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The Independent
Liban – Un héritage français de
désespoir
Robert Fisk
The Independent, le 25 novembre 2006
article original : http://news.independent.co.uk/world/fisk/article2013319.ece
Je n'ai pu m'empêcher un rire sous cape profond
et pas sain quand j'ai regardé le ministre des affaires étrangères
français Philippe Douste Blazy arriver par les portes en bois extérieures
de la cathédrale maronite St George de Beyrouth cette semaine.
Des applaudissements vibrants ont parcouru les dizaines de
milliers de libanais qui s'étaient rassemblés pour l'enterrement
du ministre de l'industrie Pierre Gemayel. Là, après tout on
avait le représentant de la nation qui avait soutenu l'éviction
de l'armée syrienne l'année dernière, dont le président avait
été un ami de l'ex premier ministre Rafiq Hariri, lui-même
assassiné, dont le soutien au Conseil de Sécurité de l'ONU
aidait à créer le tribunal qui jugera, les jugera t-ils, nous
demandons nous à nous-mêmes ces jours ci ? – à la fois les
tueurs de Hariri et de Gemayel.
Douste Blazy avait conscience de tout cela bien sûr, et a murmuré
pour lui-même une déclaration d'une telle exagération que même
Lord Blair of Kut –Al-Amara se serait senti jaloux. «
Le président Jacques Chirac est le meilleur défenseur sur terre
de la souveraineté du Liban » a-t-il proclamé. «
La France est déterminée…aujourd'hui plus que jamais à défendre
la souveraineté du Liban et son indépendance ». Bon je
ne suis pas sûr que j'aimerai avoir l'homme qui autrefois a
embrassé Saddam Hussein, un ami proche, comme mon plus grand défenseur
« sur terre » - c'est drôle,
n'est ce pas, comment les français ne peuvent jamais se départir
de leur attitude napoléonienne – et comme pour les crottes de
chien dans les rues de Paris, il me sera certainement nécessaire
de me frayer un chemin à travers les intérêts de la France pour
l' »indépendance » du
Liban.
Je me dépêche d'ajouter que – comparé à la politique étrangère
mensongère, complètement fausse, hypocritement répulsive et
cancéreuse de Dame Beckett de Basra – les relations de Chirac
avec les anciennes colonies et territoires de la France sont catégoriquement
de type Christ dans leur intégrité. Mais le Liban que la France
allait créer après la première guerre mondiale devait être basé
sur des divisions sectaires que l'infâme François Georges –
Picot avait observées antérieurement en tant qu'humble consul
dans le bijou du vieil Empire Ottoman, divisé comme il l'était
entre les musulmans shi'ites et les musulmans sunnites et les
druzes et les chrétiens maronites – la communauté favorite de
la France et religion de Pierre Gemayel assassiné – et les
grecs orthodoxes et les grecs catholiques et les chaldéens et le
reste. A cette époque là, les maronites représentaient une légère
majorité, mais l'émigration et leur tendance à avoir des
familles plus petites que leurs voisins musulmans ont
progressivement fait des chrétiens une minorité dans la minorité
qui doit actuellement compter plus ou moins pour 29% de la
population libanaise.
Mais les français voulaient que les maronites dirigent le Liban
et par conséquent après l'indépendance leur ont légué la présidence.
Les musulmans sunnites auraient le poste de premier ministre et
les shi'ites, qui représentent actuellement la plus grande
communauté serait compensé avec le poste de porte parole du
parlement. Les français voulaient donc l'»indépendance
» du Liban – mais ils la voulaient au service de la
France.
Deux problèmes se sont d'eux-mêmes immédiatement présentés
aux libanais. En affirmant qu'il était possible que la zone la
plus grande soit dirigée par la plus petite majorité – le
dirigeant religieux maronite de l'époque, le patriarche Hayek, a
été responsable de cela – les chrétiens s'assuraient qu'ils
seraient dépassés en nombre et donc dirigerait leur pays comme
pouvoir minoritaire. Apres la partition de l'Irlande, le vieux
James Craig, le fondateur de l'Irlande du Nord, a été un oiseau
plus sage que Hayek. De la province historique de l'Ulster, il a
impitoyablement abandonné les 3 contés de Donegal, Monaghan et
Cavan parce que les communautés protestantes y étaient trop
petites à soutenir- et a crée un nouvel Ulster dont les 6 contés
lui ont assuré une majorité protestante pour les décennies à
venir.
