Réflexions autour de la
solution d’un seul État pour deux peuples, avec Israël
Adam Shamir*
Geopolintel
- Israël Shamir, la France découvre une nouvelle facette
de votre œuvre, avec la publication de votre ouvrage
« Le Pin et l’Oliver » aux Éditions belges Oser Dire. On
connaissait surtout de vous « L’Autre Visage d’Israël »,
livre qui avait provoqué la grande colère des
bien-pensants qui avaient tenté d’en interdire la
diffusion, mais en vain ! Le Pin et l’Olivier est une
histoire de la Palestine, des origines à nos jours,
rédigée à la façon des guides de voyage de jadis, à
partir de vos explorations personnelles des paysages,
des ruines, du choc entre l’emprise traditionnelle de
l’olivier, généreux, millénaire et raffiné, et de son
remplacement brutal par les plantations de pins,
sommaire, emblème d’immigrants totalement étrangers au
monde méditerranéen, venus de Pologne ou de Russie.
Quand vous avez publié ce livre dans son édition
originale russe, en 1987, vingt ans après les annexions
de 1967, croyiez-vous alors que les juifs seraient
capables de se « palestiniser » ? Quelles étaient
précisément vos raisons d’espérer ? N’était-ce pas déjà
trop tard ou, en vérité, tout à fait illusoire ?
Israël Adam Shamir
- C’est en 1986 que
j’ai fini d’écrire Le Pin et l’Olivier. C’était avant
l’Intifada, une époque encore relativement agréable, le
moment culminant de l’intégration. La jeunesse juive
portait le keffieh, utilisait des quantités de termes
arabes ; l’osmose se faisait au quotidien, les
Palestiniens avaient du travail dans tous les domaines :
en particulier le bâtiment et les travaux durs, qui leur
rapportaient ce qu’ils estimaient être des gains
honnêtes. Pas de checkpoints, un adolescent palestinien
pouvait aller se baigner dans la Méditerranée,
travailler à Tel Aviv, faire la cour à une adolescente
juive. Et un jeune homme juif pouvait aller se promener
dans les villages palestiniens comme je le faisais.
Avant l’Intifada, les choses pouvaient évoluer dans le
sens de l’intégration. On n’en était pas encore au
schéma abrupt « les Juifs au sommet, les Arabes tout en
bas ». Certes les fils d’Ashkénazes nés sur place, les
Sabras, étaient en haut de la pyramide, mais les
Palestiniens qui avaient de la terre et de l’instruction
pouvaient se retrouver au-dessus des Juifs orientaux et
au-dessus ou au même niveau que les nouveaux immigrants
(russes, américains, etc). Si bien que la solution était
non seulement possible, mais probable ! Quand je parle
avec des Palestiniens maintenant, ils sont tous d’accord
pour dire que l’étape précédant l’Intifada était ce
qu’ils avaient connu de mieux. Pourquoi l’Intifada
a-t-elle éclaté ? La machine législative israélienne
(conduite par la Cour Suprême actuelle) a inventé un
méchant truc : ils ont prétendu que toute la terre
non-privatisée de Palestine (et c’était la part du lion
car la privatisation des terres était loin d’être
achevée) appartenait à l’État juif et pouvait être
attribuée aux Juifs. C’était le signal de la rafle des
terres, et c’est ce qui a conduit à l’explosion. Quant à
mon livre Le Pin et l’Olivier, il vient de reparaître en
Russie, avec un succès certain. Pour cette nouvelle
édition, j’ai vérifié des centaines de références et
corrigé de nombreuses erreurs... J’espère qu’une
prochaine réédition française pourra tenir compte de
tous ces nouveaux apports.
GPL
- En 2000, quand l’Intifada a
recommencé, tous les militants pro-palestiniens
interprétaient à tort votre projet d’un seul Etat comme
un seul État sous direction uniquement palestinienne. À
ce moment là, dans quelle mesure cela semblait-il
possible ou simplement réaliste ?
Israël Adam Shamir
- Il ne s’agissait pas exactement pour moi d’envisager
un gouvernement par les Palestiniens : je suis pour une
certaine direction palestinienne, oui, pour certains
avantages pour les Palestiniens de souche, oui ; pais
pas pour créer un État où je me retrouverais moi-même
limité dans mes droits. Je ne suis pas masochiste à ce
point, mais je crois à l’Égalité. Un État pour tous,
c’est l’idée de l’égalité, que les Juifs en Palestine
soient les égaux des Palestiniens en droit, exactement
comme les Juifs en France sont les égaux des fils de la
Gaule. Et cette solution n’était pas seulement possible,
elle était réaliste, et elle le reste. Le problème,
c’est que les juifs ne s’orientent pas vers le
compromis. Au contraire ils veulent doubler la mise dans
l’espoir de gagner sur toute la ligne. La force, et
toujours plus de force, voilà leur mode opératoire. Ils
ont cru qu’ils pourraient ne pas céder d’un pouce. Et
ils ont installé des checkpoints, puis le mur, et la
solution, raisonnable, d’un seul État pour deux peuples,
s’est éloignée.
