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Saddam Hussein, le procès
Retour sur un procès lynchage
Gilles Munier
Gilles Munier
Vendredi 8 janvier 2010
Le président
Saddam Hussein a été livré aux Américains début décembre 2003,
près de Dour, par un ami chez qui il était caché. Selon l’avocat
égyptien Mahmoud al-Mouni, il aurait été aussitôt transféré à
l’étranger pour être interrogé, puis ramené sur le lieu de sa
capture. Ce qui est certain, c’est qu’arrêté officiellement le
13 décembre, il est apparu épuisé sur les écrans de télévision,
comme hébété par l'absorption de drogues. « Le voir humilié
ainsi, sorti de son trou à rats», déclara alors Toby Dodge, de
l’Institut international d’études stratégiques (IISS),
est «une étape de plus dans la libération mentale des
Irakiens », organisée cela va sans dire pour démoraliser la
résistance irakienne.
Les « 20 interviews et 5 conversations ordinaires » du FBI,
déclassifiés en juillet 2009, ne seraient que le remake soft
des interrogatoires infructueux effectués avant qu’on le déclare
prisonnier de guerre. Bien que réalisés avant son inculpation,
et deux ans avant sa condamnation à mort, « Mr George », son
intervieweur, y informait Saddam que « sa vie touchait à sa
fin » !
« Tout cela est du théâtre »,
dit Saddam
La peine capitale, suspendue après l’invasion, avait été
rétablie « provisoirement » le 8 août 2004, par le Premier
ministre Iyad Allaoui, pour condamner à mort Saddam et ses
compagnons, en dépit
du principe de la non rétroactivité de la loi par la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme.
Paul Bremer, chef de l’Autorité Provisoire de la Coalition
(CPA), créa, en décembre 2003, un Tribunal spécial irakien (TSI)
sans se soucier de légalité ou de légitimité, entendu qu’il
était une émanation Département d’Etat à la Justice des
Etats-Unis, puissance occupante. La constitution du TSI n’a
soulevé que des protestations de pure forme, même quand il est
apparu que ses statuts n’avaient fait l’objet d’aucune
consultation, que ses membres étaient formés en Grande-Bretagne
pour jouer un rôle fixé d’avance, qu’aucun critère d’équité et
d’impartialité n’était rempli, même pour la galerie. Dès la
première séance, le 1 juillet 2004, il se présenta comme «Saddam
Hussein al-Majid, président de l’Irak», refusa de reconnaître la
légitimité du tribunal, rejeta les charges retenues contre lui,
et déclara : « Tout cela est du théâtre, le véritable criminel :
c’est Bush».
Pour Mouwafak al-Rubaie, directeur de la Sécurité nationale du
régime de Bagdad, le procès de Saddam Hussein devait être celui
du siècle, faire du nouvel Irak un exemple à suivre. Il n’en fut
rien. Les juges sont apparus pour ce qu’ils étaient : des
marionnettes aux mains d’opposants en mal de vengeance. Les
avocats de la défense n’eurent jamais accès à la totalité du
dossier : 36 tonnes de documents à charge collationnés par des
agents du FBI ne parlant pas l’arabe, ni ne purent vérifier
l’authenticité des pièces remises. Les menaces de mort se
multiplièrent contre eux, dont celle de Malek Dohane al-Hassan,
ministre de la Justice, de les « découper en morceaux » ! Trois
furent assassinés : Saadoun al-Janabi en octobre 2005, Adil al-Zubeidi
en novembre 2005 et Khamis al-Obeidi en juin 2006. La dépouille
de ce dernier, retrouvée près de Sadr City, sous un poster de
l’ayatollah Mohammad Sadek al-Sadr, père de Moqtada, présentait
des traces de torture. L’avocat avait été promené dans le
quartier, ligoté à l’arrière d’un pick-up. Abou Der’ra - le «Zarqaoui
chiite» - avait célébré son assassinat en offrant un
rafraîchissement général à la population des environs et invité
les passants à tirer une balle sur son cadavre « pour se venger
des baasistes ».
Les juges qui ne jouaient pas le jeu durent démissionner ou
furent écartés. Rizgar Muhammad Amin se retira au bout de quatre
mois car les « politiques » lui reprochaient de ne pas être
assez sévère. Sayeed al-Hamashi fut écarté quand on découvrit
qu’il avait appartenu au parti Baas, Rauf Rashid Abdul Rahman
parce qu’il était natif de Halabja, et Abdullah al-Amiri pour
manque de «neutralité». Il avait déclaré que Saddam Hussein
n’était pas un dictateur ! Bushra Khalil, avocate libanaise,
chiite, fut expulsée, non parce qu’elle avait établi un
parallèle entre l’affaire de Doujail pour laquelle il était jugé
et celle d’Abou Ghraib, mais en raison de sa confession. Elle
était la seule chiite dans l’équipe de défense. Cela dérangeait
les Américains, dit-elle, « car le dossier perdait son caractère
confessionnel ».
