Le sabotage du
cessez-le-feu irano-états-unien
Comment Israël veut relancer
le guerre au Levant
Thierry Meyssan
Le plan
Wright, publié en septembre 2013,
modifie les projets de remodelage du
Moyen-Orient élargi. Concernant la Syrie
et l’Irak, il prévoit la création d’un
Sunnistan et d’un Kurdistan. Le premier
État a été créé en 2014 par l’Émirat
islamique (Daesh), le second reste à
réaliser. Cependant, les Kurdes sont
minoritaires au Nord de la Syrie. Par
ailleurs, le plan Wright traite aussi de
la Libye, du Yémen et de l’Arabie
saoudite. Il semble en cours de
réalisation dans les deux premiers
États, toujours grâce à l’Émirat
islamique.
Lundi 11 mai 2015
Loin de s’avouer perdant,
Benjamin Netanyahu envisage de saboter
l’accord que Washington et Téhéran
doivent signer le 30 juin prochain. Pour
cela, il pourrait relancer la guerre en
Syrie. Son idée est de poursuivre
l’œuvre déjà accomplie par l’Émirat
islamique en Irak et en Syrie, en Libye
et au Yémen, en appliquant le plan
Wright et en créant un pseudo-Kurdistan
indépendant à cheval sur l’Irak et la
Syrie.
De manière à saboter
l’accord qui devrait être signé par
Washington et Téhéran le 30 juin, le
Premier ministre israélien Benjamin
Netanyahu a préparé une relance de la
guerre contre la Syrie.
Après la tentative des États-Unis, de
la France et du Royaume-Uni de placer
les Frères musulmans au pouvoir (de
février 2011 à la première conférence de
Genève en juin 2012), la guerre de
mercenaires (de la Conférence de Paris
des Amis de la Syrie en juillet 2012 à
la seconde Conférence de Genève en
janvier 2014), et la tentative
d’installation du chaos par l’Émirat
islamique (de juin 2014 à aujourd’hui),
Israël se propose de lancer une
quatrième guerre.
Il s’agirait de poursuivre
l’application du plan élaboré par Robin
Wright pour le Pentagone —publié en
septembre 2013 par le New York Times—
en créant un Kurdistan indépendant à
cheval sur l’Irak et la Syrie [1].
Le général
David Petraeus (ancien commandant du
CentCom et directeur de la CIA) a
participé en mars 2015 à un colloque à
Erbil. Il a déclaré que les crimes de
l’Émirat islamique ne menaçaient ni les
États-Unis, ni Israël, et a appelé à
lutter par tous les moyens contre
l’influence iranienne et le projet
d’accord Washington-Téhéran.
Qui sont les
Kurdes ?
Le peuple kurde est présent en
Turquie, en Iran, en Irak et en Syrie,
mais ne dispose plus d’État depuis les
échecs de la République d’Ararat
(1927-30) et de la République de Mahabad
(1946-47). Les Kurdes se répartissent
d’abord en Turquie (13 à 20 millions),
puis en Iran (5 à 6 millions), en Irak
(4 à 5 millions) et enfin en Syrie (3
millions).
Après
que certains d’entre eux ont participé
au génocide des chrétiens et des yézidis,
les Kurdes de Turquie ont été persécutés
à leur tour durant un siècle au nom du
panturkisme. Durant la période
1984-2000, la répression de
l’insurrection du PKK a fait au moins
40 000 morts.
Les
Kurdes d’Iran disposent d’une certaine
autonomie, mais sont économiquement
délaissés par Téhéran.
Les
Kurdes d’Irak sont liés à l’Otan depuis
le début de la Guerre froide, d’abord en
servant Saddam Hussein et en luttant
contre la Révolution khomeiniste, puis
contre Saddam Hussein lorsque l’Otan
décida de s’en débarrasser. Ils
disposent actuellement d’une autonomie
régionale et entretiennent des
ambassades à l’étranger.
Les
Kurdes sont arrivés en Syrie pour fuir
les persécutions turques, d’abord durant
la période de Mustafa Kemal Atatürk,
puis il y a 30 ans durant l’insurrection
du PKK. Ceux qui n’avaient pas été
naturalisés l’ont été par le président
Bachar el-Assad au début de la guerre et
ont conclu un accord avec Damas qui leur
fournit des armes pour défendre leur
région.
Les Kurdes sont un peuple divers avec
de très fortes tensions internes. Ils ne
parlent pas la même langue, ont des
religions différentes même s’ils sont
principalement sunnites, et se
rattachent à des mouvements politiques
antagonistes. Depuis la Guerre froide,
ils sont divisés entre pro-US (la
famille Barzani aujourd’hui au pouvoir
dans une région d’Irak) et
pro-Soviétiques (Öcallan enlevé par les
Israéliens en 1999 pour le compte de la
Turquie et emprisonné depuis).
