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Nouvelles d'Irak
Des
mercenaires français en Irak ?
Gilles Munier
Gilles Munier
Jeudi 2 décembre 2010
Paru dans Afrique Asie (décembre 2010)
La guerre d’Irak a fait voler en éclats la Convention
internationale contre le recrutement, l’utilisation, le
financement et l’instruction de mercenaires, votée par
l’Assemblée générale des Nations unies en 1989 et ratifiée par
32 Etats. A l’écart du conflit irakien après le discours
mémorable de Dominique de Villepin à l’ONU en 2003, la France y
participe désormais, peu ou prou, avec un ambassadeur de choc et
des sociétés dites de sécurité.
Nicolas Sarkozy est-il en guerre contre la résistance
irakienne ? En autorisant des « sociétés de sécurité »
françaises à s’implanter à Bagdad, il a engagé la France dans un
engrenage dont il ne mesure pas vraiment les risques. Les
« gardes du corps » français, qui, sous couvert de
protection rapprochée, accueillent et accompagnent les hommes
d’affaires, sont perçus par la population comme des « contractors »
- mercenaires - au même titre que les employés de
la quarantaine de SMP (Sociétés Militaires Privées)
étrangères qui sèment la terreur dans le pays. Et, elles le sont
d’autant plus que Boris Boillon, l’ambassadeur de France, tient
des propos laudateurs effarants sur la sécurité dans le pays,
célèbre les vertus de l’occupation américaine et de la bonne
gouvernance du régime pro-iranien.
L’American
way of war
Certes, les « contractors » de Geos, la plus
grande entreprise de sécurité privée française, de Gallice-Security
et d’Anticip SAS, qui se partageant les miettes
laissées par les SMP anglo-saxonnes, n’ont rien des tueurs
engagés par leurs concurrentes, ni des aventuriers recrutés par
Bob Denard, le célèbre « soldat de fortune » français.
Geos, créée par Stéphane Gérardin, ancien du service
action de la DGSE, est présidée par le général Jean Heinrich,
ancien patron de la DRM (Direction du renseignement
militaire). La société Gallice est dirigée par
Frédéric Gallois, ancien chef du GIGN (Groupe
d'intervention de la Gendarmerie nationale), et Anticip
par Richard Terzan, ancien expert des « risques spéciaux »
de la Lloyd’s, un des leaders historiques de
l'assurance. Toutes se placent dans la perspective d’une
modification de la loi du 14 avril 2003 «relative à la
répression de l'activité de mercenaire ». En effet,
l’Elysée veut réintroduire en douceur le mercenariat dans le
droit français. Après avoir vanté l’American way of life,
Nicolas Sarkozy tente d’imposer l’American way of war,
pour reprendre une formule de G. H Bricet des Vallons, auteur d’
Irak, terre mercenaire. Le marché du mercenariat étant
estimé à 100 milliards de dollars pour les dix prochaines année,
en ces temps de crises les arguments avancés sont évidement
d’ordre économique : « il ne faut pas laisser ces contrats
juteux aux autres pays », « le budget de la Défense
serait mieux utilisé » et « cela permettrait de
reclasser les militaires en fin de carrière… de réduire le
chômage » … La décision d’externaliser des activités
militaires combattantes n’étant, semble-t-il, qu’une question de
temps, la société parisienne Vitruve DS, dirigée par
Didier Raoul, ancien commandant des forces spéciales, a réclamé
la privatisation de l'Ecole des troupes aéroportées de Pau (Etap),
proposition jugée « inadmissible », portant atteinte
« aux fonctions régaliennes de l’Etat », par Martine
Lignières-Cassou, députée socialiste du Béarn, membre de la
commission Défense nationale.
Des Français
dans les SMP anglo-saxonnes
En attendant une éventuelle modification de sa législation en
matière de mercenariat, la France ferme les yeux sur la présence
d’anciens militaires français dans les SMP anglo-saxonnes.
« Franck Hugo », mercenaire en Irak en 2003-2004, ancien
légionnaire ayant participé à la tentative de coup d’Etat de Bob
Denard aux Comores en 1995, aurait négocié, en accord avec
l’antenne DGSE à Bagdad, la libération de Christian Chesnot et
Georges Malbrunot enlevés par l’Armée islamique en Irak.
