COLLECTIF DE MILITANTS DU
MOUVEMENT DE SOLIDARITE
AVEC LE PEUPLE PALESTINE
(Liège)
Deux Etats ou un Etat en Palestine ?
Contribution au débat au
sein du mouvement de solidarité
Liège, septembre 2008
Arguments de la solution à deux
Etats
Les arguments en faveur de cette option sont
très nombreux. Nous n’avons retenu que ceux qui nous ont semblé
les plus importants.
Stratégie
et tactique
Le premier
argument avancé pour défendre cette option consiste à dire que
le but stratégique reste
d’établir un seul Etat sur l’ensemble de la Palestine
historique. Mais, tactiquement, l’établissement d’un Etat sur
une partie limitée du territoire est une étape nécessaire.
Rappelons d’abord que le but actuel du
mouvement de résistance est de libérer la Palestine du sionisme.
Ce but implique de mener à bien en même temps trois tâches
intimement liées : le retour des réfugiés, la fin de
l’occupation, l’égalité entre tous les citoyens. Les mesures
tactiques ne peuvent donc porter que sur les moyens d’atteindre
ce but.
Or c’est à un changement de but que procède
l’option des deux états comme tactique. Cela apparaît clairement
si l’on tient compte du fait qu’il va falloir négocier avec les
dirigeants sionistes et signer devant des garants qui ne sont
autres que leurs alliés et qui, bien entendu, prendront soin de
s’assurer que l’accord n’est pas une manœuvre tactique. Et leur
moyen est simple : maintenir un Etat dans lequel les
Palestiniens sont des sous-citoyens, refuser le retour des
réfugiés dans leur patrie, étendre et annexer les grands blocs
de colonies et continuer de contrôler les frontières.
D’un point de vue militaire, il est vrai que
rien ne s’oppose à l’idée de reconquérir un territoire étape par
étape. Mais seulement si on est dans un rapport des forces qui
permette de passer à l’étape suivante, ce qui est loin d’être le
cas actuellement : les milliers de policiers palestiniens
(formés avec l’argent européen et américain et armés avec l’aval
de l’Etat sioniste) sont là pour tout sauf pour reconquérir du
territoire.
Rapport de
forces et réalisme
Le deuxième argument
est souvent appelé en renfort pour étayer l’idée de la manœuvre
tactique transitoire et se présente quelquefois sous la forme de
l’appel au « réalisme ». Il consiste à dire que
le rapport de forces ne permet pas
d’obtenir plus dans les circonstances actuelles.
Comme nous l’avons
dit plus haut pour la tactique, le rapport de forces ne peut
être invoqué pour changer de but, mais uniquement pour moduler
les moyens de lutte pour l’atteindre. Par ailleurs, si l’on
tient absolument à parler de rapport de forces, il est évident
qu’il est actuellement en faveur de l’Etat sioniste de façon
écrasante. Il ne permet donc rien du tout, et surtout pas un
Etat souverain sur une partie de la Palestine. Tout ce qu’il
permet ce sont des « bantoustans » coupés les uns des autres où
l’on parque les « Arabes » sous l’œil vigilant du gouverneur
militaire de l’Etat sioniste. Tout ce qu’il permet ce sont des
zones administratives à l’intérieur desquelles certains
Palestiniens se chargent de la répression d’autres Palestiniens
[1].
Donc, contrairement à ce que veulent faire
croire les « réalistes », à moins de faire passer pour un Etat
ce qui n’en est pas un, la solution à deux Etats n’est pas
réaliste non plus.
Réalité et fait accompli
Le troisième argument
rejoint celui du « rapport des forces défavorable » mais sans le
masque trompeur de la « manœuvre tactique ». Il consiste à dire
que « maintenant, Israël est une
réalité ».
Cet argument est très souvent présenté de
telle manière que les tenants de l’option d’un seul Etat
apparaissent comme des rêveurs qui refusent de reconnaître la
réalité. Or le problème n’est pas de reconnaître ou pas la
réalité de « l’Etat d’Israël » mais d’accepter ou pas cette
réalité comme un fait accompli, comme une situation
irréversible. En effet, dans la logique de cet argument, seule
la « réalité d’Israël » est reconnue et pas la « réalité » des
réfugiés, de l’occupation et des discriminations raciales. Or on
sait que le maintien de cette deuxième réalité est la condition
impérative de la perpétuation de la première. Demander aux
Palestiniens de reconnaître la « réalité » cache donc tout
simplement le fait de leur demander de renoncer à la plus grande
partie de leurs droits.