De gauche
à droite : Meir Amit (directeur du
Mossad), Moshe Dayan (ministre israélien
de la Défense) et leur agent Molla
Mustafa Barzani (père de l’actuel
président Masoud Barzani).
Le Kurdistan
irakien : mafia et Mossad
Compte tenu du rôle d’Israël au sein
de l’impérialisme anglo-saxon, la
famille Barzani —qui était
originellement socialiste— a rejoint le
Mossad dans les années 60 qui
l’instrumenta contre le Baas irakien [2].
Très mal considéré par les Kurdes de
Turquie, d’Iran et de Syrie, l’actuel
président Massoud Barzani est
probablement également membre du Mossad.
Il est parvenu à établir une certaine
prospérité au Kurdistan irakien grâce
aux investissements israéliens, puis à
instaurer un régime clanique.
Le président Barzani se maintient au
pouvoir alors que son mandat est terminé
depuis presque deux ans ; une situation
non-démocratique qui ne semble pas plus
gêner Washington que celle de Mahmoud
Abbas (Palestine) ou d’Abd Rabbuh Mansur
Hadi (Yémen). Son gouvernement se vautre
dans le népotisme et la corruption. Son
clan occupe les principaux postes à
responsabilité, à commencer par celui de
Premier ministre réservé à son neveu
Nechervan Barzani, et cumule 15
milliardaires en dollars et des milliers
de millionnaires sans parvenir à
expliquer l’origine de leur fortune. Les
avocats ont été les premiers réprimés
avec la condamnation de Me Kamal Qadir à
30 ans d’emprisonnement pour avoir
critiqué le président Barzani. La
liberté de la presse n’est plus que
théorique depuis 2010, après
l’enlèvement et l’assassinat du
journaliste kurde Sardasht Osman,
coupable d’avoir caricaturé le
président. Le Gouvernement régional est
en faillite et ne paie plus une grande
partie de ses fonctionnaires depuis
plusieurs mois.
Fils de
l’actuel président Barzani, Masrour « Jomaa »
Barzani a poursuivi ses études en Iran,
au Royaume-uni et aux États-Unis. Il
revient, en 1998, sous protection
anglo-saxonne, en Irak, dans la « Zone
de non-survol », et prend des
responsabilités dans le parti familial,
le PDK. Il devient rapidement l’agent de
liaison entre la famille et la CIA. En
octobre 2010, il acquiert le Château
Noble, à quelques kilomètres du siège de
l’Agence à Langley, pour 10 millions de
dollars. Il créé et dirige « Bas News »,
le principal journal kurde irakien et
supervise l’ensemble des services
secrets kurdes irakiens. C’est à ce
titre qu’il a participé aux réunions
secrète d’Amman (mai 2014) et a
coorganisé l’offensive conjointe de
l’Émirat islamique et des Peshmergas
contre Bagdad.
Le Kurdistan irakien
et le projet d’annexion du Nord de la
Syrie
En 2014, le Gouvernement régional du
Kurdistan participa au complot visant à
réaliser le remodelage de l’Irak et de
la Syrie conformément au Plan Wright. Il
participa à diverses réunions à Amman
avec les services secrets jordaniens,
les leaders de l’Émirat islamique, les
leaders de groupes armés en Syrie et les
Naqchbandis irakiens [3].
Il fut convenu sous l’égide de
Washington et de Tel-Aviv que l’Émirat
islamique et le Gouvernement régional du
Kurdistan lanceraient une attaque
coordonnée pour s’emparer d’une grande
partie de l’Irak. Alors que la presse
internationale dénonçait les exactions
de l’Émirat islamique en Irak, les
Kurdes de Barzani s’emparaient des
champs pétroliers de Kirkouk et
étendaient leur territoire de 40 %.
Par la suite, alors que de nombreux
États qui soutenaient secrètement cette
opération dénonçaient publiquement les
crimes contre l’humanité et les pillages
de l’Émirat islamique, le Gouvernement
régional du Kurdistan mettait le
pipe-line qu’il venait de voler au
service des jihadistes pour vendre aux
Européens le pétrole qu’ils pillaient.
Toute contestation de l’alliance
entre le Gouvernement régional kurde et
l’Émirat islamique est sévèrement
réprimée. Ainsi, Hayder Shesho, leader
yézidi qui l’avait dénoncé, a-t-il été
arrêté le 7 avril, bien qu’il ait la
double nationalité allemande.
Dans les années 2000, l’état-major
israélien prévoyait de neutraliser les
capacités de missiles de l’Égypte et de
la Syrie en plaçant ses propres missiles
au Sud-Soudan et au Kurdistan irakien.
