Focus
Obama réarme
Thierry Meyssan
Lundi 9 février 2015
Alors que la presse atlantiste salue la
nouvelle
Doctrine US de sécurité
nationale comme une volonté
d’explorer d’abord des moyens
non-militaires pour résoudre des
conflits, Thierry Meyssan y a lu une
profession de foi impérialiste et une
déclaration de guerre au monde. Nos
lecteurs pourront se reporter au
document original, téléchargeable au bas
de cette page, pour vérifier qui dit
vrai.
Le président Obama
vient de rendre publique sa Doctrine de
sécurité nationale (National Security
Strategy), un document qui explicite
les ambitions de son pays et dont on
attendait depuis longtemps la
publication. Tout en maniant la « langue
de bois », il y définit sa vision de
l’impérialisme. En voici le décryptage :
A— Les huit entraves
à la domination impériale
Le premier obstacle, c’est la
diminution des dépenses militaires. « La
force n’est pas le premier choix des
États-Unis, mais parfois leur choix
nécessaire », aussi doivent-ils
conserver leur écrasante supériorité en
la matière [leur budget militaire est
supérieur à celui de tous les autres
États du monde cumulés] et doivent-ils
cesser d’y faire des économies.
Le second, c’est le danger interne de
révolte armée. Depuis les attentats du
11-Septembre, la peur du terrorisme a
permis de développer la surveillance des
citoyens. Ainsi, le Patriot Act a
« protégé des individus vulnérables à
des idéologies extrémistes susceptibles
de les pousser à des attaques sur le
sol » états-unien.
Le troisième, c’est le terrorisme
transnational que les États-Unis ont
créé et qu’ils doivent sans cesse
maîtriser. Afin que la lutte contre
cette entrave ne soit pas détournée pour
régler des comptes intérieurs, elle sera
toujours accomplie dans un respect
scrupuleux de la loi US [pas de la loi
internationale puisque l’organisation du
terrorisme est un crime international].
Le quatrième, c’est le relèvement de
la puissance russe et accessoirement les
provocations de la République populaire
démocratique de Corée, désignée sous le
nom de Corée du Nord de manière à se
souvenir que les États-Unis ne l’ont
toujours pas vaincue et qu’ils peuvent
toujours reprendre cette guerre.
Le cinquième, c’est l’éventuelle
accession de nouveaux États au statut de
puissance nucléaire, ce qui leur
permettrait de résister à Washington.
L’opinion publique internationale pense
ici à l’Iran, mais le président Obama
pense en réalité à la Corée. Et peu
importe qu’il n’ait jamais tenu ses
promesses de dénucléarisation, ni que
l’Otan serve à violer les engagements
signés du Traité de non-prolifération.
Le sixième, c’est l’évolution du
climat qui pousse des population à
migrer et donc menace le statu quo.
Le septième, c’est la remise en cause
du contrôle exclusif des États-Unis sur
les espaces communs.
D’abord, le cyber-espace : les
États-Unis étant à la fois propriétaires
de l’Internet et disposant d’un système
gigantesque d’écoutes illégales, ils ne
s’attendaient pas à ce que certains
utilisent ce mode de communication pour
ne pas payer les redevances des brevets,
droits d’auteur et autres droits des
marques qui constituent aujourd’hui une
rente, la première source de revenus.
Ensuite, l’espace : les États-Unis
soutiennent le projet européen de
Code de conduite sur les activités
spatiales ce qui est un moyen
d’échapper au projet russo-chinois de
Traité d’interdiction de placement
d’armes dans l’espace.
Enfin, l’air et la mer. Depuis la
Charte de l’Atlantique, les
États-Unis et le Royaume-Uni se sont
auto-proclamés police de l’air et des
mers. Ils garantissent la libre
circulation des marchandises et étendent
ainsi leur thalassocratie.