GPL
- Au cours de ces dix dernières années, vous avez fait
un travail considérable pour délégitimer la domination
israélienne en Palestine historique : aujourd’hui quel
est à ce propos votre bilan ?
Israël Adam Shamir
- Franchement, il y a une grande évolution : il y a dix
ans, l’idée d’un « seul État » était virtuellement
passée à la trappe, maintenant elle est à nouveau sur le
devant de la scène. L’histoire de la Palestine n’a pas
été oubliée, elle n’a pas été condamnée à l’oubli. Les
gens ont appris à ne plus avoir peur de la colère juive.
Le mouvement pro-palestinien et le mouvement pour la
paix juifs ont commencé à se libérer de l’emprise des
militants juifs nationalistes, notamment grâce aux
Anglais Gilad Atzmon et Jeff Blankfort, aux Français
Maria Poumier et Marcel Charbonnier, à l’italien Claudio
Moffa, aux Américains Walt et Mearsheimer, à James
Petras et à d’autres hommes et femmes qui ont rejeté
l’idée d’une suprématie juive sur la Terre de Palestine
et qui se sont exprimés ouvertement sur le « Lobby »,
sur le pouvoir d’influence juif soft. Il y a encore
beaucoup de travail à faire, mais déjà tellement de gens
ont maintenant repris le flambeau !
GPL
- Vous avez apporté une image de jeunesse renouvelée au
christianisme par votre conversion à l’Orthodoxie. À
votre avis les chrétiens qui vous connaissent au
Proche-Orient et ailleurs ont-ils bien compris ou bien
interprété votre geste ?
Israël Adam Shamir
- Là je n’en suis pas si sûr. Au Proche-Orient, les
chrétiens constituent des communautés ethno-religieuses,
exactement comme les juifs ; ils sont nés au sein de
communautés définies par leur croyance. Pour eux, c’est
à peu près comme une couleur de peau. Ils m’ont
d’ailleurs très bien traité, et je n’ai aucun reproche à
leur faire. En Occident, l’Église catholique est en
train d’essayer de faire une place aux juifs, et mon
message était trop fort pour eux ; ce qui ne m’empêche
pas de maintenir de bonnes relations avec celle-ci. Pour
ce qui est de l’Église russe, j’apprécie énormément son
culte. Il y a des problèmes, parce que le monde n’est
pas habitué à un discours orienté religieusement. Il y a
beaucoup de gens qui cliquent sur la touche
« supprimer » dès qu’ils voient une référence au divin.
GPL
- En 2010, vous semblez résigné à faire avancer ce
projet d’un seul État, mais sous direction israélienne,
dans l’idée que la minorité palestinienne sera capable
de faire abolir progressivement toutes les lois
discriminatoires et ségrégationnistes et en outre,
d’obtenir des dédommagements matériels pour les
expulsions et les confiscations des biens des
« absents » ?
Israël Adam Shamir
- C’est possible ; cette solution serait acceptable pour
la majorité des Palestiniens qui habitent en Palestine,
à condition seulement que cela ne tarde pas trop. Je
suis sûr que parmi la diaspora palestinienne il y a des
gens qui rejetteraient toute solution, absolument toute
solution, et c’est classique dans toutes les diasporas,
qu’il s’agisse des Juifs, des Arméniens, des Irlandais…
Tous ceux-là ne comprennent pas ou ne veulent pas
comprendre la nécessité du compromis. Mais je ne suis
pas sûr que les élites israéliennes accepteraient de
s’orienter dans ce sens, ou d’ailleurs dans aucun autre
sens. Pour ma part, je soutiendrais toute décision qui
refera l’unité entre les natifs et la terre.
GPL
- Qu’en est-il de la menace nucléaire israélienne ?
Comment la neutraliser ?
Israël Adam Shamir
- Elle pourrait être neutralisée sur le champ en même
temps que toutes les autres menaces israéliennes, en
même temps que l’apartheid. Mais je crois qu’on perd son
temps à parler de désarmement nucléaire dans la
situation actuelle. C’est pourquoi il y a une autre
solution, qui est celle de l’armement nucléaire de
l’Iran. Cela créera un « MAD »**, un contexte potentiel
de destruction mutuellement assurée, ce qui neutralisera
de facto la menace nucléaire israélienne.
GPL
- Vous souhaitez par ailleurs une sorte de résurrection
de l’empire ottoman dans lequel un nouvel État
israélo-palestinien s’intègrerait naturellement. Quels
sont les paramètres géopolitiques qui vous amènent à
penser que cela puisse être réalisable à court ou moyen
terme ?
