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Entretien Liberté
Ahmed Benbitour: «
Nous soutenons la marche du 12 février »
Salim Koudil
Ahmed Benbitour
Mardi 8 février 2011
Ahmed Benbitour, l’ex-Premier ministre, revient sur la
nouvelle alliance qu’il vient de lancer en compagnie de
plusieurs partis “islamistes” et se prononce sur la
marche du 12 février.
Liberté : Monsieur Benbitour,
vous venez de lancer en compagnie de plusieurs autres
partis et syndicats, l’Alliance nationale pour le
changement (ANC). Beaucoup ont été surpris de vous voir
vous associer à des organisations cataloguées
islamistes. Que pouvez-vous dire à ce propos ?
Ahmed Benbitour : Je leur dirai de voir ce
qui se passe en Égypte. Il y a eu la prière de
l’absent et la messe sur les mêmes lieu et jour.
Qui est sur maydane tahrir ? Il y a bien les frères
musulmans, les coptes, les communistes, des jeunes sans
appartenance politique, les libéraux, ceux du mouvement
Kifaya et bien d’autres.
Il s’agit bien du lancement d’une alliance stratégique
sans exclusion dans le respect des règles bien définies
parmi lesquelles la non-utilisation de la religion à des
fins politiques. Le plus important, donc, c’est de faire
face à la catastrophe qui s’annonce si rien ne
change.
Cette initiative ne risque-t-elle
pas de vous démarquer des autres initiatives
politiques lancées dernièrement ?
Je vous rappelle que pour la manifestation du
RCD, j’avais dit “oui, je soutiens”, que pour celle de
la coordination j’ai dit également “oui, je soutiens”.
Maintenant, le mouvement El-Islah, le Snapap et d’autres
partis et syndicats m’ont invité à une rencontre pour le
changement, et moi j’ai dit “oui, bien sûr que je vais
venir”. Ils ont accepté les règles qu’on a définies.
Je ne regrette pas d’y être allé, et je n’ai pas le
droit de les exclure parce qu’ils sont appelés
“islamistes”. Je soutiens toute action pour le
changement et sur des bases bien claires, sans que cela
veuille dire que nous sommes alliés idéologiquement.
Encore une fois, je tiens à rappeler que je ne suis pas
en campagne électorale. J’apporte plutôt un message.
Donc vous croyez toujours en une
convergence entre ces différentes initiatives ?
Elle est absolument nécessaire. Nous devons
travailler fort pour la rendre possible. Il y a des
actions encourageantes qui apparaissent ces derniers
temps. C’est un bon début.
L’expérience égyptienne prouve que l’on peut converger
vers un objectif commun, en l’occurrence, le changement
du système de gouvernance, tout en gardant nos
différences idéologiques. C’est cela, la voie vers la
démocratie et la tolérance.
Pour réussir le changement, il faut réunir trois
facteurs : une pression de la société sur le pouvoir,
forte, croissante et maintenue dans le temps ; une
convergence entre les forces du changement ; un élément
déclencheur.
La marche lancée par la
Coordination nationale pour le changement et la
démocratie (CNCD), pour le 12 février, est maintenue.
Seriez-vous au rendez-vous ?
Nous avons adopté une position de principe de
soutenir toute action qui appelle au changement, sans
que cela ne signifie un alignement idéologique. Je pense
que le contenu politique est clairement inscrit dans le
titre de la coordination : changement et démocratie.
Cela fait des années que j’appelle au changement et à la
démocratie, il est par conséquent naturel que je
soutienne la marche. Très clairement, nous soutenons la
marche et nous appelons les autorités à faire preuve de
beaucoup de retenue et à déployer les moyens pour
assurer la sécurité de la marche, pas pour l’empêcher ou
la réprimer.
S’agissant d’une marche et d’une personnalité politique,
ce qui compte, en premier lieu, c’est le soutien
politique.
Avec ce soutien, je mets ma notoriété au service de la
marche, je lui donne une dimension politique plus
importante et je lui apporte le soutien et probablement
la présence de sympathisants qui sont nombreux. Le reste
relève d’autres considérations qui ne sont pas
politiques.
