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Nouvelles d'Irak
Le sang de
Saddam Hussein
Gilles Munier
Gilles Munier
Lundi 27 décembre 2010
Un article de Gilles Munier
(AFI-Flash n°110 - janvier 2011)
Le Coran écrit avec le sang du Président Saddam Hussein
embarrasse le régime de Bagdad… La polémique artificielle
suscitée à ce sujet par un article de Martin Chulow (1),
correspondant à Bagdad du Guardian, tombe comme par
hasard juste avant la commémoration du cinquième anniversaire de
l’exécution barbare de Saddam, le 30 décembre 2006 du calendrier
grégorien. Coup d’épée dans l’eau, du moins en pays
musulmans, car ceux qui respectent sa mémoire l’ont célébrée le
10 Dhou Al Hijja 1431 - date de l’Aïd al-Adha - du
calendrier hégirien, correspondant au 16 novembre 2010… ou le
lendemain selon les pays et les sectes. Ce jour-là, à Al-Awja,
près de Tikrit, des Irakiens ont psalmodié des prières et récité
des poèmes sur sa tombe. L’endroit, devenu lieu de pèlerinage,
est, depuis deux ans, interdit de visite aux enfants des écoles.
L’existence du Coran incriminé avait été annoncée, sans
commentaire, le 25 septembre 2000 par la BBC
(2). Le Président irakien, apprenait-on, avait chargé un
calligraphe de le réaliser, trois ans plus tôt, lors de son 60ème
anniversaire. A la cérémonie de présentation, Saddam avait
déclaré qu’il voulait ainsi remercier Dieu de l’avoir
protégé pendant sa longue carrière politique. Dans une lettre,
publiée par les médias irakiens, il expliquait : «Ma vie a
été pleine de dangers dans laquelle j’aurais dû perdre beaucoup
de sang … mais comme je n’ai saigné que très peu, j’ai demandé à
quelqu’un d’écrire les paroles de Dieu avec mon sang en signe de
reconnaissance».
A la mémoire du Prophète arabe
Arrivé à Bagdad quelques jours plus tard, j’avais trouvé l’idée
de Saddam singulière, mais dans l’air du temps. Sous l’effet de
l’embargo imposé par les puissances occidentales, la religiosité
progressait dans le pays, et pas seulement parmi les musulmans.
Des traditions que l’on croyait disparues, renaissaient. Des
ordres soufis, comme la Tariqa Casnazaniyah, réapparaissaient au
grand jour. En fait, l’islam s’était approprié une part de
l’espace monopolisé par le discours nationaliste arabe dès les
dernières années de la guerre Iran-Irak. Le 23 juin 1989, date
de la mort de Michel Aflak – chrétien de rite grec orthodoxe
–, fondateur du parti Baas, la nouvelle qu’il s’était converti
secrètement à l’islam, sous le nom d’Ahmed, avait surpris
certains, mais pas les lecteurs de son hommage « A la
mémoire du Prophète arabe » (3), prononcé à Damas
en 1943, qui semblait l’annoncer. Aussi, quand Saddam Hussein
décida, le 13 janvier 1991, de placer le takbir, « Allahu
Akbar » (Allah est le plus grand), écrit de sa
main, entre les trois étoiles du drapeau irakien, personne ne
fut vraiment étonné (4). Au contraire, car l’Irak
était, cette fois, en guerre contre l’Occident, synonyme de
croisade pour une grande majorité de musulmans. Quelques jours
plus tard, le 17 janvier, des missiles Scud tombaient sur Tel
Aviv et Haïfa (5).
Après la Première guerre du Golfe, l’esprit de résistance et de
sacrifice pour l’islam et la cause arabe prirent de plus en plus
d’importance dans les rassemblements et les défilés politiques.
Chaque jour, l’Irak était bombardé par l’aviation américaine.
Des civils étaient tués, des infrastructures détruites. La
nourriture et les médicaments manquaient. Dans les rues, des
manifestants scandaient : «Avec notre âme, avec notre sang,
nous nous sacrifions pour toi Saddam». En Palestine
occupée, les familles des martyrs du Hamas et du
Djihad islamique recevaient une aide substantielle de
l’Etat irakien. A chaque voyage en Irak – 6 à 8 par an,
entre 1991 et avril 2003 – j’entendais parler de projets de
construction de nouvelles mosquées. Les femmes, peu à peu,
couvraient leur tête d’un voile. La consommation d’alcool dans
les bars et les restaurants était interdite, au motif qu’elle
choquait les Irakiens appauvris par le blocus international.
L’Etat subventionnait les minorités religieuses –
chrétienne, mandéenne, yézidie – pour qu’elles rénovent
leurs édifices religieux ou en érigent de nouveau. J’ai vu
l’impressionnante mosquée Oum al-Maarek (Mère des batailles)
sortir de terre. Ses minarets avaient la forme de canons de
kalachnikov ou de Scud. Une partie du lac qui l’entourait
dessinait les frontières de la Nation arabe. L’emplacement de la
mosquée, situé à l’ouest de Bagdad, dans un secteur quasi
désert, avait été choisi par Saddam. C’est là, dans une petite
ferme, qu’il s’était réfugié pour diriger les combats pendant la
Première guerre du Golfe. Voila, en résumé, dans quel contexte
historique, social et religieux, le Président irakien a demandé
à un calligraphe une copie du Coran écrite avec son sang.
