Réseau Voltaire
L’Otan entend interdire à la Russie
et à la Chine de se développer
Thierry Meyssan
Lundi 8 septembre 2014
Le fastueux sommet de l’Otan à
Newport n’a pas accouché publiquement
des grandes décisions annoncées, mais il
est probable qu’elles ont été prises en
secret. Pour empêcher la Russie et la
Chine —mais aussi l’Inde— de poursuivre
leur développement, l’Otan peut compter
sur le terrorisme de l’Émirat islamique
qu’il feint de condamner et de
combattre.
Le sommet de Newport
(Pays de Galles) est le plus important
de l’Otan depuis celui de Prague en
2002. À l’époque, il s’agissait
d’inclure de nouveaux États d’Europe
centrale et orientale au sein de
l’Alliance. Cette fois, il s’agit de
planifier une stratégie à long terme
pour contenir le développement de la
Russie et de la Chine de sorte qu’ils ne
puissent rivaliser avec les États-Unis [1].
Tout ce qui touche à l’Otan est sujet
à polémique. En effet, elle n’a cessé,
depuis sa création, en 1949, de
manipuler les faits pour se présenter
comme une alliance défensive face à
l’expansionnisme soviétique, alors que
c’est le Pacte de Varsovie, créé six ans
plus tard, en 1955, qui visait à
défendre les États socialistes face à
l’impérialisme anglo-saxon (et non
l’inverse).
En outre, contrairement à sa
dénomination, l’Otan n’est pas une
alliance entre égaux, mais la
vassalisation des armées partenaires par
les États-Unis et le Royaume-Uni. En
effet, toutes les armées membres de
cette prétendue « alliance » sont
placées sous le commandement d’un unique
officier états-unien —par ailleurs
commandant des forces US en Europe—,
tandis que le service secret de l’Otan,
le « Gladio », sous l’autorité conjointe
de Washington et de Londres, veille à ce
que jamais des anti-impérialistes
n’arrivent au pouvoir dans les autres
États membres [2].
Pour ce faire, l’Otan n’a lésiné ni sur
les assassinats politiques, ni même sur
les coups d’État (en France [3],
en Italie, en Grèce, à Chypre et en
Turquie).
Cette vassalisation contrevient aux
principes de la Charte des Nations
unies, puisque les États membres perdent
l’indépendance de leur politique
étrangère et de Défense. Elle fut mise
en cause par l’Union soviétique, puis
par le président Charles De Gaulle qui,
après avoir affronté une quarantaine de
tentatives d’assassinat par l’OAS
financée par l’Otan et s’être fait
réélire, annonça le retrait immédiat de
la France du commandement intégré et le
renvoi des 64 000 soldats et employés
administratifs de l’Otan hors du
territoire français.
Cette page d’indépendance française
cessa avec l’élection de Jacques Chirac
qui, quelques mois après son arrivée à
l’Élysée, réintégra la France au sein du
Conseil des ministres et du Comité
militaire de l’Alliance. Elle se termina
définitivement avec le retour de l’armée
française sous commandement états-unien,
décidé par Nicolas Sarkozy, en 2009.
Enfin la vassalisation des États
membres s’est poursuivie avec la
création de nombreuses institutions
civiles, dont la principale et la plus
efficace est l’Union européenne.
Contrairement à une idée répandue,
l’Union actuelle n’a pas grand-chose à
voir avec l’idéal d’unité européenne,
mais a pour vocation de fixer les
membres de l’Otan hors de l’influence
soviétique, puis russe, conformément aux
clauses secrètes du Plan Marshall. Il
s’agit donc de diviser l’Europe en deux
blocs. Ce n’est donc pas un hasard si
les bureaux de l’Otan et ceux de
l’Exécutif européen sont principalement
situés à Bruxelles et secondairement au
Luxembourg. Et c’est pour permettre le
contrôle de l’Union par les Anglo-Saxons
que celle-ci s’est dotée d’une étrange
Commission dont la principale activité
est de présenter des « propositions »
économiques ou politiques, toutes
prédéfinies par l’Otan. On ignore
souvent que l’Alliance n’est pas
simplement un pacte militaire, mais
qu’elle intervient dans le domaine
économique. D’abord l’Otan est le
premier client de l’industrie de Défense
en Europe, puis elle détermine des
normes pour ses appels d’offre,
c’est-à-dire pour tout ce qui concerne
la vie quotidienne de ses soldats. Ce
sont ces normes qui sont proposées par
la Commission, puis adoptées par le
Parlement européen.