Une
solution d’urgence
Le quatrième argument
consiste à dire que la solution
d’un seul Etat est trop lointaine, qu’on a besoin d’une solution
rapide pour sauver de façon urgente les Palestiniens de la
misère, de l’étouffement, etc…
Outre son paternalisme, cette idée suppose
que les Palestiniens sont disposés à renoncer à leurs droits sur
le long terme en échange de quelques allègements passagers des
souffrances les plus immédiates d’une partie d’entre eux. Sous
le masque de la compassion, on leur demande en fait de se
soumettre à l’exigence sioniste d’établir des discriminations à
leur encontre, de les parquer dans des bantoustans et de les
empêcher de rentrer chez eux.
Il est vrai que les
Palestiniens souffrent et on doit s’en préoccuper. Mais il est
tout aussi vrai qu’ils luttent, qu’ils résistent de façon
extraordinaire et que c’est cela précisément qui a créé une
situation favorable à leur cause. Qui parlerait aujourd’hui des
Palestiniens s’il n’y avait pas eu, pour ne citer que des
événements récents, les deux
intifadas ?
Dernière remarque : il est vraiment étonnant
que la « souffrance immédiate » des réfugiés n’apparaissent pas
dans le radar des tenants de la solution à deux Etats, alors
même que cette solution suppose de les sacrifier dans l’immédiat
sans états d’âme.
L’opinion
publique juive
Il est vraiment
lamentable de retrouver le cinquième argument dans la bouche de
« dirigeants » du peuple palestinien et de militants du
mouvement de solidarité. Il est en effet plus habituel
dans la bouche de ceux qu’on appelle les « sionistes soft »[2]
(comme Uri Avnery, du Bloc de la Paix). Il consiste à dire que
l’opinion publique juive n’est
pas mûre pour la solution d’un seul Etat, qu’elle veut le
maintien « d’Israël » comme entité à part.
Tout d’abord, il n’y a pas à demander au
voleur s’il est d’accord pour rendre le butin qu’il s’est
procuré à la suite d’un casse à main armée.
Ensuite, s’il l’on tient à prendre en
considération l’opinion publique juive, il n’y a aucune raison
de le faire de façon sélective. Les sondages montrent en effet
que cette opinion se prononce très majoritairement pour le
transfert des Palestiniens hors de Palestine. Est-ce qu’il faut
lui obéir aussi ?
Il est clair, enfin,
qu’une partie des Juifs - parmi ceux qui ne l’ont pas encore
fait - va finir par se détacher du projet du sionisme politique.
Mais elle ne le fera que lorsque le peuple palestinien aura
déterminé de façon significative le cours principal de la lutte
contre ce projet. C’est alors seulement que l’attachement de
cette partie des Juifs à la terre de Palestine entrera en
conflit avec ce que le projet sioniste implique d’oppression du
peuple palestinien et qu’il lui faudra choisir. Et tous les
premiers indices vont dans ce sens : sans les deux
intifadas,
pas de refuzniks, pas de « nouveaux historiens israéliens », pas
d’associations communes de lutte contre les destructions de
maisons, contre les barrages de contrôle militaire, contre le
Mur, etc… Mieux : même les concessions dérisoires faites par
l’Etat sioniste à Oslo n’auraient pas été possibles.
Les
pressions euro-américaines
Le sixième argument
consiste à dire que ceux qui
pourraient « exercer des pressions sur Israël » [les Etats-Unis
et l’Europe principalement] ne sont prêts à le faire que dans le
cadre de l’option des deux Etats.
Un :
c’est faux, ils ne sont prêts que pour la solution des
bantoustans, avec annexion des grands blocs de colonies
[3], maintien du
contrôle militaire sioniste sur cet « Etat » et prise en charge
d’une partie de la répression des Palestiniens par les
Palestiniens eux-mêmes. Et c’est tout ! Faire croire le
contraire est soit de l’aveuglement, soit de la tromperie à des
fins inavouables.
