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Opinion

Les étapes nécessaires de la transition démocratique en Tunisie
Abdelwahab Hani

Lundi 28 février 2011

Entretien avec Abdelwahab Hani, qui analyse les étapes nécessaires pour refonder la légitimité républicaine en Tunisie. Propos recueillis par Ridha Kéfi.

Kapitalis: Comment voyez-vous les actions urgentes pour restaurer la légitimité politique en Tunisie?
Abdelwaheb El Hani: Le 16 mars, fin de l’intérim de l’actuel président intérimaire, il n’y aura plus de légitimité. L’enjeu aujourd’hui c’est d’avoir une autorité suprême élue qui puisse entamer le processus des réformes. La transition est un processus: il s’agit de passer d’une situation précaire à une situation de légitimité. L’urgence nous dicte de mettre en place les conditions minimales pour l’organisation des premières élections libres et transparentes dans le pays. On ne peut pas tout réformer avant les élections. On fait donc les réformes nécessaires. On commence par le code électoral. Ce code présente trois ou quatre verrous qu’il s’agit de faire sauter, dans le cadre d’un code transitoire correctif que le président intérimaire peut décréter.
Le premier verrou concerne le parrainage du candidat à la présidentielle par un certain nombre de grands électeurs, dont le nombre est fixé par le Code électoral à 30. Ce principe sert à barrer la route aux candidats de certains partis de l’opposition. Dans les vieilles démocraties, il vise plutôt à assurer la liberté et le sérieux des candidatures. On peut garantir ces deux conditions avec un autre système qui respecte le principe de la constitution tout en fixant le parrainage à 1.000 citoyens électeurs représentatifs de 4 ou 5 gouvernorats, pour éviter le piège régionaliste.
Le 2e verrou concerne l’âge du candidat. La Constitution de 1959 limite cet âge de 40 à 70 ans. Ben Ali a amendé la Constitution pour augmenter l’âge du candidat  à 75 ans. Est-ce qu’on est prêts à garder cette nouvelle limite? Les limites de 40 à 70 ans me semblent plus raisonnables.
3e verrou: l’inscription dans les listes électorales. Nous n’avons pas le moyen de vérifier l’authenticité de ces listes. L’administration gère l’opération d’inscription de bout en bout. Conséquence: beaucoup de Tunisiens sont privés de leurs droits civiques. Ils attendent l’amnistie générale pour recouvrer ces droits. L’établissement de nouvelles listes électorales passe par trois phases: l’inscription-actualisation, le contrôle populaire par voix d’affichage public et la contestation. Ces trois phases peuvent s’effectuer dans un cadre participatif et transparent.
En Tunisie, tout est informatisé. Des magistrats peuvent veiller sur la transparence des opérations au moyen de l’informatique et une autorité pourrait être chargée dès maintenant de la révision des listes électorales. Cette autorité serait constituée de personnalités indépendantes et présidée par un magistrat lui-même indépendant.
Le 4e verrou concerne le contrôle des opérations électorales. Jusque là, c’était l’administration qui gérait l’opération de A jusqu’à Z. Il faut trouver un système plus démocratique. Il y a un principe de la nomination des magistrats pour assurer le contrôle, en vigueur notamment en Egypte.
En Tunisie, cela posera un problème de répartition des bureaux de vote. Il faut réduire le nombre de ces bureaux d’une moyenne actuelle de 1 pour 600 électeurs, norme qui empêchera la possibilité d’une supervision  par les magistrats et réduira la capacité de contrôle.
La Tunisie compte 1.800 magistrats, dont une très faible minorité de corrompus qu’il va falloir écarter. On y ajouterait quelque 1.000 notaires et 1.000 huissiers. On aurait ainsi environ 3.500 superviseurs potentiels issus du système judiciaire.
Il convient de ramener de ratio bureau de vote et nombre de votants à un niveau adéquat, qui serait de 1 bureau pour 2.000 votants par exemple dans les zones urbaines. On pourrait y parvenir en doublant le nombre d’urnes par bureau et en augmentant de quelques heures la durée impartie à l’opération de vote.
Grâce à cette formule, on peut augmenter le nombre de votants par bureau tout en permettant une réelle supervision par les magistrats et un réel contrôle et les représentants des partis.
Pour observer les élections, il peut y avoir une commission nationale présidée par une personnalité indépendante nommée par le président intérimaire. Quelqu’un comme Khemaïes Chammari a une réputation internationale dans ce domaine. Avec l’ouverture de l’observation internationale par des observateurs délégués par des organisations internationales telles Carter Foundation, l’Union européenne, l’Union africaine, etc.
Dernier verrou: le juge des élections. Actuellement, c’est le Conseil constitutionnel qui assume cette tâche. Faut-il garder cette formule? Je n’ai pas de réponse à cette question…