Actuellement les trois quarts du
budget de l’Otan sont assurés par les
seuls États-Unis.
L’avenir du projet
impérialiste anglo-saxon
Depuis le coup d’État de 2001 [4],
les États-Unis envisagent une
confrontation avec la Chine. Dans cette
perspective, le président Barack Obama a
annoncé le repositionnement de ses
forces en Extrême-Orient. Cependant, cet
agenda a été perturbé par le
redressement économique, politique et
militaire de la Russie, qui s’est
montrée capable, en 2008, de défendre
l’Ossétie du Sud attaquée par la Géorgie
et, en 2014, la Crimée menacée par les
putschistes de Kiev.
Par ailleurs, le projet du « bouclier
anti-missiles » a été abandonné.
Présenté comme un système de protection
face à des missiles iraniens, ce
« bouclier » était en réalité un système
offensif déployé alentour de la Russie
pour la paralyser. Un simple coup d’œil
sur une mappemonde permet de constater
que des missiles iraniens, s’ils
devaient être tirés sur les États-Unis,
ne passeraient pas au-dessus de l’Europe
centrale, mais par le plus court
chemin : le pôle nord. Après avoir miné
durant une décennie les relations entre
Washington et Moscou, le projet est
abandonné car il s’avère techniquement
impossible de détruire en vol des
missiles russes intercontinentaux de
dernière génération. Du coup, c’est le
principe même de la « dissuasion
nucléaire » qui est abandonné face à la
Russie, même s’il reste pertinent pour
d’autres États.
Tout en effectuant son « pivot vers
l’Asie », Washington a exacerbé les
tensions entre la Chine et ses voisins,
particulièrement le Japon. L’Otan, qui
historiquement vassalise l’Europe à
l’Amérique du Nord, s’est donc ouverte à
des partenaires asiatiques et
océaniques, notamment l’Australie et le
Japon, à travers des contrats
d’association. En passant, elle a élargi
son champ d’action à l’ensemble du
globe [5].
En cette période de restrictions
budgétaires, l’Alliance, qui ne connaît
pas la crise, se fait construire un
nouveau siège social, à Bruxelles, pour
la somme faramineuse d’1 milliard
d’euros. Il devrait être livré début
2017 [6].
La question de
l’Émirat islamique
À la préoccupation d’empêcher la
Chine et la Russie de contrôler assez de
matières premières pour être en capacité
de rivaliser avec les États-Unis, s’est
ajoutée durant l’été la question de
l’Émirat islamique.
Une intense campagne de presse a
diabolisé cette organisation jihadiste,
dont les crimes ne sont pas nouveaux,
mais qui vient de s’en prendre à la
population irakienne. Nous avons maintes
fois expliqué que l’ÉI est une création
occidentale et que, malgré les
apparences, son action en Irak est
parfaitement conforme au plan US de
diviser ce pays en trois États
distincts [7].
Pour réaliser un projet qui constitue un
crime contre l’humanité parce qu’il
suppose un nettoyage ethnique,
Washington a eu recours à une armée
privée qu’il se doit de condamner
publiquement tandis qu’il la soutient en
sous-main.
Les États-Unis auraient pris la
mesure du danger islamiste après que
l’ÉI eut égorgé deux de leurs
ressortissants, les journalistes James
Foley et Steven Sotloff. Cependant, un
examen attentif des vidéos [8]
laisse à penser qu’elles ne sont pas
authentiques. Le problème s’était déjà
posé avec l’ÉI lorsqu’il était sensé
avoir égorgé, en 2004, Nick Berg [9].
Nous avons également souvent souligné
que l’ÉI se distinguait des groupes
jihadistes précédents à la fois par son
service de communication et par ses
administrateurs civils, capables de
gérer les territoires conquis. Il s’agit
donc d’un groupe appelé à durer. Ainsi
que l’a montré Alfredo Jalife-Rahme, le
Califat, même s’il agit actuellement
principalement en Syrie et en Irak, a
été conçu pour porter le fer à long
terme contre la Russie, l’Inde et la
Chine [10].
