Pourquoi la Turquie a-t-elle abattu le
Soukhoï russe ?
Thierry Meyssan
Le leader
du YPG syrien, Salih Muslim, qui vit
désormais en Turquie, a trahi les idéaux
d’Abdullah Öcallan et s’est allié à la
France, au Royaume-uni et à Israël. Il
entend participer au projet de
colonisation du Nord de la Syrie et à
l’expulsion des 10 millions de Kurdes de
Turquie vers ce nouveau pays.
Lundi 30 novembre 2015
La Turquie a été mal inspirée
d’abattre un avion russe qui était entré
durant 17 secondes dans son espace
aérien. L’opération qui avait été conçue
pour faire comprendre à la Russie
qu’elle ne devait pas interférer dans la
Troisième Guerre de Syrie —destinée à
créer un Etat colonial au Nord du pays
et à y transférer les Kurdes de Turquie—
a eu l’effet contraire. Moscou renforce
ses moyens anti-aériens en Syrie et
isole la Turquie. Ankara perd le
bénéfice de l’accord oral secret conclu
jadis avec Hafez el-Assad. Londres,
Paris et Tel-Aviv ne savent plus comment
poursuivre leur plan.
À la fin de la Guerre
civile turque, la Turquie menaça la
Syrie de l’envahir avec l’aide de l’Otan
si elle persistait à donner asile au
leader du PKK, Abdullah Öcallan. Le
président Hafez el-Assad demanda alors
au chef du PKK de trouver un autre asile
et fut contraint de conclure un accord
oral avec la Turquie. Il fut convenu que
l’Armée turque pourrait pénétrer en
territoire syrien, dans une bande de
territoire de 8 kilomètres de
profondeur, de manière à s’assurer que
le PKK ne puisse pas tirer d’obus de
mortier depuis le territoire syrien.
Depuis le début de l’actuelle
agression contre la Syrie, l’Armée
turque a usé et abusé de cet accord, non
plus pour prévenir des attaques du PKK,
mais pour mettre en place des camps de
formation pour les jihadistes.
En octobre 2015, alors que débutait
la campagne militaire russe et que Salih
Muslim commençait l’opération de
kurdisation forcée du Nord de la Syrie,
le célèbre lanceur d’alerte turc Fuat
Avni annonça sur son compte Twitter que
la Turquie était en train de préparer la
destruction d’un avion russe. Celle-ci
eu lieu le 24 novembre.
Dans la perspective de la Troisième
Guerre contre la Syrie [1],
il s’agissait d’adresser un message à la
Russie de sorte qu’elle se contente de
défendre Damas et Lattaquié et laisse le
reste du pays aux mains de la Turquie et
de ses alliés.
La salle
de commandement du Centre d’opérations
aériennes combinées (CAOC) de l’Otan à
Torrejón (Espagne).
Techniquement, la défense aérienne de
la Turquie, comme celle de tous les
États membres de l’Otan est coordonnée
par le Centre d’opérations aériennes
combinées (CAOC) de Torrejón (Espagne).
Le chef d’état-major de l’armée de l’Air
turque, le général Abidin Ünal, aurait
donc dû informer préalablement de sa
décision le commandant du CAOC, le
général Rubén García Servert. On ignore
si cela a été fait [2].
Quoi qu’il en soit, le président Recep
Tayyip Erdoğan a confirmé avoir lui-même
validé l’ordre de destruction.
L’état-major russe avait fourni 12
heures au préalable les plans de vol de
ses avions à l’Otan, de sorte que
l’Alliance et la Turquie ne pouvaient
pas ignorer que l’avion était russe,
contrairement aux allégations turques.
En outre, un AWACS de l’Otan a décollé
auparavant de la base grecque d’Aktion
(près de Preveza) pour surveiller ce qui
allait se passer [3].
L’armée russe bombardait la Brigade
du Sultan Abdülhamid —du nom du dernier
sultan ottoman, célèbre massacreur des
chrétiens d’Orient—. Depuis le début de
la guerre contre la Syrie, les services
secrets turcs n’ont cessé d’alimenter en
armes les milices turkmènes du Nord de
la Syrie et de les instrumenter. La
presse turque a évoqué le transfert d’au
moins 2 000 camions d’armes et de
munitions —ce que le président Erdoğan a
admis [4]—
dont l’essentiel a été immédiatement
distribué par les milices turkmènes à
Al-Qaïda. Ces milices ont notamment
démonté, en 2011, les 80 000 usines
d’Alep, la capitale économique syrienne,
et envoyé les machines outils en
Turquie [5].
Ces bombardements n’avaient donc pas
pour but, contrairement aux allégations
turques, de bombarder des Turkmènes,
mais bien de détruire un groupe
terroriste coupable de pillage organisé
au sens des conventions
internationales [6].
Les bombardements russes avaient
provoqué la fuite de 1 500 civils et les
vives protestations de la Turquie [7]
qui adressa une lettre au Conseil de
sécurité [8].
Le jihadiste turc
—et non pas syrien— et membre des Loups
Gris, Alparslan Çelik, commande les
milices turkmènes en Syrie. Il
revendique ici l’exécution du pilote du
Soukhoï 24.
Le principal leader des milices
turkmènes de Syrie est Alparslan Çelik,
un membre des Loups gris, le parti
néo-fasciste turc historiquement lié aux
services secrets de l’Otan [9].
