La Voix de la
Russie
Novorossia, Syrie, Mistral, coopération
Afrique-Russie : entretien avec Igor
Korotchenko (Partie 2)
Mikhaïl Gamandiy-Egorov
Mercredi 15 octobre 2014
Igor
Korotchenko est un expert militaire,
rédacteur en chef du magazine mensuel
russe Nacional’naya
oborona (Défense nationale), directeur
du Centre d’analyse du commerce mondial
de l’armement et membre du Conseil
public du ministère de la Défense de la
Fédération de Russie.
(Suite de la
première partie de l’entretien).
LVdlR : Autre
thème dont on parle assez souvent ces
temps-ci, c’est celui de la livraison ou
non par la France à la Russie des
navires porte-hélicoptères Mistral. On y
voit beaucoup de manipulation et même du
chantage. La France subit une grande
pression extérieure, en premier lieu des
USA et de l’OTAN, à laquelle elle cède
depuis plusieurs années déjà. Désormais
on nous donne des « conditions » selon
lesquelles la livraison pourrait avoir
lieu bien que vraisemblablement la
France soit plus gagnante que la Russie
dans cette histoire. Néanmoins, en tant
que grand expert militaire, que
pensez-vous de cette situation ?
Igor
Korotchenko : La
Russie a adopté une position très calme
sur le sujet. Le contrat est signé,
l’argent est payé. Le contrat se doit
donc d’être exécuté. Si Paris et
l’Elysée annulent la transaction, la
France devra déjà rembourser en
intégralité l’argent qu’elle a reçu pour
ce contrat et en plus payer une grande
pénalité. Quant à nous, nous réagissons
calmement, sans excès.
LVdlR : La
France serait donc la perdante dans
cette histoire en cas de non livraison ?
A-t-on vraiment besoin de ces Mistral ?
Igor
Korotchenko : Tout
d’abord, pour la France ce sera un coup
très dur pour son image et sa réputation
en tant que pays-fournisseur dans le
domaine. D’autre part, les Mistral qui
ont été construits pour la Russie, ont
été spécialement conçus selon les
exigences russes, selon le cahier des
charges de la Russie. Ce ne sont pas les
mêmes Mistral que la France utilise pour
effectuer ses missions expéditives en
Afrique. Le Mistral pour la Russie n’a
pas la même taille du pont d’envol, des
hangars… En premier lieu des hangars car
cela a été conçu pour les hélicoptères
russes Ka-52. La fonction brise-glace
est également propre à nos exigences.
Nos systèmes y sont par ailleurs
intégrés. Paris aura donc beaucoup de
mal à vendre ces bateaux à d’autres qu’à
la Russie. Autre point important, le
refus d’exécuter le contrat amènera la
crise dans l’industrie de la
construction navale française. Les
syndicats ont déjà exprimé ouvertement
qu’ils n’accepteront pas l’annulation du
contrat. Le président français Hollande
qui même sans cette histoire a perdu et
continue de perdre tellement de points
politiques, pourrait donc désormais
devenir le politicien ayant ouvertement
trahi les intérêts nationaux de la
France. Les électeurs français ne le lui
pardonneront pas. De même qu’ils ne
pardonneront pas les forces politiques
liées à Hollande. Le refus éventuel donc
d’exécuter ledit contrat fera que la
France perdra bien plus qu’elle ne
recueillera. Quant à la Russie, elle se
concentrera sur ses propres moyens. Pour
nous, il n’y aura aucune tragédie.
LVdlR : Le
dernier thème que je voulais aborder
avec vous concerne l’Afrique, un
continent qui m’est cher. Ce continent
attend notre retour depuis suffisamment
longtemps. Depuis un certain temps, la
Russie a également exprimé son désir de
retour. Aujourd’hui, on observe les
premiers résultats. Cette coopération
russo-africaine est fortement liée entre
autres au domaine de partenariat
militaro-technique. De même qu’à
d’autres secteurs du domaine économique
et commercial. Selon vous, les
conditions sont-elles désormais toutes
réunies pour un grand retour de la
Russie en Afrique et le renforcement du
partenariat Afrique-Russie ?