Le huitième, c’est le risque d’une
épidémie. Depuis un an, les États-Unis
ont mis en place avec une trentaine de
leurs alliés le Global Health
Security Agenda qui vise à détecter
et contenir les épidémies aussi bien
qu’à répondre au bio-terrorisme.
B— Les objectifs
économiques
En premier lieu, il s’agit de faire
travailler les États-uniens, non pas
pour qu’ils puissent vivre avec un
meilleur niveau de vie, mais pour qu’ils
assurent la puissance économique du
pays.
Deuxièmement, les États-Unis
rencontrent un problème de sécurité
énergétique non pas parce qu’ils
auraient du mal à s’approvisionner —ils
sont désormais excédentaires grâce au
pétrole mexicain dont ils se sont
discrètement emparés— mais parce que la
Russie prétend suivre leur exemple en
contrôlant le marché mondial du gaz.
Troisièmement, le leadership US en
matières scientifiques et technologiques
ne doit plus reposer sur l’immigration
des cerveaux, qui tend à se raréfier,
mais sur son propre système scolaire.
Quatrièmement, le nouvel ordre
économique doit faire des États-Unis la
première destination des investissements
dans le monde. Dès lors tous leurs
encouragements à développer les
investissements ici ou là sont de pure
forme.
Cinquièmement, les États-Unis doivent
utiliser l’extrême pauvreté dans le
monde pour imposer leurs produits.
C— L’idéologie
Les États-Unis sont irréprochables en
matière de « Droits de l’homme ». Cette
expression doit être comprise au sens
anglo-saxon de protection des individus
face à l’arbitraire des États, mais
surtout pas au sens des Révolutionnaires
français pour qui le premier « Droit de
l’homme et du citoyen », ce n’est pas
d’élire des dirigeants parmi les élites,
c’est d’être son propre dirigeant.
L’administration Obama a mit fin à la
pratique de la torture et garantit les
droits de ses prisonniers. Peu importe
que les membres de la CIA ayant pratiqué
des expériences sur des prisonniers ne
soient pas poursuivis pour leurs crimes,
ni qu’aucune enquête n’ait été conduite
sur les 80 000 personnes qui furent
illégalement détenues en eaux
internationales sur des bateaux de la
Navy durant l’ère Bush. De même, on est
prié de croire que la NSA ne collecte
aucun renseignement pour réprimer des
opinions politiques, ni qu’elle
transmette ses renseignements à l’Advocacy
Center afin de favoriser les
entreprises US lors des appels d’offre
internationaux.
Les États-Unis défendent des
principes universels : la liberté
d’expression [sauf pour les télévisions
serbes, irakiennes, libyennes et
syriennes qu’ils ont détruites], la
liberté de culte [mais pas la liberté de
conscience] et de réunion, la capacité
de choisir ses leaders de manière
démocratique [sauf pour les Syriens qui
ont élu Bachar el-Assad à 88 %], et le
droit à une procédure et une justice
équitable [mais uniquement en ce qui
concerne le droit pénal chez les
autres]. Ils défendent les communautés
les plus vulnérables, telles les
minorités ethniques et religieuses [mais
ni les Yazidis, ni les catholiques ou
orthodoxes du Proche-Orient], les
handicapés, les LGTB [uniquement parce
que ça ne leur coûte rien], les
personnes déplacées [sauf les Mexicains
qui tentent de franchir la frontière] et
les travailleurs migrants.
Les États-Unis soutiennent les
démocraties émergentes, particulièrement
après le printemps arabe. C’est pourquoi
ils ont soutenu Al-Qaïda dans sa
révolution contre la Jamahiriya arabe
libyenne et le soutiennent encore contre
la République arabe syrienne. Ils
luttent également contre la corruption,
sachant qu’ils n’ont rien à se reprocher
puisque les membres du Congrès ne
touchent pas d’argent en cachette pour
modifier leurs votes, mais le déclarent
sur un registre.
