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Nouvelles d'Irak
Pour
mémoire: Tarek Aziz, le disparu (novembre 2003)
Gilles Munier
Gilles Munier
Vendredi 29 octobre 2010
Tarek Aziz, le disparu
par Pierre Tarnac *
(L’Indépendance - Novembre-décembre 2003)
« Cet homme…
est aujourd’hui au secret.
Que lui reproche-t-on ?…
Quel crime a-t-il commis ?…
Sur les dizaines, centaines, milliers peut-être d’hommes
politiques occidentaux qui l’ont reçu, parfois flatté, parfois
sollicité, personne apparemment ne se soucie de son sort ou du
moins ne manifeste publiquement une ombre d’interrogation… »
Il a été reçu dans les palais nationaux : tapis rouge, huissiers
empressés, attachés de cabinets affairés, virevoltant devant,
derrière. Dans les salons s’entassaient les fonctionnaires
(hauts), cous tendus, oreilles écartées, doigts fébriles
sur le carnet de notes où se griffonnaient au vol les échanges
louangeurs. Il était reçu aux Nations Unies. Le Secrétaire
Général, les délégués, hors l’américain et le britannique,
croisaient les doigts : pourvu qu’il acceptât de venir, de
s’asseoir, de discuter.
Certes, il était souriant mais dur, courtois mais rigoureux.
Mais enfin son pays, sur sa recommandation sans doute, avait
accepté le premier la résolution après sept ans de guerre avec
les Mollahs, bien avant ceux-ci qui firent encore traîner douze
mois les tueries. Il était reçu au Vatican. Oh certes ! Sa
religion affichée – qui l’inscrivait au rang des rares
fidèles d’une chrétienté en peau de chagrin – devait être
d’avantage de convenance que foi vécue et prodiguée. Mais enfin
son pays, si vite aujourd’hui qualifié de barbare, tyrannique,
était l’un des rares où celui qui n’est pas musulman respirait
librement, ne se sentait ni écarté, ni toléré gentiment mais de
haut en bas et le Cardinal envoyé par le Saint Père était sans
doute bien heureux, quelques jours plus tard, de le revoir, de
lui parler et d’obtenir par son truchement une audience du
dictateur local. Que se sont- ils dit ? Nul ne le saura. Mais au
printemps de cette année alors que d’autres se préparaient à
tuer, il reste que le Saint-Siège ne jugeait pas anormal qu’un
entretien eût lieu et qu’un visiteur, le dernier des
Occidentaux, fut un Prince de l’Eglise, français de surcroît.
Est-ce ceci qui fit bondir la collaboratrice, au doux nom de
tsarine orthodoxe, d’un grand journal autrefois réputé pour ses
opinions modérées, sa prose tempéré ? Mais voilà que quelques
semaines après le déclenchement de la guerre, cette journaliste
donna dans le massacre épistolier. La haine coula à ras bord.
Tout y passa, sans grande élégance : les traits physiques –
vilain nez, épaisses lunettes, l’allure vestimentaire – le
cigare, le tout ramené sous un titre définitif, quelque chose
comme le dernier des « Caïmans ». Aimable désignation
pour qualifier un homme qui depuis des années plaidait la cause
certes difficile, mais aussi plaidable que celle des régimes
hypocrites qui l’entouraient, de son pays.
« Il prenait des risques
mais il sauvait des vies »
Il le faisait pour des raisons simples qui conduisent les hommes
depuis toujours à défendre leur pays parce qu’ils préfèrent pour
le diriger quelqu’un de leur sol plutôt qu’un martien hurlant
des borborygmes qu’il croit être un langage universel, bardé de
mitrailleuses. Tremblant peut-être mais allant jusqu’au bout, il
recommandait à son dictateur d’accepter en fin de compte la mise
en œuvre d’exigences hautaines des Nations unies, de passer sous
les fourches caudines de la résolution pétrole contre
nourriture, si désinvolte pour la souveraineté et la dignité du
peuple irakien. Il prenait des risques mais il sauvait des vies.
Ces vies sauvées, la France en compta aussi, grâce à lui. Le
sait-elle ? Cette brillante journaliste qui fut toute saisie ce
dernier printemps d’une vigoureuse haine contre celui par qui
des vies, la sienne pourquoi pas, innocente parisienne, furent
épargnées, se souvient-elle ? 1986, l’année commence mal en
France. On s’épuise à libérer des otages français pris au Liban.
