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Nouvelles d'Irak
Tarek Aziz:
le témoignage de Paul Balta
Gilles Munier
Samedi 20 novembre 2010
Conférence-débat
pour la défense de Tarek Aziz
et de ses compagnons
condamnés à mort
(AGECA 19/11/10)
Témoignage de Paul Balta, écrivain,
ancien journaliste du quotidien Le Monde.
Chers amis,
C’est avec beaucoup d’émotion que je vais évoquer Tarek Aziz,
que j’ai bien connu et qui m’a toujours beaucoup aidé quand je
me rendais en reportage en Irak pour Le Monde et même après mon
départ du journal en 1985. Première bonne nouvelle dont vous
avez dû avoir connaissance, le Président irakien Jalal
Talabani, un Kurde, a déclaré mercredi à France 24 concernant
l’exécution du condamné : « Non, je ne signerai pas un ordre
de ce genre parce que je suis socialiste. Je compatis avec Tarek
Aziz, car c'est un chrétien irakien ; et c'est en outre une
personne âgée qui a plus de 70 ans. C'est pourquoi je ne
signerai pas cet ordre d'exécution. » Cette déclaration met
en lumière le caractère scandaleux du procès fait à Tarek Aziz
et de sa condamnation à mort. Néanmoins, deux autres dirigeants
peuvent confirmer le jugement.
Tarek Aziz vu par Henry Kissinger
Avant d’évoquer mes souvenirs personnels, je voudrais vous lire
des textes à mes yeux révélateurs. Ils sont extraits d’un livre
Tarek Aziz, le diplomate de Saddam, de Patrick Denaud,
paru en 2000 aux éditions L’Harmattan. Il cite longuement Henry
Kissinger. Je rappelle que ce politologue et diplomate
américain, Prix Nobel de la Paix en 1973, était juif et
allemand de naissance. Il a rencontré de nombreuses fois Tarek
Aziz. Voici ce qu’il écrit : « Il restera probablement un
des personnages les plus fascinants de la scène arabe de ces 30
dernières années. Chrétien dans un pays arabe, diplomate d’une
nation perpétuellement en guerre, esthète raffiné au pays de
Satan. »
Et encore : « Nous savons à quel point Tarek Aziz était un
lettré, grand amateur de divans, ces débats qui sont la
quintessence de la culture arabe et particulièrement irakienne.
Cet art de la persuasion et cette façon de bâtir des
démonstrations, par des syllogismes oraux illustrés
d’exemples historiques, nous les retrouvons aujourd’hui souvent
dans sa conversation. Il y a longtemps que ces joutes ont
disparu des soirées de Bagdad, en raison des guerres, de l’exil
et des misères épuisantes de la vie quotidienne, qui ont
étouffé la vie de l’esprit et des sentiments. Nous
revenons au temps passés. »
Et pour finir : « Saddam, pour sa part, était subjugué par
l'intelligence de Tarek Aziz, l'éloquence tranquille avec
laquelle celui-ci développait des idées qu'il trouvait neuves et
qui confortaient toujours ses propos en leur donnant une assise
intellectuelle. »
Ma première rencontre
avec Saddam Hussein
Ma première rencontre avec Saddam Hussein (1937-2006) a
eu lieu en décembre 1971, grâce à Tarek Aziz. Lors de mon
arrivée à Bagdad, je souhaitais m’entretenir avec des
personnalités importantes du parti Baas et du parti communiste
irakien, sans omettre les «nasseristes» ou
« nassériens » et des responsables du milieu syndical
irakien. Tous m’ont reçu et m’ont conseillé de m’orienter vers
le seul et véritable décideur du pays : Saddam Hussein,
Vice-Président de la République, alors que son oncle, le général
Ahmad Hasan al-Bakr, était Président. Je fus pour le moins
surpris, puisque certains d’entre eux avaient été pourchassés
par ce même Saddam Hussein. Comme ils insistaient, je m’étais
décidé à l’interroger et avais commencé à prendre
des contacts.