Si la première région est parvenue à
l’indépendance, la seconde ne l’est
toujours pas. Le plan Wright offre à la
fois une occasion de réaliser cet
objectif stratégique et de semer la
pagaille. Pour saboter l’accord que
Washington et Téhéran doivent signer le
30 juin, Benjamin Netanyahu a prévu de
lancer les Peshmergas (c’est-à-dire les
soldats des Barzanis) à l’assaut du Nord
de la Syrie. Pourtant les Kurdes de
Syrie sont hostiles à la mafia des
Barzani et ont toujours été minoritaires
dans cette région.
Depuis plusieurs mois, une campagne
mensongère de presse attribue aux
Pershmergas les faits d’armes des Kurdes
turcs du PKK contre l’Émirat islamique,
par exemple lors de la bataille de
Kobané. Les États occidentaux, à
commencer par la France, envoient des
armes directement à Erbil, sans passer
par Bagdad, en violation de la
souveraineté irakienne. Ces armes ne
sont pas utilisées, mais stockées en
prévision de l’attaque du Nord de la
Syrie.
Au Congrès des États-Unis, Edward
Royce et Eliot Engel, deux
parlementaires relayant
traditionnellement les intérêts du
Likoud israélien, ont déposé en novembre
2014 une proposition de loi [4]
autorisant la livraison d’armes
directement au Gouvernement régional
kurde d’Irak. Ce texte n’ayant pas été
adopté, ces dispositions ont été
incluses dans la loi de finance de la
Défense par le président de la
Commission des Forces armées, Mac
Thornberry, avec d’autres visant à
renforcer simultanément l’aide militaire
aux groupes luttant contre la République
arabe syrienne. Si elle était adoptée
par les deux chambres, cette proposition
priverait Bagdad de tout pouvoir en
dehors de la zone chiite d’Irak et
ouvrirait la voie à la fois au
démantèlement du pays et à une quatrième
guerre en Syrie. La plupart des
politiciens irakiens qui s’expriment
publiquement ont mis en garde contre le
danger d’une telle politique. Le leader
chiite Moqtada el-Sadr (l’ancien
commandant de l’Armée du Mahdi) a, quant
à lui, déclaré que si cette loi était
adoptée, il considérerait à nouveau les
États-uniens comme des ennemis de la
Patrie et ferait aussi bien la guerre
aux 3 000 conseillers militaires en Irak
qu’aux intérêts US à l’étranger.
Le président Obama et le
vice-président Biden ont durement
indiqué au président Barzani, le 5 mai à
la Maison-Blanche, qu’ils ne
laisseraient pas faire les Israéliens et
ont sommé les Kurdes d’Irak de se tenir
tranquilles. Cependant, au Kurdistan
irakien, la presse prétend au contraire
que le président Obama a chaleureusement
accueilli la délégation et s’est engagé
à soutenir un « Kurdistan » indépendant,
obligeant le secrétaire à la Défense,
Ashton Carter, à mettre publiquement les
points sur les i.
Le nouveau gouvernement israélien,
formé le 7 mai par Benjamin Netanyahu,
tente d’unifier les jihadistes du Nord
de la Syrie. Il s’agit de coordonner
leur déplacement vers Damas lorsque les
Kurdes irakiens entreront en Syrie pour
y massacrer les Kurdes du PYG (la
branche locale du PKK turc qui soutient
la République arabe syrienne) et annexer
leur territoire.
Le président Erdoğan, considérant que
la création d’un « Kurdistan »
indépendant à cheval sur l’Irak et la
Syrie ranimerait le conflit kurde dans
son pays, a dénoncé ce projet comme une
étape vers la destruction de la Turquie.
En cas d’offensive kurdo-irakienne en
Syrie, il pourrait instantanément
basculer du côté de Damas.
À n’en pas douter, le projet
israélien sera débattu (avec la création
d’une Otan arabe sous commandement
israélien) lors de la prochaine session
du Conseil de coopération du Golfe que
le président Obama —qui n’en est pas
membre— a convoqué à Camp David.
[1]
“Imagining
a Remapped Middle East”, Robin
Wright, The New York Times Sunday
Review, September 28, 2013.
[2]
« Le
"Kurdistan", version israélienne »,
par Thierry Meyssan, Al-Watan
(Syrie), Réseau Voltaire, 13
juillet 2014.
[3]
« Révélations
du PKK sur l’attaque de l’ÉIIL et la
création du "Kurdistan" », Réseau
Voltaire, 8 juillet 2014.
[4]
H. R. 5747, “Bill
to authorize the direct provision of
defense articles, defense services, and
related training to the Kurdistan
Regional Government, and for other
purposes”, House of Representatives,
November 20, 2014.
Thierry
Meyssan,
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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