Opinion
Le parfait
terroriste physicien
Le CERN
est situé à cheval entre la France et la
Suisse
Mercredi 7
septembre 2011
Il s’apprête à entamer sa troisième
année de prison. Ouvert le 8 octobre
2009, jour de son arrestation à Vienne
dans l’Isère, le dossier d’Adlène
Hicheur a peu évolué deux ans après. Un
dossier vide ?
“Noyé” répond Patrick Baudouin, son
nouvel avocat, familier des affaires
terroristes, qui étudie les 27 tomes de
l’instruction depuis juin. Mis en examen
après 92 heures de garde à vue pour
association de malfaiteurs en relation
avec une entreprise terroriste, Adlène
Hicheur travaillait au CERN,
l’Organisation européenne pour la
recherche nucléaire.
Franco-algérien, il a grandi en
France et étudié dans les plus grandes
universités européennes : Ecole Normale
Supérieure de Lyon en master,
Laboratoire Rutherfort Appleton pour son
post-doctorat. Il est accusé d’avoir
posté des messages sur des
“forums islamistes”
et échangé des messages privés avec un
cadre d’Al Qaida au Maghreb Islamique
(AQMI). La Direction Centrale du
Renseignement Intérieur (DCRI) affirme
qu’il s’agissait de Mustapha Debchi, un
ingénieur en électronique
arrêté en février 2011 par les
autorités algériennes dans une vaste
opération menée contre l’organisation
islamiste.
A ce jour, aucun élément concret n’a
été ajouté au dossier d’instruction par
le service de contre-espionnage. Aucune
adresse IP, rien qui permette de
vérifier l’identité d’un mystérieux “Shadow
Phoenix”, connu aussi sous le nom
“Eminence grise”, derrière lequel se
cacherait Mustapha Debchi, selon les
dires de l’accusation.
La commission rogatoire adressée à
l’Algérie au printemps 2010 n’a pas non
plus donné de résultats. Une situation
paradoxale, plus de six mois après
l’arrestation de l’interlocuteur supposé
d’Adlène Hicheur.
“La coopération avec l’Algérie n’est pas
très bonne en général, sauf quand des
intérêts communs sont partagés ce qui
est le cas ici selon l’accusation. Le
dossier est présenté comme explosif”
rappelle Me Baudouin.
Pièces à
décharge
Le jour de l’interpellation, le 8
octobre, Adlène Hicheur s’apprêtait à
partir en Algérie où il est né et a vécu
jusqu’à l’âge d’un an. Comme le confirme
son billet d’avion dont OWNI a pu
consulter une copie, il avait pris un
retour le 15 octobre. Une pièce saisie
par la police qui ne figure pas dans son
dossier selon son frère, Halim Hicheur.
Ce jour-là, les agents de police font
une autre découverte : 13 000 euros en
liquide glissés dans sa valise. Une
somme destinée à construire une maison
en Algérie avec un cousin, raconte Halim.
Le devis d’un maçon était rangé dans la
même pochette que le billet d’avion, une
pièce à décharge qui serait portée
disparue, assure-t-il. La provenance de
ces 13 000 euros est transparente, selon
ses défenseurs. Me Clément Bectarte,
également en charge de sa défense,
affirme qu’il s’agit d’économies faites
sur son salaire versé par le CERN.
Son interpellation est intervenue
après une surveillance électronique
prolongée. Le 9 novembre 2010, lors
d’une audience devant la Cour de
Cassation, les conditions qui ont
présidé à son arrestation ont été
détaillées. Dans son arrêt, la Cour
confirme le rejet des requêtes en
nullité de la garde à vue déposées
devant la chambre de l’instruction, une
position très courante dans les affaires
terroristes. Les magistrats écrivent :
La nécessité de
le placer en garde à vue a été
révélée par les investigations
antérieures conduites par les
enquêteurs spécialisés et notamment
les surveillances des réseaux
électroniques.
Une information qui fait écho à ce
qu’avançait
Le Figaro le 23 novembre 2009,
deux semaines après l’arrestation, dans
un article très bavard sur l’enquête en
cours. Les moyens de la lutte
anti-terroriste sur Internet sont
précisés, citations des membres des
services de renseignement à l’appui :
La traque est
conduite (…) à partir de mots-clés,
grâce à des logiciels spécialement
conçus. En infiltrant également les
forums de discussion, pour appâter
les éventuels candidats à la guerre
sainte.
Un cas
rarissime
En plus d’être l’un des rares à être
poursuivi pour activités terroristes sur
Internet, Adlène Hicheur est le seul à
avoir été arrêté dans cette affaire, le
seul à être mis en examen dans une
affaire d’association de malfaiteurs en
relation avec une entreprise terroriste.
Pour le moins incongru vues les charges
retenues contre lui, relève son avocate
Dominique Beyreuther qui le suit depuis
le début. “Un cas rarissime”
précise-t-elle. D’autant que le dossier
n’a pas évolué depuis sa garde à vue
alors qu’il est en détention provisoire
depuis presque deux ans.
“Adlène Hicheur a coopéré avec la
police et la justice pendant sa garde à
vue” raconte Me Beyreuther. Il a
reconnu avoir échangé des messages au
printemps 2009 pendant sa convalescence
suite à une hospitalisation. Quand son
interlocuteur lui demande ce qu’il pense
des attentats suicides, Adlène Hicheur
répond qu’il n’y est pas favorable et
parle d’attentats ciblés, contre Total
par exemple ou le 27e bataillon de
chasseur-alpins d’Annecy. Sans apporter
plus de précisions de date ou de moyens
mis en oeuvre. Pour Patrick Baudouin,
ces propos, certes graves, ne traduisent
aucun plan. Rien qui trahirait un
passage à l’acte imminent, aucun “cadre
pré-opérationnel” qui justifierait
une arrestation. L’intention n’y est pas
clairement exprimée. Me Baudouin conclut
:
Les services ont
agi de façon préventive.
Un propos en résonance avec ceux
tenus par Bernard Squarcini, directeur
de la DCRI, qui déclarait en septembre
2010 : “Notre dispositif
[anti-terroriste] nous permet de pouvoir
anticiper et de neutraliser
préventivement des projets terroristes.”
La lutte anti-terroriste française a
été épinglée à plusieurs reprises par
les organisations de défense des droits
humains. Dans un rapport paru en 2008,
l’ONG Human Rights Watch
affirme :
La formule
ouvertement extensive du délit
d’association de malfaiteurs a
conduit à des condamnations basées
sur des preuves ténues ou sur de
simples présomptions.
Deux ans après son arrestation,
Adlène Hicheur est toujours en détention
provisoire malgré les nombreux recours
de remise en liberté déposés par ses
avocats. Des refus motivés par des
raisons générales : empêcher les
reprises de contact, prévenir le
renouvellement d’infraction. Tous les
quatre mois au moins, il passe devant le
juge d’instruction pour un nouvel
interrogatoire. Le dernier, début
juillet, a duré 20 minutes.
Crédits Photo FlickR CC by-nc-sa
Su Morais / by-nc-sa
Pixelhunt // Wikimedia Commons CC
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Rama
Le dossier Adlène Hicheur
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