Le principal a été Tarek Aziz. Journaliste dans divers organes
du Baas, il avait refusé, en 1958, d’être nommé officiellement
ministre de l’Information. Craignant d’être tenu à une certaine
réserve, il avait préféré devenir directeur du quotidien
national Al-Thawra (La Révolution) car il estimait
pouvoir jouer ainsi un rôle plus efficace auprès des
journalistes étrangers en reportage qui venaient l’interroger.
Il deviendra néanmoins ministre de l'Information en 1974 puis
Vice-Premier ministre de 1979 à 1983, enfin ministre des
Affaires étrangères de 1983 à 1991.
Lors de notre première rencontre, il m’avait demandé pourquoi et
comment je savais la langue arabe. Je lui avais expliqué que mon
arrière grand-père maternel était un Libanais Grec catholique
qui s’appelait Haddad. Il avait émigré en Égypte, en 1850 et
avait épousé une Copte. Leur fils Anis était le père de ma maman
qui était donc arabophone. Nous vivions à Alexandrie. Mon papa
était Français et à la maison nous parlions français, comme lui.
Maman me parlait aussi souvent en arabe puis je l’ai appris au
Collège des Frères Saint Jean-Baptiste de la Salle. Il m’avait
alors posé plusieurs questions puis m’avait expliqué que
lui-même, né en 1936 à Mossoul, s’appelait Mikhaïl Johanna et
appartenait à une famille de l'Église catholique chaldéenne. Il
a adopté le nom de Tarek Aziz quand il est entré en politique.
Nous avons parlé des chrétiens d’Orient et il a insisté sur la
nécessité de les défendre pour leur permettre de bien vivre et
éviter qu’ils émigrent. Il m’a dit aussi qu’il était un ami
d’enfance de Saddam Hussein et promis d’organiser l’interview
qui s’est donc déroulée fin 1971 et a duré 2h30.
Saddam avait commencé par affirmer : « Je veux refaire
l’Irak des Abbassides». Il en a parlé pendant plus d’une
demi-heure. Il était fasciné par le caractère extrêmement
moderne, à l’époque, de l’agriculture arabe qui avait introduit
des nouvelles techniques d’irrigation ainsi que l’utilisation
des engrais. Il a certes parlé des canaux d’irrigation
mais plus encore des drains. Je découvrirai par la suite qu’ils
sont le plus souvent ignorés par les spécialistes alors que leur
rôle était innovant et fondamental pour évacuer le sel qui
s’accumulait avec la chaleur du soleil et nuisait à la
végétation. Par la suite, je me suis demandé dans quelle mesure
Tarek Aziz, homme de grande culture, n’avait pas contribué à
l’informer sur ces différents thèmes.
La triple révolution industrielle,
agricole, culturelle
La presse et les hommes politiques occidentaux mettent l’accent
sur le caractère dictatorial de Saddam. Je rappelle qu’avant de
le diaboliser l’Occident avait pourtant vanté les mérites de son
régime. En politique, comme dans bien d’autres domaines, on doit
se garder des visions simplistes et manichéennes qui nous
empêchent de comprendre une réalité souvent plus complexe.
Saddam Hussein s’était lancé avec succès, depuis le début des
années 70, dans une politique de modernisation de la société
irakienne. J’en ai été témoin et j’y ai consacré de nombreux
articles dans Le Monde. Il a réalisé une triple
révolution, industrielle, agricole et culturelle. Elle s’est
traduite par l’établissement de services publics performants et
une élévation du niveau de vie avec l’émergence d’une véritable
classe moyenne. Sous la monarchie, l’Irak était un des pays les
moins alphabétisés du monde arabe et très pauvre en universités.
Saddam la placé en tête pour l’alphabétisation et la qualité de
l’enseignement supérieur ! De même, il a créé une École
culturelle irakienne dans les domaines de la peinture, de la
sculpture, de l’architecture et de la musique. Il a protégé les
différentes communautés chrétiennes et mis en valeur le rôle des
femmes dans plusieurs domaines (éducation, santé, économie,
etc…). Cette modernisation n’aurait jamais pu se réaliser
sans le soutien actif de la très grande majorité du peuple
irakien. N’oublions pas non plus que Saddam Hussein a procédé à
la nationalisation du pétrole en 1972, contre le tout-puissant
consortium de l’Iraq Petroleum Company. Je sais que
Tarek Aziz a pris une part active dans tout cela mais personne
ne le dit !
