France-Irak
Actualité
L’ « Etat Islamique » en face
Gilles Munier
Samedi 27 juin 2015
Après l’attentat
terroriste à Saint-Quentin-Fallavier
Questions à Gilles Munier
(revue de presse : Que Faire – 27/6/15)*
Denis Gorteau : Pour vous
qu’est-ce que l’«Etat Islamique »?
Un groupe armé ? Un groupe terroriste ?
Une région sunnite séparée de l’Irak ?
Autre chose ?
Gilles Munier :
L’Etat Islamique est pour l’instant, de
facto, un Etat sunnite, même si ses
frontières ne sont pas définies. Il a
une armée et mène des opérations
terroristes particulièrement horribles.
Au Proche-Orient, un autre Etat a des
caractéristiques quasi identiques :
Israël se veut un Etat juif, ses
frontières sont extensibles, son armée
massacre les Palestiniens, le
Kidon – service action du Mossad
– assassine à l’étranger.
On a oublié comment Israël s’est
constitué : par la terreur et le
nettoyage ethnique. Comme c’est le cas
aujourd’hui avec les milliers de
djihadistes venus du monde entier,
Israël a été créé par des militants
juifs sionistes totalement étrangers au
Proche-Orient : il n’y a rien de commun
ethniquement parlant entre un ashkénaze
d’Europe centrale, un juif mésopotamien,
un juif yéménite ou un juif berbère, si
ce n’est la religion ou tout du moins
l’appartenance à un courant religieux
interne au judaïsme – minoritaire à
l’époque, comme l’est dans l’islam le
salafisme djihadiste - ou à une
organisation militante extrémiste de
type fasciste : le sionisme. En toile de
fond : les intérêts géostratégiques des
grandes puissances, hier l’Allemagne, la
Grande-Bretagne et la France ;
aujourd’hui les Etats-Unis. Cela dit,
pour moi Israël est un Etat colonial
sioniste ; l’Etat Islamique : une «
Reconquista » sunnite salafiste.
Je pense que l’Etat Islamique finira
par être reconnu par d’autres Etats -
sous ce nom ou sous un autre -
dans les frontières auxquelles il sera
parvenu ou qu’il aura négociées. Il aura
à sa tête un calife. Ce dernier
sera-t-il toujours salafiste djihadiste
? Pas certain. Dans l’histoire du monde
musulman – califats omeyade,
abbasside, ottoman - tous ses chefs
n’avaient pas la même interprétation du
Coran.
Denis Gorteau :
Officiellement l’EI souhaite conquérir
le monde. Soit. Mais la concurrence
entre groupes djihadistes est sévère,
pensez-vous que l’EI a un avenir en
dehors du secteur irako-syrien ?
Gilles Munier : Pour
l’instant, les organisations djihadistes
prêtant allégeance au Calife Ibrahim –
Abou Bakr al-Baghdadi – sont
plus nombreuses et déterminées que
celles reconnaissant pour mentor suprême
Ayman Zaouahiri. Personne ne sait si les
brigades islamiques financées par
l’Arabie Saoudite en Syrie demeureront
toujours sous la tutelle du dollar US.
La concurrence entre groupes djihadistes
est sévère, notamment en Libye, mais ils
finiront peut être par s’entendre sur
une stratégie commune ou contre un
ennemi commun. Ce qui ne veut pas dire
qu’ils ne se diviseront pas ensuite de
nouveau. La guerre des chefs est celle
qui a le plus d’avenir !
Denis Gorteau : En Syrie
comme en Libye ou en Irak les Etats
éclatent en chefferies rivales à base
ethno-religieuse, pour vous est-ce la
fin des frontières et des Etats post-
coloniaux ? Sur le long terme est-ce
porteur d’avenir ou de conflits sans fin
?
Gilles Munier:
L’histoire du monde est faite de pauses
porteuses d’avenir et de conflits sans
fin. Rien n’est jamais acquis, surtout
pas la paix. Il y aura toujours un petit
chef instrumentalisant une religion, une
appartenance ethnique ou tribale, pour
revendiquer le pouvoir ou un territoire,
avec le soutien intéressé d’une grande
puissance étrangère. Ceux qui ont tracé
des frontières au Proche-Orient et en
Afrique savaient qu’ils le faisaient en
divisant des peuples pour mieux les
asservir. Sur le long terme, d’une
certaine façon, l’Histoire reprend ses
droits, et c’est tant mieux. Michel
Jobert, ancien ministre français des
Affaires étrangères, disait – si je
me souviens bien - qu’ayant
colonisé et décolonisé, la France devait
en accepter les conséquences. On les a
aujourd‘hui, et ce n’est qu’un début.
