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Nouvelles d'Irak
Moqtada Sadr et la «
démocratie participative »
Gilles Munier
Gilles Munier
Dimanche 18 avril 2010
Dans l’attente des résultats officiels des élections
législatives irakiennes du 7 mars 2010, délégitimées par
l’interdiction faite à des candidats décrétés « baasistes »
de se présenter (1), et à des partis politiques de
faire campagne, les tractations entre les différents blocs pour
élire un Premier ministre, vont bon train.
Pendant ce temps, Moqtada al-Sadr, fort de ses 39 députés, fait
la pluie et le beau temps dans les milieux chiites pro-iraniens.
Pour signaler les noms des Premiers ministres dont il ne veut
pas - et mettre en avant un de ses proches collaborateurs -
il a organisé un referendum. La consultation, ouverte à tous,
s’est déroulée sans contrôle sérieux. Bien qu’imparfaite, elle
demeurera dans l’histoire du Proche-Orient la première
expérience de « démocratie participative ». Un million
et demi d’Irakiens y auraient participé.
Referendum sadriste :
Ibrahim al-Jaafari vainqueur !
Les résultats du referendum sont les suivants : Ibrahim
al-Jaafari : 24% - Jaafar al-Sadr (n°5 sur la liste d’Al-Maliki
à Bagdad) : 23% - Qusay al-Suhayl (sadriste originaire
de Bassora) : 17% - Nouri al-Maliki : 10% - Iyad Allaoui :
9% - Baha al-Araji (sadriste originaire de la province de
Dhi Qar) : 5% - Ahmed Chalabi : 3% - Adil Abdel Mahdi : 2%
- Rafi al-Eisawi (tête de liste d’Iraqiya dans la province
d’Al-Anbar) : 2% - divers : 5%.
Ibrahim al-Jaafari, arrivé en tête du referendum, ancien
représentant d’Al-Dawa à Londres sous Saddam Hussein, a
été Premier ministre du 7 avril 2005 au 22 avril 2006. Il est le
seul élu d’Islah (Réforme), groupuscule qu’il a créé
après son éviction du secrétariat général d’Al-Dawa. Il
s’est présenté aux législatives sous la bannière INA
(Alliance nationale irakienne), le bloc d’Ammar al-Hakim.
En très mauvais termes avec Nouri al-Maliki, on voit mal ce
dernier voter pour lui.
Avec ses « 23% » d’avis sadristes favorables, Jaafar
al-Sadr, fils de l’ayatollah Baqer al-Sadr - fondateur
d’Al-Dawa - perçu comme le « joker de
Maliki » (2), aurait des chances de l’emporter.
Mais, il faudrait que les querelles de famille – et surtout
de prééminence - l’opposant à son cousin et beau-frère
Moqtada, soient dépassées. C’est loin d’être le cas.
Leaders sadristes émergeants
Les calculs de Moqtada al-Sadr risquent d’être balayés en cas d’
« alliance des contraires », une entente Maliki-Allaoui,
possible si les grands marionnettistes – Etats-Unis et Iran
- l’exigent. Pour l’heure, il est important de retenir les
noms des deux parlementaires sadristes, émergeant d’autant plus
de la consultation qu’ils ont été ajoutés à la main sur la
partie du bulletin laissée au libre choix des votants :
- Qusay al-Suhayl, peu connu du grand public, est premier
ministrable. Pour lui, le mouvement sadriste n’est pas un parti
politique. C’est une organisation socio-religieuse qui se
réclame des enseignements du Grand ayatollah Muhammad al-Sadr,
père de Moqtada. Depuis le « gel » des activités de l’Armée
du Mahdi, transformée - selon lui - en
organisation culturelle, la résistance à l’occupation est du
ressort de la Brigade du Jour Promis. Des
fonctionnaires de l’ambassade des Etats-Unis à Bagdad, et la
CIA, ont tenté de l’approcher, sans succès. Il refuse tout
dialogue avec les représentants des forces d’occupation
américaines. Interrogé sur l’avenir de Kirkouk, il estime que la
ville à droit à un statut spécial correspondant à ce que
souhaitent ses habitants, car – dit-il – c’est « un
Irak en miniature ». Il ne pense pas que la question puisse
être résolue dans un cadre fédéral, du moins pour l’instant.
- Baha al-Araji (n°2 sur la liste INA à Nassiriya), élu
député en 2005, assure que l’Armée du Mahdi n’était pas
une milice, mais une organisation de résistance populaire
islamique à l’occupation. Il est hostile à la partition de
l’Irak. Dans une interview accordée au quotidien Asharq Al-Awsat
(26/10/06), il accusait les forces d’occupation du
meurtre de l’ayatollah Abdel Majid al-Khoï à Nadjaf, en 2003,
insistant sur la concomitance de l’événement avec la naissance
du mouvement sadriste. Selon lui, en accusant Moqtada de l’avoir
fait assassiner, les occupants voulaient « tuer deux oiseaux
avec la même pierre ». Le 16 février dernier, Baha al-Araji
a provoqué une manifestation de protestation à Fallouja, après
avoir déclaré sur la chaîne télévisée Al- Baghdadiya
que « la majorité en Irak » conspire (contre
l’islam, c'est-à-dire - pour lui - contre Ali et ses
descendants) depuis Abou Bakr, compagnon du Prophète
Muhammad et premier calife, jusqu’à Ahmed Hassan al-Bakr, chef
du parti Baas, Président de la République après la Révolution de
1968. Il accuse, par ailleurs, les Moudjahidine du peuple
iranien d’être des terroristes à la solde des Etats-Unis.
Baha al-Araji possède la citoyenneté irlandaise.
Un Hezbollah irakien ?
Moqtada a profité, intelligemment, du mode de scrutin en
choisissant des candidats connus localement, placés en position
éligible, mais sa victoire est toute relative. Selon le blog Talisman
gate qui a décortiqué les résultats des onze provinces
ayant élu des députés se réclamant de lui, son mouvement
plafonnerait autour de 10% des suffrages au niveau national
(8,7% dans les quartiers « chiites » de Bagdad, considérés comme
leur bastion, 18,8% dans la province de Maysan). A Bagdad,
les pressions exercées par les nervis malikistes sur les
habitants de Sadr City n’expliquent pas tout. La
question est maintenant de savoir si le futur ayatollah Moqtada
al-Sadr sera en mesure de transformer l’infrastructure militante
du Bloc libre – Tayyar al-Ahrar, nom
officiel de son mouvement - en réplique irakienne du
Hezbollah libanais.
(1)
et (2) Législatives 2010 : la grande
manip, par Gilles Munier
(Afrique Asie – avril 2010)
http://www.france-irak-actualite.com/article-legislatives-2010-la-grande-manip-47766505.html
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 19 avril 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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