Le gouvernement détient deux individus, deux Irakiens mais
ennemis farouches de Saddam Hussein, membres d’un mouvement
islamiste radical et terroriste opérant à l’extérieur de l’Irak.
Le gouvernement veut se débarrasser de ces hommes dont il
redoute l’activité en France. Mais il commet une lourde erreur.
Au lieu de les expédier dans quelque lointaine terre d’exil, il
les réexpédie à Bagdad, chez le tyran, le barbare absolu. Fureur
de toutes les bonnes âmes et en premier chef du mouvement
islamiste. Personne ne doute que les personnes sont torturées,
tronçonnées, hachées, ou vont l’être aussitôt. Le mouvement
islamiste, de sa base orientale, annonce, comme première
représailles, la mise à mort d’un otage français. Toutes
affaires cessantes, le gouvernement français dépêche à Bagdad
deux émissaires qui implorent ce régime abominable de pouvoir,
si quelque chance existe encore, rapporter la preuve que les
deux extrémistes sont encore en vie. On ne donne pas cher de la
mission des diplomates. Or, stupeur et tremblement… Les
opposants sont montrés vivants aux émissaires qui n’en croient
pas leurs yeux et publient la nouvelle… Menaces et représailles
cessent. Mais reviennent, quelques semaines plus tard, pour
éprouver le nouveau gouvernement français. Août 1986 n’est pas
si vieux. Se rappelle-t-on la série d’attentats, les sirènes,
les ambulances, les morts, à Paris, dans l’indifférence
d’ailleurs complète de nos partenaires et amis atlantiques ?
« Et les attentats cessèrent… »
La France était seule, bien seule face au terrorisme. Seule,
mais il y avait cet homme, ce fameux « caïman » dont parle la
collaboratrice d’un journal équilibré. A New York, en septembre
1986, en marge d’une rentrée des Nations Unies, des Français le
rencontrèrent. Ils lui demandèrent l’impossible : qu’un
gouvernement souverain qui a quelque raison de garder sous
contrôle deux extrémistes, membres d’une organisation étrangère
terroriste qui a juré sa perte, que ce gouvernement abdique sa
souveraineté, libère les deux hommes et non seulement les libère
mais leur permette de trouver refuge en France ; tout ceci pour
tenter de mettre fin à une campagne d’attentats menée sur le sol
français par la maison mère de ces extrémistes. Voilà tout
bonnement ce que demandaient ces Français en tournant leurs
bérets entre leurs doigts, plutôt humblement et sans se faire
grande illusion. Pensez donc : l’Irak, la barbarie, la tyrannie
etc… Le « caïman » aux grosses lunettes, au cuir épais
de séide obtus, écouta, un peu bougon il est vrai. La demande
était quand même exorbitante. Mais il répondit que malgré la
dureté de son cœur, la réputation détestable bien établie de son
régime, il plaiderait. Et il obtint satisfaction du dictateur
sanguinaire. Et les deux opposants quittèrent l’Irak et
revinrent en France (où ils s’inscrivirent, dit-on, à un
cours de philosophie). Et les attentats cessèrent. Et vie
fut laissée à de braves gens qui prenaient le métro, allaient au
restaurant, faisaient des courses, parmi lesquels certains ou
certaines qui plus tard cracheront leur venin, manière à eux
d’exprimer leur reconnaissance, contre le dernier des
« caïmans ».
Cet homme, on l’aura reconnu, est aujourd’hui au secret. Que lui
reproche-t-on depuis le jour pas si ancien où personne ne
reprochait au Saint Père de la recevoir ? Quel crime a-t-il
commis entre le jour où il reçut lui-même à Bagdad un cardinal
français et celui où il fut mis au trou ? Sur les dizaines,
centaines, milliers peut-être d’hommes politiques occidentaux
qui l’ont reçu, parfois flatté, parfois sollicité, personne
apparemment ne se soucie de son sort ou du moins ne manifeste
publiquement une ombre d’interrogation. Mais il fallait que le
nom de Tarek Aziz fut rappelé. Qu’en osant réclamer de Saddam
Hussein qu’il fit acte de pardon, il épargna des vies
françaises. Nul, semble-t-il, n’en a parlé depuis sa reddition
au lendemain de l’effondrement de Bagdad. Silence.
* Pseudonyme d’un diplomate français qui eut à connaître des
affaires relatées ici, mais qui préfère garder l’anonymat.
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 27 octobre 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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