Deux :
C’est une erreur très grave de faire dépendre le sort des
Palestiniens du bon vouloir précisément des alliés de l’Etat
sioniste, qu’ils soient européens ou américains. L’expérience
historique montre en effet que, dans sa lutte contre un
oppresseur – n’importe lequel - , si l’opprimé choisit comme
alliés ceux de son oppresseur, il voue cette lutte à un échec
certain.
Trois :
les possibles « pressions » des Etats-Unis sont en fait
continuellement neutralisées par le poids du lobby sioniste à la
veille des élections pour la présidence ou pour le Congrès aux
Etats-Unis et, actuellement, par la conjoncture politique au
Moyen-Orient. Aucun gouvernement américain, dans le cadre du
maintien de l’hégémonie régionale de son pays, ne peut se
permettre le luxe de déstabiliser par des « pressions » un allié
sûr (L’Etat sioniste), alors qu’il a le Hezbollah au Liban, le
Hamas et le Jihad en Palestine, la résistance en Irak, des
velléités de puissance régionale en Iran, alors que des régimes
alliés (Maroc, Tunisie, Egypte) sont menacés par une situation
sociale explosive, alors que d’autres alliés traditionnels
(Jordanie, Arabie Saoudite) font face à la montée d’une forte
contestation intérieure, alors que la Syrie continue de jouer
son propre jeu et que cela pose problème pour ce qui se passe
tant en Irak qu’au Liban. Résultat : les possibles « pressions
américaines », pour « donner un Etat » digne de ce nom aux
Palestiniens, c’est du vent !
La volonté
du peuple palestinien
Le septième argument
est souvent avancé quand, au sein du mouvement de solidarité, la
défense de l’option des deux états est à bout d’arguments. Il
consiste à dire que le Peuple
palestinien et les dirigeants du peuple palestinien veulent deux
Etats et nous ne pouvons que soutenir leur choix.
Notons d’abord qu’il
n’est pas prouvé que le peuple palestinien « veut » cela,
majoritairement. Sinon tant la deuxième
intifada en
2000 que le désaveu électoral du Fatah en 2006 deviendraient
incompréhensibles.
Ensuite, on ne peut pas oublier que c’est à
cette catégorie de « dirigeants » palestiniens qu’appartient cet
ancien « premier ministre », pris en train de vendre du ciment
pour la construction du « Mur de l’apartheid ». Il serait donc
pour le moins imprudent de faire confiance et d’accorder du
crédit à la « volonté » de pareils dirigeants.
Enfin, et surtout, la volonté tout à fait
certaine des réfugiés est entièrement ignorée. Ils sont pourtant
majoritaires démographiquement (voir annexes). Est-ce que leur
volonté ne fait pas partie de celle du peuple palestinien ? Or,
on sait avec certitude que les dirigeants sionistes
n’accepteront jamais le retour des réfugiés, parce que ce serait
le début de la fin du sionisme. Nous allons y revenir plus loin,
mais retenons déjà ceci : même pour les dirigeants sionistes les
plus souples, il n’y a pas de solution à deux Etats sans la
fermeture définitive du chemin du retour aux réfugiés.
Suite
logique : si les « dirigeants palestiniens » dont on nous parle
« veulent » une solution à deux Etats, ils sont donc obligés de
« vouloir » aussi automatiquement le non-retour des réfugiés.
Unité et
force du mouvement de solidarité
Le huitième argument,
toujours propre au mouvement de solidarité, vient souvent en
complément du précédent. Il consiste à dire que
l’option d’un seul état affaiblit le
mouvement de solidarité internationale qui est très largement
derrière la solution à deux états.
Remarquons tout
d’abord qu’il est permis de douter de l’appréciation « très
largement », à moins de considérer que le mouvement de
solidarité internationale se réduit aux militants solidaires
dans les « pays occidentaux » et, parmi ceux-ci, à ceux qui ont
une visibilité médiatique
[4].
Ensuite, c’est de l’intimidation de dire aux
tenants de la solution à un seul Etat : « ou vous changez votre
point de vue et adoptez le nôtre, ou vous affaiblissez le
mouvement de solidarité ! ». L’unité du mouvement de solidarité
est certes un facteur de force, mais cette unité ne peut se
faire aux dépens de l’une des options et surtout sans débat
préalable – c’est le moins que l’on puisse attendre de
démocrates.