Un autre aspect de sa politique culturelle est souvent méconnu.
Il y avait dans le désert plusieurs palais datant de l’époque
Abbasside mais qui, au fil des siècles, avaient été enfouis dans
le sable. Saddam Hussein les a littéralement exhumés puis il a
mené une politique de réhabilitation et d’entretien. De même, se
présentant comme le successeur des rois Hammurabi (mort en
1750 av. J.-C.), et Nabuchodonosor II (roi vers
–1137), il a mis en œuvre, à partir de 1985, un programme
de reconstruction de monuments antiques. Une des plus belles
réussites est la magnifique citée de Babylone. Située sur
l’Euphrate, elle a régné sur toute la région entre le XVIIè
et le XVIIIè siècle avant JC. Il a fait reconstruire à
l’identique plusieurs bâtiments et une partie des murailles.
J’avais visité l’ensemble et en avais témoigné dans Le Monde.
J’en avais parlé avec Tarek Aziz et ses longs commentaires très
précis m’avaient persuadé qu’il avait contribué à cette
politique.
La complémentarité
entre Saddam Hussein et Tarek Aziz
Enfin, Saddam a fondé un immense musée en vue de rassembler,
conserver, faire connaître et admirer le patrimoine historique
de l’Irak qui avait fait l’objet d’un véritable pillage au XIXè
siècle et au début du XXè. Mon ami Jamil Hamoudi en a été
le conservateur et le directeur lors de son installation, en
1966, et l’est resté jusqu’en 1973, quand il a été nommé
Directeur des Beaux-arts au ministère de la Culture.
Je suis persuadé que toutes ces réformes n’auraient pas été
réalisées sans une profonde collaboration entre Saddam Hussein
et Tarek Aziz. Il est certes difficile de dire lequel des deux à
lancé le premier l’idée de telle ou telle réforme. En revanche,
je peux affirmer, pour l’avoir maintes fois constaté, la
complémentarité intellectuelle, culturelle et politique
qui a existé entre les deux hommes.
La catastrophique
intervention américaine en 2003
L’intervention américaine en Irak, le 19 mars 2003, a
l’initiative de cet homme inculte qu’était le président
George W Bush, a été a tous égards catastrophiques ! Elle a
favorisé l’introduction dans le pays d’Al-Qaida qui ne
s’y serait pas risqué sous Saddam Hussein et Tarek Aziz.
Sept ans plus tard, le bilan est consternant. Selon diverses
sources dont le Réseau Voltaire créé par l’analyste politique
Thierry Meyssan, il y avait, en 2008, côté irakien plus d’un
million de morts sur 26 millions d'habitants et 4 millions
et demi – dont la moitié des 800 000 chrétiens - de personnes
déplacées ou réfugiées dans les pays voisins ou en Europe. Cette
situation s’est encore aggravée en deux ans. Des régions
entières polluées sont devenues inhabitables. Les vestiges des
plus anciennes civilisations urbaines ont été pillés ou rasés.
Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
(HCR) a confirmé ces chiffres. Je rappelle qu’en 1980, il y
avait un million de chrétiens et ils ne seraient plus que 630
000. Je me suis demandé ce qu’a ressenti Tarek Aziz en apprenant
que la cathédrale syriaque catholique Notre Dame du Perpétuel
secours, dans le centre de Bagdad, a été prise d'assaut en
pleine messe le 31 octobre par un commando d'Al-Qaida,
qui a fait des morts et des blessés. Constat accablant : le
nombre de morts en cinq ans, 2003-2008, plus d’un million, comme
je viens de le dire, est sans comparaison avec celui que les
experts attribuent au régime de Saddam Hussein en 24 ans,
1979-2003 : environ 300 000 chiites et 170 000 Kurdes. De plus
en plus d’Irakiens qui étaient hostiles au dictateur en viennent
à le regretter et souhaitent que Tarek Aziz continue à vivre à
défaut d’être remis en liberté.
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 21 novembre 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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