Les États-Unis continueront à
subventionner des associations à
l’étranger en choisissant leurs
interlocuteurs de manière à pouvoir
camoufler leurs coups d’État en
« révolutions colorées ».
Enfin, les États-Unis s’attacheront à
prévenir des massacres de masse [mais
pas à ne pas en pratiquer eux-mêmes
comme celui des 160 000 Libyens qu’ils
avaient reçu mandat de protéger et
qu’ils bombardèrent]. Pour ce faire, ils
soutiendront la Cour pénale
internationale [à la condition qu’elle
ne poursuive pas de fonctionnaires US].
D— Le Nouvel ordre
régional
Extrême-Orient : Bien que la Chine
soit en compétition avec les États-Unis,
ils éviteront la confrontation et
« chercheront à développer une relation
constructive » avec Pékin. Néanmoins,
comme on n’est jamais assez prudent, ils
poursuivront le déplacement de leurs
troupes vers l’Extrême-Orient et se
préparent dès à présent à la Guerre
mondiale.
Europe : Les États-Unis continueront
à s’appuyer sur l’Union européenne
qu’ils ont imposé aux Européens, leur
principal client. Ils ne manqueront pas
d’utiliser l’UE, leur « partenaire
indispensable », contre la Russie.
Proche-Orient : Les États-Unis
garantissent la survie de la colonie
juive de Palestine. Pour ce faire, ils
continueront à la doter d’une très
importante avance technologique
militaire. Surtout, ils poursuivront la
construction d’une alliance militaire
entre Israël, la Jordanie et les pays du
Golfe conduits par l’Arabie saoudite, ce
qui enterrera définitivement le mythe du
conflit israélo-arabe.
Afrique : Les États-Unis
subventionneront de « Jeunes leaders »
qu’ils aideront à être démocratiquement
élus.
Amérique latine : Les États-Unis
lutteront pour la démocratie au
Venezuela et à Cuba, qui persistent à
leur résister.
E— Conclusion
Concluant son exposé, le président
Obama souligne que ce programme ne
pourra être accompli qu’en restaurant la
coopération entre Républicains et
Démocrates, ce qui est une manière de
rappeler son projet d’augmentation des
dépenses militaires.
Pour être comprise, la nouvelle
Doctrine de sécurité nationale doit être
replacée dans son contexte. En 2010, le
président Obama avait abandonné la
théorie de la « guerre préventive »,
c’est-à-dire le droit du plus fort de
tuer qui bon lui semble. Cette fois-ci,
il abandonne le projet de « remodelage
du Moyen-Orient élargi ». Compte tenu
des principes énoncés plus haut, on peut
en conclure que les États-Unis vont
repousser Daesh vers la Russie, qu’ils
ne reconnaîtront finalement pas
l’indépendance du Kurdistan irakien, et
qu’ils confieront la sécurité d’Israël à
la Jordanie et à l’Arabie saoudite et
non pas à la Russie comme envisagé en
2012.
La Doctrine Obama restera dans
l’Histoire comme le constat d’un échec
et l’annonce d’une catastrophe :
Washington abandonne son projet de
réorganisation militaire et se lance à
nouveau dans le développement de ses
armées. Au cours des 70 dernières
années, le budget militaire du pays a
toujours été en augmentation, sauf en
1991-95 lorsqu’ils pensaient conquérir
le monde par la seule voie économique,
et en 2013-14 lorsqu’ils prirent
conscience de leur désorganisation. En
effet, depuis plusieurs années, plus ils
mettent d’argent dans leurs armées,
moins celles-ci fonctionnent. Cependant
personne n’a réussi à réformer le
système, ni Donald Rumsfeld, ni Chuck
Hagel. Par conséquent, il faudra
toujours nourrir plus le Moloch, à la
fois d’un point de vue budgétaire et en
lui offrant des guerres à livrer.
Document joint:
National Security Strategy, USA 2015
(original en anglais)
(PDF - 505.5 ko)
Thierry
Meyssan,
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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