La question de l’Émirat islamique
n’avait donc pas à être ajoutée à
l’ordre du jour anti-Russes et
anti-Chinois, elle en faisait partie. Au
demeurant, ne souhaitant pas risquer de
voir un État membre exprimer ses doutes
sur cette mascarade, Washington a
déplacé le débat en marge du sommet. Le
président Obama a réunit 8 autres États,
plus l’Australie (qui n’est pas membre
de l’Otan, mais seulement associée) pour
mettre au point son plan de guerre. Il a
ultérieurement été décidé d’associer la
Jordanie à ce dispositif.
Les conclusions du
sommet
Le sommet a expédié en une brève
matinée la question de sa longue
présence en Afghanistan. Certes, l’Otan
retirera comme prévu ses troupes
combattantes en fin d’année, mais elle
conservera le contrôle de l’armée
afghane et de la sécurité du pays. Le
sommet s’est même payé le luxe d’appeler
les deux candidats à la présidentielle
afghane à prendre l’engagement de signer
sans plus tarder les exigences
d’immunité pénale des États-Unis, alors
que cette élection est organisée et
dépouillée par les forces
états-uniennes. Dès lors, le candidat
qui ne répondrait pas à cet appel ne
devrait pas s’étonner de ne pas être
considéré comme élu.
Comme on brandit une cape rouge pour
énerver un taureau, le sommet a décidé
d’étendre le contrôle de l’Otan sur la
partie orientale de l’Europe (dont
l’Ukraine), question de voir ce que sera
la réaction russe. Mais il n’a pas été
plus loin. L’Acte fondateur Otan-Russie
n’a pas été révoqué et l’Ukraine n’a pas
été intégrée à l’Alliance. Chacun a
préféré évoquer un possible
cessez-le-feu entre Kiev et le Donbass.
En outre, le sommet a doté l’Alliance
de deux nouveaux outils : un service de
cyber-guerre pour contrer les hackers
militaires chinois, et une Force
d’intervention rapide de 4 000 hommes,
issus de 7 pays et placés sous
commandement britannique. Enfin, le
sommet a ouvert la procédure d’adhésion
du Monténégro et a, bien sûr, enjoint
les États membres à développer leurs
dépenses militaires.
Quelques remarques
Malgré les imputations du
gouvernement ukrainien —selon qui la
Russie aurait envahit son pays… mais
avec seulement 1 000 hommes que personne
n’a vus, ainsi que le note Giulietto
Chiesa [11]—,
le sommet n’a pas décidé d’entrer en
guerre contre Moscou et s’est contenté
d’une mesure symbolique. On ne comprend
donc pas pourquoi tant de fastes ont été
déployés à Newport.
À moins que les choses importantes
aient été décidées à huis clos, lors de
la réunion des chef d’État du vendredi 5
septembre, il ne semble pas que les
guerres secrètes aient été évoquées lors
du sommet, mais uniquement en marge du
sommet avec certains alliés uniquement.
Déjà, en 2011, l’Otan avait violé ses
propres statuts en ne réunissant pas le
Conseil atlantique avant de bombarder
Tripoli. Il semblait en effet impossible
que tous acceptent de se livrer à une
telle boucherie. Les États-Unis et le
Royaume-Uni réunirent donc en secret la
France, l’Italie et la Turquie à Naples
pour planifier une attaque qui fit au
moins 40 000 morts civils en une
semaine.
Le communiqué final est d’une rare
hypocrisie [12] :
la crise ukrainienne est traitée comme
une agression russe, sans jamais faire
mention du coup d’État de la place
Maidan, ni de l’installation d’un
gouvernement incluant des nazis. La
crise syrienne est présentée comme un
conflit entre « une opposition modérée
qui protège les minorités » et, à la
fois, la « tyrannie du régime de Bachar
el-Assad » et « des groupes
extrémistes », sans jamais faire mention
de ce que le régime syrien est une
République alors que l’opposition
modérée est rémunérée par les dictatures
du Golfe, ni que la crise a été ouverte
par une guerre secrète
franco-britannique conformément aux
annexes du Traité de Lancaster House, ni
que le président el-Assad vient d’être
réélu par 63 % du corps électoral, et
alors que la République arabe syrienne
est la seule à avoir protégé non
seulement les minorités, mais tous ses
citoyens, incluant la majorité sunnite.