Israël Adam Shamir
- Nous entrons dans une époque de grands
chambardements ; la zone que j’appelle “le grand espace
post-byzantin” est à la recherche d’une redéfinition
géographique. Cet espace inclut la Russie, les Balkans,
le Moyen Orient, la Turquie. Il est en train de se
libérer de l’ascendant occidental européen et américain.
La Palestine aussi fait partie de la Région ; or avec
l’achèvement de la décolonisation, le projet sioniste
arrivera à sa date d’expiration.
GPL
- Misez-vous toujours autant sur le facteur spirituel,
sur la conversion des juifs israéliens à la loyauté
envers la terre de Palestine plutôt que sur la logique
du sang, avec la mythologie de la supériorité ethnique,
du peuple élu au-dessus de toutes les lois
internationales et de facto s’arrogeant tous les
droits ?
Israël Adam Shamir
- Oui, sans restriction. Quand un mythe meurt, il est
bon qu’un autre mythe prenne sa place. Le mythe du sang
disparaîtra, le mythe de la terre mère commune le
remplacera.
GPL
- Vous vous identifiez à l’immigration russe en Israël.
Pourquoi celle-ci ne vous soutient-elle pas mieux,
pourquoi se laisse t-elle représenter par un fanatique
comme l’actuel ministre des Affaires étrangères, Avigdor
Lieberman ?
Israël Adam Shamir
- En fait les Israéliens russes, ou encore les Russes
israéliens, m’aiment plutôt bien. Après tout, j’ai vécu
parmi eux pendant tant d’années. Ils se souviennent
toujours de moi chaque fois qu’ils parlent de la Terre
Sainte réelle, de ses villages. Encore aujourd’hui, tout
en écrivant ici, je découvre sur Google que certaines
communautés russo-israéliennes sur Internet reprennent
des pages entières de mon livre Le Pin et l’Olivier et
le qualifient de « suprême », de « divin », que sais-je
encore ? Pour ce qui est de Lieberman, il est très riche
et bénéficie d’un énorme soutien financier, alors que je
n’en ai aucun ; quand mes adversaires m’ont qualifié
d’« antisémite », beaucoup de mes amis de jadis ont pris
la tangente. Mais pour moi, comme dit votre chanteuse
nationale, Édith Piaf, « Non, rien de rien, non je ne
regrette rien… » !
GPL
– On comprend que Lieberman, le va-t-en-guerre qui à
grands cris pousse à une offensive contre l’Iran, soit
bien soutenu, et sans doute de façon très diversifiée.
En 2008, dans votre recueil d’articles « La Bataille du
Discours », vous montriez comment aux États-Unis le
lobby pro-israélien se montrait capable de rallier à la
fois les gauches et les droites occidentales autour
d’opérations de propagande, de préparation psychologique
aux guerres d’agression... Celles que nous connaissons
et celles éventuellement à venir. Aujourd’hui, de quelle
campagne de propagande allez-vous démonter les
mécanismes ? Sur quel nouveau champ de bataille
comptez-vous vous engager ?
Israël Adam Shamir
– Actuellement j’essaie d’exploiter à fond les documents
de Wikileaks, pour parvenir à nos objectifs. Ils
révèlent tant de choses sur les projets des États-Unis
et d’Israël ! Je pense que c’est là dessus qu’il faut
foncer, en ce moment ! On découvre que le pouvoir des
É-U a atteint un sommet dans les années 1990 et qu’il
commence à décliner. Les « mégafuites » de Wikileaks
sont à ce titre, plutôt qu’une cause, un symptôme de ce
déclin. Avec un peu de chance, les hommes de bonne
volonté du monde entier pourront à présent travailler
main dans la main pour désarmer la machinerie de la
domination étrangère. Les Américains sont ceux qui ont
le moins profité des menées violentes et invasives de la
politique de globalisation. Des personnages héroïques
comme Julian Assange nous conduisent vers une prise de
contrôle authentiquement locale, et nous éloignent ainsi
des conjurations oligarchiques style Matrix.
Traduction : Maria Poumier
* Israël Shamir est un écrivain,
traducteur et journaliste russo-israélien, né à
Novossibirsk en 1951 ; petit-fils d’un professeur de
mathématiques, il est le descendant d’un rabbin de
Tibériade. À partir de 1980, Israël Shamir écrit pour
deux quotidiens israéliens : Haaretz et Al Hamishmaret
et devient le porte-parole du Parti socialiste israélien
(Mapam) à la Knesset. Il est également le traducteur en
russe de l’œuvre de S.Y. Agnon seul écrivain hébreu a
avoir été lauréat du Prix Nobel de littérature. Son
œuvre la plus populaire, Le Pin et l’Olivier, retrace
l’histoire de la Palestine/Israël, elle a été publiée en
russe en 1988. Depuis la deuxième Intifada, Israël
Shamir s’est consacré au journalisme sur internet via
son site multilingue
http://www.israelshamir.net/
** Destruction mutuelle assurée –
L’acronyme Mad signifie « fou » en langue anglaise
Publié sur le site Geopolintel