Le
« Coran de sang »
En 2000, l’exposition du « Coran de sang » était
pratiquement passée inaperçue dans la presse occidentale.
L’opposition anti-baasiste londonienne ou étasunienne n’avait
pas particulièrement réagi, sachant qu’en Irak, l’ouvrage était
considéré comme un témoignage de foi. A l’époque, aucune
information sur la quantité de sang nécessaire à sa réalisation
n’avait filtré. Aujourd’hui, propagande oblige, il est question
de 27 litres… Martin Chulow, dans les « bons papiers »
du régime de Bagdad, puisqu’il a été autorisé à interviewer
Tarek Aziz dans sa cellule en août 2010, aurait dû vérifier les
dires d’Ahmed al-Samarraï, imam de la mosquée Oum al-Qora
(Mère des villes, en référence à La Mecque - ex Oum al-Maarek).
Ce cheikh, soutenu par Al-Dawa, connu pour son
américanophilie, a couvert, en janvier 2006, l’expulsion des
lieux d’Hareth al-Dari, secrétaire général de l’Association
des Oulémas musulmans (AMSI) dont c’était le siège,
considéré alors comme un « repaire de terroristes »
(6). Ecrire que 27 litres de sang ont été utilisés pour
calligraphier la copie du Coran est une ineptie macabre : le
corps humains n’est doté que d’environ 5 litres de sang et on ne
peut en prélever qu’environ 450ml, toutes le huit semaines, sur
un homme de 60 ans...
La relique dont l’existence pose brusquement un problème au
régime de Bagdad, est gardée – selon The Guardian -
dans une crypte de la mosquée Oum al-Qora (ex Oum al-Maarek),
« protégée par de nombreuses portes dont les clés ont été
confiées à plusieurs personnalités religieuses, pour que
personne ne puisse les ouvrir seule ». Pour le cheikh Ahmed
al-Samarraï, dont l’esprit est plus mercantile que religieux, le
« Coran de sang »… « n’a pas de prix …(il) vaut des
millions de dollars ». Faut-il le détruire ? Comme il
s’agit du Livre saint, les avis sont partagés dans le camp
pro-iranien (7). Selon Martin Chulow, certains
dignitaires du régime « toujours trop effrayés par cette
œuvre pour ouvrir les portes qui mènent à elle » estiment,
que « le temps devrait apaiser les esprits dans cette
affaire ». Espérons-le ! Mais, avec la clique au pouvoir à
Bagdad, on peut aussi en douter.
Notes :
(1)
Qur'an etched in Saddam Hussein's blood poses dilemma for Iraq
leaders,
par
Martin Chulov
(The Guardian – 19/12/10)
http://www.guardian.co.uk/world/2010/dec/19/saddam-legacy-quran-iraqi-government
(2)
Iraqi leader's Koran 'written in blood'
(BBC
–
25/9/2000)
http://news.bbc.co.uk/2/hi/world/monitoring/media_reports/941490.stm
(3)
A la mémoire du Prophète arabe
http://albaath.online.fr/Francais/COMMEMORATION_DU_PROPHETE_ARABE.htm
(4)
Le nouveau régime irakien n’a pas pu imposer un nouveau drapeau
inspiré, curieusement, par celui d’Israël. Il a finalement
supprimé les étoiles et maintenu l’inscription « Allahu
Akbar », mais en caractères de
style coufique.
Les étoiles représentaient l’union manquée de l’Egypte, de la
Syrie et de l’Irak et, plus tard, la devise du parti Baas :
« Unité, Liberté, Socialisme ».
(5)
A propos des tirs de missiles Scud sur Israël, Saddam Hussein a
déclaré, dans sont entretien n°11 avec le FBI, qu’il
« voulait punir le pays qu’il considérait
être à la source de tous les problèmes ».
http://www.france-irak-actualite.com/article-entretien-n-11-fbi-saddam-hussein-3-mars-2004-49359117-comments.html
(6)
Le cheikh Hareth al-Dari est un des principaux chefs de la
résistance irakienne. Il vit en exil en Egypte ou en Jordanie
depuis que le régime de Bagdad a émis un mandat d’arrêt
international contre lui, en novembre 2006.
(7)
Brûler le Coran est haram
(interdit). La question de son incinération ne devrait pas se
poser, à moins de croire – comme
c’est le cas de certains chiites
– que la version retenue sous le calife
Othman (579-656 / 3ème
calife) n’est pas complète. Ahmed
Chalabi est pour la destruction du
« Coran de sang »
et de tout ce qui peut rappeler le régime baasiste, tandis que
Mowaffak al-Rubaie,
ancien conseiller à la sécurité nationale, considère qu’il faut
préserver l’ouvrage car il fait partie de l’histoire de l’Irak.
Ali al-Moussawi, porte-parole de
Nouri al-Maliki,
pense qu’il pourrait être exposé, plus tard, mais dans un musée
privé.
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 27 décembre 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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