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Nouvelles d'Irak
Il faut
sauver Tarek Aziz !
Chedli Klibi
Gilles Munier
Samedi 13 novembre 2010
(Jeune Afrique - 7 au 13 novembre 2010)
Condamné à mort le 26 Octobre par la justice irakienne, l’ancien
vice-Premier ministre de Saddam Hussein a certes toujours
défendu avec brio la politique de son pays, mais il n'avait
aucune responsabilité directe dans les décisions prises par
l’ancien raïs.
C’est dans les années 1970 que j'ai connu Tarek Aziz. II était
alors chargé de l'Information et de la Culture. Membre
important du Baas irakien, il était, avec Saadoun Hammadi,
ministre du Pétrole à I’époque, le seul intellectuel du
gouvernement. Tarek Aziz croyait à un destin arabo-islamique des
peuples de la région, y compris de ses populations chrétiennes.
Comme le fondateur du parti Baas, le Syrien Michel Aflaq,
lui-même chrétien, il devait estimer, probablement, que ses
coreligionnaires n'avaient d'avenir dans la région que dans la
mesure où ils trouveraient le moyen de s'y intégrer de manière
durable. Voulant ressusciter une tradition de cohabitation entre
"gens du Livre" remontant aux premiers siècles de
I‘islam, le chef du Baas préconisait au Moyen-Orient I’arabisme
comme plateforme socioculturelle pour tous, musulmans et
chrétiens. Mais il y ajoutait une proximité prononcée avec
I’islam, dont il célébra le Prophète dans un texte devenu
célèbre et appris par cœur par nombre de ses partisans.
Ce trait explique aussi l'audience que connut rapidement
le Baas auprès de l'élite musulmane syrienne.
Professeur dans les années 1940, Aflaq eut une grande influence
sur ses élèves, qui constituèrent le premier noyau de son futur
parti. Comme Mahmoud Messadi, en Tunisie, il hypnotisait par son
verbe. Ses disciples, étudiants à Paris, évoquaient sans cesse
ce maître à penser inoubliable. Ils disaient qu'il leur parlait
de l’islam comme d'un creuset de culture et de civilisation qui
avait donné un grand essor à la région en rassemblant ses
populations, jadis éparses et même souvent en conflit. Ce souci
de rassembler les Arabes au-delà de leurs différences
confessionnelles était le thème majeur du Baas et séduisait les
jeunesses cultivées dans beaucoup de pays arabes.
Tarek Aziz, qui a passé quelques années de sa jeunesse a Damas,
y rencontra Michel Aflaq et subit son ascendant. Si le maître a
fini, sur le tard, par se convertir à l’islam après s'être
installé a Bagdad, Tarek Aziz n'a jamais eu de tels états d’âme.
II connaissait parfaitement l’histoire et la littérature arabes,
mais s'intéressait apparemment très peu aux choses de la
religion.
II ne comptait pas beaucoup d'amis parmi ses collègues du
gouvernement ou ses « camarades » du parti. Fier de sa
double culture et imbu de sa supériorité intellectuelle, quelque
peu hautain aussi dans ses rapports, il jouissait, au surplus,
de certains égards auprès de Saddam, son ancien compagnon
d'exil, devenu son chef. Cela faisait beaucoup de jaloux qui,
souvent médisants dans leurs confidences, prétendaient qu'il
était le mauvais génie du président. Tarek Aziz paie aujourd'hui
ces accusations tout à fait mensongères.
Car ses relations avec Saddam étaient loin d'être claires, et il
y avait sans doute une fascination réciproque. Le militant,
devenu le ministre des choses importantes aux yeux de Saddam,
les Affaires étrangères, vouait à son chef un dévouement à toute
épreuve, un véritable culte. II était sous I’emprise de cette
force physique qui frappait tous les visiteurs, ce langage
singulièrement emphatique, ce regard qui figeait I'interlocuteur.
Saddam, pour sa part, était subjugué par l'intelligence de Tarek
Aziz, l'éloquence tranquille avec laquelle celui-ci développait
des idées qu'il trouvait neuves, et qui confortaient toujours
ses propos en leur donnant une assise intellectuelle.
Tarek Aziz aimait-il Saddam? Difficile à dire. L'homme n'était
point enclin aux confidences. Cependant, il me semble acquis
qu'il était convaincu que Saddam était imperméable à la
contradiction, quel que fût l’enjeu. II savait aussi la
prédilection de son président pour les opinions tranchées –
sans nuances inutiles –, qu'il jugeait seules dignes
d'intérêt, parce que, selon lui, seules utiles et courageuses.
Et Tarek Aziz s'y pliait, persuadé qu'il n'avait pas le droit de
se prononcer contre un avis déjà exprimé haut et fort par le
président devant des collaborateurs. Et il était condamné à
toujours approuver, avec comme seule liberté la possibilité de
commenter ou d'apporter un éclairage favorable.
Quant aux relations avec l'Iran, si Tarek Aziz
a été au centre du premier incident connu entre les deux Etats
après I’avènement de Khomeiny, il ne reste pas moins vrai que
les raisons de ce conflit, long et meurtrier pour les deux
parties, échappaient à la logique. Comme tout ce que Saddam
entreprenait concernant les relations avec des voisins. Tarek
Aziz n'y avait donc aucune part de responsabilité directe. Mais
il défendait, toujours avec brio, les causes que Saddam
considérait comme siennes, personnelles. La guerre de huit ans
avec Téhéran en était une des plus sensibles. Un contresens
commis à cet égard par un ministre de la Santé brillant, mais
quelque peu naïf, valut à celui-ci d'être aussi tôt exécuté.
Tarek Aziz avait pour devoir de défendre, dans les assises
arabes ou internationales, la politique irakienne. II le faisait
avec une fougue qui parfois lui valait de solides inimitiés. En
Europe, si on appréciait la qualité de son discours, on était
déconcerté de voir tant de talent mis au service de si mauvaises
causes. Mais sans se douter que Tarek Aziz lui-même était le
premier à souffrir de cette pénible vérité.
Par dévouement pour son maître, ou par sacrifice de soi pour sa
communauté, Tarek Aziz était une conscience et une intelligence
toutes deux malheureuses », car constamment en distorsion avec
les valeurs ou la logique.
Comme beaucoup, je croyais que les Américains – auxquels il
a choisi de demander asile – allaient l’aider à quitter
I'Irak, convaincus qu'il n'avait commis aucun acte criminel.
Ceux qui I'ont livré a ses ennemis politiques ont commis un acte
odieux. « Le jugement » qui vient d'être annoncé ne
grandit ni les uns ni les autres.
Chedli Klibi, ancien secrétaire général
de la Ligue des Etats Arabes
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 14 novembre 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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