Denis Gorteau :
Pouvez-vous préciser ?
Gilles Munier : Les
milliers de déshérités africains,
syriens, irakiens qui débarquent sur les
côtes de l’Europe sont une des
conséquences des politiques à courtes
vues menées depuis des années. Mais,
restons sur la zone proche orientale :
l’Occident a massacré plusieurs
centaines de milliers d’Irakiens depuis
1991, torturé, violé des femmes devant
leur mari ou leur frère pour les faire
parler. Les médias ont été complices, ou
n’ont dénoncé que la pointe de l’iceberg
de la bestialité inhérente à l’espèce
humaine. Nous leur avons fait et nous
leur faisons la guerre chez eux, ils
nous font la guerre sur notre propre
sol, certains que l’horreur de leurs
actions terroristes seront médiatisées.
Aujourd’hui, cela donne un attentat avec
décapitation à Saint-Quentin-Fallavier,
près de Lyon. François Hollande et
Manuel Valls ne sont pas de taille à
répondre à la menace qui pèse, par leur
faute, sur la France. L’avenir s’annonce
donc très sombre.
Denis Gorteau : Les
Etats-Unis déclarent avoir liquidé pas
moins de 10 000 hommes de Daesh (sic)…
Est-ce crédible et surtout est-ce la
bonne méthode ? Washington veut-il,
vraiment, faire la guerre à l’EI ?
Gilles Munier : Les
Etats-Unis ont surtout tué une majorité
de civils irakiens et syriens, comme
cela a été le cas en Irak pendant les
guerres du Golfe ou les soi-disant
bombardements ciblés perpétrés pendant
l’embargo. La France a fait de même en
mettant le porte-avion Charles de Gaulle
et ses Rafales au service du Pentagone.
Interrogé en décembre dernier par la
Commission des Affaires étrangères du
Sénat, le général de division Vincent
Desportes (r) a déclaré que Daech est
une création américaine qui n’avait pas
« d’autre vocation que de disparaître ».
Mais quand ? Le président Obama dit
qu’il faudra 30 ans pour régler le
problème. Pour moi, cela signifie 30 ans
de chaos ou plus, avec un Daech II à la
clé. Du pain béni pour le complexe
militaro-industriel US et les
exportations françaises en armement ! La
solution est politique. Mais qui dit que
les Occidentaux et Israël veulent que la
situation s’apaise ? Ont-ils intérêt à
ce qu’émerge un monde musulman souverain
? Je ne le crois pas.
Denis Gorteau : vous avez été
dernièrement invité en Iran pour traiter
de Daesh, quel regard les Iraniens
ont-ils sur cette entité ?
Gilles Munier : Les
Iraniens considèrent Daech comme une
menace pour leur sécurité nationale et
pour le chiisme… et ils ont raison. Dès
la prise de Mossoul en juin 2014, un
message audio d’Abou Mohammed al-Adnani,
porte-parole de Daech, appelait les
djihadistes à marcher sur Nadjaf et
Kerballa, villes saintes chiites. Si
cela advenait, ils dynamiteraient sans
doute les tombeaux de l’imam Ali et de
son fils Hussein. Résultat : l’Iran
intervient désormais ouvertement en
Irak. Le général Qassem Suleimani, chef
des Forces al-Quds des Gardiens de la
révolution islamique iranienne,
a été vu sur plusieurs fronts anti-Daech.
Malheureusement, c’est aussi ce que
les djihadistes souhaitent pour accuser
tous les chiites irakiens d’être des
collaborateurs de l’Iran – des «
safawides », comme ils disent – et
de justifier dans l’opinion sunnite
leurs attentats sauvages à Bagdad. Les
Américains, quant à eux, souhaitent que
les Iraniens s’embourbent en Irak… Avec
ce qui se passe au Yémen, où l’Arabie
saoudite bombarde les Houtis d’Ansarullah
– chiites zaïdites - et
massacre surtout des civils, le risque
est grand de voir un jour ces conflits
teintés de religieux déboucher sur une
guerre sunnite-chiite de grande ampleur,
avec – qui sait ? - La Mecque
pour enjeu.
Photo : Drapeau de
l’Etat islamique
*Valeurs
et actions républicaines QUE FAIRE
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 27 juin 2015 avec
l'aimable autorisation de Gilles Munier
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