|
Nouvelles d'Irak
Affaire
Kelly: Crime d'Etat dans l'Oxfordshire ?
Gilles Munier
Gilles Munier
Jeudi 4 novembre 2010
Article de Gilles Munier, paru dans
Afrique Asie (novembre 2010)
Plus de 80% des Britanniques ne croient pas au suicide du docteur
David Kelly, un des inspecteurs de l’ONU chargés de découvrir
des armes de destruction massive en Irak. Sept ans après sa
mort, le nombre de ceux qui parlent de « crime d’Etat »
a triplé. Les appels à rouvrir l’enquête, nombreux depuis que
les Travaillistes ont quitté le pouvoir, inquiètent Tony Blair.
Officiellement, le docteur David Kelly, inspecteur de
l’ONU en Irak, spécialiste en armement chimique et biologique,
s’est suicidé le 17 juillet 2003, dans un bois du Oxfordshire,
près de son domicile. Il aurait mis fin à ses jours parce qu’il
ne supportait pas que le ministère de la Défense britannique
l’accuse d’être à l’origine des révélations d’un reportage de la
BBC, diffusé en mai 2003, affirmant que la menace irakienne
avait été sciemment « musclée » afin de justifier
l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne. Pour mémoire, Tony
Blair avait assuré, en septembre 2002, que Saddam Hussein
possédait des missiles et des armes de destruction massive
« opérationnelles en seulement 45 minutes », pouvant
atteindre la base militaire britannique à Chypre.
En septembre 2003, selon l’institut de sondage
YouGov, 11% des Britanniques pensaient que David Kelly
avait été assassiné et 51% qu’il s’était suicidé, suite à des
pressions insupportables. En janvier 2004, la commission
d’enquête dirigée par Lord Hutton, créée par Tony Blair pour
couper court aux rumeurs d’assassinat, avait conclu que le
défunt s’était donné la mort, en absorbant vingt neuf comprimés
de Coproxamol, un médicament anti-douleur, puis en tailladant
son poignet gauche avec la lame ébréchée de son couteau de
jardin.
Les conclusions hâtives du rapport Hutton, écartant la
thèse de l’assassinat et blanchissant Tony Blair, ont été mises
en doute, au fil des ans, notamment par le député libéral Normam
Baker, aujourd’hui ministre du gouvernement Cameron. Dans
L’étrange mort de David Kelly, un livre paru en 2007, il
affirmait que le biologiste avait été assassiné. Selon lui, le
couteau et les médicaments avaient été placés près de son corps
pour maquiller le crime en suicide. Fin 2009, six médecins qui
réclamaient la réouverture de l’enquête au motif que la quantité
de sang trouvé sur les lieux n’était pas suffisante pour
entraîner sa mort, s’étaient vu répondre que le dossier Kelly
était interdit d’accès pour 70 ans, que l’original avait été
« perdu » et que sa copie, archivée, était
« introuvable »
Les langues se délient
En août dernier, le Daily Mail, deuxième plus
gros tirage de la presse anglo-saxonne, a publié de nouveaux
témoignages mettant sérieusement en doute la thèse officielle,
ainsi qu’un sondage de l’Institut Harris selon lequel 80% des
Britanniques pensent que Kelly ne s’est pas suicidé. En sept
ans, les langues se sont déliées. Graham Coe, le policier qui a
monté la garde près du corps après sa découverte, a affirmé
n’avoir remarqué qu’un peu de sang sur le poignet du biologiste
et pas sur ses vêtements. Deux secouristes, présents sur les
lieux, l’ont confirmé. Des médecins légistes ont jugé les causes
officielles du décès « extrêmement peu vraisemblables ».
Pour eux, la coupure au poignet n’était pas suffisante pour
entraîner sa mort. Enfin, le docteur Bartlett, qui a signé le
certificat de décès a reconnu que le corps avait été déplacé et
déclaré avoir vu plus de sang au nez du cadavre qu’au poignet.
Le déplacement du corps, signe d’une exécution effectuée en un
autre lieu, expliquerait pourquoi le système de détection de
sources de chaleur de l’hélicoptère survolant l’endroit où
Graham Coe l’a trouvé n’avait rien signalé de suspect.
Des proches parlent aussi. Wendy Wearmouth, cousine du
docteur Kelly « pense qu’il a été assassiné » car se
suicider, dit-elle, était « en totale contradiction
avec sa manière d’être ». Richard Spertzel, ancien
collaborateur de l’inspecteur de l’ONU en Irak, affirme
que Kelly en savait trop et était sur une « liste de gens à
abattre ». Mai Pederson, née au Koweït sous le nom de Maya
al-Sadat, sergent- interprète de l’US Air Force à
Bagdad, qui fut la confidente de Kelly et l’a converti au
bahaïsme – religion d’origine persane qui proscrit notamment
le suicide - a donné un coup fatal à la thèse du
suicide en révélant que son ami avait des difficultés pour
couper la viande dans son assiette, et pour avaler des cachets.
Elle ne croit pas qu’il se soit ouvert les veines ni qu’il a
ingurgité les comprimés dont parle le rapport. A la demande de
cette dernière, en 2003, la Commission Hutton n’avait pas
enregistré ce témoignage et mal transcrit le nom de l’interprète
pour ne pas attirer l’attention, dit-on, sur ses activités dans
le renseignement militaire américain. Mai Pederson est affectée
au Defense Language Institute, une école californienne
de formation à l’espionnage, mais ce n’était pas un motif
suffisant pour ne pas tenir compte de ce qu’elle disait.
Kelly, obstacle à supprimer
Le Premier ministre David Cameron osera-t-il rouvrir
l’enquête sur la mort du Docteur Kelly, comme l’envisageait, en
avril 2010, Dominic Grieve, secrétaire à la Justice dans le
« Cabinet fantôme » conservateur? L’enterrera-t-on une
seconde fois au nom de la raison d’Etat ? Le sondage de
l’Institut Harris et les nouveaux témoignages repris par presque
tous les médias britanniques, ont contraint les autorités à
« changer de disque ». Un chirurgien vasculaire, Michael
Gaunt, a été autorisé à consulter les pièces du dossier Kelly,
miraculeusement retrouvées. Mais, en refusant de dire qui le lui
avait permis, et en diagnostiquant que le biologiste serait mort
de la combinaison de comprimés, du stress et d’un problème
cardiaque, il a accru les suspicions de manipulation des
documents post mortem. Pour Graig Murray, ancien
ambassadeur de Grande-Bretagne, la question des ADM était
cruciale pour la bonne poursuite de l’invasion de l’Irak.
Vivant, David Kelly était devenu un obstacle pour Blair, Cheney,
et « une myriade de gens impitoyables » : marchands
d’armes, sociétés de mercenaires, compagnies pétrolières… etc…
Saura-t-on un jour qui, parmi eux, aurait voulu le supprimer
* ?
*Actualisé
le 22/11/10 : Le ministère britannique de la Justice a
finalement rendu public des documents post mortem sur
les circonstances de la mort du docteur David Kelly ,qui
devaient être gardés secrets pendant 70 ans, afin d’« étouffer
les théories du complot » entourant son « suicide ».
Pour le docteur Michael Powers, un des médecins mettant en doute
les conclusions du rapport Hutton, les informations mises à sa
disposition n’apportent rien de nouveau. Il réclame toujours la
réouverture de l’enquête.
http://www.bbc.co.uk/news/uk-11608328
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 4 novembre 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
Partager
Le dossier
Irak
Les dernières mises à
jour
|