Jeudi 23 décembre 2010
L'association Survie rappelle que la France porte une grande
responsabilité dans la crise qui secoue la Côte d'Ivoire depuis
8 ans. Malgré ce que prétendent l'ONU et les puissances
occidentales, les conditions n'étaient pas réunies pour éviter
une large fraude, particulièrement au Nord du pays. La seule
issue semble désormais l'apaisement entre les deux camps et non
l'affirmation de la victoire de l'un sur l'autre. La France doit
procéder au retrait de son opération militaire au profit de
troupes internationales sous commandement onusien.
Pour la
première fois de leur histoire, les citoyens ivoiriens ont voté
dans une élection présidentielle véritablement pluraliste et
ouverte. Malgré des conditions extrêmement défavorables, la
participation fut massive. Mais depuis trois semaines, la Côte
d'Ivoire est séquestrée par « deux présidents ». Tandis que
l'un, Laurent Gbagbo, se crispe sur son pouvoir, la « communauté
internationale » est en passe d'imposer l'autre, Alassane
Ouattara, aux Ivoiriens.
Pour cerner
l'immense responsabilité de la diplomatie française dans
l'impasse que vit actuellement la Côte d'Ivoire, il est
nécessaire de poser quelques jalons historiques.
À l'automne
2002, l'Élysée refuse l'application des accords de défense à une
Côte d'Ivoire en proie à une rébellion armée approvisionnée par
un pays voisin. Au contraire, un cessez-le-feu est imposé,
entérinant la partition du pays.
En janvier
2003, lors des accords de Marcoussis, la diplomatie française
impose l'entrée des rebelles dans le gouvernement ivoirien. À
Abidjan, des manifestants refusent que les portefeuilles de la
Défense et de l'Intérieur soient confiés aux rebelles, comme le
prévoyait l'exécutif français.
En novembre
2004, un engrenage tourne au drame. Au cours d'une offensive
aérienne de l'armée ivoirienne sur les zones rebelles, neuf
soldats français de l'opération Licorne et un civil américain
trouvent la mort. Craignant un putsch orchestré par l'armée
française après qu'elle a détruit l'aviation militaire
ivoirienne, des manifestants envahissent certains quartiers
d'Abidjan. L'armée française tire sur des manifestants, faisant
plus de soixante morts.
Les accords de Pretoria d'avril 2005 calquent
la structure de la Commission Électorale Indépendante (CEI) sur
le plan de table des négociations de Marcoussis, aboutissant à
une surreprésentation des rebelles, assurant aux partis
d'opposition une large majorité[1].
Dans la foulée, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la
Démocratie et la Paix (RHDP) est créé à Paris, réconciliant deux
anciens ennemis[2],
Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, autour d'un accord
électoral destiné à assurer la victoire de l'un des deux sur
Laurent Gbagbo. L'Union Européenne impulse, à travers les
Nations Unies, un Programme d’Appui aux Processus Électoraux
dont la CEI est le principal bénéficiaire. Le descriptif de ce
programme[3]
laissait déjà augurer un passage en force :
« Pour les
prochaines échéances électorales, il est à prévoir que le
problème de confiance se posera avec une acuité encore plus
grande et exigera le recours à des pouvoirs décisionnels
exceptionnels pour contrecarrer l’incapacité d’atteindre des
consensus politiques en temps utile. »
Début 2007, depuis Ouagadougou, Michel de
Bonnecorse, chef de la cellule africaine de l'Élysée sous
Jacques Chirac, annonce que la fin de la rébellion n'est pas un
préalable aux élections[4].
Quelques semaines plus tard, Laurent Gbagbo, Guillaume Soro,
leader de la rébellion, et Blaise Compaoré, président du
Burkina, signent les accords de Ouagadougou : Guillaume Soro
devient premier ministre. Fin 2007, un accord complémentaire a
pour unique objet de confier à la société française Sagem
Sécurité le volet technique de l'élaboration des listes
électorales[5].
Ce 2 décembre 2010, le Conseil
Constitutionnel ivoirien, essentiellement favorable à Laurent
Gbagbo, constate l'expiration du délai imparti à la CEI pour
annoncer les résultats provisoires. En effet, la CEI a échoué à
trouver un consensus sur l'ampleur d'irrégularités dans le
scrutin. Le président de la CEI Youssouf Bakayoko se rend alors
au Golf Hôtel, où se trouvent déjà Henri Konan Bédié, Alassane
Ouattara, Guillaume Soro, le représentant du secrétaire général
de l'ONU et les ambassadeurs français et américain. Ces derniers
lui promettent protection jusqu'à l'aéroport, en échange de la
proclamation de résultats. Bakayoko annonce la victoire de
Alassane Ouattara devant les caméras occidentales. Le lendemain,
le Conseil Constitutionnel annonce l'invalidation du scrutin
dans sept départements de la zone contrôlée par les rebelles et
la victoire de Laurent Gbagbo.
Prétendre organiser une élection
satisfaisante sans mettre fin à la partition du pays[6]
était absurde. On s'étonne qu'aucune autorité internationale ne
l'ait exigé sérieusement. Malgré les énormes moyens mis en
œuvre, le scrutin n'a pas offert les garanties brandies par
l'ONU.
Croire que
l'élection présidentielle sortirait la Côte d'Ivoire de la crise
était un leurre. Aucun des candidats du second tour ne sera
capable à lui seul de guérir la société ivoirienne de ses
plaies. Ni Alassane Ouattara, l'économiste libéral qui a fait
carrière dans les grandes institutions financières
internationales, l'adepte des privatisations, des coupes dans
les budgets sociaux et autres plans d'ajustement structurel,
l'ami très apprécié de l'Élysée. Ni Laurent Gbagbo, le
socialiste devenu rapidement allié des grands groupes français,
le nationaliste souvent - et sans doute volontairement - ambigu.
Il est urgent que les initiatives
d'apaisement soient privilégiées[7].
Si la « communauté internationale » a une once de bon sens,
c'est dans cette voie qu'elle doit pousser les acteurs de cette
crise et non dans le refus de voir la réalité et dans l'illusion
qu'on peut imposer une solution de force à un pays divisé. Le
risque est de plonger la Côte d'Ivoire dans la violence.
Nous demandons que tout soit fait, à
commencer par le retrait de l’opération Licorne au profit d’un
renforcement de l’ONUCI, pour la réconciliation des Ivoiriens et
non pour assurer la victoire d'un camp sur l'autre, ce
qui serait lourd de menaces pour l'avenir de la Côte d'Ivoire.
[3]
Programmes d'Appui au Processus Électoral
CIV-46362 (2006-2007, 58 millions de dollars) et
CIV10-57717 (2008-2011, 75 millions de dollars) du
Programme des Nations Unies pour le Développement.