Il a revendiqué avoir ordonné d’abattre
les pilotes russes au cours de leur
descente en parachute [10].
L’avion russe qui a été détruit n’est
entré que 17 secondes dans l’espace
aérien turc et a été abattu alors qu’il
se trouvait déjà dans l’espace aérien
syrien. Cependant, la Turquie
considérant avoir annexé la zone de
8 kilomètres de profondeur qu’elle avait
le droit de pénétrer en vertu de
l’accord passé avec l’ancien président
Hafez el-Assad, elle peut avoir imaginé
que cette intrusion était plus longue.
Quoi qu’il en soit, pour abattre le
Sukhoï 24, l’avion turc est entré 40
secondes dans l’espace aérien syrien [11].
La Russie, de son côté, n’avait pas
pris de mesure de protection de ses
bombardiers, estimant que la Turquie
participe officiellement à la lutte
contre les organisations terroristes.
D’autant que, jamais, on ne considère
une intrusion de quelques secondes comme
une « menace pour la sécurité
nationale », que la Turquie était
informée, et qu’elle viole elle-même
quotidiennement l’espace aérien d’autres
États, dont Chypre.
Immédiatement sollicitée par la
Turquie, l’Otan a réunit le Conseil de
l’Atlantique-Nord qui n’a pas été en
mesure d’adopter de résolution, mais
s’est contenté de faire lire une brève
déclaration de son secrétaire général
appelant... à la désescalade [12].
Diverses sources ont alors évoqué de
profondes divergences au sein du
Conseil [13].
La presse officielle saoudienne a
publié un enregistrement audio d’un
appel des contrôleurs aériens militaires
turcs à l’avion russe le mettant en
garde contre une entrée dans l’espace
aérien turc [14].
De nombreux politiciens de l’AKP ont
commenté cet enregistrement et dénoncé
le risque pris par l’Armée russe.
Cependant, cette dernière a démenti
l’enregistrement et prouvé qu’il
s’agissait d’un faux. Le gouvernement
turc a alors nié toute implication dans
la diffusion de cet enregistrement.
Le président Poutine a qualifié la
destruction du Soukhoï 24 de « coup de
poignard dans le dos ». Il a
publiquement mis en cause le rôle
d’Ankara dans le financement de Daesh,
notamment en raison du libre convoyage à
travers la Turquie du pétrole volé. Le
ministère russe des Affaires étrangères
a demandé aux 4,5 millions de touristes
russes qui prévoyaient de se rendre en
Turquie d’annuler leur voyage et a
rétabli les visas d’entrée pour les
ressortissants turcs. Par décret, le
Kremlin a interdit tout nouveau contrat
entre des personnes ou organes russes et
des personnes ou entités turques,
incluant l’emploi de personnel,
l’import-export de marchandises ou
encore le tourisme [15].
Jusqu’à
présent, la Russie n’avait vendu de
S-400 Triumph qu’à la Chine et à
l’Algérie. Ces missiles anti-aériens
sont (avec les S-500) les plus efficaces
au monde.
Afin de protéger ses avions, la
Russie a déployé sur zone une
trentaine de chasseurs
supplémentaires pour escorter ses
bombardiers. Surtout, elle a
installé des missiles sol-air S-400
sur son aéroport militaire de
Hmaymime (à proximité de Lattaquié).
D’une portée de 600 kilomètres, ces
systèmes peuvent accrocher jusqu’à
160 cibles à la fois et les
détruire. La Coalition
états-unienne, dont la France et la
Turquie, a immédiatement interrompu
tous ses vols au-dessus de la Syrie.
De ces éléments, nous pouvons
conclure que l’Otan était informée
de la préparation de l’attaque
turque et qu’elle l’a laissé faire.
Tout laisse à penser que Washington,
qui pourrait soutenir le projet d’un
Kurdistan en Turquie, mais est
opposé à l’invention d’un
pseudo-Kurdistan en Syrie, s’apprête
avec la Russie à contrer le projet
franco-israélo-britannique comme
jadis les deux Grands s’étaient
opposés à la colonisation du Canal
de Suez (1956).
À retenir :
La
destruction du Soukhoï 24 par la
Turquie n’est pas un accident,
mais une opération planifiée de
longue date pour repousser la
Russie hors de la zone destinée
à être occupée par la France,
Israël et le Royaume-uni.
L’Otan, qui a suivi en détail à
la fois l’opération russe contre
les milices turkmènes et
l’attaque turque, a choisi de ne
pas intervenir.
Loin
de céder à la pression, la
Russie a trouvé dans cet
accrochage à la fois un motif et
une occasion pour étendre sa
présence militaire en Syrie.
Elle a notamment déployé des
missiles anti-aériens S-400.
Les
pratiques de la Turquie, que la
presse internationale a ignorées
durant quatre ans, sont
désormais publiquement évoquées
(pillage des usines syriennes,
installation de camps de
formation de jihadistes au Nord
de la Syrie, encadrement des
jihadistes, soutien à Al-Qaïda,
contrebande de pétrole pour
financer Daesh).
L’opération
franco-israélo-britannique est
interrompue. Les avions de la
Coalition ne s’aventurent plus
en Syrie.
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