Avec cynisme, le communiqué prétend que
l’Alliance a protégé le peuple libyen,
conformément aux résolutions 1970 et
1973, alors qu’il a utilisé ces
résolutions pour changer le régime en
tuant 160 000 Libyens et en plongeant le
pays dans le chaos.
Cependant, en définitive, au cours
des dernières années, l’Otan est
parvenue à ses fins en Afghanistan, en
Irak, en Libye et au Nord-Est de la
Syrie, c’est-à-dire uniquement et
exclusivement dans des pays ou des
régions organisées en sociétés tribales.
Elle ne semble donc pas apte à entrer en
conflit direct avec la Russie et la
Chine.
[1]
« Le
sommet de l’Otan : guerre sur deux
fronts », par Manlio Dinucci,
Traduction Marie-Ange Patrizio, Il
Manifesto (Italie), Réseau
Voltaire, 4 septembre 2014.
[2]
Lire Les armées secrètes de l’Otan,
par le professeur Daniele Ganser,
disponible en épisode sur
Réseau Voltaire.
[3]
Sur les coups d’État de 1958 et de 1961,
on se reportera à (1) « Quand
le stay-behind portait De Gaulle au
pouvoir » et (2) « Quand
le stay-behind voulait remplacer De
Gaulle », par Thierry Meyssan,
Réseau Voltaire, 27 août et 10
septembre 2001.
[4]
Nous rappelons que le 11 Septembre 2001,
pendant que le monde était hypnotisé par
des attentats à New York et Washington,
le président George W. Bush fut
illégalement démis de ses fonctions en
vertu du programme de « continuité du
gouvernement ». Il ne les retrouva qu’en
fin de journée, après que son pays ait
profondément modifié sa politique
étrangère et de Défense. Durant cette
journée, tous les membres du Congrès et
leurs équipes furent placés par
l’autorité militaire en résidence
surveillée au Greenbrier complex
(Virginie occidentale) et à Mount
Weather (Virginie).
[5]
« Otan,
offensive mondiale », par Manlio
Dinucci, Traduction Marie-Ange Patrizio,
Il Manifesto (Italie), Réseau
Voltaire, 29 juillet 2014.
[6]
« 1
milliard d’euros pour le nouveau siège
de l’Otan », Réseau Voltaire,
29 janvier 2014.
[7]
Voir notamment (1) « Le
"Kurdistan", version israélienne », ;
(2) « John
McCain, le chef d’orchestre du
"printemps arabe", et le Calife » ;
(3) « Le
grand retournement saoudien », par
Thierry Meyssan, Réseau Voltaire,
1er juillet, 18 août et 1er septembre
2014,
[8]
« Foley
video with Briton was staged, experts
say », Deborah Haynes, The Times,
24 août 2014 ; « Foley
murder video ’may have been staged’ »,
Bill Gardner, The Daily Telegraph,
25 août 2014. Et sur l’identité de
Sotloff, voir : « Le
journaliste décapité était un Israélien
formé dans une antenne du Mossad »,
par Hicham Hamza, Panamza, 3
septembre 2014.
[9]
« L’affaire
Nicholas Berg », par Thierry Meyssan,
Réseau Voltaire, 18 mai 2004.
[10]
« Un
djihad mondial contre les BRICS ? »,
par Alfredo Jalife-Rahme, Traduction
Arnaud Bréart, La Jornada (México),
Réseau Voltaire, 18 juillet 2014.
[11]
« En
Ukraine, les menteurs paniquent »,
par Giulietto Chiesa, Megachip
(Italie), Réseau Voltaire, 3
septembre 2014.
[12]
« Déclaration
finale du sommet de l’Otan »,
Réseau Voltaire, 5 septembre 2014.
Thierry
Meyssan,
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Dernier ouvrage en
français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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