L'autre problème libanais – que les gens d'Irlande du nord
remarqueront d'emblée – c'est qu'un état sectaire, où seuls
les maronites peuvent assurer la présidence et les sunnites le
poste de premier ministre, ne peut pas être un état moderne.
Ainsi, si vous enlevez le sectarisme crée par la France, le Liban
ne sera plus le Liban. – Je suspecte- les français de s'être
rendu compte de tout cela comme les américains le font maintenant
pour le monstre sectaire qu'ils ont crée en Irak. Ecoutez ce que
le grand historien arabe Albert Hourani a écrit sur l'expérience
d'être un levantin en 1946 – et appliquez cela à l'Irak. Vivre
de cette façon, écrit Hourani :
« c'est vivre dans deux mondes
ou plus à la fois, sans appartenir à aucun ; être capable d'en
passer par les formes extérieures qui indiquent la possession
d'une certaine nationalité, religion et culture, sans vraiment en
posséder…C'est appartenir à aucune communauté et ne rien posséder
vous appartenant en propre. Cela se manifeste par la perdition, le
cynisme et le désespoir. »
Au milieu ces incertitudes géopolitiques, c'est facile pour des
occidentaux de voir ces peuples dans les frontières et couleurs
dans lesquelles nous avons choisi de les définir. D'où toutes
ces cartes du Liban dans les journaux – les shi'ites en bas et
à droite, les sunnites et les druzes au milieu et en haut, et les
chrétiens malaisément calés entre Beyrouth et la côte nord de
la Méditerranée. On a fait les mêmes cartes sectaires de l'Irak
– les shi'ites en bas, les sunnites au milieu (le fameux «
triangle sunnite » bien que ce ne soit pas du tout
triangulaire) et les kurdes en haut.
L'armée britannique a adopté la même attitude coloniale cynique
dans sa cartographie de Belfast. Je possède encore leurs cartes
sectaires des années 70 sur lesquelles les zones protestantes étaient
de couleur orange (bien sûr) et les districts catholiques en
vert( bien sûr) tandis que la zone mixe de classe moyenne de
Malone Road apparaissait en brun sombre, la couleur d'une cerise séchée.
Mais on ne dessine pas de telles cartes de nos propres villes
britanniques ou américaines. Je pourrais dessiner une carte des
districts ethniques de Bradford – mais on ne les imprimerait
jamais. Je pourrais une carte en noir et blanc de Washington –
mais le Washington Post n'oserait jamais la publier.
Et donc nous divisons l'»autre
» tout en niant l' »autre
» assidûment chez nous. C'est ce que les français ont
fait au Liban, les britanniques en Irlande du Nord, et c'est ce
que les américains sont entrain de faire actuellement en Irak. De
cette façon nous maintenons notre pouvoir homogène. Pierre
Gemayel a grandi à Bikfaya, solidement ancré dans ce coin de
territoire au nord de Beyrouth. Beaucoup de libanais craignent
maintenant un conflit entre ceux qui soutiennent la « démocratie
» à laquelle appartenait Gemayel et les shi'ites, le peuple –
dans tous les sens du terme – en «
bas ». Et les français vont s'assurer que ce pays où
tous ses pauvres gens sont piégés reste «
indépendant ».
C'est sûr. Et au fait, quand avons-nous déjà vu une carte
ethnique de Paris et de ses banlieues ?
Robert Fisk 25/011/06 The Independent – Robert Fisk est le
correspondant de ce quotidien britannique au Moyen Orient depuis
plusieurs décennies.
http://news.independent.co.uk/world/fisk/article2013319.ece
Introduction et Traduction Mireille Delamarre pour
www.planetenonviolence.org
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