Dans les trois revendications
prioritaires du manifeste que vous avez lancé le 1er
février, vous demandez la levée de l’état d’urgence. Le
président Bouteflika vient de donner une réponse
positive en préconisant sa levée “dans un proche
avenir”. Quelle est votre réaction ?
Je voudrais préciser que cela fait des années que
je propose un programme pour la mobilisation pacifique
pour le changement de tout le système de gouvernance et
pas seulement des hommes au pouvoir.
Ce manifeste arrive à un moment crucial dans la vie de
la nation et dans la trajectoire de ce programme. J’ai
eu à le préciser, la nation est en danger et le pays à
la dérive.
Nous devons être particulièrement attentifs à ce qui se
passe en Tunisie et en Égypte. Tous les facteurs du
déclenchement de la révolte existent chez nous. Un
pouvoir autoritariste qui n’accepte ni contre-pouvoir ni
avis différent.
Un pouvoir patrimonialiste, à savoir la présence d’un
chef entouré de cercles de courtisans qui se font la
compétition dans le zèle pour plaire au chef afin de
bénéficier de ses gratifications et qui considèrent la
société comme arriérée, donc non apte à la question
politique. Un pouvoir émietté. Un État défaillant qui
dérive vers un État déliquescent, comme l’a démontré
l’autisme de toutes les institutions face aux évènements
du 5 janvier passé. La corruption généralisée, la
pauvreté et la perte de la morale collective. La rente
et la prédation. La violence qui devient le seul élément
d’expression du mécontentement de la jeunesse. Et bien
d’autres facteurs…
Face à cette impasse, la situation peut devenir
incontrôlable à tout moment. Le manifeste propose la
construction d’un interlocuteur valable entre la société
et le pouvoir par l’alliance des forces du changement.
Il propose une feuille de route pour conduire une
période de sauvegarde et de transition vers une nouvelle
République démocratique dans les faits et pas dans le
discours populiste. Les actions proposées sont un
ensemble. La levée de l’état d’urgence est un élément
qui s’inscrit dans une stratégie.
Ceci dit, ce que vient d’annoncer le pouvoir n’est en
rien la levée de l’état d’urgence mais plus un programme
de renforcement du contrôle de la volonté de la société
par la répression et la violence. On parle de la levée
de l’état d’urgence, une fois que des lois spécifiques
“de lutte contre le terrorisme” sont prises. En règle
générale, les prescriptions spécifiques sont plus
contraignantes que la réglementation normalisée de
l’état d’urgence. Ceci sur un plan purement technique.
Ensuite, que signifie cette levée de l’état d’urgence
tout en interdisant les marches dans Alger ? Y a-t-il
deux territoires dans le pays : Alger et le reste du
pays ?
Au lieu de donner une réponse politique à une situation
périlleuse, le pouvoir s’est encore plus enfermé dans la
logique sécuritaire.
On vous reproche, pour un
politicien, le fait de vous contenter d’une présence
dans la presse et sur la toile mais pas sur le terrain.
Pensez vous que c’est suffisant pour rassembler le
maximum d’Algériens ?
En réalité je suis présent sur le terrain,
puisque je me déplace régulièrement dans les différents
coins du territoire pour rencontrer des gens très
fortement engagés pour le changement. Les rencontres
organisées ne se font pas dans des espaces publics.
C’est pour cela qu’elles passent inaperçues. Mais c’est
très efficace. Par ailleurs, chaque fois que je suis
invité par des étudiants ou des professeurs à
l’université pour une conférence, la rencontre est
annulée en dernière minute.
Ceci dit, la question de terrain doit
être revue, parce que la toile est devenue
un terrain formidable. Par exemple, en
24 heures, 15 000 personnes ont lu le
manifeste sur le site du journal Liberté. Donc l’accès à
Internet s’est très démocratisé et toutes les catégories
de la population le fréquentent.
La presse écrite est aussi un élément important de
présence sur le terrain, puisque lorsque vous écrivez un
article attendu, il est lu par des centaines de milliers
de personnes. Il y a une différence entre les
instruments de mobilisation pour des objectifs
stratégiques et les instruments d’une campagne
électorale.
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Publié le 8 février 2011 avec l'aimable autorisation de
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