S’adressant à la Chambre, le Premier ministre jordanien Abdullah Ensour a présenté, le 2 février l’état des négociations [11] en insistant sur le fait que, pour une fois et en gage de sérieux, les discussions se passaient à huis clos et que presque rien n’en filtrait dans la presse [12]. Il a, à cette occasion, précisé la position du royaume [13].
De la sorte, Abdullah Ensour, ancien cadre de la Banque mondiale et du FMI, entendait garantir les intérêts de son pays, initialement créé par les Britanniques pour régler le problème palestinien. La Jordanie est prête à absorber les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza dans une fédération, mais pas à n’importe quel prix. Le roi Abdullah II aurait accepté de donner, sans condition, la citoyenneté jordanienne aux trois millions de Palestiniens résidant dans le pays et aux quatre millions des Territoires. On reviendrait ainsi à la situation d’avant la guerre des Six Jours (1967), lorsque la Jordanie —et non l’OLP— représentait les Palestiniens et étendait sa juridiction sur la Cisjordanie et Jérusalem-Est. En échange, le roi aurait requis une aide internationale pour financer les droits sociaux de ses possibles sept millions de nouveaux sujets. Abdullah Ensour l’aurait chiffrée entre 16 et 20 milliards de dollars.
On sait par ailleurs que, s’appuyant sur un document autographe du président Harry Truman, les négociateurs arabes ont rejeté l’idée de reconnaître Israël comme « État juif » et la Palestine comme « État musulman ». Ils sont convenus qu’en cas de reconnaissance mutuelle de deux États, les 1,6 millions de Palestiniens vivant sur le territoire israélien et les 500 000 Israéliens vivant dans l’État palestinien puissent y rester sous réserve d’en prendre (ou d’en conserver) la nationalité [14]. Mahmoud Abbas a proposé que la Palestine soit démilitarisée et que sa sécurité soit assurée par une force « neutre », l’Otan. L’armée israélienne serait cependant autorisée à se maintenir dans la vallée du Jourdain durant les cinq premières années [15].
Les négociations ne concernent pas seulement les gouvernements. Depuis deux ans, à l’initiative du Forum économique mondial de Davos, capitalistes palestiniens et israéliens, sous la présidence de Munib R. Masri et Yossi Vardi, imaginent comment développer la région avec l’argent de la communauté internationale. Mais leur initiative, Breaking the Impasse (Briser l’impasse), semble d’une part défendre plus leurs intérêts personnels que ceux de leurs peuples et, d’autre part, compter sur d’alléatoires promesses de dons.
Cependant, ces projets se heurtent à l’opposition des Palestiniens exilés —qui perdraient leurs espoirs de retour— et des États qui les accueillent ou les soutiennent. Or aucun n’est en mesure de s’y opposer actuellement : la Libye et le Soudan sont en guerres tribales, l’Égypte se bat contre les Frères musulmans, le Liban n’a plus de gouvernement et le Hezbollah lutte contre Al-Qaïda, la Syrie fait face à une invasion étrangère, l’Irak est en guerre civile, et l’Iran négocie. Il conviendrait alors de naturaliser les exilés Palestiniens dans les États où ils vivent, ce qui ne manquerait pas de faire surgir de nouveaux problèmes (par exemple, l’équilibre communautaire au Liban). Quoi qu’il en soit, si le Fatah, le Hamas et la Jordanie acceptent cette mauvaise solution on ne voit pas qui sera en mesure de la contester. D’ores et déjà, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, aurait pris l’engagement à Munich que son pays reconnaisse l’État d’Israël dans le cadre de ce règlement. Propos immédiatement démentis par son ministère [16].
Le principe de la paix en Palestine acquis, Washington accepterait —enfin !– de laisser la Syrie tranquille à la condition qu’elle approuve et garantisse la solution choisie. D’ici là, la guerre continue. Bien que la délégation de l’opposition à Genève ne revendique plus que gouverner sur des « zones libérées » habitées par seulement 250 000 personnes, le Congrès des États-Unis réuni en séance secrète lui a accordé subventions et armement offensif jusqu’au 30 septembre 2014.
Source
Однако
Hebdomadaire russe d’information
générale.
Rédacteur en chef : Mikhail Léontieff.
[1] « Communiqué des "Amis de la Syrie" réunis à Paris », Réseau Voltaire, 12 janvier 2014.
[2] “John Kerry’s opening speech at the Geneva 2 Conference”, par John F. Kerry, Voltaire Network, 22 January 2014.
[3] “Open Hearing : Current and Projected National Security Threats Against the United States”, U.S. Senate Select Committee on Intelligence, 29 janvier 2014.
[4] « Les États-Unis, premiers financiers mondiaux du terrorisme », par Thierry Meyssan, Al-Watan (Syrie), Réseau Voltaire, 3 février 2014.
[5] “Senators say John Kerry admitted U.S. failure in Syria” par Fred Hiatt, directeur des éditorialistes du Washington Post, 3 février 2014.
[6] “Kerry Tells Senators That Obama Syria Policy Is Collapsing”, par Jeffrey Goldberg, Bloomsberg View, 3 février 2014.
[7] “Senators : Kerry Admits Obama’s Syria Policy Is Failing”, par Josh Rogin, The Daily Beast, 3 février 2014.
[8] “The U.S. must reconsider its failed Syrian policy”, par le Comité éditorial, The Washington Post, 4 février 2014.
[9] « Сферы влияния », par Thierry Meyssan, Однако, 26 janvier 2013. Version française : « Obama et Poutine vont-ils se partager le Proche-Orient ? », Réseau Voltaire, 22 février 2013.
[10] We all have a powerful, powerful interest in resolving this conflict. Everywhere I go in the world, wherever I go – I promise you, no exaggeration, the Far East, Africa, Latin America – one of the first questions out of the mouths of a foreign minister or a prime minister or a president is, “Can’t you guys do something to help bring an end to this conflict between Palestinians and Israelis ?”
[11] « وزير الخارجية يضع مجلس النواب بمسار المفاوضات بين الفلسطينيين والإسرائيليين », وكالة الأنباء الأردنية 2 février 2014.
[12] Sur l’équipe et la méthode de négociations de Kerry, lire “John Kerry in final push to disprove cynics on Middle East peace deal”, par Paul Lewis et Harriet Sherwood, The Guardian, 30 janvier 2014.
[13]
Les sept exigences jordaniennes sont :
1.
Reconnaissance de deux États justes et
durables sur les frontières de 1967.
2.
Respect du droit international et de
l’Initiative arabe.
3.
Prise en compte des intérêts vitaux de
la Jordanie.
4.
Proclamation de Jérusalem-Est comme
capitale.
5.
Indemnisation.
6.
Protection des lieux saints.
7.
Égalité des droits quelque soit la
religion des citoyens dans chacun des
deux États.
[14] “Hundreds of thousands of settlers may stay put under leaked framework for Middle East peace deal”, par Inna Lazareva, The Daily Telegraph, 31 janvier 2014.
[15] “Palestinian Leader Seeks NATO Force in Future State”, par Jodi Rudoren, et “Abbas’s NATO Proposal”, par Thomas Friedman, The New York Times, 2 février 2014.
[16] "Iranian FM denies reports hinting at recognition of Israel if conflict with Palestinians settled", par Ariel Ben Solomon, Jerusalem Post, 4 février 2014.
Thierry Meyssan,
Intellectuel français, président-fondateur du Réseau Voltaire et de la conférence Axis for Peace. Dernier ouvrage en français : L’Effroyable imposture : Tome 2, Manipulations et désinformations (éd. JP Bertand, 2007).
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