le rehaussement des relations avec
Israël.
Entretien réalisé par Françoise Germain-Robin
© Journal L'Humanité
Publié le 31 mars 2010 avec l'aimable autorisation de
L'Humanité
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