Nouvelles d'Irak
Abou Deraa
et le pouvoir de nuisance iranien
Gilles Munier
Gilles Munier
Mercredi 25 août 2010
Ceci explique sans doute cela… Alors que la dernière Brigade de
combat Stryker quittait l’Irak pour le Koweït (1),
et qu’Iyad Allaoui, vainqueur aux législatives du 7 mars,
négociait avec le courant de Moqtada al-Sadr, la formation d’une
coalition parlementaire permettant la formation d’un
gouvernement, une rumeur courait à Bagdad : « Abou Deraa est
revenu ! » (2). Des proches affirmaient avoir vu
le « Zarqaoui chiite » (3) à Sadr City, au
début du mois de Ramadan. Selon un membre des services de
sécurité du régime de Bagdad cité par Asharq al-Awsat
(4), le retour de l’agent iranien expliquerait certains
attentats ayant ensanglanté l’Irak ces derniers temps. Abou
Deraa serait, dit-on maintenant, à la tête des « groupes
spéciaux » de Asaib al-Haq (la Ligue des Vertueux),
une organisation créée par les Gardiens de la révolution
iranienne pour court-circuiter l’Armée du Mahdi.
Massacres à la perceuse
Abou Deraa (5) est responsable en 2005-2005 des
enlèvements de dizaines d’employés et visiteurs des sièges du
Comité Olympique irakien, du Croissant Rouge,
et du ministère de l’Education supérieure. Il triait
ensuite ses prisonniers. Les chiites étaient libérés, les
sunnites assassinés et enterrés dans les décharges d’ordures
bordant Sadr City. En 2006, le quotidien australien The Age
(6) rapportait que des convois d’ambulances avaient
sillonné les quartiers à majorité sunnite de Bagdad, leurs
haut-parleurs hurlant : « Les chiites sont entrain de tuer
vos frères sunnites ». Abou Deraa appelait les jeunes à
donner leur sang. Ceux qui se présentaient étaient enlevés et
tués. C’est lui qui a achevé de trois balles dans la tête Khamis
al-Obeidi, un des avocats du Président Saddam Hussein, après
l’avoir fait caillasser par ses partisans en délire. La plupart
des corps des victimes qui lui sont attribués – des
centaines – avaient des trous de perceuses dans le crâne ou
les membres... A la différence du Jordanien Abou Moussab al-
Zarqaoui qui abusait d’Internet pour se mettre en valeur, Abou
Deraa est plus discret. Une vidéo permet de l’entr’apercevoir
lors de l’enlèvement de l’avocat de Saddam, une autre le montre
donnant un Pepsi-Cola à boire à un jeune chameau.
C’était sa façon de dire à Tariq al-Hashemi, vice-Président
sunnite de la République, dont il se préparait à attaquer le
domicile au mortier, que l’animal promis au sacrifice fêtant sa
mort, était déjà prêt.
En 2006, l’Armée islamique en Irak annonça un peu vite
son exécution car, fin décembre, il accorda une interview au
grand journaliste australien Paul McGeough (6). En mai
2007, le Kurde Hoshyar Zebari, ministre
irakien des Affaires étrangères, l’accusa d’être derrière
l’enlèvement de cinq Britanniques – un spécialiste en
informatique et quatre mercenaires -
travaillant au ministère des Finances (7).
L’étau se resserrant autour de lui, devenu encombrant pour ses
coré légionnaires chiites au pouvoir, il se réfugia en 2008 à
Qom, en Iran.
Bachar al-Assad :
préserver l’arabité de l’Irak
Abou Derra n’est pas le bienvenu en Irak, sauf pour Asaib
al-Haq et Hadi al-Amiri, son beau frère, chef de la Brigade
Badr. Leur pouvoir de nuisance conjugué affectera-t-il
l’évolution des relations établies à Damas, le 19 juillet 2010,
entre Iyad Allaoui et Moqtada al-Sadr par le Président Bachar
al-Assad pour préserver « l'unité de l'Irak, son arabité et
sa souveraineté » ? Le fait que l’agence de presse
iranienne ABNA (Ahlul Bayt News Agency), ait annoncé,
sans commentaire, que Moqtada est d’accord pour que la liste
Iraqiya d’Iyad Allaoui forme le prochain gouvernement
(8), ne veut pas dire que Téhéran accepte d’être
marginalisé. Pour échapper aux pressions de l’ayatollah Khamenei
et des Gardiens de la révolution iranienne, Moqtada
envisage de quitter Qom pour Beyrouth. Une conférence
internationale sur l’avenir de l’Irak – sans la
participation des Etats-Unis – pourrait se tenir à Damas.
Vladimir Poutine avec lequel Iyad Allaoui s’est entretenu
à Moscou, le 22 août dernier, y participerait. A suivre ! Les
Irakiens retiennent leur souffle, sachant qu’aucune solution
durable n’est possible à Bagdad sans le départ effectif de
toutes les troupes américaines et la participation de la
résistance à des élections démocratiques.
Notes :
(1)
Lire : Retrait partiel d’Irak : un avant-goût de défaite
http://www.france-irak-actualite.com/article-retrait-partiel-d-irak-un-avant-gout-de-defaite-55706681.html
(2)
Iraq : Notorious warlord returns to Baghdad,
par Ma’ad Fayad (Asharq
Al-Awsa t- 18/8/10)
http://www.aawsat.com/english/news.asp?section=1&id=22008
(3)
Abou Moussa al-Zarqaoui -
de son vrai nom Ahmed al-Khalayla
- était un ancien combattant du djihad anti-soviétique en
Afghanistan. De nationalité jordanienne, il fonda sous le régime
de Taliban l’organisation
Tawhid wal Djihad
(Unification et Guerre sainte)
et s’installa au Kurdistan irakien après l’agression
étatsunienne contre l’Afghanistan. En octobre 2004, il rebaptisa
son organisation Al-Qaïda en
Mésopotamie. Instrumentalisé
par les services secrets américains, il a revendiqué de nombreux
attentats anti-chiites et des égorgements d’otages, généralement
filmés. Zarqaoui a été tué, théoriquement, lors d’un
bombardement de F16 dans la région de Baqouba, le 7 juin 2006.
(4)
Asharq Al-Awsat (18/8/10).
(5)
Abou Deraa
(le Père de l’armure) est le
surnom donné à Ismaïl al-Lami pour sa capacité à percer les
blindages des chars américains lors de la bataille de Nadjaf en
2004. D’abord connu comme Ismaïl al-Zerjawi, il s’est ensuite
séparé de l’Armée du Mahdi pour créer sa propre structure.
Ancien sergent de l’armée irakienne, porté déserteur en 2000,
Abou Deraa est originaire de la région des Marais. Il est issu
d’une famille de poissonniers de Sadr City
(ex Saddam City).
Lire aussi : Qui veut assassiner Moqtada al-Sadr ?
par Gilles Munier (Afrique Asie – mai 2008)
http://www.afrique-asie.fr/images_articles/30/irak.pdf
(5)
The Age
(22/8/06)
(6)
Face to face with Iraq’s most wanted,
parPaul McGeough
(Sidney Morming Herald - 20/12/06).
(7)
Death squad leader behind abduction of five Britons is named,
par Martin Flechter (The Times –
30/8/07)
http://www.timesonline.co.uk/tol/news/world/iraq/article2351406.ece
(8) Moqtada Al Sadr supports Allawi on new government (23/8/10).
http://www.abna.ir/data.asp?lang=3&id=200505
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 25 août 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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