Est-ce que Conseil constitutionnel actuel dispose de la légitimité nécessaire?
A la limite, le président par intérim peut nommer un nouveau Conseil. Afin d’éviter les erreurs du passé. Par exemple, lors des élections d’octobre 2009, l’ancien Conseil a fermé, et ferme encore, les yeux sur une énormité. Sakher El Materi s’est présenté aux élections législatives alors qu’il est président d’une banque, en flagrante violation du principe de non cumul inscrit au Code électoral, frappant de nullité manifeste sa candidature et sa députation.

Le gouvernement actuel fait face à une crise de légitimité doublée d’une crise de confiance. Qu’est-ce qu’il faut faire dans l’urgence pour rétablir la légitimité et la confiance?
Le plus urgent, aujourd’hui, c’est que le président intérimaire indique un agenda clair.

Vous préconisez une élection présidentielle qui restaure la légitimité républicaine, qui serait suivie d’élections législatives…
Après l’élection du président, on lance le processus de réforme. L’élection va nous permettre de résoudre le problème de légitimité constitutionnelle et doit, par la même occasion, une cartographie claire des forces politiques en présence. Ce qui permettra au président de nommer un gouvernement d’union nationale, qui organisera, à son tour, l’élection législative, laquelle entamera le processus de réforme démocratique et surtout les élections municipales.
L’essentiel des services publics en Tunisie sont assurés par les municipalités (police municipale, attribution des concessions, permis de construction, marchés publics, hammams, abattoirs, commerce…). Or ces institutions, qui étaient jusque là contrôlées à 80% par le Rcd, l’ex-parti au pouvoir, sont en majorité désertées. Elles ont été envahies par les manifestants. Les maires ont déserté les lieux. Ces élections vont permettre la jonction entre les comités citoyens de protection de la révolution. Elles donneront aux citoyens la possibilité d’élire vraiment leurs représentants à l’échelle locale. C’est une chance inouïe pour réduire le déficit en démocratie locale avec des conseils municipaux élus même dans les zones rurales.
Nous avons 264 municipalités seulement pour 10 millions d’habitants, alors que la France a 36.000 municipalités en France pour 6 fois plus de population. Nous sommes très loin, même d’un pays comme le Maroc. Et nous avons 197 conseils ruraux qui ne sont pas élus et ne disposent pas de budget. On peut commencer par les intégrer dans le système municipal en devenant élus et en disposant de budgets.
L’objectif serait de transformer les 2.200 secteurs (ou imadats), dont 9% sont hors territoire municipal, en collectivités municipales. Il n’y a pas de développement si le «omda» n’est pas élu, car ce dernier a tendance à ramener tout à sa famille ou à son clan. Le système élu va apporter un avis plus éclairé.
Quant aux législatives elles mêmes, elles produiront intrinsèquement une chambre à double fonction, qui assumera le rôle d’une Assemblée constituante doublé de celui d’une Assemblée ordinaire qui exercera le travail et de contrôle de l’action gouvernementale.
Tout ce processus de réformes ne peut être engagé que dans le cadre d une légitimité constitutionnelle.

 

Abdelwahab Hani, Porte-parole du Réseau mondial pour les droits et le développement et son représentant permanent auprès des Nations Unies.

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Publié le 28 février 2011 avec l'aimable autorisation de Kapitalis

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Source : Kapitalis
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