Enfin, et c’est le
plus important, c’est en fait la solution à deux Etats qui
affaiblit le mouvement de solidarité internationale :
premièrement, parce qu’elle entretient
l’illusion démobilisatrice
que cette solution est réalisable et qu’elle tient à peu de
choses et, deuxièmement, parce qu’elle rend le mouvement de
solidarité attentiste
par rapport à ce que veulent bien concéder tant l’Etat sioniste
que ses alliés.
Le Droit
international
Le neuvième argument
se rapporte à la question du droit international. Il consiste à
dire que Les Nations-Unies, à
travers la Résolution 242 notamment, n’ont jamais reconnu les
annexions de 1967 et que c’est une bonne base pour la solution à
deux Etats.
Premier point :
La Résolution 242 de l’ONU appelle au « retrait de territoires »
(et non « des » territoires comme le suggère la traduction
française ; or, à l’ONU, seul le texte anglais fait foi) et elle
ne fait aucune référence à un quelconque Etat palestinien, car à
l’époque il s’agissait seulement du retour de territoires à
l’Egypte, à la Jordanie et à la Syrie. D’autres résolutions de
l’ONU ont ultérieurement réaffirmé le droit à
l’auto-détermination, à l’indépendance nationale et à la
souveraineté du peuple palestinien comme tel (comme la
Résolution 3236 de l’Assemblée Générale). Tandis que la
Résolution 1397 du Conseil de sécurité (mars 2002) mentionne
pour la première fois un « Etat palestinien ». Mais toutes
considèrent, explicitement ou pas, tant la partition de la
Palestine comme pays que les frontières d’avant la guerre de
1967 comme des faits accomplis.
En réalité, seule la résolution 194 sur le
retour des réfugiés est vraiment claire. Or c’est surtout
celle-là dont les dirigeants sionistes ne veulent pas entendre
parler, précisément parce que son application rendrait le
maintien d’un « état juif » complètement indéfendable, puisque
la minorité juive y dominerait les autres groupes en violation
des principes élémentaires de la démocratie. En règle générale,
les dirigeants sionistes ont toujours essayé de placer les
« négociations de paix » en dehors de tout cadre déterminé par
le Droit international. Et cela, non pas à cause de la
Résolution sur le retrait des territoires et d’autres
Résolutions qui vont dans le même sens, mais fondamentalement à
cause de la Résolution sur les réfugiés. Les dirigeants
sionistes, eux, ont depuis toujours compris que c’est en effet
le cœur du problème.
Deuxième point :
le fait que les tenants de la solution à deux Etats s’accrochent
à des Résolutions ambiguës de l’ONU et transigent sur une
Résolution claire n’est pas le fruit du hasard : ils veulent
sacrifier les réfugiés ; nous l’avons montré en discutant le
septième argument (voir plus haut).
Troisième point :
Les frontières d’avant la guerre de 1967 constituent ce qu’on
appelle la « ligne verte ». Cette ligne, que les tenants de la
solution à deux Etats considèrent comme une « bonne base » en
invoquant le Droit international, est en fait illégale au regard
de ce Droit puisqu’elle n’est pas conforme à la Résolution 181
sur le partage de 1947.
[1]
On l’a encore vu récemment lors de la répression
violente des manifestations à Ramallah contre le sommet
d’Annapolis (2007)
[2]
Ce sont tous ceux qui sont favorables à la fin de
l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza, mais sont
opposés au retour des réfugiés sur leurs lieux
d’origine. Un exemple connu est celui du pacifiste
israélien Uri Avnery du
Gush Shalom « Bloc de la
Paix ». Ceci dit, tous les sionistes soft ne sont pas
nécessairement israéliens. Les positions de certains
grands partis politiques de Belgique, par exemple, sont
très proches du sionisme soft.
[3]
Tant Clinton que Bush ont toujours affirmé clairement
qu’ « Israël » doit garder les grands blocs de colonies
en Cisjordanie. Les premières déclarations des candidats
aux prochaines présidentielles américaines indiquent que
celui qui sera élu restera sur les mêmes positions.
[4]
Cette visibilité souvent favorisée par leurs
appartenances aux grands partis traditionnels, dont
certains siègent tranquillement aux côtés d’un parti
sioniste (travailliste) au sein de l’Internationale
socialiste !
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