Finalement, Nouri al-Maliki, nouveau Premier ministre, désigna
un membre de la Brigade Badr, Mohammad al-Araiby, comme juge.
Les pro-iraniens voulaient en finir vite, car le bruit courait
que Donald Rumsfeld avait proposé à Saddam de le libérer en
échange d’un appel demandant aux « insurgés » de déposer leurs
armes. Le Président avait refusé. Les pro-iraniens ne voulaient
courir aucun risque, d’autant qu’on sait aujourd’hui que la
résistance avait envisagé de le libérer en attaquant sa prison,
et qu’il s’en était fallu de peu pour que l’opération ait lieu.
Le verdict tomba le 5 novembre 2006. Comme prévu, le TSI
condamna à mort Saddam Hussein, son demi-frère Barzan al-Tikriti
et le juge Awad al-Bandar. Les 300 pages justifiant la décision
ne furent remises à la défense que le 22 novembre pour qu’elle
n’ait pas le temps de l’étudier sérieusement. De toute manière,
Saddam avait interdit à ses avocats de réclamer sa grâce. Comme
le dira un membre de l’Union des juristes irakiens: « Ce procès
n’a été qu’une farce dégoûtante … ».
Rites barbares
La sentence fut confirmée le 26 décembre. Les autorités
d’occupation avaient 30 jours pour fixer la date de l’exécution.
C’était trop. George Bush voulait que Saddam soit exécuté avant
le nouvel an chrétien et avant un discours qu’il devait
prononcé sur sa nouvelle stratégie en Irak. La date de l’Aïd
al-Adha sunnite fut suggérée par Nouri al-Maliki qui,
mariant son fils ce jour-là, ne prévoyait pas d’assister à la
pendaison, mais avait ordonné qu’on transporte le cercueil du
Raïs à son domicile pour fêter l’exécution.
Dans la nuit du
30 décembre, les Américains livrèrent Saddam Hussein à ses
bourreaux. La Hawza de Nadjaf avait donné son aval au
choix de la date, façon barbare de signifier aux Irakiens que le
pouvoir religieux avait changé de mains, que le rite chiite
prévalait désormais dans le pays.
L’exécution était conçue comme un spectacle multimédia. Une
caméra filmait officiellement l’évènement, doublée par un ou
plusieurs téléphones portables dont celui de Mouwafak al-Rubaie.
Ils espéraient tous le voir s’effondrer à la dernière minute. Le
Président est monté calmement à la potence sous les insultes des
extrémistes de l’Armée du Mahdi invités pour l’occasion. Moqtada
al-Sadr était présent, mais il a démenti avoir participé,
masqué, à l’exécution comme l’affirma, photo à l’appui, un
journal saoudien. Saddam a répondu sarcastiquement à un de ceux
qui le conspuait : «Hiya hiy al marjale?» - «Est-ce
çà, ta virilité?»
répartie qui remonte aux temps anciens de l’Arabie et de
l’islam, intraduisible littéralement car associant virilité et
courage, fierté et valeurs chevaleresques. A un autre qui lui a
dit d’aller en enfer, il répliqua que l’enfer, c’était ce que
l’Irak était devenu. La corde au cou, on ne lui laissa pas le
temps de terminer la Shahada, la profession de foi des
musulmans. La trappe s’ouvrit sous ses pieds. Des fanatiques se
jetèrent ensuite sur sa dépouille pour tenter de l’égorger.
Comme prévu, son cercueil fut exposé au domicile de Nouri al-Maliki
pour égayer les personnalités invitées au mariage de son fils.
Le convoi funèbre prit ensuite le chemin d’Al-Awja, près de
Tikrit, où son tombeau est devenu un lieu de pèlerinage.
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Pendu le jour de l’Aïd al-Adha, fête du
sacrifice…
et du pardon
L’Aïd al-Adha (ou Aïd el-Kebir) commémore le
sacrifice d’Abraham. Pour les musulmans, c’est la fête du
pardon, de la réconciliation, de la clémence et de la
générosité. Elle a lieu le dixième jour du mois de Dhul
Hijja du calendrier lunaire islamique, 40 jours après l’Aïd
el- Fitr qui correspond à la fin du Ramadhan. La différence
de date de sa célébration chez les sunnites et les chiites
irakiens n’est pas fonction de l’apparition de la lune qui clôt
le jeûne du Ramadhan. Sous Saddam Hussein, la date était la même
pour les deux communautés. Pour des motifs politico-religieux,
les autorités religieuses chiites formant la Hawza de
Nadjaf se sont mis depuis 2003 à l’heure de Téhéran. Pour se
différencier des sunnites, les Iraniens n’aperçoivent la lune…
qu’un jour plus tard, ce qui décale automatiquement la
célébration de cette fête pour les chiites irakiens.
Publié le 8 janvier 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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