Deux SMP étatsuniennes : EHC (Earthwind Holding Corporation)
de Bruno Trinquier et Eagle Black Group dirigé
également par un Français, recrutent des « contractors »
hexagonaux, tout comme l’australienne Unity Resources Group,
basée à Dubaï, responsable de 38 tirs sur des civils irakiens…
tous justifiés, bien sûr. La justice australienne lui reproche
seulement d’avoir tué trois diplomates australiens qui roulaient
trop près d’un de ses convois. Enfin, Philippe Legorjus, ancien
commandant du GIGN, patron d’Atlantic Intelligence a
créé une filiale avec le Stirling Group britannique
pour accéder au marché de la « gestion des risques
internationaux », sans enfreindre la loi de 2003.
Sahwa
et
contractors :
même combat !
En Irak, la protection est facturée 6 000 $ par jour par
Anticip, plus si des déplacements sont effectués dans le
pays. Pour l’instant, aucun homme d’affaires n’a été victime
d’attentat ou d’attaque, et c’est tant mieux. Mais
qu’adviendra-t-il lorsque Al Qaïda en Mésopotamie
mettra ses menaces à exécution ? En 25 mars dernier, le
Front pour le Djihad, la Libération et le Salut national (JLNSF),
d’Izzat Ibrahim al-Douri, a averti les entreprises étrangères
qu’elles étaient des « cibles légitimes » pour la
résistance, les assimilant à des forces occupantes. Que penser
du risque insensé pris par la société Gallice en
s’associant au cheikh de la milice tribale sahwa des
Abou Rish, un des pires suppôts de la CIA, pour assurer la
protection du ministère irakien des Affaires étrangères ? La
signature du premier contrat étatique accordé à une entreprise
française de sécurité - 500 000$ - tient certainement plus
au désir du ministre kurde Hoshyar Zebari de faire une fleur à
son vieil ami Bernard Kouchner qu’aux capacités, reconnues, de
cette société. Que se passera-t-il le jour où des « gardes
du corps » français dégaineront leurs armes pour protéger
une délégation, ou pour se sortir d’un guet-apens? Il ne sera
alors plus question de mission défensive, mais de guerre ouverte
avec toutes les conséquences qui en découlent. Voilà vers quoi
conduit la politique mercantile, et à courte vue, de Nicolas
Sarkozy en Irak. La légalisation de SMP françaises, avec leurs
« bavures » inévitables, salirait encore plus l’image
qu’a actuellement la France à l’étranger.
Appendice :
Le
« nouvel eldorado »
irakien
Alors qu’une quarantaine de chefs d’entreprise français
s’apprêtait à quitter Paris pour Bagdad, où ils se déplaceraient
en convoi blindé, précédé par une automitrailleuse de
Gallice, le « Haut tribunal pénal » irakien
condamnait à mort de Tarek Aziz, Saadoun Shaker et trois anciens
dirigeants baasistes. Pendant que Boris Boillon,
ambassadeur-Rambo, présentait l’Irak comme un « nouvel
eldorado » et que Anne-Marie Idrac, ministre du Commerce
extérieur, visitait la Foire internationale de Bagdad, protégée
par les mercenaires de Triple Canopy, les forces de
sécurité irakiennes attaquaient la cathédrale syriaque
catholique Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours où étaient retranchés
des terroristes, provoquant le massacre d’une cinquantaine de
fidèles. Le lendemain, des bombes et des obus de mortiers
explosaient dans les quartiers chiites, faisant encore plus de
victimes. Le ministère français des Affaires étrangères a
condamné ces attentats, mais n’a rien dit en faveur de Tarek
Aziz ni de ses compagnons, tous « amis de la France ».
Faut-il rappeler, comme l’a fait Maître Vergès lors d’une
conférence de presse avec Mme Shaker, à Paris, le 12 octobre,
que la peine de mort, suspendue en 2003, au moment de leur
arrestation, par l’Autorité provisoire de la Coalition, ne peut
s’appliquer à aucun d’entre eux, même si elle a été
rétablie ensuite?
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 7 décembre 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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