Igor
Korotchenko : Il
est vrai et c’est malheureux que durant
20 années nous avons regardé l’Afrique
comme un continent où nous n’avons pas
ou très peu d’intérêts. Entre autres,
nos positions ont été occupées par les
USA. La Chine s’y est aussi très
fortement implantée. Aujourd’hui
effectivement on y retourne. Si l’on
parle du thème de l’armement, nous avons
signé une nouvelle série de contrats
avec l’Egypte. Nous allons à ce titre
moderniser et perfectionner le système
égyptien de défense antiaérienne. De
nouveaux contrats ont également été
signés avec l’Angola pour la livraison
de véhicules militaires blindés et
d’avions de chasse Soukhoï Su-30. De
nombreux pays africains achètent
l’armement russe, en premier lieu
l’Algérie. L’Ouganda a signé récemment
un contrat fort important avec nous,
également pour des avions de chasse
Su-30. Nous faisons par ailleurs
activement la promotion de nos
hélicoptères. J’étais récemment en
République sud-africaine où non loin de
la ville de Pretoria s’est déroulée une
grande exposition de l’armement. La
Russie y était représentée par nos plus
grandes entreprises du domaine : Almaz-Antei,
Vysokotochnye kompleksy, Vertolety
Rossii (« Hélicoptères russes »),
Rosoboronexport. Globalement tout le
monde comprend aujourd’hui que nous
devons travailler activement avec
l’Afrique. Mais je soulignerai une fois
encore qu’on va devoir travailler dans
les conditions d’une concurrence
extrême. La Chine est très active. Les
USA de même ainsi que les autres
acteurs. Notre valeur ajoutée est que
nous pouvons donner des garanties que
les pays occidentaux, eux, ne peuvent
pas. Des garanties politiques qui
confirmeraient que la coopération se
poursuivra en dépit de toute force
majeure éventuelle. Alors que les USA
utilisent l’embargo quand bon leur
semble et lorsque cela les arrange, en
refusant notamment le service
après-vente, ou encore la fourniture de
pièces de rechange. L’armement moderne a
une longue durée d’exploitation : 20 ans
et plus. Ainsi, le pays-acheteur, en
choisissant tel ou tel système
d’armement, attend du pays-fournisseur
que celui-ci assure ses obligations tout
au long de cette période du cycle de vie
de l’armement en question. La Russie
possède une très bonne image sur ce
plan-là, en tant que partenaire fiable
et prévisible. Plus la Russie renforcera
ses positions et plus elle sera libre
politiquement, y compris en ayant des
sanctions à son encontre, cela peut
sembler paradoxal mais le nombre de pays
désireux d’acquérir l’armement russe ne
fera que croître. C’est ce qu’on voit
déjà aujourd’hui. Une position forte et
indépendante aux côtés de très bonnes
caractéristiques de nos systèmes de
défense, tout cela attira les acheteurs
étrangers, y compris en Afrique.
LVdlR :
Dernière question. Selon vous doit-on
renforcer nos liens avec les pays
africains qui désirent coopérer au plus
haut niveau avec la Russie, tout en
étant sous très forte pression
occidentale, de la part de leurs
ex-colonisateurs et des USA ? Je fais
notamment allusion aux pays d’Afrique
francophone.
Igor
Korotchenko : Bien
sûr. Prenons l’exemple du Mali qui
achète notre armement. Surtout que sur
certaines positions, il n’y a pas
d’alternative. Nous devons forcément
renforcer nos positions avec ces pays.
Mais je dois souligner un point
important que mis à part la coopération
militaro-technique, globalement notre
business lui aussi doit devenir beaucoup
plus actif sur le continent africain.
Regardez à quel point sont actives les
entreprises chinoises opérant en
Afrique, et ce dans toutes les sphères
économiques du continent. Nous avons par
exemple des intérêts à participer dans
des projets du domaine de l’industrie
minière et de l’extraction des
ressources naturelles. Notre capital,
nos investissements, notre armement,
doivent se compléter mutuellement. Dans
le monde moderne, les affaires et la
vente d’armes s’accompagnent car ils
permettent de faire avancer les intérêts
stratégiques du pays. Sans aucun doute,
nous devons regarder l’Afrique dans les
yeux. Longtemps, elle a été sous-estimée
en tant que partenaire. C’est pour cela
que nous devons absolument élargir notre
partenariat.
LVdlR : Merci
pour toutes ces précisions.
© 2005—2014 La
Voix de la Russie
Publié le 15 octobre 2014 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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