Focus
Netanyahu sonne la fin
de la « solution à deux États »
Thierry Meyssan
Benjamin
Netanyahu est le seul chef de
gouvernement au monde à s’être fait
photographier en train de féliciter des
terroristes d’al-Qaïda. Ce faisant, il a
entraîné son pays dans une voie sans
issue.
Lundi 23 mars 2015
Les accords d’Oslo, qu’Yitzhak Rabin et
Yasser Arafat avaient imposé à leurs
peuples, sont morts durant la campagne
électorale israélienne. Benjamin
Netanyahu a emmené les colons juifs dans
une impasse qui sera nécessairement
fatale au régime colonial de Tel-Aviv.
De même que la Rhodésie ne vécut que 15
ans, les jours de l’État hébreu sont
désormais comptés.
urant sa campagne
électorale, Benjamin Netanyahu a affirmé
avec franchise que, lui vivant, jamais
les Palestiniens n’auraient d’État à
eux. Ce faisant, il a mis fin à un
« processus de paix » qui traînait en
longueur depuis les accords d’Oslo, il y
a plus de 21 ans. Ainsi s’achève le
mirage de la « solution à deux États ».
M. Netanyahu s’est présenté comme un
fier-à-bras, capable d’assurer la
sécurité de la colonie juive en écrasant
la population autochtone.
Il
a apporté son soutien à al-Qaïda en
Syrie.
Il
a attaqué le Hezbollah à la frontière du
Golan, tuant notamment un général des
Gardiens de la Révolution et Jihad
Moghniyé.
Il
est allé défier le président Obama en
dénonçant au Congrès les accords que son
administration négocie avec l’Iran.
Les électeurs ont choisi sa voie,
celle de la force.
Pourtant, à y regarder de plus près,
tout cela n’est pas glorieux et n’a pas
d’avenir.
M. Netanyahu a remplacé la force
d’interposition des Nations unies par la
branche locale d’al-Qaïda, le Front al-Nosra.
Il lui a offert un soutien logistique
transfrontalier et s’est fait
photographier avec des chefs terroristes
dans un hôpital militaire israélien.
Cependant, la guerre contre la Syrie est
une défaite pour l’Occident et les pays
du Golfe. Selon les Nations unies, la
République arabe syrienne ne parvient
qu’à sécuriser 60 % de son territoire,
mais ce chiffre est trompeur puisque le
reste du pays est massivement un désert,
par définition incontrôlable. Or,
toujours selon les Nations unies, les
« révolutionnaires » et les populations
qui les soutiennent, qu’il s’agisse de
jihadistes ou de « modérés »
(c’est-à-dire d’ouvertement
pro-Israéliens), ne sont que 212 000 sur
les 24 millions de Syriens. C’est-à-dire
moins d’1 % de la population.
L’attaque contre le Hezbollah a
certes tué quelques personnalités, mais
il a été immédiatement vengé. Alors que
M. Netanyahu affirmait que la Résistance
libanaise était embourbée en Syrie et ne
pourrait pas répliquer, le Hezbollah
avec une froide précision mathématique a
tué quelques jours plus tard, à la même
heure, le même nombre de soldats
israéliens, dans la zone occupée des
Fermes de Chebaa. En choisissant les
Fermes de Chabaa, la zone la mieux
sécurisée par Tsahal, le Hezbollah
lançait un message de puissance
absolument dissuasif. L’État hébreu a
compris qu’il n’était plus le maître du
jeu et a encaissé ce rappel à l’ordre
sans broncher.
Enfin, le défi lancé au président
Obama risque de coûter cher à Israël.
Les États-Unis négocient avec l’Iran une
paix régionale qui leur permette de
retirer l’essentiel de leurs troupes.
L’idée de Washington, c’est de parier
sur le président Rohani pour faire d’un
État révolutionnaire une simple
puissance régionale. Les États-Unis
reconnaîtraient la puissance iranienne
en Irak, en Syrie et au Liban, mais
aussi à Bahrein et au Yémen, en échange
de quoi Téhéran cesserait d’exporter sa
Révolution en Afrique et en Amérique
latine. L’abandon du projet de l’imam
Khomeiny serait garanti par une
renonciation à son développement
militaire, particulièrement mais pas
uniquement, en matière nucléaire (encore
une fois, il ne s’agit pas de la bombe
atomique, mais des moteurs à propulsion
nucléaire). L’exaspération du président
Obama est telle que la reconnaissance de
l’influence iranienne pourrait aller
jusqu’à la Palestine.
En 1965,
Ian Smith pensa sauver la colonie
britannique de Rhodésie en refusant le
processus de paix. En réalité, il
précipita la chute du projet colonial
et, quinze ans plus tard, la Rhodésie
devenait le Zimbabwe.
Benjamin Netanyahu endosse les habits
de Ian Smith qui, en 1965, refusant de
reconnaître les droits civiques des
noirs de Rhodésie, rompit avec Londres
et proclama son indépendance. Mais Ian
Smith ne parvint pas à gouverner son
État colonial qui fut dévoré par la
résistance de l’Union nationale
africaine de Robert Mugabe. Quinze ans
plus tard, M. Smith devait renoncer
tandis que la Rhodésie devenait le
Zimbabwe et que la majorité noire
arrivait au pouvoir.
Les gesticulations de M. Netanyahu,
comme jadis celles de Ian Smith, visent
à masquer l’impasse dans laquelle il a
plongé les colons. En gagnant du temps,
durant les six dernières années, au lieu
d’appliquer les accords d’Oslo, il n’a
fait qu’accroître la frustration de la
population indigène. Et en annonçant
qu’il a fait patienter l’Autorité
palestinienne pour rien, il provoque un
cataclysme.
D’ores et déjà, Ramallah a annoncé
qu’il cesserait toute coopération
sécuritaire avec Tel-Aviv si
M. Netanyahu était à nouveau nommé
Premier ministre et appliquait son
nouveau programme. Si une telle rupture
a lieu, la population de Cisjordanie, et
bien entendu de Gaza, devrait se heurter
à nouveau à Tsahal. Ce serait la
Troisième Intifada.
Tsahal craint tellement cette
situation que ses principaux officiers
supérieurs à la retraite ont constitué
une association, Commanders for Israel’s
Security, qui n’a cessé de mettre en
garde contre la politique du Premier
ministre. Ce dernier s’est avéré
incapable de constituer une autre
association pour le défendre. En
réalité, c’est toute l’armée qui
s’oppose à sa politique. Les militaires
ont bien compris qu’Israël pourrait
encore étendre son hégémonie, comme au
Sud-Soudan et au Kurdistan irakien, mais
qu’il ne pourrait plus étendre son
territoire. Le rêve d’un État colonial
du Nil à l’Euphrate est irréalisable et
appartient à un siècle révolu.
En refusant la « solution à deux
États », Benjamin Netanyahu croit ouvrir
la voie à une solution à la rhodésienne.
Or, cet exemple a montré qu’il n’était
pas viable. Le Premier ministre peut
célébrer sa victoire, elle sera de
courte durée.
En réalité, son aveuglement ouvre la
voie à deux autres options : soit une
solution à l’algérienne, c’est-à-dire
l’expulsion de millions de colons juifs
dont beaucoup n’ont pas d’autre patrie
pour les accueillir, soit une solution à
la sud-africaine, c’est-à-dire
l’intégration de la majorité
palestinienne dans l’État d’Israël selon
le principe « un homme, une voix » ; la
seule option humainement acceptable.
Thierry
Meyssan,
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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